3 décembre 2016 6 03 /12 /décembre /2016 20:25

Pour les vainqueurs de la crise de l’été 1962, la gestion postcoloniale doit leur revenir de droit. Cette approche exclut de fait le peuple algérien de façon générale et les opposants politiques de façon particulière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet esprit est en contradiction flagrante avec la déclaration du 1er novembre 1954 et surtout avec la dynamique qui a permis le développement des grandes nations. Mais, il y a pire : cette stratégie est encore en vigueur.

Pour revenir au contexte de l’époque, c’est-à-dire les années 1960 et 1970, à en croire Smaïl Goumeziane, dans « le mal algérien », l’échec de la transition postcoloniale est déjà latent. En fait, au lieu d’associer le peuple algérien à l’œuvre de l’édification de la nation, le régime s’appuie sur une administration « développant à cette fin une immense bureaucratie assise sur le clientélisme et l’arbitraire », écrit l’ancien ministre réformateur.

En tout cas, bien qu’il y ait incontestablement des investissements colossaux –la fameuse industrie industrialisante –, force est de reconnaître que les manques de concertation et de transparence vont s’avérer plus tard des gouffres financiers. En d’autres termes, sous l’ère de Boumediene, les défauts l’emportent sur les qualités, et ce, bien que ces tares soient soigneusement cachées.

Pour étayer cette thèse, et dans le but de camoufler ces tares, « il faut donc s’endetter, et encore s’endetter, et dès 1975 la balance des paiements est déficitaire, tout comme le Trésor public et les entreprises, et ce, malgré le boom pétrolier », argue Smaïl Goumeziane. Du coup, de 1974 à 1979, la dette algérienne passe de 6 milliards de dollars à 26 milliards de dollars.

Toutefois, l’endettement en soi n’est pas un problème. La plupart des États occidentaux vivent à crédit. Hélas, dans le cas de l’Algérie, « l’endettement est utilisé pour réaliser des projets qui,…, sont chers, non rentables, de faible productivité, et pour importer des biens de consommation de plus en plus coûteux », explique Smaïl Goumeziane.

Incontestablement, deux facteurs sont à l’origine de cet échec. Le premier est inhérent au système de gouvernance. Dans le monde entier, les régimes autoritaires sont la principale cause de la misère des peuples. Car, au lieu de libérer les initiatives et les énergies, le chef autoritaire les emprisonne. Quant au second facteur –bien qu’il soit lié au premier –, il est relatif au sacrifice du secteur agricole. Alors que l’Algérie était exportatrice en 1962, à la fin du règne de Boumediene, le déséquilibre entre la production et la consommation est abyssal. Cette façon de gérer le pays a tout simplement hypothéqué l’avenir des générations.

Pour conclure, il va de soi que la crise algérienne est le fait des hommes et non des capacités naturelles du pays. Cela étant dit, la responsabilité des Algériens est totalement engagée. Car, si le combat pour l’indépendance était nécessaire, celle de la construction de l’État, conformément à la charte du 1er novembre 1954, exigeait encore plus d’engagements.

Hélas, la démission du peuple –il se peut aussi qu’il ne soit tout simplement pas à la hauteur des enjeux – va favoriser la déliquescence de l’État. Du coup, depuis belle lurette, seuls les plus forts ont leur place dans cette Algérie fonctionnant à plusieurs vitesses. Depuis longtemps aussi, si la situation financière est favorable, celle-ci profite aux dirigeants et leurs proches et quand la situation se dégrade, ce sont les pauvres qui trinquent. Et ça risque de continuer ainsi pendant des années jusqu’à ce que chaque acteur ait son rôle défini.

Aït Benali Boubekeur  

 

11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 11:11

Le 22 octobre 1956, l’avion transportant la délégation extérieure du FLN, composée de Hocine Ait Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella et Mustapha Lacheref, est détourné par l’armée française sur Alger. Censé atterrir à Tunis, où la délégation extérieure devait participer à la conférence maghrébine, le rapt aérien a tué dans l’œuf le projet des trois pays de constituer un front commun.

Dans la réalité, malgré toute la volonté de ces trois pays, le renforcement du pouvoir de l’armée française renvoie toute solution politique de la crise algérienne aux calendes grecques. Ainsi, bien que le président du Conseil, Guy Mollet, ait encouragé des contacts avec les responsables du FLN, il n’en reste pas moins que, sous la IVème République, le pouvoir militaire a pris le pas sur le pouvoir politique. Depuis le vote des pleins pouvoirs à l’armée, le 12 mars 1956, le pouvoir civil devient l’ombre de lui-même.

Ainsi, lorsque la cellule marocaine du SDECE (service secret français) communique le plan de vol de la délégation extérieure du FLN aux responsables militaires d’Alger, la décision de détourner l’avion ne met pas beaucoup de temps à se dessiner. Profitant de l’absence du président du Conseil à Paris, les militaires se contentent de faire part de leur plan au secrétaire d’État à la Défense, Max Lejeune.

Néanmoins, contrairement aux allégations de Ben Bella sur la trahison du roi Mohammed V, compte tenu de la présence de l’armée française dans les trois pays –bien que le Maroc et la Tunisie soient indépendants depuis quelques mois –, les faits et gestes des révolutionnaires algériens sont scrutés à la loupe. Et si le roi Mohammed V ne voulait pas aider l’Algérie à recouvrer son indépendance, il ne tolérerait pas l’installation de l’ALN sur son territoire pendant tout le conflit. Et si Ben Bella s’est imposé en 1962, c’est parce que les troupes stationnées au Maroc, à leur tête Houari Boumediene, ont décidé d’imposer leur vision au pays.

De toute évidence, même si l’armée française a cru asséner un coup dur à la révolution, force est de reconnaître que cette capture a été bénéfique dans une certaine mesure. Car, à la même époque, le conflit entre l’Intérieur et l’Extérieur –le seul membre de la délégation extérieure à se démarquer de cette lutte fratricide stérile, c’est Hocine Ait Ahmed –atteint son paroxysme. D’ailleurs, s’il y avait eu le moindre accord, signé au nom de la révolution sans l’aval de l’Intérieur, les dirigeants issus de le Soummam l’auraient dénoncé.

Toutefois, si cet acte de piraterie aérienne donne, pour quelque temps, un avantage au CCE (comité de coordination et d’exécution), le travail de sape de Ben Bella d’un côté et la répression française de l’autre côté, obligeant les membres du CCE à quitter le territoire national, finissent par affaiblir les organismes dirigeants de la révolution. Cette faiblesse sera exacerbée par les seigneurs de la guerre à tel point qu’à l’indépendance, le pouvoir reviendra à celui qui aura construit une grande colonne de soldats.

En dépit de la solution préconisée par Hocine Ait Ahmed de former un gouvernement unitaire en avril 1957, chaque groupe campe sur ses positions. Bien que des militaires se soient éloignés d’Abane Ramdane en août  1957, lorsque Ben Bella retrouvera sa force en 1962, en s’alliant avec Boumediene, il punira tous les chefs qui ont travaillé avec le Jean Moulin algérien. À tel point que même le prestigieux « lion des djebels », Krim Belkacem, sera interdit de figurer sur la liste des membres du bureau politique comme voulu par Ben Bella. Et si ce dernier avait accepté, à Tripoli, la présence de Krim au BP, il n’y aurait probablement pas eu la crise de l’été 1962.

Pour conclure, il va de soi que cet acte de la piraterie aérien relève surtout de la faiblesse de la IVème République (1946-1958). En effet, dès le début de l’année 1956, les militaires français deviennent les véritables décideurs. Ce sont ces mêmes militaires qui décideront, deux ans plus tard, d’achever cette République pour en faire une autre plus dure. Il faudra alors tout le génie du général de Gaulle pour que le pouvoir revienne aux civils. Du côté algérien, les bisbilles entre l’Intérieur et l’Extérieur, notamment après la tenue du congrès de la Soummam, provoquent la reprise en main du pouvoir par les militaires. Une situation hélas qui pénalisera l’Algérie pendant plusieurs décennies.

Par Aït Benali Boubekeur       

1 novembre 2016 2 01 /11 /novembre /2016 09:54

La révolution algérienne, comme le sont toutes les révolutions universelles, comporte une part de violence. De la même manière que la Révolution française a enfanté le régime de la terreur, le Front de libération nationale (FLN historique) a connu des moments sombres. En partie, cela pourrait s’expliquer par les impératifs historiques. Mais, une fois le but atteint, à savoir la fin du joug colonial, est-ce que cette violence est justifiable ?

Il faut dire que la violence des nationaux est plus grave que celle des étrangers. Cela étant dit, pour mieux comprendre le climat de violence pendant la guerre d’Algérie, l’éminent historien, Gilbert Meynier, dans un article intitulé « FLN : la loi de la violence », explique que la lutte contre le système colonial ne pourrait se faire avec des moyens pacifiques.

« Depuis la conquête de 1830 et jusqu’en 1962, les rapports entre la France et l’Algérie sont marqués par une extrême violence », écrit-il. En fait, après une pacification du territoire, qui a coûté, selon l’historien, la perte de 30% de sa population et 40% de ses terres les plus cultivables, l’Algérie est soumise à un système profondément injuste, la colonisation.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce système est ingrat sur tous les plans. Ainsi, bien que les Algériens participent activement à deux efforts de guerre (1914-1918 et 1939-1945), en guise de remerciement, l’Est algérien est mis à feu et à sang en mai 1945.

Cependant, bien que les partis nationalistes, notamment le PPA-MTLD, veuillent, à des degrés différents, s’émanciper de la tutelle coloniale, il n’en demeure pas moins que face à un système dominant, le combat politique ne suffit pas. « Ce PPA-MTLD s’avère vite impuissant, déchiré qu’il est en courants…

Devant ces déchirements, un troisième courant avance le recours aux armes comme la seule solution possible », note l’historien. En effet, le 1er novembre 1954, le FLN historique engage l’avenir de tout un peuple. Bien que les exactions soient inévitables, les fondateurs du FLN pensent réellement conduire le peuple algérien à sa libération.

« Plus que jamais, en Algérie comme dans le monde, le contre-État qu’il (FLN) édifie représente les Algériens », argue-t-il. Hélas, bien que le discours officiel fasse de la libération du peuple un principe immuable, tous les dirigeants ne se préoccupent pas de l’avenir du peuple algérien. Pour contrôler les rênes du pouvoir, certains dirigeants n’hésitent pas à utiliser la violence contre leurs collègues.

Pour Gilbert Meynier, « la violence remonte jusqu’à la tête du FLN. Le CCE civil, dirigé par Abane, est écarté du pouvoir en août 1957 lors du CNRA du Caire. Il est remplacé par un directoire de trois colonels issus des maquis, les fameux « 3B » : Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Ben Tobbal. C’est le premier coup d’État de l’Algérie contemporaine. »

Toutefois, quelle que soit la suprématie d’un pouvoir usurpé par la force, la stabilité du mouvement n’est pas garantie pour autant. Fin 1959, les 3B sont contraints de remettre le pouvoir entre les mains de dix colonels. Considérés comme politiques à partir de cette période, ils seront écartés du pouvoir par Boumediene, chef d’État-major général, en 1962.

Et c’est au nom de cette puissance et de cette victoire sur ses concurrents que le nouveau régime prive le peuple algérien de sa victoire. En somme, bien qu’à chaque commémoration historique on loue sans vergogne la libération du peuple, dans la réalité, si le territoire est certes libéré, il n’en est pas de même de la population. Et pour cause !

Pendant trois décennies, le peuple est uniment interdit de parole. Après l’ouverture démocratique, survenue de surcroît au forceps, celle-ci est vite refermée. Aujourd’hui, l’exercice du pouvoir nous rappelle les Républiques bananières où le chef ne quitte le fauteuil que pour rejoindre sa dernière demeure. En plus, compte tenu de la dépendance de notre pays aux hydrocarbures, le chef de l’État n’a aucune influence sur le cours des événements.

Mis à part les appels au peuple pour qu’il se serre la ceinture et le vote d’une loi de finances 2017 anti sociale, aucun cap n’est fixé pour sortir le pays de la crise. Or, tout le problème est dans la démarche. Ainsi, si pour les révolutionnaires de 1954 il fallait associer le peuple à leur action pour se débarrasser du joug colonial, les régimes postindépendance écartent systématiquement le peuple de la gestion de ses affaires.

