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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 13:12

imagesCAZ8UETK.jpg« Le FLN n’appartient à personne, mais au peuple algérien qui se bat. L’équipe qui a déclenché la révolution n’a acquis sur celle-ci aucun droit de propriété. Si la révolution n’est pas l’œuvre de tous, elle avortera inévitablement », déclare Abane Ramdane à Ferhat Abbas afin qu’il rejoigne le FLN.   

En effet, au début de la guerre, certains chefs se considèrent les seuls dépositaires de la révolution.  Leur chef de file est indubitablement Ahmed Ben Bella. Malgré les cinquante années qui nous séparent de la fin de la guerre, il n’en démord pas. À chaque sortie médiatique, il se donne le rôle de l’unique initiateur de la révolution algérienne. Cependant, l’arrivée d’Abane à la tête du FLN va permettre  la mise en œuvre d’une politique cohérente. Néanmoins, bien qu’il ait réussi à fédérer les forces de l’intérieur, la délégation extérieure pose, quant à elle, une flopée de problèmes. Soutenu par les services égyptiens,  Ben Bella s’arroge le rôle de dirigeant décisif à la tête de l’Algérie en lutte. Pour ce faire, il tente de discréditer les autres membres de la délégation extérieure, Hocine Ait Ahmed  et Mohamed Khider. Il accuse le premier de berbéro-matérialiste et le second de bourgeois. Leur intelligence fait que cette invective ne les touche pas. Ils continueront à assumer leur rôle sans qu’ils ne soient nullement déstabilisés.

Toutefois, l’homme fort du front de l’intérieur, en l’occurrence Abane, ne compte pas se laisser marcher sur les pieds. En plus, il ne s’agit pas d’une divergence sur un point donné. Car  les divergences avec la délégation extérieure, en cette année 1956, se multiplient à foison. Et elles sont dues à plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’éloignement de celle-ci du terrain des affrontements. Dans une note de bas de page, Mabrouk Belhocine, auteur du livre « Le courrier : Alger-Le Caire 1954-1956 », estime que ces divergences de vues peuvent s’expliquer par le facteur géographique. « Il est évident que des responsables d’un même mouvement, séparés géographiquement de 500 kilomètres, sont politiquement à des « années lumières » les uns des autres, ceux qui sont dans la « gueule du loup » et ceux qui n’y sont pas », écrit-il. Par ailleurs, bien que chacun poursuive l’objectif de recouvrement de l’indépendance nationale, il n’en reste pas moins que la stratégie des uns et des autres peut se trouver aux antipodes.

Quoi qu’il en soit, Abane déploie tous les efforts nécessaires pour y remédier à cette situation. Dans une correspondance, datant du 15 mars 1956, Abane clarifie autant que faire se peut l’orientation du FLN. Connaissant les tiraillements ayant miné le PPA-MTLD avant le déclenchement de la lutte armée, Abane décèle, avec certainement une amertume, le même esprit prévalant chez certains membres de la délégation extérieure. En réalité, Ben Bella est toujours resté MTLD. Ayant quitté le pays dans le début des années 1950, en 1952 exactement, Il ignore la réalité du terrain des affrontements. Dans la lettre du 15 mars 1956, Abane le signale parfaitement : « Nous avons rayé de notre vocabulaire les expressions « peuple à disposer de lui même » « auto détermination » etc. Nous n’usons que du vocable « indépendance » alors que vous nous parlez très souvent d’autodétermination », clarifie-t-il la position ferme des dirigeants intérieurs du FLN.   

D’une façon générale, cette différence de vue est palpable. Dans les initiatives entreprises par les deux lignes du FLN, chacun tente de faire valoir son orientation. Pour Ben Bella, il existe au tout début un contrat moral entre les « neuf chefs historiques ». En d’autres termes, le FLN a déjà eu sa direction. Par conséquent, les nouveaux venus doivent se mettre au service de ce groupe. Cela dit, bien qu’il s’appuie sur les services égyptiens pour écarter ses deux collègues de la délégation extérieure, il utilise souvent ce contrat pour que le parti ne s’ouvre pas aux compétences. Tout compte fait, il considère que les « allumeurs de la mèche » doivent gérer, à eux seuls, la révolution. Mais cela suffit-il à libérer le pays du joug colonial, et ce malgré le stoïcisme des neuf chefs historiques ? Pour Ben Bella, l’engagement des neuf aurait suffi amplement à rallier les Algériens à la cause. C’est là une erreur, estime Abane. Pour ce dernier, le FLN est la propriété de tous les Algériens. Du coup, ils peuvent prétendre, au même titre que les initiateurs de l’action armée, à assumer les responsabilités suprêmes.   

Cependant, bien que certains Algériens n’aient pas adhéré d’emblée à la lutte armée [les centralistes, l’UDMA de Ferhat Abbas et les Oulémas], il n’en reste pas moins que l’Algérie en lutte avait besoin de tous ces fils. Et leur intégration au FLN, selon Abane, ne doit pas être accompagnée de brimade. Dans la correspondance déjà citée, il étaye son acception de ce que doit être le FLN : « Pour nous le FLN est la projection sur le plan historique du peuple algérien en lutte pour son indépendance. Le FLN est quelque chose de nouveau ce n’est ni le PPA ni le MTLD ni même le CRUA. » Quoi qu’il en soi, bien que l’encadrement initial soit assuré par les anciens du PPA-MTLD, le FLN, pense Abane, doit dépasser le parti afin qu’il intègre en son sein toutes les sensibilités politiques nationales.

De toute façon, les divergences ne concernent pas seulement le rôle du FLN. Il y a même une différence concernant la stratégie des alliances. La priorité étant de pourvoir les maquis en armes, Abane rappelle à la délégation extérieure que « si les communistes veulent nous fournir des armes il est dans nos intentions d’accepter le parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN si les communistes sont en mesure de nous armer… Si vous êtes obnubilés par l’union nord-africaine nous n’avons qu’un seul souci : les armes, les armes, les armes. »  Cela dit, les démocraties populaires, à ce moment-là, ne voulurent pas créer de clash avec la France. Etant considérée comme le maillon faible du libéralisme effréné, ces démocraties populaires faisaient tout pour détacher la France des USA. Après moult tergiversations, le FLN opte pour le rapprochement avec les démocraties occidentales en demandant notamment l’intégration de l’UGTA au syndicat mondial d’obédience américaine.

Sur un autre volet, les conditions de la fin de la guerre constituent le point d’achoppement entre Abane et la délégation extérieure, dominée, grâce à l’appui des services égyptiens par Ben Bella. Sur ce point, qu’il en déplaise aux ben bellistes, les correspondances, publiées par Mabrouk Belhocine, montrent plus de fermeté du côté d’Abane. En effet, il interdit à quiconque d’engager des pourparlers avec la France sans qu’il y ait l’aval préalable des maquis. De la même manière, il refuse d’entendre parler de la création d’un gouvernement à l’étranger. « Si nous devons un jour constituer un gouvernement provisoire, il sera en Algérie et pas ailleurs. Si par malheur vous vous amusez à constituer un gouvernement à l’extérieur nous nous verrons dans l’obligation de vous dénoncer publiquement et la rupture sera totale », avertit-il encore.

Pour conclure, il est évident qu’en 1956 Abane jouit de la confiance des dirigeants de l’intérieur. Il profite de ces appuis pour mettre sur rail la révolution algérienne. Sans jouer la mouche du coche, il détermine le rôle de chacun. Bien qu’il n’ait aucune légitimité pour cela, diront les mauvaises langues, il n’en demeure pas moins que son but est de faire du FLN un parti où chacun a sa place. En le comparant à Ben Bella, il va de soi que leurs cultures sont diamétralement opposées. Sans doute, Ben Bella est plus fasciné par un pouvoir illimité. La courte période qu’il a passé à la tête de l’État algérien corrobore cette thèse. Quant à Abane, même pendant la période cruciale, il pense associer tous les courants politiques algériens au FLN. Et c’est là que se situe la différence entre un homme de pouvoir et un homme d’État.

Par Ait Benali Boubekeur          

    

 

 

 

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 14:26

images2922.jpgDans tous les pays, les citoyens et les dirigeants sont fiers de l’histoire de leur pays. Bien entendu, celle-ci comporte des pages glorieuses et d’autres ternes. Mais tout le monde est d’accord pour que sa transmission se fasse sans la moindre falsification. Pour le cas de l’Algérie, les dirigeants ont opté pour une transmission sélective et partiale de l’histoire. Ainsi, la période précédant 1954 est considérée comme une ère n’ayant pas le droit d’être citée. Pour l’historien Gilbert Meynier : « La littérature officielle algérienne, telle que la résument les manuels scolaires censés enseigner l’histoire aux jeunes Algériens depuis l’indépendance, fait du 1er novembre 1954 le jour zéro de la libération nationale. »

Cependant, bien que les Algériens soient attachés à cet événement, certes déterminant dans la restauration de la nation, il n’en demeure pas moins que l’idéologisation de l’école n’est pas appréciée dans les mêmes proportions. Car, avant 1954, il y avait une vie politique animée. Toute proportion gardée, la décennie précédant le déclenchement de la révolution fut plus ouverte que la période du règne du parti unique, de 1962 jusqu’à 1989. En effet, bien que le système colonial soit exécrable au sens littéral du terme, les nouveaux maitres n’ont rien fait pour corriger les privations ayant été le lot de la vie des Algériens pendant l’occupation.

Donc, contrairement à l’idéologie officielle, le FLN n’est pas survenu ex nihilo. Bien avant lui, le mouvement national a existé avec ses défauts et ses qualités. Et sa composante fut très large. Elle allait des serviteurs du régime colonial aux militants dévoués à l’indépendance nationale. Concernant le FLN, il est justement issu de cette dernière catégorie. Car ni les Oulémas, ni les modérés ne combattirent pour juguler le système colonial. Le seul parti nationaliste qui a lutté ouvertement pour l’indépendance fut dénommé successivement ENA (Étoile nord-africaine), PPA (Parti du peuple algérien) et ensuite la combinaison PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).

Toutefois, le premier parti est créé à Paris en 1926. Contrairement au courant intégrationniste –tous les autres mouvements –, l’ENA revendique tacitement l’indépendance de l’Algérie. En 1936, le parti devient uniment incontournable dans le paysage politique algérien. Pour Gilbert Meynier : « Au moment du projet Violette, l’ENA se dissocia de tous les autres mouvements algériens. Ces plébéiens ne firent pas partie du Congrès musulman [Le PCA, les Oulémas et le mouvement des jeunes Algériens conduit par Ferhat Abbas]. Dans un meeting célèbre au stade d’Alger organisé par le Congrès musulman à l’été 1936 –le 2 août précisément –, et où Messali Hadj s’auto invita, il refusa l’assimilation et revendiqua l’indépendance de l’Algérie. »

Quoi qu’il en soit, bien que Messali ait soutenu le Front populaire conduit par Léon Blum, le gouvernement de gauche décide de dissoudre l’ENA. Mais après le discours d’Alger de Messali, le parti prend des dimensions incommensurables en audience. Tout en gardant le même programme, Messali crée le PPA. À la différence du précédent mouvement, le PPA élit domicile à Alger. Désormais, le parti indépendantiste livre la bataille sur le terrain de la colonisation. Épris de justice et de liberté, les Algériens adhèrent massivement aux thèses du PPA. En 1945, le parti est laminé par une répression aveugle des autorités coloniales. Quelques militants vont envisager, après ces événements, une révolution armée. Mais la direction annule le mot d’ordre peu avant  le jour J. Depuis cette date, les activistes ne songent qu’au passage effectif à l’action armée.

D’une façon générale, bien que les évolués rejoignent les partis modérés, la base du PPA n’en démord pas. Elle croit que cette la lutte armée est inéluctable. Ainsi, malgré l’interdiction du PPA, la base reste solidaire. Toutefois, en dépit de l’amnistie générale de 1946, les radicaux prônent la rupture viscérale avec le système colonial. « Or, pour les élections législatives de 1946, Messali fit accepter par une direction réticente le principe de la participation aux élections. Au dessus du PPA clandestin se constitua donc le Mouvement  pour des libertés démocratiques (MTLD) qui obtinrent cinq des douze sièges dévolus aux Algériens au Parlement  français par le « deuxième collège » (le collège indigène) », écrit encore Gilbert Meynier.

Par ailleurs, avec cette volonté de Messali, le nouveau parti s’ouvre, par la même occasion, aux modérés. Malgré le maintien du PPA, les thèses du MTLD ne sont plus trop éloignées du parti de Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien). Cela dit, il existe bien évidemment des évolués activistes. Leur figure de proue reste indubitablement, dans les années 1940, Mohammed Lamine Debaghine. Mais la différence existant avec l’UDMA c’est que les modérés ne sont utilisés que pour contrer les activistes pressés de passer à l’action directe. Et Messali veille soigneusement à l’équilibre. Pour résumer cette ambivalence de Messali, Gilbert Meynier note à juste titre : « Messali dut compter avec les activistes, inspirés par le leader radical le docteur Mohammed Lamine Debaghine, qui voulaient mettre au premier plan le mot d’ordre de rupture violente. Il se heurta aussi à des modérés du MTLD enclins à privilégier la ligne légaliste. Le parti frappa successivement ces deux tendances. »