D’où l’échec. Et aussi le rêve brisé.

Aït Benali Boubekeur

23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 15:10

Dès sa création, le mouvement national algérien porte en soi une injustice criante : le déni de l’identité authentique de l’Algérie. Bien que la dénonciation du joug colonial soit le dénominateur commun susceptible de souder les rangs du parti nationaliste, il n’en reste pas moins que le parti est fragile idéologiquement.

En effet, chaque tentative de débat à l’intérieur des structures du parti peut déboucher sur une grave crise. Et si la crise était étouffée à temps, le parti se fragiliserait davantage par les exclusions en cascades.

En tout cas, c’est ce qui arrive au PPA-MTLD en 1949. Au départ, les activistes remettent en cause « le fonctionnement antidémocratique du parti. » Pour corroborer leur thèse, Ouali Bennai et ses amis contestent la définition de l’Algérie comme étant une nation exclusivement arabo-musulmane.

Quoi qu’il en soit, si le parti n’était pas totalement fermé, cela donnerait lieu à un débat paisible sur les contours de la future nation en formation. Or, comme l’écrit si bien l’éminent historien, Mohamed Harbi, la crise berbériste « révèle la difficulté pour le nationalisme algérien d’articuler ensemble la notion de nation et celle de citoyenneté. »

Toutefois, bien que la revendication soit exploitée ensuite par un groupuscule, emmené par Ali Yahia Rachid, pour en faire un problème identitaire, il n’en reste pas que la majorité des sections en Kabylie sont demeurées attachées à la direction. En d’autres termes, le courant défendu par Rachid Ali Yahia est minoritaire en Kabylie. À vrai dire, ce mouvement se manifeste au sein de l’émigration. En Algérie, à en croire les témoins de l’époque, il se concentre sur une même zone : Ain El Hammam et Larbaa Nath Irathen.

Aujourd’hui, des propagandistes anti-Algérie justifie la dérive séparatiste en se reconnaissant dans le combat des militants de 1949. Cet argument ne tient évidemment pas la route. Et pour cause ! Ouali Bennai et ses amis étaient plus attachés à l’Algérie que ceux qui les ont exclus du PPA-MTLD. En effet, si Messali et ses amis parlaient à peine de l’Algérie, les exclus avaient un seul projet en tête : le sort de l’Algérie algérienne.

En somme, il va de soi que la crise berbériste, ou la crise de l’algérianité, pour reprendre l’expression de l’acteur direct de cette crise, Mabrouk Belhocine, soulève avant tout le manque de démocratie au sein du parti indépendantiste. Mais, à l’époque, celui qui remet en cause l’autorité du chef est systématiquement puni.

Ainsi, les sanctions qui s’abattent sur les activistes –celles-ci touchent les militants des régions non berbérophones, à l’instar de Mohamed Lamine Debaghine – traduisent les difficultés de ces organisations à s’émanciper de l’influence du chef. Hélas, en Algérie, toutes les organisations sans exclusives, souffrent encore de nos jours, à des degrés divers, de ce problème.

Aït Benali Boubekeur        

 

18 octobre 2016 2 18 /10 /octobre /2016 19:39

En ce 55eme anniversaire des événements du 17 octobre 1961, à Paris, une pléiade d’associations et de partis politiques –essentiellement de gauche –réclame la vérité sur cette tragédie. Hélas, regrettent ces organisations, « la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, –en particulier la guerre d’Algérie –non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraîné, comme ce crime d’État que constitue l 17 octobre 1961. »

En tout cas, bien qu’une loi d’omerta soit respectée par les gouvernements successifs, à partir de 2012, rappellent encore ces organisations, François Hollande a tordu le cou à plusieurs tabous. Rappelons-nous qu’en octobre 2012, le président français a rendu un vibrant hommage aux Algériens « qui manifestaient pour leur droit à l’indépendance. »

En fait, alors que les négociations, entre les plénipotentiaires du général de Gaulle et les représentants du GPRA, sont sur le point d’aboutir, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, décrète, le 5 octobre 1961, un couvre-feu pour les seuls Algériens, et ce, de 20h30 à 5h30 du matin.

Malheureusement, ce que les responsables de la fédération de France négligent, c’est qu’un réactionnaire, comme Maurice Papon, ne peut pas admettre que des « indigènes » puissent le défier sur son territoire, et ce, bien que les pourparlers soient un secret de polichinelle.

En outre, malgré la justesse de la cause, la fédération de France du FLN n’est pas exempte de tout reproche. Dépendant du GPRA, la seule instance légitime de la révolution algérienne, la fédération de France aurait dû suivre l’avis du gouvernement provisoire.

Contrairement aux manifestations de décembre 1960, où le mot d’ordre a bien été entendu par le général de Gaulle, en octobre 1961, les thèmes de la négociation sont déjà arrêtés. Peut-on dire que les représentants de la fédération de France du FLN ont exposé inutilement leurs compatriotes à une répression de trop? Ce jugement appartient à l’histoire.

Pour conclure, il va de soi que le 17 octobre 1961 est une date qui symbolise la violence coloniale. D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur 30000 manifestants, il y a eu environ 12000 arrestations et plus de 200 morts. En plus, tous les observateurs admettent le caractère pacifique de la marche. Quel serait alors le bilan si les manifestants étaient violents ?

Enfin, c’est cette injustice que de nombreux Français veulent corriger. « Après un demi-siècle, il est temps que le Président de la République, au nom de la France, confirme, par un geste symbolique, la reconnaissance et la condamnation de ce crime d’État », peut-on lire dans la déclaration signée par 25 associations, 2 syndicats et 4 partis politiques.

Aït Benali Boubekeur       

16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 08:01

Deux semaines après l’adoption de la constitution du 23 février 1989, le haut commandement militaire se retire de tous les postes clés au sein du parti-État, le FLN. Ainsi, après une emprise sur la vie politique de prés de  trois décennies, le haut commandement militaire –à ne pas confondre avec les soldats de façon générale, dont le dévouement au pays est sincère –se contente de se conformer au rôle qui est le sien : la sauvegarde et la protection du territoire.

Quoi qu’il en soit, bien qu’une telle annonce ait du mal à être avalisée par les observateurs politiques, il n’en demeure pas moins que la majorité des Algériens accueille positivement le retrait de l’armée de la vie politique. En tout état de cause, si la décision du 4 mars 1989 avait été respectée, l’Algérie aurait intégré le cercle fermé des pays véritablement démocratiques.

Dans la réalité, ce retrait est simplement tactique. Après avoir fait du FLN un outil de contrôle de la société, le haut commandement militaire manœuvre, cette fois-ci, à imposer sournoisement sa volonté à l’ensemble de la classe politique.

En tout cas, ce retrait n’a pas survécu longtemps. Très vite, le haut commandement se replace « assez vite sur le devant de la scène politique, en gérant (plus au moins directement selon les moments) l’ascension du FIS, et bien sûr en annulant les élections législatives de décembre 1991 », écrit Myriam Aït Aoudia, dans « l’expérience démocratique en Algérie (1989-1992). »

En effet, dès décembre 1990, le général Nezzar soumet un document au chef du gouvernement réformateur, Mouloud Hamrouche. Ce fameux document contient deux plans. Le plan A consiste à organiser la victoire des partis démocratiques et le plan B vise à la neutralisation du FIS.

De quel droit un haut responsable militaire se permet-il de se substituer à la constitution pour réguler le processus politique ? À en croire Myriam Aït Aoudia, citant le politologue Abdelkader Yafsah, l’armée est « la détentrice véritable du pouvoir politique, qui pour des raisons historiques, considère qu’il lui appartient de diriger l’État. »

Dans ce cas, peut-on parler d’un réel retrait de l’armée du champ politique ? La fermeture de la parenthèse démocratique ne peut qu’infirmer cette thèse. Ainsi, bien que la présence d’un parti extrémiste sur l’échiquier politique puisse susciter une vigilance accrue des services de sécurité, le haut commandement militaire aurait dû faire confiance aux Algériens.

Or, au lieu d’œuvrer à contenir l’influence des partis dangereux, Khaled Nezzar et ses collègues ont sanctionné tout le peuple. Est-ce que c’est le seul choix qui s’impose au pays? Il y avait sans doute un moyen d’éviter la tragédie. S’ils n’avaient pas sabordé l’alliance Hamrouche-Aït Ahmed lors des élections législatives, prévues en juin 1991, il y aurait eu la formation d’un gouvernement républicain, et ce, bien que le découpage électoral soit quelque peu injuste. En sabotant le plan A, il ne restait alors que le plan B. Mais, ce dernier a un coût.    

Aujourd’hui, malgré la reprise en main du pouvoir par le chef de l’État, force est de reconnaître que l’espoir démocratique s’est fondu «  comme neige au soleil ». En dépit des efforts du FFS –le seul parti qui ne renonce ni à la démocratie au nom du patriotisme, ni au patriotisme au nom de la démocratie –, la dynamique sociétale ne suit pas, et ce, au grand dam de l’Algérie qui a tant besoin d’un changement salvateur. Mais, l’espoir n’est pas mort, pour reprendre l’expression de feu Hocine Aït Ahmed.

Aït Benali Boubekeur  

 

 

21 août 2016 7 21 /08 /août /2016 20:41
L’intégralité de la plateforme du congrès de la Soummam du 20 août 1956

LA PLATEFORME DE LA SOUMMAM

POUR ASSURER LE TRIOMPHE DE LA REVOLUTION ALGERIENNE, DANS LA LUTTE

POUR L’INDEPENDANCE NATIONALE

INTRODUCTION

Les extraits de la présente plate-forme d’action du FRONT DE LIBERATION NATIONALE ont pour objet de définir, d’une façon générale, la position du FLN, à une étape déterminante de la Révolution Algérienne. Elle est divisée en trois parties :

I) La situation politique actuelle.

II) Les perspectives générales.

III) Les moyens d’actions et de propagande.

I) LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLE

A) L’ESSOR IMPETUEUX DE LA REVOLUTION ALGERIENNE

L’Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l’indépendance nationale.

La révolution patriotique et anticolonialiste est en marche.

Elle force l’admiration de l’opinion mondiale.

a. La Résistance armée.

En une période relativement courte, l’Armée de Libération Nationale, localisée dans l’Aurès et la Kabylie, a subi avec succès l’épreuve du feu.

Elle a triomphé de la compagne d’encerclement et d’anéantissement menée par une armée puissante, moderne, au service du régime colonialiste d’un des plus grands Etats du monde.

Malgré la pénurie provisoire d’armement, elle a développé les opérations de guérillas, de harcèlement, de sabotage, s’étendant aujourd’hui à l’ensemble du territoire national.

Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.

Elle a su passer rapidement de la guérilla au niveau de la guerre partielle.

Elle a su combiner harmonieusement les méthodes éprouvées des guerres anti-colonialistes avec les formes les plus classiques en les adoptant intelligemment aux particularités du pays.

Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation militaire est unifiée, qu’elle possède la science de la stratégie d’une guerre englobant l’ensemble de l’Algérie.

L’Armée de Libération Nationale se bat pour une cause juste.

Elle groupe des patriotes, des volontaires, des combattants décidés à lutter avec abnégation jusqu’à la délivrance de la patrie martyre.

Elle s’est renforcée par le sursaut patriotique d’officiers, de sous-officiers et de soldats de carrière ou du contingent, désertant en masse avec armes et bagages les rangs de l’armée française.

Pour la première fois dans les annales militaires, la France ne peut plus compter sur le « loyalisme » des troupes algériennes. Elle est obligée de les transférer en France et en Allemagne.

Les Harkas de goumiers, recrutés parmi les chômeurs souvent trompés sur la nature du « travail » pour lequel ils étaient appelés, disparaissent dans le maquis. Certaines sont désarmées et dissoutes par les autorités mécontentes.

Les réserves humaines de l’ALN sont inépuisables. Elle est souvent obligée de refuser l’enrôlement des Algériens jeunes et vieux, des villes et campagnes, impatients de mériter l’honneur d’être soldats de leur « Armée ».