Par conséquent, dès 1946, Messali tente d’imprimer une ligne mi révolutionnaire mi-légaliste au parti. Comme Bourguiba en Tunisie, il n’exclut pas le recours à l’action armée. Mais celle-ci devrait servir de moyen de pression. Ce qui va amener les autorités coloniales, selon lui, à rechercher une solution politique au problème algérien. En 1947, la direction, acculée par les activistes lors du congrès de Belcourt, crée une organisation spéciale (OS). Dans les textes, celle-ci devra s’atteler à la préparation de la lutte armée. Or, pour Gilbert Meynier, « Au PPA-MTLD… la lutte armée est bien envisagée avec la formation de l’OS ; mais l’OS a toujours été considérée avec méfiance par Messali et tenue en lisière par les capacités centralistes. »

Cependant, ce mélange constitue indubitablement une bombe à retardement. A cette situation explosive s’ajoute l’éloignement de Messali, tantôt sous les verrous tantôt mis en résidence surveillée. Du coup, le parti penche petit à petit vers la solution intégrationniste. Incontestablement, le congrès d’avril 1953 consacre la victoire des modérés. Pour affermir leur emprise sur le parti, les modérés excluent les activistes de l’OS de la participation au congrès. Non content de cette orientation du parti, Messali mobilise ses partisans contre cette aile modérée du parti. Convaincue de son choix, cette aile modérée ne se laisse pas intimider. Il riposte en s’attaquant à son président. « Messali eu beau tenter de remettre la main sur le parti en désavouant, du haut de son prestige, la direction centraliste, la crise, ouverte, éclata en 1954 entre centralistes et messalistes », argue Gilbert Meynier.

Cependant, la crise va s’accentuer au fil des jours. La difficulté réside dans le fait que chaque partie campe sur sa position. Pour sortir le parti de la crise, une initiative émane des activistes proches des centralistes. Ils créent le comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA). Ce comité se fixe pour mission de ressouder les rangs du parti. Mais sa composition d’éléments centralistes ou pro centralistes va vite s’avérer incapable de refaire l’unité du parti. En plus, la Kabylie messaliste, à sa tête Krim Belkacem, refuse de se joindre au comité en le jugeant pro centraliste. Une fois le CRUA dissous suite à la tenue de deux congrès, l’un centraliste et l’autre messaliste, Krim Belkacem rejoint le groupe en août 1954. Des quatre membres du CRUA, deux se détachent (Ben Boulaid et Boudiaf) et les autres restent fidèles au comité central.

Désormais, la troisième voie activiste va se concentrer sur un seul projet : la préparation de la lutte armée. Dans cette entreprise, les activistes ne comptent ni sur l’appui des messalistes ni sur celui des centralistes. Après plusieurs réunions du groupe des six (Ben Boulaid, Ben Mhidi, Bitat, Boudiaf, Didouche et Krim), rejoint par la délégation extérieure composée d’Ait Ahmed, Ben Bella et Khider,   le passage à l’action armée est décidé pour le 1er  novembre 1954. Le jour de la Toussaint, deux textes sont distribués. L’un, expliquant les raisons politiques, est signé Front de libération nationale (FLN). L’autre, invitant les Algériens à soutenir la lutte armée, est signé Armée de libération nationale (ALN).

Pour conclure, il va de soi que le FLN est le successeur naturel du PPA-MTLD. La différence entre les deux réside principalement dans la façon d’envisager la mise à mort du système colonial. Dans ce sens, le FLN se démarque du programme du MTLD. Bien que ce dernier ait existé dans un contexte où les Algériens rêvaient d’une solution politique, le FLN, quant à lui, opte pour la solution militaire. Cela dit, aucun chef, à moins que ce soit pour des raisons de mobilisation, ne table sur la victoire militaire. En revanche, pour eux, l’éventuelle négociation doit conduire à l’indépendance nationale.

En somme, comparant l’Os à l’ALN, Gilbert Meynier conclut : « C’est là une différence énorme avec l’ALN, formée en même temps que le FLN, et qui, d’emblée, ne se distingue pas du FLN. En somme, la différence avec le MTLD réside dans la situation historique : le MTLD est une institution du temps de paix, le FLN une institution du temps de guerre. » Cependant, la durée de la guerre va faire émerger de nouvelles têtes. Celles-ci pensent, avant la fin de la guerre, à l’organisation du pouvoir une fois l’indépendance recouvrée. Cette course pour le pouvoir va engendrer une crise alambiquée après l’indépendance. Le pouvoir est à celui qui montre une force persuasive. Enfin, cette vision prévaut encore et ce, malgré le demi-siècle qui nous sépare de la fin de la guerre.

Par Ait Benali Boubekeur                   

  

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18 janvier 2012 3 18 /01 /janvier /2012 22:50

imagesCAJYZ8B9.jpgL’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir, en juin 1958, change radicalement la donne dans le traitement de la question coloniale. En effet, le régime précédent, c’est-à-dire celui des partis, a été incapable d’envisager la moindre perspective sans que le lobby colonial ne le renverse. Du coup, la IVe République a été emportée par un coup de force réunissant les lobbies coloniaux, les militaires et ceux qui ne croyaient pas au régime mou. En tout cas, elle fut trop fragile pour résister à la bourrasque. D’ailleurs, sa chute ne fut-elle pas due en partie à la déclaration du son président du conseil, non encore investi, Pierre Pflimlin, n’excluant pas une éventuelle négociation avec les représentants du FLN lorsque les conditions sont réunies ? On connait la suite. Les militaires, aidés par les associations des ultras pieds-noirs, renversent le régime. Car, bien que le Général soit investi par les députés, la menace militaire est restée patente jusqu’à l’ultime instant. Et en cas du refus des députés d’accorder les pleins pouvoirs au Général de Gaulle, les militaires, à leur tête Jacques Massu, auraient exécuté leur menace. À ce titre, la Corse ne fut-elle pas désignée comme point de départ de l’opération sur la capitale ?
 
Cependant, le Général de Gaulle, après avoir misé sur l’écrasement de la rébellion en Algérie, cherche à trouver une solution politique au problème algérien. Dans la foulée, il prend les mêmes mesures pour l’ensemble des pays africains. Pour lui, le temps de la gestion directe des colonies est dépassé. Désormais, il est  plus préférable d’exercer le pouvoir indirectement. En effet, bien que le Général ait accepté le principe des indépendances, il ne renonce pas pour autant à l’exploitation des matières premières dans ces pays. La négociation franco-algérienne n’a-t-elle pas achoppé sur la question du Sahara algérien ? Pour remédier à ce problème, le Général va trouver une solution efficace. Il va placer à la tête de ces États nouvellement indépendants des hommes fidèles à la France. Un homme va jouer alors un rôle prépondérant dans cette partition. Il s’agit de Jacques Foccart. Selon François Audigier, professeur à l’Université de Nancy : « Dans l’ombre de son mentor, de Gaulle, il [Jacques Foccart] a tissé les réseaux de la Françafrique, contrôlé les services secrets et organisé les financements parallèles du mouvement gaulliste. »