Elle bénéficie pleinement de l’amour du peuple algérien, de son soutien enthousiaste, de sa solidarité agissante, morale et matérielle, totale et indéfectible.

Les officiers supérieurs, les commandants de zones, les commissaires politiques, les cadres et soldats de l’Armée de Libération Nationale sont honorés comme des héros nationaux, glorifiés dans des chants populaires qui ont déjà pénétré aussi bien dans l’humble gourbi que la misérable Khaïma, la ghorfa des casbahs comme le salon des villas.

Telles sont les raisons essentielles du « miracle algérien » : l’ALN tenant en échec la force colossale de l’armée colonialiste française, renforcée par les divisions « atomiques » prélevées sur les forces de l’OTAN.

Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts, jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que les déluges de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien.

Nous devons signaler particulièrement la formation de nombreux maquis urbains qui, d’ores et déjà, constituent une seconde armée sans uniforme.

Les groupes armés dans les villes et villages se sont notamment signalés par des attentats contre les commissariats de police, les postes de gendarmerie, les sabotages de bâtiments publics, les incendies, la suppression de gradés de la police, de mouchards, de traîtres.

Ce qui affaiblit d’une façon considérable l’armature militaire et policière de l’ennemi colonialiste, augmente la dispersion de ses forces sur l’ensemble du sol national, mais aussi accentue la détérioration du moral des troupes, maintenus dans un état d’énervement et de fatigue par la nécessité de rester sur un qui-vive angoissant.

C’est un fait indéniable que l’action de l’ALN a bouleversé le climat politique en Algérie.

Elle a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur de la peur, de son scepticisme.

Elle a permis au peuple algérien une nouvelle prise de conscience de sa dignité nationale.

Elle a également déterminé une union psycho-politique de tous les Algériens, cette unanimité nationale qui féconde la lutte armée et rend inéluctable la victoire de la liberté.

b. Une organisation politique efficace.

Le FRONT DE LIBERATION NATIONALE, malgré son activité clandestine, est devenu aujourd’hui l’unique organisation véritablement nationale. Son influence est incontestable et incontestée sur tout le territoire algérien.

En effet, dans un délai extrêmement court, le FLN a réussi le tour de force de supplanter tous les partis politiques existants depuis des dizaines d’années.

Cela n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de la réunion des conditions indispensables suivantes :

1°) Le bannissement du pouvoir personnel et l’instauration du principe de la direction collective composée d’hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux, insensibles au danger, à la prison ou à la peur de la mort.

2°) La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste.

3°) L’union du peuple est réalisée dans la lutte contre l’ennemi commun, sans sectarisme :

Le FLN affirmait au début de la Révolution que « la libération de l’Algérie sera l’œuvre de TOUS les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelque soit son importance ». C’est pourquoi le FLN tiendra compte dans sa lutte de toutes les forces anti-colonialistes, même si elles échappent à son contrôle.

4°) La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les valets de l’administration, indicateurs ou policiers. D’où la capacité du FLN à déjouer les manœuvres politiques et les traquenards de l’appareil policier français.

Cela ne saurait signifier que toutes les difficultés seraient complètement effacées.

Notre action politique a été handicapée au départ pour les raisons ci-après :

1°) L’insuffisance numérique des cadres et des moyens matériels et financiers.

2°) La nécessité d’un long et dur travail de clarification politique, d’explication patiente et persévérante pour surmonter une grave crise de croissance.

3°) L’impératif stratégique de SUBORDONNER TOUT AU FRONT DE LA LUTTE ARMEE.

Cette faiblesse, normale et inévitable au début, est déjà corrigée, après la période où il se contentait de lancer uniquement des mots d’ordre de résistance à l’impérialisme, on a assisté à une réelle apparition du FLN sur le plan de la lutte politique.

Ce redressement fut marqué par la grève d’anniversaire du 1er novembre 1955, considérée comme l’événement décisif, tant par son aspect spectaculaire et positif que par son caractère profond, preuve de la « prise en main » de toutes les couches de la population.

Jamais, de mémoire d’Algérie, aucune organisation politique n’avait obtenu une grève aussi grandiose dans les villes et villages du pays.

D’autre part, le succès de la non-coopération politique lancée par le FLN est non moins probant. La cascade de démissions des élus patriotes suivie de celles des élus administratifs ont imposé au gouvernement français la non-prorogation du mandat des députés du Palais Bourbon, la dissolution de l’Assemblée Algérienne. Les conseils généraux et municipaux et les djemaa ont disparu, vide accentué et amplifié par la démission de nombreux fonctionnaires et auxiliaires de l’autorité coloniale, caïds, chefs de fraction, gardes champêtres. Faute de candidatures ou de remplaçants, l’administration française est disloquée; son armature considérée comme insuffisante ne trouve aucun appui parmi le peuple; dans presque toutes les régions elle coexiste avec l’autorité du FLN.

Cette lente mais profonde désagrégation de l’administration française a permis la naissance puis le développement d’une dualité de pouvoir. Déjà fonctionne une administration révolutionnaire avec des djemaa clandestines et des organismes s’occupant du ravitaillement, de perception d’impôts, de la justice, du recrutement de moudjahidine, des services de sécurité et de renseignements. L’administration du FLN prendra un nouveau virage avec l’institution des assemblées du peuple qui seront élues par les populations rurales avant le deuxième anniversaire de notre révolution.

Le sens politique du FLN s’est vérifié d’une façon éclatante par l’adhésion massive des paysages pour lesquels la conquête de l’indépendance nationale signifie en même temps la réforme agraire qui leur assurera la possession des terres qu’ils fécondent de leur labeur.

Cela se traduit par l’éclosion d’un climat insurrectionnel qui s’est étendu avec rapidité et une forme variée à tout le pays.

La présence d’éléments citadins, politiquement mûrs et expérimentés, sous la direction lucide du FLN, a permis la politisation des régions retardataires. L’apport des étudiants a été d’une grande utilité, notamment dans les domaines politiques, administratif et sanitaire.

Ce qui est certain, c’est que la Révolution Algérienne vient de dépasser avec honneur une première étape historique.

C’est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruite en quelques mois.

C’est une révolution organisée et non une révolte anarchique.

C’est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le féodalisme.

C’est en fin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues.

c. La faillite des anciennes formations politiques.

La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l’expérience décisive du combat libérateur, l’impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.

La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.

Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le FLN. L’UDMA dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du FLN ; l’UGEMA groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.

Le Comité central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement ex-dirigeants et en tant que tendance politique.

Le Messalisme en déroute

L e M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n’a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l’ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.

C’est de là que partaient les mots d’ordre, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation à la lutte contre l’ennemi exécré des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l’assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.

L’activité sporadique et brève du M.N.A. s’était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contre-révolutionnaire dans des opérations de division (campagne antimozabite), de gangstérisme(racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l’Armée de Libération Nationale).

Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d’âme qui s’étiole chaque jour.

Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l’ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus «les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien ».

La psychologie de Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil ».

Le nationalisme Algérien dont Messali revendique effrontément l’initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d’une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.

Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.

Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d’un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.

C’est la division, arme classique du colonialisme.

Le gouvernement français a tenté en vain d’opposer au FLN des groupements modérés, voire même le groupe des «61». Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d’une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du MNA dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.

Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l’instrument parfait pour la politique impérialiste.

Ce n’est dons pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1956 au professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ».

Le ministre résidant Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le MNA s’efforcer uniquement d’affaiblir le FLN.

L’hebdomadaire socialiste «Demain», dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du FLN à accorder à Messali sa liberté totale, «le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien».

Quand on se rappelle que Messali s’est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d’Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal «Demain».

Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s’étonner de le voir glisser vers la trahison consciente.

Le Communisme Absent

Le P.C.A., malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance Algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé.

La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n’a pas été capable d’analyser correctement la situation révolutionnaire. C’est pourquoi elle a condamné le «terrorisme» et ordonné dès les premiers mois de l’insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.

La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d’un Béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.

Non seulement les communistes algériens n’ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n’ont pas soufflé mot sur l’abandon de l’action concrète contre la guerre d’Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des docks, contre le matériel de guerre.

Le P.C.A. a disparu en tant qu’organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d’éléments européens dont l’ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.

Cette absence d’homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l’impossibilité de la libération nationale de l’Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.

Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O., favorable à la politique d’assimilation passive et opportuniste.

Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la «bourgeoisie arabe», comme si l’indépendance nationale de l’Algérie devait suivre forcément le chemin des Révolutions manquées, voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.

La C.G.T., subissant l’influence communiste, se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d’ordre d’action.

La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l’attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n’est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des bras croisés, les directives de Paris.

Les dockers d’Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1er novembre 1956.

Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d’action patriotique aurait revêtu un caractère d’unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.

Voila pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l’U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l’expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d’émigration et d’indignité humaine.

Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à niveau qualificatif plus élevé, n’a manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A., déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.

On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l’A.L.N. Il est possible qu’il s’agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.

Il est certain que le P.C.A. essaiera dans l’avenir d’exploiter ces « placements » dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.

B) LA STRATEGIE IMPERIALISTE FRANCAISE.

La Révolution Algérienne, détruisant impitoyablement tous les pronostics colonialistes et faussement optimistes, continue de se développer avec une vigueur exceptionnelle, dans une phase ascendante de longue portée.

Elle ébranle et ruine ce qui reste de l’empire colonial français en déclin.

Les gouvernements successifs de Paris sont en proie à une crise politique sans précédant. Obligés de lâcher les colonies d’Asie, ils croient pouvoir conserver celles d’Afrique. Ne pouvant faire face au « pourrissement » de l’Afrique du Nord, ils ont lâché du lest en Tunisie et au Maroc pour tenter de garder l’Algérie.

a) La leçon des expériences tunisiennes et marocaines.

Cette politique sans perspectives réalistes s’est traduite notamment par la succession rapide de défaites morales dans tous les secteurs :

Mécontentement en France, grèves ouvrières, révoltes de commerçants, agitation chez les paysans, déficit budgétaire, inflation, sous-production, marasme économique, question algérienne à l’ONU, abandon de la Sarre en Allemagne.

La poussée révolutionnaire nord-africaine, malgré l’absence d’une stratégie politique commune en raison de la faiblesse organique de ce qu’a été le Comité de Libération du Maghreb, a acculé le colonialisme français à improviser une tactique défense hâtive, bouleversant tous les plans de la répression esclavagiste traditionnelle.

Les conventions franco-tunisiennes qui devaient jouer le rôle de barrage néo-colonialiste ont été dépassées sous la pression conjuguée du mécontentement populaire et des coups portés à l’impérialisme dans les trois pays frères.

Le rythme de l’évolution de la crise marocaine, l’entrée en lutte armée des montagnards venant renforcer la résistance citadine, et surtout la pression de la révolution algérienne ont été parmi les facteurs les plus déterminants du revirement de l’attitude officielle française et de l’indépendance marocaine.

Le brusque changement de méthode du gouvernement colonialiste abandonnant l’immobilisme pour s’engager dans la recherche d’une solution rapide était dicté d’abord par des raisons de caractère stratégique.

Il s’agissait :

1°) D’empêcher la constitution d’un véritable second front, en mettant fin à l’unification de la lutte armée au RIFF et en ALGERIE.

2°) D’achever de briser l’unité de combat des trois pays d’Afrique du Nord.

3°) D’isoler la Révolution Algérienne dont le caractère populaire la rendait nettement plus dangereuse.

Tous les calculs ont été voués à l’échec. Les négociations menées séparément avaient pour but de tenter de duper ou de corrompre certains dirigeants des pays frères en les poussant à abandonner consciemment ou inconsciemment le terrain réel de la lutte révolutionnaire jusqu’au bout.

La situation politique nord-africaine est caractérisée par le fait que le problème algérien se trouve encastré dans les problèmes marocain et tunisien pour n’en faire qu’un seul.

En effet, sans l’indépendance de l’Algérie, celle du Maroc et de la Tunisie est un leurre.

Les Tunisiens et les Marocains n’ont pas oublié que la conquête de leurs pays respectifs par la France a suivi la conquête de l’ALGERIE.

Les peuples du MAGHREB sont aujourd’hui convaincus par l’expérience que la lutte en ordre dispersé contre l’ennemi commun n’a pas d’autre issue que la défaite pour tous, chacun pouvant être écrasé séparément.

C’est une aberration de l’esprit que de croire que le Maroc et la Tunisie pouvaient jouir d’une indépendance réelle alors que l’Algérie restera sous le joug colonial.

Les gouvernants colonialistes, experts en hypocrisie diplomatique, reprenant d’une main ce qu’ils cèdent de l’autre, ne ma, queront pas de songer à la reconquête de ces pays dès la conjoncture internationale leur semblera favorable.

D’ailleurs, il est important de souligner que les leaders marocains et tunisiens formulent dans des déclarations récentes et renouvelées des points de vue rejoignant l’appréciation du FLN.

b) La politique algérienne du gouvernement.

Le gouvernement à direction socialiste dès le 6 février, après la manifestation ultra colonialiste d’Alger, a abandonné les promesses électorales du Front républicain : Ramener la paix en Algérie par la négociation, renvoyer dans leurs foyers les soldats du contingent, briser les « féodalités » administratives et financières, libérer les prisonniers politiques, fermer les camps de concentration.

Si, avant la démission de Mendès-France, celui-ci représentait au gouvernement la tendance à la négociation face à la tendance opposée, animée furieusement par Bourgès-Maunoury et Lacoste, aujourd’hui, c’est la politique Lacoste qui fait l’unanimité. C’est la guerre à outrance qui a pour but chimérique de tenter d’isoler le maquis du peuple par l’extermination.

Devant cet objectif accepté par l’unanimité du gouvernement et la presque totalité du parlement français, il ne peut exister aucune divergence, sauf quand cette politique d’extermination dite «de pacification » aura échouée. Il est clair que les buts politiques déclarés à nouveau par Guy Mollet ne servent qu’à camoufler l’entreprise réelle qui veut être le nettoyage, par le vide, de toutes nos forces vives.

L’offensive militaire est doublée d’une offensive politique condamnée, d’avance, à un échec.

La «reconnaissance de la personnalité algérienne» reste une formule vague sans contenu réel, concret, précis. La solution politique exprimée d’une façon schématique n’avait au début d’autres supports que deux idées-forces : celle de la consultation des Algériens par des élections libres et celle du cessez-le-feu. Les réformes fragmentaires et dérisoires étaient proclamées dans l’indifférence générale : provisoirement pas de représentation parlementaire au Palais Bourbon, dissolution de l’Assemblée algérienne, épuration timide de la police, remplacement de «trois» hauts fonctionnaires, augmentation des salaires agricoles, accès des musulmans à la fonction publique et à certains postes de directions, réforme agraire, élections au collège unique. Aujourd’hui le gouvernement Guy Mollet annonce l’existence de 6 ou 7 projets de statuts pour l’Algérie, dont la ligne générale serait la création de deux assemblées, la première législative, la seconde économique, avec un gouvernement composé de ministres ou de commissaires et présidé d’office par un ministre du gouvernement français.

Cela démontre d’une part l’évolution, grâce à notre combat, de l’opinion publique en France, et d’autre part le rêve insensé des gouvernants français de croire que nous accepterions un compromis honteux de ce genre.

La tentative d’isoler les maquis de la solidarité du peuple algérien, préconisée par Naegelen sur le plan intérieur, devait être complétée par la tentative d’isoler la Révolution Algérienne de la solidarité des peuples anti-colonialistes, engagée par Pineau sur le plan extérieur.

Le FLN déjouera comme par le passé les plans futurs de l’adversaire.

Nous mentionnerons l’appréciation sur la situation internationale dans la troisième partie.

II) LES PERSPECTIVES POLITIQUES

La preuve est faite que la Révolution Algérienne n’est pas une révolte de caractère anarchique, localisée, sans coordination, sans direction politique, vouée à l’échec.

La preuve est faite qu’il s’agit au contraire d’une véritable révolution organisée nationale et populaire, centralisée, guidée par un état-major capable de la conduire jusqu’à la victoire finale.

La preuve est faite que le gouvernement français, convaincu de l’impossibilité d’une solution militaire, est obligé de rechercher une solution politique.

Voilà pourquoi le FLN, inversement, doit se pénétrer de ce principe :

La négociation suit la lutte à outrance contre un ennemi impitoyable, elle ne la précède jamais.

Notre position à cet égard est fonction de trois considérations essentielles pour bénéficier du rapport des forces :

1°) Avoir une doctrine politique claire ;

2°) Développer la lutte armée d’une façon incessante jusqu’à l’insurrection générale ;

3°) Engager une action politique d’une grande envergure.

A) POURQUOI NOUS COMBATTONS !

La Révolution Algérienne a la mission historique de détruire de façon définitive et sans retour le régime colonial odieux, décadent, obstacle au progrès et à la paix.

I. Les buts de guerre ;

II. Le cessez-le-feu ;

III. Négociations pour la paix.

I. Les buts de guerre

Les buts de guerre, c’est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c’est la situation à laquelle on accule l’ennemi pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut être la victoire militaire ou bien la recherche d’un cessez-le-feu ou d’un Armistice en vue de négociations. Il ressort que, vu notre situation, nos buts de guerre sont politico-militaires. Ce sont :

1°) L’affaiblissement total de l’Armée française, pour lui rendre impossible une victoire par les armes ;

2°) La détérioration sur une grande échelle de l’économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l’administration normale du pays ;

3°) La perturbation au maximum de la situation en France sur le plan économique et social, pour rendre impossible la continuation de la guerre;

4°) L’isolement politique(de la France) en Algérie et dans le monde ;

5°) Donner à l’insurrection un développement tel qu’il la rend conforme au droit international(personnalisation de l’armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale de zones libérées par l’ALN) ;

6°) Soutenir constamment le peuple devant les efforts d’extermination des Français.

II. Cessez- le-feu

Conditions

a) Politiques :

1°) Reconnaissance de la Nation Algérienne indivisible.

Cette clause est destinée à faire disparaître la fiction colonialiste de « Algérie française ».

2°) Reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la diplomatie.

3°) Libération de tous les Algériens et Algériennes emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique avant et après l’insurrection nationale du 1ernovembre 1954.

4°) Reconnaissance du FLN comme une seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En contre-partie, le FLN est garant et responsable du cessez-le-feu au nom du peuple algérien.

b) Militaires

Les conditions militaires seront précisées ultérieurement.

III. Négociations pour la paix

1°) Les conditions sur le cessez- le- feu étant remplies, l’interlocuteur valable et exclusif pour l’Algérie demeure le FLN. Toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc….). Aucune ingérence de ce fait de la part du gouvernement français n’est admise.

2°) Les négociations se font sur la base de l’indépendance (diplomatie et défense nationale incluses).

3°) Fixation des points de discussions :

– Limites du territoire algérien(limites actuelles y compris le Sahara algérien) ;

– Minorité française(sur la base de l’option entre : citoyenneté algérienne ou étrangère – pas de régime préférentiel – pas de double citoyenneté algérienne et française) ;

– Biens français: de l’Etat français, des citoyens français ;

– Transfert des compétences(administration) ;

– Formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économiques, monétaire, social, culturel, etc.…. ;

– Autres points.

Dans une deuxième phase, les négociations sont menées par un gouvernement chargé de préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce gouvernement est issu d’une assemblée constituante, elle-même issue d’élections générales.

La Fédération Nord-africaine

L’Algérie libre et indépendante, brisant le colonialisme racial fondé sur l’arbitraire colonial, développera sur des bases nouvelles l’unité et la fraternité de la Nation Algérienne dont la renaissance fera rayonner sa resplendissante originalité.

Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.

C’est pourquoi ils sont en même temps des Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb.

L’Afrique du Nord est un TOUT par : La géographie, l’histoire, la langue, la civilisation, le devenir.

Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d’une Fédération des trois Etats nord-africains.

Les trois peuples frères ont intérêt pour le commencement à organiser une défense commune, une orientation et une action diplomatique communes, la liberté des échanges, un plan commun et rational d’équipement et d’industrialisation, une politique monétaire, l’enseignement et l’échange concerté des cadres techniques, les échanges culturels, l’exploitation en commun de nos sous-sols et de nos régions sahariennes respectives.

Les tâches nouvelles du FLN pour préparer l’insurrection générale.

L’éventualité de l’ouverture des négociations pour la Paix ne doit en aucun cas donner naissance à une griserie du succès, entraînant inévitablement un dangereux relâchement de la vigilance et la démobilisation des énergies qui pourrait ébranler la cohésion politique du peuple.

Au contraire, le stade actuel de la révolution algérienne exige la poursuite acharnée de la lutte armée, la consolidation des positions, le développement des forces militaires et politiques de la Résistance.

L’ouverture des négociations et leur conduite à bonne fin sont conditionnées d’abord par le rapport des forces en présence.

C’est pourquoi, sans désemparer, il faut travailler avec ensemble et précision pour transformer l’Algérie en un camp retranché, inexpugnable. Telle est la tâche que doivent remplir avec honneur et sans délai le FLN et son Armée de Libération Nationale.

Dans ce but, reste valable plus que jamais le mot d’ordre fondamental :

Tout pour le Front de la Lutte Armée.

Tout pour obtenir une victoire décisive.

L’indépendance de l’Algérie n’est plus la revendication politique, le rêve qui a longtemps bercé le peuple algérien courbé sous le joug de la domination française.

C’est aujourd’hui un but immédiat qui se rapproche à une allure vertigineuse pour devenir, très bientôt, une lumineuse réalité.

Le FLN marche à pas de géants pour dominer la situation sur le plan militaire, politique et diplomatique.

Objets nouveaux : préparer dès maintenant, d’une façon systématique, l’insurrection générale, inséparable de la libération nationale.

a) Affaiblir l’armature militaire, policière, administrative et politique du colonialisme ;

b) Porter une grande attention, et d’une manière ininterrompue, aux cotés techniques de la question, notamment l’acheminement du maximum de moyens matériels ;

c) Consolider et élever la synchronisation de l’action politico-militaire.

Faire face aux inévitables manœuvres de division, de divergence ou d’isolement lancé par l’ennemi, par une contre-offensive intelligente et vigoureuse basée sur l’amélioration et le renforcement de la Révolution populaire libératrice.

a) Cimenter l’union nationale anti-impérialiste ;

b) S’appuyer d’une façon plus particulière sur les couches sociales les plus nombreuses, les plus pauvres, les plus révolutionnaires, fellahs, ouvriers agricoles ;

c) Convaincre avec patiente et persévérance les éléments retardataires, encourager les hésitants, les faibles, les modérés, éclairer les inconscients ;

d) Isoler les ultra-colonialistes en recherchant l’alliance des éléments libéraux, d’origine européenne ou juive, même si leur action est encore timide ou neutraliste.

Sur le plan extérieur, rechercher le maximum de soutien matériel, moral et psychologique.

a) Augmenter le soutien de l’opinion publique ;

b) Développer l’aide diplomatique en gagnant à la cause algérienne les gouvernements des pays neutralisés par la France ou insuffisamment informés sur le caractère national de la guerre d’Algérie.

III) MOYENS D’ACTION ET DE PROPAGANDE

Les perspectives politiques générales tracées précédemment mettent en relief la valeur et la variété des moyens d’action que le FLN doit engager pour assurer la victoire complète du noble combat pour l’indépendance de la patrie martyre.

Nous allons en préciser les grandes lignes sur le plan algérien, nord-africain, français et étranger.

1°) Comment organiser et diriger des millions d’hommes dans un gigantesque combat .

L’union psyco-politique du peuple algérien forgée et consolidée dans la lutte armée est aujourd’hui une réalité historique.

Cette union nationale, patriotique, anticolonialiste, constitue la base fondamentale de la principale force politique et militaire de la Résistance.

Il convient de la maintenir intacte, inentamée, dynamique, en évitant parfois les fautes impardonnables de sectarisme ou d’opportunisme, pouvant favoriser les manœuvres diaboliques de l’ennemi.

Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de maintenir le FLN comme guide unique de la Révolution Algérienne ; cette condition ne doit pas être interpréter comme un sentiment de vanité égoïste ou un esprit de suffisance aussi dangereux que méprisable.

C’est l’expression d’un principe révolutionnaire : réaliser l’unité de commandement dans un état-major qui a déjà donné les preuves de sa capacité, de sa clairvoyance, de sa fidélité à la cause du peuple algérien.

Il ne faut jamais oublier que, jusqu’au déclenchement de la Révolution, la force de l’impérialisme français ne résidait pas seulement dans sa puissance militaire et policière, mais aussi dans la faiblesse du pays dominé, divisé, mal préparé à la lutte organisée, et surtout, pendant une longue période, de l‘insuffisance politique des dirigeants des diverses fractions du mouvement anti-colonialiste.

L’existence d’un FLN puissant, prolongeant ses racines profondes dans toutes les couches du peuple, est une des garanties indispensables.

a) Installer organiquement le FLN dans tout le pays, dans chaque ville, village, mechta, quartier, entreprise, ferme, université, collège, etc.. ;

b) Politiser le maquis ;

c) Avoir une politique de cadres formés politiquement, éprouvés, veillant au respect de la structure de l’organisation, vigilants, capables d’initiatives ;

d) Répondre avec rapidité et clarté à tous les mensonges, dénoncer les provocations, populariser les mots d’ordre du FLN en éditant une littérature abondante, variée touchant les secteurs même les plus restreints.

Multiplier les centres de propagande avec machines à écrire, papier, ronéo(reproduction des documents nationaux et édition de bulletins ou tracts locaux).

Editer brochure sur la Révolution et bulletin intérieur pour directives et conseils aux cadres.

Bien se pénétrer de ce principe : La propagande n’est pas l’agitation qui se caractérise par la violence verbale, souvent stérile et sans lendemain. En ce moment ou le peuple algérien est mûr pour l’action armée positive et féconde, le langage du FLN doit traduire sa maturité en prenant la forme sérieusement, mesurée et nuancée sans manquer pour cela de la fermeté, de la franchise et de la flamme révolutionnaire.

Chaque tract, déclaration, interview ou proclamation du FLN a aujourd’hui une résonance internationale. C’est pourquoi nous devons agir avec un réel esprit de responsabilité qui fasse honneur au prestige mondial de l’Algérie en marche vers la liberté et l’indépendance.

2°) Clarifier le climat politique

Pour conserver juste l’orientation de la Résistance toute entière, dressée pour détruire l’ennemi séculaire, nous devons balayer tous les obstacles et tous les écrans sur notre chemin par les éléments conscients ou inconscients d’une action néfaste, condamnés par l’expérience.

3°) Transformer le torrent populaire en énergie créatrice

Le FLN doit être capable de canaliser les immenses vagues qui soulèvent l’enthousiasme patriotique de la nation. La puissance irrésistible de la colère populaire ne doit pas se perdre comme la force extraordinaire du torrent qui s’évanouit dans les sables.

Pour la transformer en énergie créatrice le FLN a entrepris un colossal travail de brassage de millions d’hommes.

Il s’agit d’être présent partout.

Il faut organiser sous des formes multiples, souvent complexes, toutes les branches de l’activité humaine.

A) Le Mouvement Paysan

La participation massive de la population des fellahs, khammès et ouvriers agricoles à la Révolution, la proportion dominante qu’elle représente dans les moudjahidine ou moussebiline de l’Armée de Libération Nationale ont profondément marqué le caractère de la Résistance algérienne.

Pour en mesurer l’importance exceptionnelle, il suffit d’examiner le revirement spectaculaire de la politique agraire colonialiste.

Alors que cette politique était basée essentiellement sur le vol des terres (habous, arch, melk) les expropriations s’étant poursuivies jusqu’en 1945-46, le gouvernement français préconise aujourd’hui la réforme agraire. Il ne recule pas devant la promesse de distribuer une partie des terres d’irrigation, en mettant en application la loi Martin restée lettre morte à la suite du veto personnel d’un haut fonctionnaire au service de la grosse colonisation. Lacoste lui-même ose envisager, dans ce cas, une mesure révolutionnaire : l’expropriation d’une partie des grands domaines.

Par souci d’équilibre, pour apaiser la furieuse opposition des gros colons, le gouvernement français a décidé la réforme du Khammessat. C’est là une mesure trompeuse tendant à faire croire à l’existence d’une rivalité intestine entre fellahs et Khammés, alors que le métayage a déjà évolué naturellement vers un processus plus équitable, sans l’intervention officielle, pour se transformer généralement en « chourka benés » ou l’association par moitié.

Ce changement de tactique traduit le profond désarroi du colonialisme voulant tenter de tromper la paysannerie pour la détacher de la Révolution.

Cette manœuvre grossière de dernière heure ne dupera pas les fellahs qui ont déjà mis en échec la vielle chimère des «affaires indigènes» séparant artificiellement les Algériens en Berbères et Arabes hostiles.

Car la population paysanne est profondément convaincue que sa soif de terre ne pourra être satisfaite que par la victoire de l’indépendance nationale.

La véritable réforme patriotique de la misère des campagnes, est inséparable de la destruction totale du régime colonial.

Le FLN doit s’engager dans cette politique juste, légitime et sociale. Elle aura pour conséquence :

a) La haine irréductible à l’endroit du colonialisme français, de son administration, de son armée, de sa police et des traîtres collaborateurs.

b) La constitution de réserves humaines inépuisables pour l’ALN et la Résistance ;

c) L’extension de l’insécurité dans les campagnes(sabotages, incendies de fermes, destruction des tabacoops et des vinicoops, symboles de la présence colonialiste) ;

d) La création des conditions pour la consolidation et l’organisation de nouvelles zones libérées.

B) Le Mouvement Ouvrier

La classe ouvrière peut et doit apporter une contribution plus dynamique pouvant conditionner l’évolution rapide de la Révolution, sa puissance et son succès final.

Le FLN salue la création de l’U.G.T.A. comme l’expression d’une saine réaction des travailleurs contre l’influence paralysante des dirigeants de la C.G.T., de F.O. et de la C.F.T.C..

L’U.G.T.A. aide la population salariée à sortir du brouillard de la confusion et de l’attentisme.

Le gouvernement socialiste français et la direction néo-colonialiste de F.O. sont inquiets de l’affiliation internationale de l’U.G.T.A. à la C.I.S.L., dont l’aide à l’U.G.T.A. et à la Centrale marocaine a été positive dans divers domaines nationaux et extérieurs.

La naissance et le développement de l’U.G.T.A. ont eu en effet un profond retentissement. Son existence a provoqué immédiatement un violent remous au sein de la C.G.T, abandonnée en masse par les travailleurs. Les dirigeants communistes ont essayé vainement de retenir les cadres les plus conscients en essayant de retrouver sous les cendres l’esprit de l’ancienne C.G.T.U. dont le mot d’ordre de l’indépendance de l’Algérie fut enterré au lendemain de l’unité syndicale en 1935.

Mais pour devenir une centrale nationale, il ne suffit pas à la filiale de la C.G.T. parisienne de modifier le titre, ni de changer la couleur de la carte, ni même de couper un cordon ombilical atrophié.

Pour s’adapter aux fonctions nouvelles du mouvement ouvrier ayant déjà atteint l’âge adulte, il ne suffisait pas à l’U.G.S.A. de changer de forme ou d’aspect extérieur. Quiconque observe les velléités communistes, ne peut manquer de retrouver le rythme et la méthode colonialistes, qui ont présidé à la transformation des délégations financières en la bâtarde Assemblée Algérienne.

L’accession de certains militants à des postes de direction syndicale rappelle singulièrement la promotion symbolique de certains élus-administratifs.

Dans les deux cas, il aurait fallu changer le but, la nature et le contenu du Foyer civique et du Palais Carnot.

L’incapacité de la direction du P.C.A. sur le plan politique ne pouvait que se traduire sur le plan syndical et entraîner la même faillite.

L’U.G.T.A. est le reflet de la profonde transformation qui s’est produite dans le mouvement ouvrier, à la suite d’une longue évolution et surtout après le bouleversement révolutionnaire provoqué par la lutte pour l’indépendance nationale.

La nouvelle centrale algérienne diffère des autres organisations C.G.T.F.O. et C.F.T.C. dans tous les domaines, notamment par l’absence de tutelle, le choix de l’état-major, la structure rationnelle, l’orientation juste et la solidarité fraternelle en Algérie, en Afrique du Nord et dans le monde entier.

1°) Le caractère national se traduit non seulement par une indépendance organique, détruisant les contradictions inhérentes à une tutelle étrangère, mais aussi par une liberté totale dans la défense des travailleurs dont les intérêts vitaux se confondent avec ceux de toute la nation algérienne.

2°) La direction est formée non par des éléments issus d’une minorité ethnique n’ayant jamais subi l’oppression coloniale, toujours enclins au paternalisme, mais par des patriotes dont la conscience nationale aiguise la combativité contre la double pression de l’exploitation sociale et de la haine raciale.

3°) La « colonne vertébrale » est constituée non par une aristocratie ouvrière(fonctionnaires et cheminots) mais par les couches les plus nombreuses et les plus exploitées(dockers, mineurs, ouvriers agricoles, véritables parias jusqu’ici abandonnés honteusement à la merci des seigneurs de la vigne.

4°) Le souffle révolutionnaire purifie le climat syndical non seulement en chassant l’esprit néo-colonialiste et le chauvinisme national qu’il engendre, mais en créant les conditions pour l’épanouissement d’une fraternité ouvrière, imperméable au racisme.

5°) L’action syndicale, maintenue longtemps dans le cadre étroit des revendications économiques et sociales, isolée de la perspective générale, est devenue non un frein dans la lutte anti-colonialiste mais un accélérateur dans le combat pour la liberté et la justice sociale ;

6°) La population laborieuse algérienne, jugée jusqu’ici comme mineure ne méritant pas l’émancipation, est appelée, non à occuper un rang subalterne dans le mouvement social français, mais à coopérer brillamment avec le mouvement ouvrier nord-africain et international ;

7°) L’U.G.S.A. -C.G.T-, se verra inévitablement contrainte de se dissoudre à l’exemple des organisations similaires de Tunisie et du Maroc pour céder entièrement la place à l’U.G.T.A., centrale nationale authentique et unique, groupant tous les travailleurs algériens sans distinction.

Le FLN ne doit pas négliger le rôle politique qu’il peut jouer pour aider et compléter l’action syndicale indépendante de l’U.G.T.A. en vue de sa consolidation et de son renforcement.

Les militants FLN doivent être parmi les plus dévoués, les plus actifs, toujours soucieux de respecter les règles démocratiques selon la tradition en honneur dans le mouvement ouvrier libre.

Pas de schématisme: tenir compte de chaque situation concrète et adapter les formes d’actions aux conditions particulières, objectives de chaque corporation.

– Développer l’esprit de combativité en organisant sans retard l’action revendicative sous une forme souple et variée selon les conditions concrètes du moment(arrêt de travail limité, grèves locales, corporatives, de solidarité) ;

– Entraîner dans l’action, les travailleurs européens ;

– Concrétiser la sympathie pour l’ALN en transformant en action de soutien la résistance : souscriptions, fournitures aux combattants, actes de sabotage, grèves de solidarité, grèves politiques.

C) Le Mouvement des Jeunes

La jeunesse algérienne a les qualités naturelles de dynamisme, de dévouement et d’héroïsme.

De plus, elle se caractérise par un fait rare. Très nombreuse, elle représente près de la moitié de la population totale, en raison d’un développement démographique exceptionnel.

En outre, elle possède une qualité originale ; la maturité précoce. En raison de la misère, de l’oppression coloniale, elle passe rapidement de l’enfance à l’âge adulte ; la période de l’adolescence est singulièrement réduite.

Elle suit avec passion, avec le mépris de la peur et la mort, l’organisation révolutionnaire qui peut la conduire à la conquête de son pur idéal de liberté.

La Révolution Algérienne, les exploits de l’ALN et l’action clandestine du FLN répondent à sa témérité que nourrit le plus noble sentiment patriotique.

C’est donc pour le FLN un levier inflexible d’une puissance et d’une résistance formidables.