 

D’une façon générale, en termes d’influence, Jacques Foccart arrive incontestablement juste derrière De Gaulle. Homme d’affaires après la libération de la France, il s’engage aussitôt dans la politique au RPF, le parti gaullien. Bien que le général ait quitté le pouvoir en 1946, Jacques Foccart ne désespérait pas de revoir le Général à la tête de l’État. Par conséquent, ce futur conseiller du Général ne cessait pas de nouer des liens en colonie. Très vite, Jacques Foccart arrive à la conclusion, peut être bien avant les autres, qu’il y avait un bon coup à jouer à partir des colonies. Pour François Audigier : « Il a vu juste : la crise algérienne de mai 1958 relance le Général. Il reçoit au siège de la Safiex [siège de sa société d’import-export] autant les comploteurs de la République que les émissaires de l’Élysée. Tout en poussant à l’action ses amis du 11e choc où il s’entraine comme colonel de réserve du service action du Sdece. Grâce à lui, les militaires portent de Gaulle au pouvoir. Il va désormais consolider sa toile depuis l’Élysée. »

 

Toutefois, bien que cet homme de l’ombre n’ait pas un poste privilégié, sa relation avec le Général de Gaulle fait de lui un personnage incontournable de la Ve République. Il est peut-être le seul à pouvoir s’entretenir quotidiennement avec le président de la République. Car l’enjeu africain est colossal. Du coup, il doit veiller en permanence au bon fonctionnement des États africains. Pour maintenir l’influence de la France, « il choisit et avantage les dirigeants les mieux disposés envers Paris. L’Ivoirien Houphouët-Boigny,  les Gabonais MBA puis Bongo, le Centrafricain Bokassa, le Togolais Eyadema, le Zaïrois Mobutu, etc. », écrit l’historien dans une contribution intitulée « Jacques Foccart, les barbouzes gaullistes et l’Afrique », parue dans un numéro spécial de Marianne en décembre 2011.  
 
Quoi qu’il en soit, son cercle d’influence ne se limite pas à l’Afrique. En France, il évolue, dans l’environnement gaulliste, comme un poisson dans l’eau. À travers son ami, Marcel Chaumien, le chef des services secrets, il est au courant de tout ce qui se passe. En réussissant ses épreuves, son influence va crescendo. Selon François Audigier : « Avec l’accord du Général, il décide des investitures électorales et maitrise les circuits de financement parallèle, des fonds secrets aux mallettes africaines. Il possède un droit de regard sur certains ministères, comme le secrétariat d’État aux DOM-TOM. »

 

Avec l’aide de certains de ses amis, notamment Charles Pasqua, il crée un service d’action civique (SAC). Ce service d’ordre gaulliste va vite dépasser ses prérogatives. « Surveillance des adversaires, infiltration de l’État, telles sont les activités officieuses du SAC », écrit encore l’historien, auteur d’ « Histoire du SAC, la part d’ombre du gaullisme ». Enfin, malgré le retrait du Général de Gaulle après le non au référendum de 1969, Jacques Foccart reste tout de même influent. Bien qu’il ait présenté sa démission, pendant la période de transition, les chefs d’États africains, qui sont en réalité portés et maintenus au pouvoir grâce à lui, exigent le retour de Jacques Foccart à son poste. C’est ce qu’il fera Georges Pompidou dès son élection à l’Élysée. Finalement, malgré l’arrivée au pouvoir de la gauche en mai 1981, Jacques Foccart est maintenu à son poste. Jusqu’à sa mort en 1997, il reste le véritable chef des réseaux parallèles en liaison avec l’Afrique. En somme, sa mort emporte ses secrets, mais la mainmise sur l’Afrique reste intacte. 
Par Ait Benali Boubekeur. 

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13 janvier 2012 5 13 /01 /janvier /2012 12:17

imagesCASLG2KT.jpgLe premier congrès de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) se tient dans un climat de règlement de compte. Dans les luttes fratricides de l’été 1962, opposant les légalistes aux partisans du coup de force, l’UGTA a fait un mauvais choix en ne se rangeant pas derrière la coalition Ben Bella-Boumediene. Et lorsque la situation s’est décantée, les syndicalistes vont payer le prix de leur soutien au GPRA. Par ailleurs, comme les autres mouvements, Ben Bella et Boumediene comptent caporaliser tout bonnement l’union des travailleurs. Le but bien entendu est de faire de l’UGTA une simple courroie de transmission. Bien que l’UGTA n’ait pas soutenu la coalition Ben Bella-Boumediene, ces animateurs pensent jouer, une fois la situation est revenue à la normale, un rôle syndical à la mesure des sacrifices consentis pendant la guerre. D’ailleurs, ne fallait-il pas la participation de tous les Algériens à la révolution pour que le régime colonial soit jugulé ? Hélas, pour Ben Bella, les Algériens doivent rester des éternels sujets. Toutefois, à l’approche de la date fatidique, les travailleurs sont méfiants, mais déterminés à mener le combat pour le respect des libertés syndicales. Pour ce faire, ils battent un travail énorme en vue de préparer leur congrès prévu pour le 17 janvier 1963. « Des réunions avaient été organisées à la Maison du peuple et une plate-forme avait été rédigé, qui devait être discutée par les congressistes », écrit Catherine Simon, dans « Algérie, les années pieds-rouges ». En revanche, les deux hommes forts du moment, Ben Bella et Boumediene, n’entendent pas laisser un tel mouvement leur échapper. En plus, le positionnement de l’UGTA en faveur du GPRA n’a pas été oublié par les vainqueurs. Ainsi, avant même que les travaux du congrès soient commencés, un plan machiavélique a été concocté par la présidence en vue de déstabiliser l’UGTA. Ainsi, dès l’ouverture des travaux du congrès, des baltaguias font irruption dans la salle. Selon le témoin oculaire, Tiennot Grumbach : « Les portes se sont soudain ouvertes et des dizaines de types, arrivés par camions, se sont rués vers la tribune, certains armés de gourdins. » Ces nervis à la solde des nouveaux chefs stoppent net le déroulement du congrès. Et les membres du bureau sont sommés de quitter les lieux sous peine d’être tabassés. Les syndicalistes solidaires sont, par la même occasion, contraints de suivre les responsables de l’UGTA. Toutefois, une fois les authentiques syndicalistes ne sont plus là, les travaux peuvent reprendre derechef. Selon Catherine Simon : « Plus tard, tandis que les gros bras s’assurent le contrôle de la salle et que la police entoure le bâtiment, on fait voter à main levée le nouveau bureau du congrès. » Tout compte fait, après deux jours de palabre, le syndicat national des travailleurs se dote enfin d’une nouvelle direction. Celle-ci sera d’un soutien indéfectible au régime. En revanche, bien que le congrès soit faussé par l’intervention musclée du régime, les congressistes désignent, de la façon démocratique –version algérienne –le nouveau patron de l’UGTA en la personne de Rabah Djermane. Ce dernier est l’un des rescapés de l’ancienne équipe. Lui, il s’est rallié au dernier moment au régime. Car celui qui incarne le régime, Ahmed Ben Bella, ne pouvait pas tolérer une expression libre des autres Algériens. Et les récalcitrants peuvent le payer chèrement comme le signale le reporter de France-Soir, Edmond Bergheaud : « C’est le chef de l’État en personne, soucieux de briser un mouvement syndical en quête d’autonomie, qui aurait mis au point, avec Mohammed Khider, encore numéro un du FLN, ce scénario quasi maffieux. Avec, à la clé, un commando de trois cents benbellistes », spécialement amenés sur les lieux. » Cependant, ce coup de force ne s’arrête pas là. Il va se généraliser à toutes les localités. En effet, au niveau de chaque localité, les dirigeants du FLN s’accaparent les structures du syndicat. Dans un rapport critique, les chefs évincés de l’UGTA, Boualem Bourouiba et Mustapha Lassel, dénoncent les exactions des barbouzes en vue de prendre le contrôle des sièges locaux de l’UGTA. « C’est ainsi que les bureaux syndicaux élus ont été remplacés par des délégués désignés », s’indignent-ils. Pour conclure, il parait aller de soi que le rouleau compresseur a engrangé une victoire décisive sur le monde syndical. Cette victoire va en appeler d’autres. C’est ainsi que toutes les organisations de masse sont phagocytées. Soutenus par une armée obéissante, Ben Bella et Boumediene ont fait des Algériens des sujets proches du statut de l’« indigène ». Par Ait Benali Boubekeur