D) Intellectuels et Professions Libérales

Le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que la «francisation » n’a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine orientation politique.

1°) Former des comités d’action des intellectuels patriotiques :

a) Propagande : indépendance de l’Algérie ;

b) Contacts avec les libéraux français ;

c) Souscriptions.

Le FLN devra assigner aux étudiants et étudiantes, d’une manière rationnelle, des tâches précises dans les domaines ou ils peuvent rendre le mieux : politique, administratif, culturel, sanitaire, économique, etc…

2°) Organiser des services de santé :

a) Chirurgiens, médecins, pharmaciens en liaison avec les hospitaliers(internes et infirmiers) ;

b) Soins, médicaments, pansements ;

c) Infirmiers de campagne, traitement des malades et convalescents.

E) Commerçants et Artisans

A côté du syndicat commercial algérien, dominé par le monopoleur Schiaffino, maître des chambres de commerce et le mouvement Poujade raciste et colonial-fasciste, se trouvait le vide constitué par l’absence d’une véritable Centrale commerciale et artisanale, dirigée par des patriotes pour assurer la défense de l’économie algérienne.

L’U.G.C.A. prendra donc une place importante à côté de l’organisation ouvrière sœur, l’U.G.T.A.

Le FLN doit l’aider à se dévelloper rapidement en créant les conditions politiques les plus favorables :

1°)Lutte contre les impôts.

2°)Boycott des grossistes colonialistes, poujadistes, apportant un soutien actif à la guerre impérialiste.

F) Mouvement des Femmes

D’immenses possibilités existent et sont de plus en plus nombreuses dans ce domaine.

Nous saluons avec émotion, avec admiration, l’exaltant courage révolutionnaire des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères ; de toutes nos sœurs « moudjahidates » qui participent activement, et parfois les armes à la main, à la lutte sacrée pour la libération de la Patrie.

Chacun sait que les Algériens ont chaque fois participé activement aux insurrections nombreuses et renouvelées qui ont dressé, depuis 1830, l’Algérie contre l’occupation française.

Les explosions principales de 1864 des Ouled Sidi Cheikh du Sud Oranais, de 1871 en Kabylie, de 1916 dans les Aurès et la région de Mascara ont illustré à jamais l’ardent patriotisme, allant jusqu’au sacrifice suprême, de la femme algérienne.

Celle-ci est aujourd’hui convaincue que la Révolution actuelle aboutira inexorablement à la conquête de l’indépendance.

L’exemple récent de la jeune fille kabyle qui repousse une demande en mariage, parce que n’émanant pas d’un maquisard illustre d’une façon magnifique le moral sublime qui anime les Algériennes.

Il est donc possible d’organiser dans ce domaine, avec des méthodes originales propres aux mœurs du pays, un redoutable et efficace moyen de combat.

a) Soutien moral des combattants et des résistants ;

b) Renseignements, liaisons, ravitaillement, refuges ;

c) Aide aux familles et enfants de maquisards, de prisonniers ou d’internés.

4°) L a recherche des alliances.

Pour libérer leur patrie enchaînée, les Algériens comptent d’abord sur eux-mêmes.

L’action politique, comme la science militaire, enseignement qu’il ne faut négliger aucun facteur, même apparemment peu important, pour assurer la victoire.

L’action politique le FLN a entrepris avec succès la mobilisation de toutes les énergies nationales. Mais il ne laissera pas l’ennemi colonialiste s’appuyer sur la totalité de la minorité ethnique en Algérie, dresser contre nous l’opinion en France et nous priver de la solidarité internationale.

A) Les Libéraux Algériens

A la différence de la Tunisie et du Maroc la minorité ethnique d’origine européenne a une importance numérique dont il faut tenir compte. Elle est renforcée par une immigration permanente jouissant d’une aide officielle et fournissant au régime colonial une fraction importante de ses soutiens les plus farouches, les plus obstinés, les plus racistes.

Mais en raison de ses privilèges inégaux, du rôle qu’elle joue dans la hiérarchie économique, administrative et politique du système colonialiste, la population d’origine européenne ne constitue pas un bloc indissoluble autour de la grosse colonisation dirigeante.

L’esprit de race supérieure est général. Mais il se manifeste sous des aspects nuancés, allant de la frénésie du type « sudiste » à l’hypocrisie paternaliste.

Le colonialisme français, maître tout-puissant de l’administration algérienne, de la police, du monopole de la presse, de la radio, s’est montré souvent capable d’exercer une pression psychologique pouvant cristalliser l’opinion publique autour d’une idée-force réactionnaire.

Le départ de Soustelle et la manifestation du 6 février ont été les preuves d’une grande habilité dans l’art de la provocation et du complot.

Le résultat fut la capitulation du chef du gouvernement français.

Pour atteindre son but, le colonialisme organisa la panique. Il accusa le gouvernement d’abandonner la minorité ethnique non-musulman à la « barbarie arabe », à la « guerre sainte », à un Saint-Barthélemy plus immonde.

Le slogan fabriqué par le maître chanteur Reygasse et diffusé par le bourreau Benquet-Crevaux, l’odieuse image « la valise ou le cercueil » semblent aujourd’hui anodins.

Les anciens partis nationalistes n’ont pas toujours accordé à cette question l’importance qu’elle mérite. Ne prêtant d’attention que pour l’opinion musulmane, ils ont négligé souvent de relever comme il convient des déclarations maladroites de certains charlatans ignorés, apportant en fait de l’eau au moulin de l’ennemi principal.

Actuellement, la contre-offensive est encore faible. La presse libérale de France ne put enrayer totalement le poison colonialiste. Les moyens d’expression du FLN sont insuffisants.

Heureusement la Résistance Algérienne n’a pas fait de faute majeure pouvant justifier les calomnies de la presse colonialiste du service psychologique de l’armée colonialiste, convaincu de mensonges flagrants par les témoignages de journalistes français et étrangers.

Voilà pourquoi le bloc colonialiste et raciste, sans fissure le 6 février, commence à se désagréger. La panique a cédé la place peu à peu à un sentiment plus réaliste. La solution militaire devant rétablir le statu-quo est un mirage évident. La question dominante aujourd’hui, c’est le retour à une paix négociée : quelle est la place qui sera faite à ceux qui considèrent l’Algérie comme patrie toujours généreuse même après la disparition du règne de Borgeaud ?.

Des tendances diverses apparaissent.

1°) Le neutralisme est le courant le plus important. Il exprime le souhait de laisser les ultra-colonialistes défendre leurs privilèges menacés par les nationalistes « extrémistes ».

2°) Les partisans d’une solution « intermédiaire » : la négociation pour « une communauté algérienne à égale distance entre le colonialisme français et le rétrograde impérialiste arabe » par la création d’une double nationalité ;

3°) La tendance la plus audacieuse accepte l’indépendance de l’Algérie et la nationalité algérienne, à la condition de s’opposer à l’ingérence américaine, anglaise et égyptienne.

Cette analyse est sommaire. Elle n’a d’autre but que de souligner la différenciation qui s’opère dans le large éventuel de l’opinion publique européenne.

Ce serait donc une erreur impardonnable que de mettre dans le « même sac » tous les Algériens d’origine européenne ou juive.

Comme il serait impardonnable de nourrir l’illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale.

L’objectif à atteindre, c’est l’isolement de l’ennemi colonialiste qui opprime le peuple algérien.

Le FLN doit donc s’efforcer d’accentuer l’évolution de ce phénomène psychologique en neutralisant une fraction importante de la population européenne.

La Révolution Algérienne n’a pas pour but de « jeter à la mer » les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain.

La Révolution Algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion.

La Révolution Algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.

B) La Minorité Juive

Ce principe fondamental, admis par la morale universelle, favorise la naissance dans l’opinion israélite d’un espoir dans le maintien d’une cohabitation pacifique millénaire.

D’abord, la minorité juive a été particulièrement sensible à la campagne de démoralisation du colonialisme. Des représentants de leur communauté ont proclamé au congrès mondial juif de Londres leur attachement à la citoyenneté française, les mettant au-dessus de leurs compatriotes musulmans.

Mais le déchaînement de la haine antisémite qui a suivi les manifestations colonialo-fascistes ont provoqué un trouble profond qui fait place à une saine réaction d’auto-défense.

Le premier réflexe fut de se préserver, du danger d’être pris entre deux feux. Il se manifeste par la condamnation des Juifs, membres du « 8 novembre » et du mouvement poujadiste, dont l’activité trop voyante pouvait engendrer le mécontentement vindicatif contre toute la communauté.

La correction inflexible de la Résistance Algérienne, réservant tous ses coups au colonialisme, apparut aux plus inquiets comme une qualité chevaleresque d’une noble colère des faibles contre les tyrans.

Des intellectuels, des étudiants, des commerçants prirent l’initiative de susciter un mouvement d’opinion pour se désolidariser des gros colons et des anti-juifs.

Ceux-là n’avaient pas la mémoire courte. Ils n’ont pas oublié l’infâme souvenir du régime de Vichy. Pendant quatre ans, 185 lois, décrets ou ordonnances les ont privés de leurs droits, chassés des administrations et des universités, spoliés de leurs immeubles et de leurs fonds de commerce, dépouillés de leurs bijoux.

Leurs coreligionnaires de France étaient frappés d’une amende collective d’un millard. Ils étaient traqués, arrêtés, internés au camp de Drancy et envoyés par wagons plombés en Pologne ou beaucoup périrent dans les fours crématoires.

Au lendemain de la libération de la France, la communauté juive algérienne retrouva rapidement ses droits et ses biens grâce à l’appui des élus musulmans, malgré l’hostilité de l’administration pétainiste.

Aura-t-elle la naïveté de croire que la victoire des ultra-colonialistes, qui sont précisément les mêmes qui l’ont persécuté, naguère, ne ramènera pas le même malheur ?

Les Algériens d’origine juive n’ont pas encore surmonté leur trouble de conscience, ni choisi de quel côté se diriger.

Espérons qu’ils suivront en grand nombre le chemin de ceux qui ont répondu à l’appel de la patrie généreuse, donné leur amitié à la Révolution en revendiquant déjà avec fierté, leur nationalité algérienne.

Cette option est basée sur l’expérience, le bon sens et la clairvoyance.

En dépit du silence du Grand Rabbin d’Alger, contrastant avec l’attitude réconfortante de l’Archevêque se dressant courageusement et publiquement contre le courant et condamnant l’injustice coloniale, l’immense majorité des Algériens s’est gardée de considérer la communauté juive, comme passée définitivement dans le champ ennemi.

Le FLN a étouffé dans l’œuf des provocations nombreuses préparées par les spécialistes du gouvernement général. En dehors du châtiment individuel infligé aux policiers et contre-terroristes responsables de crimes contre la population innocente, l’Algérie a été préservée de tout progrom. Le boycottage des commerçants juifs, devant suivre le boycottage des Mozabites a été enrayé même d’exploser.

Voilà pourquoi, le conflit arabo-israélien n’a pas eu, en Algérie, de répercussions graves, ce qui aurait comblé le vœu des ennemis du peuple algérien.

Sans puiser dans l’histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de collaboration dans les plus hauts postes de l’Etat, de cohabitation sincère, la Révolution Algérienne a montré par les actes, qu’elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui garantir sa part de bonheur dans l’Algérie indépendante.

En effet, la disparition du régime colonial, qui s’est servi de la minorité juive comme tampon pour atténuer les chocs anti-impérialistes, ne signifie pas forcément sa paupérisation.

C’est une hypothèse absurde que de s’imaginer que« l’Algérie ne serait rien sans la France ».

La prospérité économique des peuples affranchie est évidente.

Le revenu national, plus important, assurera à tous les Algériens une vie plus confortable.

Tenant compte de ce qui précède, le FLN recommande :

1°) Encourager et aider à la formation de comités et mouvements de libéraux algériens, même ceux ayant au départ des objectifs limités :

a) Comité d’action contre la guerre d’Algérie ;

b) Comité pour la négociation et la paix ;

c) Comité pour la nationalité algérienne ;

d) Comité de soutien des victimes de la répression ;

e) Comité d’études du problème algérien ;

f) Comité pour la défense des libertés démocratiques ;

g) Comité pour le désarmement des milices civiles ;

h) Comité d’aide aux ouvriers agricoles(parrainage des syndicats, soutien des grèves, défense des enfants et des femmes exploités).