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11 janvier 2012 3 11 /01 /janvier /2012 11:27

image1111s.jpgLa prise du pouvoir, en 1962, par l’EMG (État-major général), commandé par Boumediene, va s’avérer catastrophique à tous les niveaux. En effet, le coup de force a vacillé sérieusement les fondements de l’État. Cependant, après le départ des Français, l’Algérie ne doit compter que sur ses enfants pour sortir du bourbier colonial. Or, le rapport entre gouvernants et gouvernés est d’emblée faussé par la propension des chefs militaires, soutenus par Ben Bella, à museler Algériens. Par ailleurs, bien que des coopérants soient venus en nombre pour aider la jeune nation, l’encadrement au sommet –c’est le moins que l’on puisse dire –est poreux. D’une façon générale, une fois l’effet de l’allégresse passé, les Algériens se réveillent avec une gueule de bois. Ils sont désabusés par les promesses d’une révolution au service de tous les Algériens. Tout compte fait, la course pour le pouvoir va décevoir plus d’un. Et le citoyen lambda se retrouve tout bonnement dépassé. En plus, que peut-il faire face à des dirigeants dont le seul discours est l’emploi de la force ? Hélas, cette voie ouvre la voie à tous les charlatans. Selon Catherine Simon, dans « Algérie, les années pieds-rouges » : « Durant les premiers mois d’après l’indépendance, le système D fleurit et ses adeptes prolifèrent. C’est le temps des « marsiens », ces soldats de la dernière heure, qui ont enfilé l’uniforme de l’ALN au moment du cessez-le-feu, le 19 mars. Les gangs de « marsiens » pullulent, s’improvisent coupeurs de route afin de voler les automobilistes. Ils ne sont pas les seuls faussaires qui défrayent la chronique. »

Quoi qu’il en soit, quand les nouveaux maitres de l’Algérie s’affairent à écarter des responsabilités les meilleurs fils de l’Algérie [ceux qui ont soutenu le GPRA lors de la crise de l’été 1962 sont écartés systématiquement], la base, dans toutes ses composantes, ne déroge pas à cette règle. Le plus fort impose sa loi au plus faible. Ainsi, la prise du pouvoir par la force va s’extrapoler à tous les domaines, notamment celui inhérent aux biens vacants. D’ailleurs, la gestion de ces biens immobiliers restera la tache noire du bilan des nouveaux dirigeants. Préoccupés par la course pour le pouvoir, ils laissent les Algériens désorganisés. En effet, à peine les pieds-noirs ont quitté leurs appartements, les nouveaux occupants sont déjà installés. La manière laisse pantois à en croire Catherine Simon : « Un coup de pied dans la porte, et hop !, nous étions chez nous », se rappelle Jean-Paul Ribes, décrivant la façon dont un militant du FLN, « un des responsables du quartier Belcourt », les a installés, à leur arrivée à Alger. » Cela dit, le fait de trouver un appartement ne signifie pas pour autant une installation définitive. L’une des pieds-rouges, ces Français de gauche venus en Algérie pour aider la jeune nation, Séverine Parraud, raconte son cauchemar en ces termes : « Au bout de quelques mois, un officier de police est arrivé, avec sa femme et ses gosses. Il nous a fait partir sous la menace d’un pistolet. » Cette histoire va se répéter inlassablement. Le comble c’est qu’à  prés de quarante d’intervalle, dans l’Algérie indépendante, un même cas se reproduira dans la daira d’Iferhounene. Un policier sans scrupule s’empare de la maison familiale pour vivre avec sa femme et sa belle mère. Comme quoi la mentalité n’a pas trop évolué. Bien que les Algériens se soient débarrassés du régime colonial violent, le nouveau régime en profite pour imposer une violence presque pareille.

Toutefois, dans l’anarchie des premiers mois de l’indépendance, les magouilles battent leur plein. Bien que les coopérants, les pieds-rouges comme les appelle Catherine Simon, soient pour la plupart animés d’une bonne foi, certains étrangers profitent de la confusion pour se frayer un chemin vers les postes qu’ils ne méritent pas. Pour étayer sa thèse, la correspondante du journal « Le Monde », dans les années 1960 et 1970, s’appuie sur des témoignages de ces pieds-rouges : « Le docteur Annette Roger se souvient d’un prétendu médecin, un « Ivoirien très sympathique, adoré des patients », qui n’avait, en réalité, que le niveau d’aide soignant… En aout, au moment où il fallait redémarrer l’activité du pavillon de chirurgien de l’hôpital Mustapha, le docteur Michel Martini se voit contraint, quant à lui, de mettre fin à la carrière d’un faux chirurgien belge. »   

Cependant, en ce début de la nouvelle ère, et pour ne pas mettre tout le monde dans le même sac, certains dirigeants pensent servir leur pays. Le président de l’Assemblée nationale constituante, Ferhat Abbas, n’est pas un homme qui mange à tous les râteliers. Un Ait Ahmed siégeant à la première assemblée n’est là que pour servir son pays. D’après ce qui se dit, Boumediene aime le pouvoir, mais il ne l’utilise pas pour s’enrichir. Mais ce n’est pas le cas de tous ceux qui gravitent autour du pouvoir. Selon Catherine Simon : « Ce ne sont ni les « bourgeois », français ou Algériens, ni le « peuple » qui profitent des bouleversements de l’été 1962, mais un troisième larron : la jeune caste de nouveaux riches, ayant de préférence oncle ou cousin dans l’armée, la fameuse petite bourgeoisie bureaucratique, expression qui fera florès. »  Partant, cette situation engendre des catégories et ce, à peine les cendres de la guerre sont éteintes. Pour la pied-rouge, Monique Laks, l’Algérie est scindée en deux. Il y a les pauvres d’un côté et les fonctionnaires de l’autre côté. « Ces derniers, qui ont pris, dès l’été 1962, la place des Français au sein de l’administration, « ont hérité peu ou prou des mêmes salaires », écrit Catherine Simon. Il faut attendre le 19 juin 1965, correspondant au coup d’État de Boumediene, pour que certains cadres du parti unique, exclus de l’appareil, dénoncent ces disparités. Ils révèlent alors qu’environ 8000 familles, liées d’une façon ou d’autre au régime, absorbent près de 40% du revenu national. Et depuis, cette différence ne cesse de s’exacerber. Aujourd’hui, dans certaines mairies, les agents monnayent leur service. Un acte de naissance aurait couté plus de 1000 dinars à citoyen de Tizi Ouzou. Quant à la justice, elle fonctionne à plusieurs vitesses. En effet, elle n’est efficace que lorsque la personne est influente. Dans l’affaire du policier déjà citée, le père de famille a déjà saisi la justice. Depuis 2007, celle-ci est incapable de trancher le litige.

Pour conclure, il va de soi que l’emploi de la force pour prendre le pouvoir a biaisé le jeu politique. En prenant les armes contre le régime colonial abhorré, les Algériens espérèrent recouvrer leur liberté mise en sourdine. Malheureusement, la coalition Ben Bella-Boumediene en décide autrement. Du coup, les Algériens héritent de deux violences : la violence coloniale et la violence du nouveau régime.       

Par Ait Benali Boubekeur         

 

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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 11:23

images222.jpgL’arrestation du chef de la zone IV (Algérois), Rabah Bitat, ainsi que l’ensemble du réseau FLN de la capitale, plongent les militants dans un désarroi indescriptible. Toutefois, la proximité de la capitale avec la zone III (Kabylie) facilite la tâche à Krim Belkacem afin de la prendre en charge. D’ailleurs, après le traquenard tendu à Bitat, il nomme aussitôt son adjoint en zone III, Amar Ouamrane, à la tête de la zone IV. Cela dit, cette décision unilatérale, à cette heure cruciale de la lutte,  ne vise nullement une quelconque hégémonie. En effet, la disparition précoce au maquis de Didouche, le 18 janvier 1955,  l’arrestation de Ben Boulaid en février 1955 suivie de celle de Bitat, le 16 mars 1955, fait que, sur les neuf chefs historiques, seuls Krim et Ben Mhidi sont à l’intérieur du pays. Or, l’éloignement du chef de l’Oranie ne permet pas la moindre concertation. Tout compte fait, Krim est donc le seul responsable pouvant procéder à des nominations de ce genre. Cependant, plus que la réorganisation militaire de la zone IV, l’arrivée d’Abane, dans la même période, va  incontestablement donner un second souffle au front.

Toutefois, bien que les «  allumeurs de la mèche » n’aient pas eu assez de temps pour organiser le parti, né le 23 octobre 1954, Abane décide de faire du FLN un grand rassemblement des Algériens soutenant sans vergogne leur armée de libération nationale (ALN). Pour qu’il n’y ait pas de malentendu sur la nature de la lutte, il invite, dans son premier tract de juin 1955, les Algériens à se solidariser avec le FLN et son bras armé, l’ALN : « Le FLN est l’œil et l’oreille de l’armée de libération nationale. Les militants du Front doivent faire l’impossible pour faciliter la tâche de l’armée sur tous les plans. Le renseignement doit être le premier travail de chaque élément du Front. Nos groupes armés ne peuvent agir avec succès que s’ils ont des renseignements précis. Le travail de recherche du renseignement doit aller de pair avec le travail de propagande journalier ».  Quoi qu’il en soit, la prise en main du FLN, par Abane, vise à priori à impliquer les Algériens dans leur propre révolution. Selon lui, cette entreprise ne pourrait être menée que si les Algériens adhéraient en masse au mouvement. En effet, pour Abane, cette période où il y avait une multitude de partis est révolue. D’ailleurs, cette situation a conduit à des luttes fratricides acharnées, notamment lors de la scission du PPA-MTLD fin 1953-début 1954. Du coup, cette voie a conduit indubitablement à l’impasse.

Par ailleurs, pour Abane, le FLN ne doit, en aucun cas, surtout en période de guerre, suivre cette voie. Dans le même tract, il lève l’imbroglio en rassurant les Algériens : « Le FLN n’est pas la reconstitution du MTLD. Le FLN est le rassemblement de toutes les énergies saines du peuple algérien. Le MTLD pensait que la libération de l’Algérie serait l’œuvre du parti. C’est faux. Le FLN, lui, affirme que la libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelle que soit son importance. C'est pourquoi le FLN tiendra toujours compte, dans sa lutte, de toutes les forces anticoloniales même si celles-ci échappent encore à son contrôle ». Bien que certains dirigeants de la délégation extérieure, notamment Ben Bella, n’aient pas la même conception du combat à mener –s’agit-il d’un combat d’un groupe ou celui de tout un peuple –, Abane déploie des efforts colossaux en vue de rapprocher les Algériens du Front. Cette démarche va être la pomme de discorde entre Abane et Ben Bella. Pour ce dernier, seuls les initiateurs de l’action armée peuvent parler au nom du FLN et de l’ALN.

D’une façon générale, en 1955,  l’heure est au rassemblement. Pour Abane, tous les Algériens doivent contribuer à l’édifice. Pour peu que le militant se reconnaisse dans le rassemblement se profilant, il peut prétendre, par la même occasion,  aux hautes responsabilités. Qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur, si le militant est engagé dans le front, il pourra parler en son nom. Il termine son premier tract en émettant, quand même, une condition à vouloir jouer ce rôle. « Que ceux qui veulent aussi avoir cet honneur, retroussent les manches et mettent les mains à la pâte. C’est à cette condition et à cette condition seulement que l’armée pourra peut-être les écouter », conclut-il son premier message aux Algériens. C’est ainsi qu’Abane arrivera à organiser l’union de toutes les forces politiques nationales sous le patronage du FLN, une année plus tard.    