2°) Intensifier la propagande auprès des rappelés et des soldats du contingent :

a) Envoi de livres, revues, journaux, tracts anti-colonialistes ;

b) Comité d’accueil des permissionnaires ;

c) Théâtre : pièces exaltant la lutte patriotique pour l’indépendance.

3°) Multiplier les comités de femmes de mobilisés pour exiger le rappel de leurs maris.

C) L’Action du FLN en France

1°) Développer l’appui de l’opinion libérale

L’analyse de l’éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l’opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.

Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la justice cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.

Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique, pour éviter une effusion de sang inutile.

La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste.

1°) Contacts politiques avec les organisations, mouvements et comités contre la guerre coloniale.

– Presse, meetings, manifestations et grèves contre le départ des soldats, la manutention et le transport du matériel de guerre.

2°) Soutien financier par la solidarité aux résistants et aux combattants pour la liberté.

2°) Organiser l’émigration algérienne

La population algérienne émigrée en France est un capital précieux en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combatif, de son potentiel politique.

La tâche du FLN est d’autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu’elle nécessite, en même temps, la lutte à outrance contre les tentatives de survivance du messalisme.

1°) Eclairer l’opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles de journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.

2°) Dénoncer d’une façon infatigable et patiente la faillite du messalisme comme courant politique, sa compromission avec les milieux proches du gouvernement français ce qui explique l’orientation dirigée non contre le colonialisme, mais contre le FLN et l’ALN.

D) La Solidarité Nord-Africaine

L’intransigeance révolutionnaire du FLN, la poursuite farouche de la lutte armée par l’ALN, l’unanimité nationale du peuple algérien soudée par l’idéal d’indépendance nationale, ont mis en échec les plans colonialistes.

Les gouvernements tunisien et marocain ont en particulier(sous la pression des peuples frères), pris nettement position sur ce problème qui conditionne l’équilibre nord-africain.

Le FLN doit encourager :

1°) La coordination de l’action gouvernementale des deux pays du Maghreb, dans le but de faire pression sur le gouvernement français : action diplomatique ;

2°) L’unification de l’action politique par la création d’un comité de coordination des partis frères nationaux avec le FLN ;

a) Création de comités populaires de soutien de la Résistance Algérienne ;

b) Intervention multiforme dans tous les secteurs ;

3°) La liaison permanente avec les Algériens résidant au Maroc et en Tunisie(action concrète auprès de l’opinion publique, de la presse et du gouvernement) ;

4°) La solidarité des Centrales Ouvrières U.G.T.T, U.M.T.,U.G.T.A.;

5°) L’entraide des trois unions estudiantines.

6°) La coordination de l’action des trois centrales économiques.

4°) L’Algérie devant le monde.

La diplomatie française a entrepris sur le plan international un travail interne pour obtenir partout oÙ c’est possible, ne serait-ce que très provisoirement, une aide morale et matérielle ou une neutralité bienveillante et passive. Les seuls résultats plus ou moins positifs sont les déclarations gênées, arrachées aux représentants des Etats–Unis, de l’Angleterre et de l’O.T.A.N.

Mais la presse mondiale, notamment la presse américaine, condamne impitoyablement les crimes de guerre, plus particulièrement la légion et les paras, le génocide des vieillards, des femmes, des enfants, le massacre des intellectuels et des civils innocents, la torture des emprisonnés politiques, la multiplication des camps de concentration, l’exécution d’otages.

Elle exige du colonialisme français, la reconnaissance solennelle du droit du peuple algérien à disposer librement de son sort.

La lutte gigantesque engagée par l’Armée de Libération Nationale, son invincibilité garantie par l’adhésion unanime de la nation algérienne à l’idéal de liberté, ont sorti le problème algérien du cadre français dans lequel l’impérialisme l’a tenu jusqu’alors prisonnier.

La conférence de Bandoeng et surtout la 10ème session de l’O.N.U. ont en particulièrement le mérite historique de détruire la fiction juridique de « l’Algérie française ».

L’invasion et l’occupation d’un pays par une armée étrangère ne sauraient en aucun cas modifier la nationalité de ses habitants. Les Algériens n’ont jamais accepté la « francisation », d’autant plus que cette « étiquette » ne les a jamais empêchés d’être dans leur patrie moins libres et moins considérés que les étrangers.

La langue arabe, langue nationale de l’immense majorité, a été systématiquement étouffée. Son enseignement supérieur a disparu dès la conquête par la dispersion des maîtres et des élèves, la fermeture des universités, la destruction des bibliothèques, le vol des donations pieuses.

La religion islamique est bafouée, son personnel est domestiqué, choisi et payé par l’administration colonialiste.

L’impérialisme français a combattu le mouvement progressiste des Oulémas pour donner son appui total au maraboutisme, domestiqué par la corruption de certains chefs de confréries.

Combien apparaît dégradante le malhonnêteté des Bidault, Lacoste, Soustelle et du Cardinal Feltin lorsqu’ils tentent de tromper l’opinion publique française et étrangère en définissant la Résistance Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du panislamisme.

La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l’Algérie, mais entre d’une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d’autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale.

La meilleure des preuves n’est-elle pas le châtiment suprême infligé à des traîtres officiants du culte, dans l’enceinte même des mosquées.

Par contre, grâce à la maturité politique du peuple algérien et à la sage et lucide direction du Front de Libération Nationale, les provocations traditionnelles et renouvelées du colonialisme : pogroms, troubles anti-chrétiens, xénophobie, ont été déjouées et étouffées dans l’œuf.

La Révolution Algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social.

Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington.

Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence de nations captives.

Voilà pourquoi l’indépendance de l’Algérie martyre est devenue une affaire internationale et le problème-clé de l’Afrique du Nord.

De nouveau, l’affaire algérienne sera posée devant l’O.N.U. par les pays afro-asiatiques.

Si, lors de la dernière session de l’Assemblée Générale de l’O.N.U., on constata chez ces pays amis le souci tactique exagérément conciliateur, allant jusqu’à retirer de l’ordre du jour la discussion de l’affaire algérienne, il n’en est pas de même aujourd’hui car les promesses de la France n’ont nullement été tenues.

Ce manque de hardiesse était déterminé par l’attitude des pays arabes en général et de l’Egypte en particulier. Leur soutien à la lutte du peuple algérien demeurait limité ; il était assujetti aux fluctuations de leur diplomatie. La France exerçait une pression particulière sur lr Moyen-Orient en monnayant son aide économique et militaire et son opposition au Pacte de Bagdad. Elle avait notamment essayé de peser de toutes ses forces pour paralyser les armes psychologiques et morales dont le FLN dispose.

L’attitude des pays non arabes du bloc afro-asiatique était conditionnée, semble-t-il, par le souci d’une part de ne jamais dépasser celle des pays arabes, par le désir d’autre part de jouer un rôle déterminant dans des problèmes tels que ceux désarmement et de la coexistence pacifique.

Ainsi l’internationalisation du problème algérien dans sa phase actuelle a renforcé la prise de conscience universelle sur l’urgence du règlement d’un conflit armé pouvant affecter le bassin méditerranéen et l’Afrique, le Moyen-Orient et le monde entier.

Comment Diriger Notre Activité internationale ?

Nos contacts avec les dirigeants des pays frères n’ont jamais été autre chose que des contacts d’alliés et non d’instruments.

Nous devons veiller d’une façon systématique à conserver intacte l’indépendance de la Révolution Algérienne. Il convient de réduire à néant la calomnie lancée par le gouvernement français, sa diplomatie, sa grande presse pour nous présenter, n’ayant pas de racines dans la Nation Algérienne captive.

1°) Provoquer chez les gouvernements du Congrès de Bandoeng, en plus de l’intervention à l’O.N.U., des pressions diplomatiques, voire économiques directes sur la France ;

2°) Rechercher l’appui des peuples d’Europe, y compris les pays nordiques et les démocraties populaires ainsi que les pays d’Amérique Latine ;

3°) S’appuyer sur l’émigration arabe dans les pays de l’Amérique Latine.

Dans ce but, le FLN a renforcé la Délégation algérienne en mission à l’extérieur. Il devra avoir :

a) Bureau permanent auprès de l’ONU et aux USA ;

b) Délégation dans les pays d’Asie ;

c) Délégations itinérantes pour la visite des capitales et la participation aux rassemblements mondiaux culturels, estudiantins, syndicaux, etc ;

d) Propagande écrite crée par nos propres moyens ; bureau de presse, éditions de rapports, documents par la photo et le film.

CONCLUSION

Il y a dix an, au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale, une formidable explosion a ébranlé l’impérialisme.

L’irrésistible mouvement de libération nationale, longtemps comprimé, secoua les peuples captifs. Une réaction en chaîne entraîna les pays colonisés, l’un après l’autre, dans la conquête d’un avenir flamboyant de liberté et de bonheur..

En cette courte période, dis huit nations sont sorties des ténèbres de l’esclavage colonial et ont pris place au soleil de l’indépendance nationale.

Les peuples de Syrie et du Liban, du Viet-Nam et du Fezzan ont brisé les barreaux de leurs cellules et réussi à quitter l’immense prison du colonialisme français.

Les trois peuples du Maghreb ont manifesté à leur tour leur volonté et leur capacité de prendre leur place dans le concert des nations libres.

La révolution Algérienne du 1er Novembre 1954 est sur la bonne voie.

La lutte sera encore difficile, âpre, cruelle.

Mais sous la ferme direction du FRONT DE LIBERATION NATIONALE, la victoire couronnera la longue lutte armée menée par le peuple algérien indompté.

La date humiliante du 5 juillet 1830 sera effacée avec la disparition de l’odieux régime colonial.

Le moment est proche où le peuple algérien recueillera les doux fruits de son douloureux sacrifice et de son courage sublime.

L’INDEPENDANCE DE LA PATRIE SUR LAQUELLE FLOTTERA SOUVERAINEMENT LE DRAPEAU NATIONAL ALGERIEN.

12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 19:54
Présentation succincte du groupe des neuf chefs historiques.

La particularité de la révolution algérienne, c’est que dès sa genèse elle s’appuie sur un groupe restreint. Contrairement aux révolutions classiques où la direction du mouvement prend la suite des manifestations en vue de les canaliser, celle du 1er novembre 1954 emprunte le chemin inverse. En effet, c’est ce groupe qui ouvre la voie aux différents groupes sociaux.

Cela dit, bien que les neuf chefs historiques soient tous issus du parti indépendantiste, le PPA-MTLD, dont la lutte armée fut une option privilégiée, il n’en demeure pas moins que leur tâche n’est pas une sinécure. En fait, la crise du parti qui a conduit aux désaccords profonds entre Messali et son comité central a failli remettre en cause le projet indépendantiste.

D’ailleurs, en 1953, personne ne pouvait tabler sur le lancement d’un tel mouvement. Et qui plus est, la neutralisation des anciens de l’OS (organisation spéciale) était voulue par les deux groupes rivaux du parti.

Toutefois, même s’ils parviennent à se mettre d’accord sur le déclenchement de la guerre d’Algérie, chacun d’eux a sa propre personnalité, son statut social et ses capacités intellectuelles. Commençant sa description par le plus emblématique d’entre eux, Gilbert Meynier écrit : « à tout seigneur, tout honneur : Hocine Ait Ahmed… »

Pour lui, Hocine Ait Ahmed est le plus intellectuel des neuf. Les deux chefs historiques qui peuvent avoir un niveau proche de lui sont Mohammed Boudiaf et Larbi Ben Mhidi. « Du point de vue culturel, Boudiaf et Ait Ahmed sont à plusieurs coudées au dessus des autres… Lui et Ben Mhidi sont des passionnés de l’histoire des nations (l’Irlande, la Révolution française) et cinéphiles enthousiastes », écrit-il.

À l’opposé, à en croire Gilbert Meynier, on trouve Ahmed Ben Bella. « Pour ce dernier, rester un notable de bourg représente un statut insuffisant. Ce qui l’intéresse, c’est le pouvoir, non les préceptes moraux, l’éducation politique ou la recomposition sociale », note l’historien.