Par Ait Benali Boubekeur         

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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 18:35

Ait-20ahmed.jpg« [Le hold-up de la poste d’Oran] profitera au mieux à Ahmed Ben Bella, à qui on attribuera pendant très longtemps, lui-même ne démentant pas ce récit, la totalité ou presque du mérité de son organisation et de sa mise en œuvre, notamment au détriment d’Ait Ahmed. D’où, pour partie, l’aura dont il bénéficiera plus que tout autre », Stora et de Rochebrune dans « La guerre d’Algérie vue par les Algériens ».

Dans une œuvre monumentale, les deux historiens reviennent sur un épisode, pourrait-on l’avouer, peu connu de l’histoire du mouvement national. Il s’agit bien sûr de l’attaque de la poste d’Oran en vue de financer les activités de l’organisation spéciale (OS), bras armé du PPA-MTLD. À la lecture de cet ouvrage, on comprend aisément que l’œuvre fut collective. Contrairement à ce qu’affirmera plus tard Ahmed Ben Bella, le mérite revient à l’ensemble des militants composant le commando jusqu’au  au chef national de l’OS de l’époque, Hocine Ait Ahmed. En effet, la préparation de l’opération remonte peu ou prou au début de l’année 1949. Bien que les membres du commando ne soient pas spécialistes de ce genre d’opération, le manque flagrant de moyens incite le chef de l’OS à trouver le financement nécessaire à son organisation et ce, en dehors du parti, le PPA-MTLD. Ainsi, deux ans après la création sa création, l’OS ne semble pas être la priorité du parti. En plus du manque de moyen dont souffre le parti, la création de l’OS a été plus une concession, lors du congrès de Belcourt en 1947, aux partisans de la ligne dure.  En tout cas, les ossistes n’ignorent pas le manque d’intérêt qu’éprouve le parti à leur égard. « Car ils manquent totalement de moyens pour développer leur organisation, chargée de préparer la lutte armée pour le jour où elle sera nécessaire, ou tout simplement possible, aux yeux des dirigeants du mouvement nationaliste », écrivent Stora et de Rochebrune.

Cependant, pour transcender ces difficultés, les militants activistes doivent, en ne comptant pas bien sûr sur le parti, résoudre eux-mêmes le problème crucial de financement. D’ailleurs, il n’est un secret de polichinelle que, d’une façon générale,  les caisses du parti ne sont pleines. Et l’argent disponible suffit à peine à financer les activités légales. Pour pallier ce manque, écrivent Stora et de Rochebrune, « Hocine Ait Ahmed, alors chef de l’OS à vingt-deux ans à peine, décide au tout début de 1949 lors d’une réunion avec ses principaux « lieutenants » qu’il est devenu impératif de trouver de l’argent pour éviter l’asphyxie du parti et surtout de son organisation paramilitaire. Comme il ne faut pas prendre trop de risques afin de préserver le secret qui entoure l’existence de l’OS, toujours inconnue des autorités coloniales, les activistes recherchent « le » gros coup ». Naturellement, l’opération doit rapporter beaucoup d’argents. Par ailleurs, vers la fin de janvier 1949, un inconnu des services de police, Ahmed Ben Bella, selon les deux historiens, chef de l’OS pour l’Oranie, « signale qu’un employé des PTT de sa région, Djelloul Nemiche, lui a donné des tuyaux sur deux coups envisageables au sein de l’administration où il travaille ». Et c’est là que s’arrête le grand rôle de Ben Bella. En fait,  Djelloul Nemiche a expliqué  que chaque premier lundi du mois, la poste d’Oran gardait, pour quelques heures seulement, des sommes importantes d’argent. La deuxième piste consistait, selon lui, à attaquer le train transportant des fonds en provenance de Colomb-Bechar. « Considérant que « nous ne sommes pas au Far West », selon le témoignage d’Ait Ahmed, les animateurs de l’OS décident sagement, si l’on peut dire, de s’en tenir au premier projet» notent les historiens. Le premier objectif est bien entendu l’attaque de la poste d’Oran.

Cependant, le chef national de l’OS, Hocine Ait Ahmed, tient à superviser l’opération. L’enjeu, pour lui, est double. D’un côté, il faut que l’opération réussisse. De l’autre côté, il ne faut pas que le parti coure le moindre risque. Assumant des hautes responsabilités au sein du parti, Ait Ahmed met au courant le secrétaire général du parti, Hocine Lahouel, du projet.  Selon Stora et de Rochebrune : « Grâce à l’appui décisif d’Hocine Lahouel, depuis peu numéro deux officiel du mouvement avec le titre tout juste créé de secrétaire général, le feu vert est donné par les rares responsables au courant. À condition, bien entendu, qu’on prenne toutes les précautions pour ne pas « mouiller » la structure légale des indépendantistes : les dirigeants comme Ait Ahmed, qui est aussi membre du bureau politique et du comité central du parti, ou Ben Bella, « patron » du MTLD pour l’Oranie, sont donc priés de ne pas participer directement à l’action ».

Toutefois, après avoir arrêté la date du hold-up au 1er mars 1949, Ait Ahmed part dès février à Oran. Connu sous le nom de guerre de Madjid, il veille, avec le concours de Ben Bella, au bon déroulement des préparatifs. Quoi qu’il en soit, la présence du chef national de l’OS est primordiale. Contrairement aux affirmations de Ben Bella se vantant que le hold-up c’était lui, les historiens, qu’il en déplaise à au natif de Maghnia, accordent une grande place au rôle d’Ait Ahmed et au chef du commando Boudjemaa Souidani. « Par chance, pour diriger le commando, un homme récemment installé à Oran, celui-là même qui héberge dans une villa du Faubourg Victor Hugo Ait Ahmed et Ben Bella quand il le faut, parait tout désigné. Boudjemaa Souidani, originaire de Guelma dans le Constantinois, a déjà prouvé qu’il avait le sens du commandement et les nerfs solides en tant que chef de l’OS pour la région de Philippeville, la future Skikda », écrivent Stora et de Rochebrune. En attendant le jour J, le commando doit observer le secret le plus total. Le recrutement des autres membres doit se faire discrètement. Surtout, le chef national de l’OS cherche des éléments fiables. Désignés pour scruter les alentours de la poste, Belhadj Bouchaib, un adjoint au maire d’Ain Témouchent et les frères Khettab (Lounès et Amar), ayant quitté la Kabylie pour leurs activités nationalistes, notent méticuleusement tous les mouvements. Pour Stora et de Rochebrune, ces militants « ont été proposés par Ben Bella avant d’être recrutés sur place après un « interrogatoire » par Ait Ahmed ».