Quant à Ben Boulaid, il se distingue par son sens de l’organisation. Bien qu’il ne soit pas, selon Gilbert Meynier, du même niveau que Boudiaf, Mustapha Ben Boulaid apporte une aide tant matérielle qu’intellectuelle à l’organisation du 1er novembre 1954.

Dans un autre registre, Didouche Mourad et Rabah Bitat ont un point en commun : ils sont des militants révélés par le parti. En d’autres termes, ils doivent tout au parti. Mais la comparaison s’arrête là. Ainsi, bien qu’ils soient de la même génération, Didouche Mourad est le plus engagé des deux. En effet, malgré son jeune âge, Didouche Mourad assume un rôle prépondérant après la scission du parti indépendantiste, le PPA-MTLD.

Le plus vieux des neuf, en l’occurrence Mohammed Khider, est quasiment le seul à avoir milité au sein de l’ENA (étoile nord-africaine), en 1934. Après avoir exercé comme cheminot, sa formation en langue arabe –avec Ait Ahmed, ils sont les deux chefs historiques à avoir une maitrise parfaite de la langue arabe –va s’avérer essentielle lors de son séjour au Caire en sa qualité de chef de la délégation extérieure du PPA-MTLD et ensuite de membre de la délégation extérieure du FLN.

Enfin, le cas de Krim Belkacem est un peu particulier. Des neuf chefs historiques, il est le seul à avoir pris le maquis, sept ans plus tôt, contre le régime colonial. Mais, paradoxal que cela puisse paraître, sa famille est celle qui « doit tout à l’administration française », écrit Gilbert Meynier. Ainsi, plus que les autres, il doit montrer davantage de détermination. Ce qui fera de lui à la fin de la guerre l’un des hommes clés de la révolution algérienne.

Dans cette longue liste, il y a un homme d’une grande valeur qu’il faut associer au groupe. Il s’agit évidemment de Ramdane Abane. En effet, s’il n’était pas en prison depuis 1951, dans le cadre des arrestations découlant du démantèlement de l’OS en 1950, il serait sans doute un membre à part entière du comité restreint. D’ailleurs, dès sa libération en janvier 1955, les dirigeants de la révolution prennent aussitôt attache avec lui pour qu’il les rejoigne.

C’est donc ce groupe hétéroclite qui décide, le 1er novembre 1954, d’écrire la nouvelle page de notre pays. Sur le plan organisationnel, ce groupe part avec un handicap de taille : le principal parti indépendantiste est paralysé par une crise abyssale. Mais, grâce au talent d’Abane, celle-ci est exploitée par les dirigeants pour qu’elle devienne un point fort. Ainsi, dès le premier tract du FLN, rédigé par Abane Ramdane le 1er avril 1955, la révolution est présentée comme le dépassement des partis. Ce travail de rassemblement national se concrétisera à la Soummam en aout 1956.

Cependant, la durée du conflit va s’avérer néfaste à la jeune révolution. L’émergence de nouvelles têtes vide le mouvement de son esprit initial. La liberté ne sera pas pour tous, mais pour ceux qui parviennent à s’emparer du pouvoir. Ainsi, après avoir passé la guerre à l’extérieur, ces nouveaux chefs imposent un modèle contraire à l’esprit du 1er novembre 1954.

Après l’indépendance, et surtout après le coup d’État du 19 juin 1965, tous les chefs historiques, à l’exception de Rabah Bitat qui se contente de jouer un rôle sous l’ombre de Houari Boumediene, sont soient emprisonnés, soient forcés à l’exil ou carrément exécutés (Khider en 1967 et Krim Belkacem en 1970).

Pour conclure, il va de soi que les neuf chefs historiques marquent de leur empreinte l’histoire de l’Algérie. En effet, après la fin d’un cycle politique, incarné par Messali, ils ont su trouver les ressources nécessaires en vue d’en commencer un autre, et ce, alors que tous les indices ne leur étaient pas favorables.

Enfin, malgré leur élimination par les nouveaux dirigeants, après l’indépendance du pays, ils demeurent –sans que l’on n’établisse aucune hiérarchie entre eux –le symbole de la nation. Les Algériens le reconnaissent bien, en témoigne la ferveur populaire accompagnant à sa dernière demeure le dernier chef historique, Hocine Ait Ahmed.

Aït Benali Boubekeur

10 juillet 2016 7 10 /07 /juillet /2016 12:02
Cinquante-quatre ans après l’indépendance, l’Algérie politique est à son point de départ.

Les célébrations de la fête d’indépendance nationale se suivent sans qu’aucun bilan sérieux ne se fasse réellement. Il faut dire, d’emblée, que l’équipe dirigeante –Bouteflika était ministre en 1962 et chef de l’État en 2016 –n’a aucune volonté d’en débattre de ce sujet.

D’ailleurs, à qui va-t-elle rendre des comptes ? Quoi qu’il en soit, si le peuple algérien a des attentes dans ce sens, il faudra qu’il revoie sa copie. Pour étayer cette thèse, voilà ce qu’écrit Lahouari Addi, dans « l’Algérie d’hier à aujourd’hui » : « le projet du régime algérien, de 1962 à nos jours, a consisté à s’opposer à la société. »

Ainsi, malgré la fin du système colonial, les rapports entre gouvernants et gouvernés ont peu évolué. Bien que cette page douloureuse soit tournée en 1962, dans le fond, une partie de la classe politique a du mal à abandonner ce système vicié.

Cela étant dit, il convient de signaler que beaucoup de valeureux militants ont combattu ce système. Quelques-uns ont même laissé leur vie. Est-ce insuffisant pour conjurer le sort. Il semblerait que ce soit le cas.

En tout cas, l’équipe qui s’accroche au pouvoir a tout fait pour que ces tentatives soient vaines. Selon Mohammed Harbi, dans une contribution au journal El Watanb, du 5 juillet 2012, l’emploi systématique de la force pour la gestion de la cité en est la principale cause. « Quant au style de commandement et d’autorité, c’est celui du caïd et du notable. Il n’exclut ni la réprimande publique ni la brutalité, ni la morgue et la suffisance », écrit-il.

Du coup, bien que le pays aille à vau-l’eau, la littérature du régime a fait croire aux Algériens, pendant les deux premières décennies de l’indépendance, que cette violence était nécessaire pour la poursuite de la révolution.

Mais, au bout d’une génération, ce discours ne convainc personne. Au lieu de réformer le système de fond en comble, en remettant notamment les rênes du pouvoir au peuple algérien, le régime joue avec l’avenir du pays. « Après l’autogestion et le socialisme étatiste, l’État algérien n’a rien à proposer sauf la réforme du système », écrit encore l’éminent historien.

Néanmoins, malgré une unité de façade, le régime est composé de plusieurs clans. Ces derniers ne se retrouvent sur la même longueur d’onde que lorsqu’il s’agit de museler et de bâillonner la société. Ainsi, lors de la fermeture de la parenthèse démocratique, un consensus peu ou prou général semble englober toutes les factions, lesquelles sont rejointes par une certaine classe politique éradicatrice dans l’âme.

Depuis cette date, le régime ne cesse de dévaloriser l’action politique au profit des affaires. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la conjoncture financière favorable des années 2000 permet l’élargissement de la base clientéliste.

Guettant le moment propice, ces prédateurs dévorent l’Algérie jusqu’aux os. Résultat des courses : bien que l’Algérie ait engrangé prés de 1000 milliards de dollars, les caisses sont déjà vides. En tout cas, c’est ce que dit le ministre de l’Intérieur, Nourredine Badoui, dans une conférence. La vidéo circule sur internet.

En somme, en dépit d’une gestion catastrophique des affaires, le régime ne compte pas lâcher du lest. Alors que dans tous les pays du monde, une équipe qui échoue est sanctionnée électoralement par le peuple, en Algérie, le dirigeant est inamovible. D’ailleurs, la nouvelle loi électorale va encore décourager les derniers crédules qui croient à un possible changement émanant du régime.

Aït Benali Boubekeur

19 juin 2016 7 19 /06 /juin /2016 08:36
 19 juin 1965 : la dictature met fin au rêve démocratique.

Le coup d’État du 19 juin 1965 a un seul mérite : il dévoile l’emprise réelle de l’armée, sous la houlette de Houari Boumediene, sur la vie politique nationale et met fin, par ricochet, au quiproquo selon lequel le pouvoir est partagé entre civils et militaires. Et s’elle n’avait pas pu le faire avant cette date, c’est parce que ces têtes d’affiche n’avaient aucun parcours révolutionnaire pouvant justifier leur arrivée au pouvoir.

Cependant, bien que les auteurs du coup d’État veuillent vendre leur projet comme étant un acte salvateur de la révolution, dans le fond, le nouveau conseil de la révolution (CR) ne compte nullement partager la moindre parcelle de pouvoir avec les différentes forces politiques nationales.

Ainsi, après la déclaration du 19 juin où le conseil de la révolution tente de justifier le coup de force, l’ordonnance du 10 juillet 1965 siffle la fin de la partie. Cette ordonnance « stipulait que le CR était le dépositaire de l’autorité souveraine en attendant l’adoption de la constitution. Ce qui signifiait, d’une part, que la constitution de 1963 était mise au « rencart » et, d’autre part, que le CR était l’autorité suprême », écrit Abdelkader Yefsah, dans « la question du pouvoir en Algérie ».

Par ailleurs, en dépit du maintien des institutions en place, donnant sournoisement une apparence normale de leur fonctionnement –l’Algérie possède en effet un gouvernement, des ministres, etc. –, dans la réalité, le système est hermétiquement verrouillé. Selon le politologue déjà cité, « théoriquement, le CR pouvait mettre en jeu la responsabilité politique des ministres et le gouvernement n’exerçait le pouvoir législatif et exécutif que par la délégation du CR… Tout comme A. Ben Bella(…) Boumediene n’échappait à cette contradiction qui faisait de lui le chef du CR et du gouvernement qui ne devait finalement rendre compte qu’à lui-même. »

Dans ces conditions, quelle place pourrait-elle revenir à l’opposition ? Eh bien, walou. En fait, pour que les partis puissent être tolérés, il faudrait que le chef émane de la volonté populaire. Or, qu’il en déplaise aux nostalgiques de la période Boumediene, cette ère symbolise le déni par excellence de la parole populaire sous toutes ses formes.

Du coup, la seule menace au pouvoir de Boumediene est venue de l’intérieur du système. Le 15 décembre 1967, le chef de l’État-major de l’ANP, Tahar Zbiri, tente de renverser le régime. Et paradoxal que cela puisse paraître, au lieu de fragiliser le système, la tentative ratée permet « à l’ANP de s’affirmer définitivement en tant que groupe social hégémonique », écrit le politologue.

De la même manière, si la société en général et l’opposition en particulier sont dépossédées de leurs droits les plus élémentaires, un tel système n’autorise aucun débat interne, y compris au sein du groupe putschiste. Peu à peu, celui-ci cède son infime pouvoir à l’homme de fer, Houari Boumediene. De 25 membres de départ, le CR se rétrécit telle une peau de chagrin.

Censé supplanter les pouvoirs législatif et judiciaire, le CR ne se réunit quasiment pas. Et pour cause ! Houari Boumediene les incarne tous à la fois. Ainsi, il faut attendre plus d’une décennie (1976) pour qu’une constitution soit rédigée. Au lieu de corriger l’injustice, la nouvelle constitution « aggrave le pouvoir personnel. »

Pour conclure, il va de soi que le coup d’État du 19 juin 1965 plombe littéralement les institutions du pays, mettant, faut-il le signaler au passage, les libertés individuelle et collective entre parenthèses. Et pourtant, le peuple algérien ne mérite pas ce sort. Pour avoir le droit à la parole, il a payé très cher le prix de sa libération du joug colonial. Hélas, après avoir livré une guerre impitoyable, le peuple algérien a été incapable de poursuivre sa mission. Le plus grave encore, c’est que 54 ans après sa libération, il ne sort toujours pas de sa léthargie.

Aït Benali Boubekeur

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