Par ailleurs, avant le passage à l’action, Ben Bella doit quitter Oran. C’est ce qu’il fait le 28 février 1949. Quant à Ait Ahmed, il doit rester jusqu’à la veille de l’opération afin de mieux la superviser. Bien qu’il ne doive pas participer physiquement à l’attaque, Ait Ahmed accompagne les deux membres du commando pour qu’ils retrouvent le véhicule devant servir de moyen de transport pour le lendemain. Pour les historiens : « Ait Ahmed fait monter Bouchaib et Khidder [à ne pas confondre avec le député Mohammed Khider qui va prêter sa voiture au transport du butin] dans un taxi et s’en va prendre son train. Celui-ci l’amène le lendemain à Alger, où il a juste le temps de dire à Ben Bella, sur le départ, que l’opération a été mise sur les rails comme prévu et doit être sur le point d’être terminée à cette heure-là ». Depuis son arrivée à Alger, Ait Ahmed est préoccupé. Il demande à Hocine Lahouel d’appeler le responsable du PPA-MTLD à Oran, Hammou Boutlilis. Ce dernier affirme ne rien entendre de spécial pouvant retenir son attention. Dès son retour à Alger, c’est Ben Bella qui  va lever le suspense. Il explique alors les raisons de l’échec. Selon Stora et de Rochebrune : « Ait Ahmed à peine parti, Bouchaib et Khidder, soigneusement habillés et apprêtés à l’européenne ont bien pris le contrôle du taxi… Au petit matin, au moment de prendre la direction du centre-ville, quand Khidder a pris le volant, il est apparu que le véhicule était en bien mauvais état ». Cet incident mécanique va pousser les membres du commando à annuler l’opération.

Cependant, bien que l’opération n’ait pas lieu comme prévu,  pour le chef national de l’OS, Hocine Ait Ahmed, ce ratage ne doit pas impliquer l’annulation définitive de sa mise en œuvre. D’autant plus que la police n’a pas ouvert une enquête suite au vol de la voiture. Du coup, la date du hold-up est arrêtée pour le prochain premier lundi du mois, soit le 5 avril 1949.  Comme pour le mois précédent, Ait Ahmed regagne Oran. Cette fois-ci, il va encore davantage superviser l’opération. Bien que la reconstitution ait, quelque peu, posé problème, Ait Ahmed va réussir à trouver des éléments fiables. Le remplaçant,  suite à la défection de Mohamed Fellouh, un restaurateur de Mostaganem, est trouvé. Il s’agit d’Omar Haddad, un activiste connu pour son engagement nationaliste. En revanche, en dépit de la reconstitution du commando, Ait Ahmed doit faire face à la méfiance des taxis. Ils refusent uniment de faire des courses sans prendre des précautions extrêmes. Selon Stora et de Rochebrune : « Ait Ahmed doit improviser une solution de rechange. Il part, accompagné d’Omar Haddad, vers le centre-ville à la recherche d’un véhicule. Dans le quartier européen de la Buena de Dios, très tranquille à cette heure, il remarque, rue Alsace-Lorraine, une traction avant noire avec, sur le pare-brise, un macaron de médecin au nom de Pierre Moutier. C’est l’aubaine. Il suffira de téléphoner au docteur après avoir trouvé son numéro dans l’annuaire pour lui demander de venir soigner un enfant avant de lui tendre un piège… Ce que fait Ait Ahmed, qui va en personne, grimé en Européen (moustache postiche, fausses lunettes, béret basque bien enfoncé), chercher le praticien chez lui pour l’emmener jusqu’à un lieu de rendez-vous fixé entre-temps avec Bouchaib et Khidder. Il sera neutralisé par les deux hommes pistolet au poing ». Ainsi, le lendemain, à 7h45, le commando est sur place. L’un des membres du commando pénètre le premier dans la poste. Il cherche la permanence des télégrammes. Le but est bien évidemment d’occuper le télégraphiste. Cette idée est encore d’Ait Ahmed. Il s’est inspiré d’une publicité  anglaise. Écrit en anglais, ce télégramme consiste à passer une commande de tissu à une firme anglaise, sise à Manchester. Ne voyant que dalle, le télégraphiste ne fait pas attention aux autres membres du commando pénétrant dans la salle où est gardé l’argent. Bien que les membres du commando ramassent le maximum de billet se trouvant à leur disposition, le butin n’est pas énorme. Il est de 3178000 francs. Mais l’opération, sur le plan pratique, est une réussite. En tout cas, les nationalistes comptent bien préserver leur butin. Tout compte fait, pour le transférer à Alger, et afin d’éviter tous les risques, ils vont utiliser la voiture personnelle du député Mohmmed Khider. Grâce au macaron tricolore de l’élu, la voiture va arriver sans ambages à Alger. Cet argent, bien que ce soit un butin maigre, servira à financer les activités de l’OS. Pour conclure, il parait aller de soi que, dans  cet ouvrage de Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, le lecteur va trouver des détails impressionnants. Sur ce sujet de l’attaque de la poste d’Oran, sur une dizaine de pages, ils décrivent en détail d’autres éléments que je n’ai pas pu citer. En tout cas, après l’interview de mai dernier d’Ahmed Ben Bella à jeune Afrique, ce livre remet vraiment les pendules à l’heure.

Par Ait Benali Boubekeur                 

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31 décembre 2011 6 31 /12 /décembre /2011 14:12

images45.jpgLa défection des militants, le 1er novembre 1954, dans la région algéroise, met son responsable, Rabah Bitat, dans l’embarras. Pour les suppléer, le chef de la zone IV fait alors appel à Krim Belkacem, chef de la zone III, pour lui prêter main-forte. Bien que chaque chef de zone doive trouver des hommes et des armes en vue d’accomplir les attentats prévus à la veille de la Toussaint, Krim Belkacem charge son adjoint, Amar Ouamrane, de réunir quelque 200 hommes pour les mettre au service de Rabah Bitat. Ces hommes vont perpétrer des attentats à Boufarik et à Blida. Selon Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, dans « La guerre d’Algérie vue par les Algériens », un livre paru en septembre 2011: « Ouamrane s’interroge. Il est venu en renfort dans la Mitidja avec de nombreux maquisards kabyles pour que les opérations du jour J ne soient pas annulées dans cet endroit phare de la colonisation faute de combattants. Il juge sagement que l’idée de créer un maquis dans l’arrière-pays de la capitale, comme l’avait envisagé Bitat, le chef de la zone, est irréaliste pour le moment. D’autant qu’on ne sait pas ce qu’est devenu ce dernier, peut-être mort dans l’accrochage du 2 novembre ». En effet, depuis 1er novembre, le contact est rompu entre Ouamrane et Bitat. Ce dernier s’est retrouvé esseulé dans la forêt de Blida. Il est resté, grâce à l’aide un garde forestier, plusieurs jours sur place. Cette situation laisse Ouamrane perplexe. Après une mure réflexion, l’adjoint de Krim décide de rentrer dans le bercail. Les maquisards kabyles vont faire le trajet, environs 15O km, à pied et par petits groupes.

Cependant, de retour à Alger, Rabah Bitat découvre que le réseau algérois est décapité. Bien que les actions dans la capitale aient provoqué une réelle psychose, les services de sécurités coloniaux ont aussitôt lancé une vaste opération visant à arrêter les auteurs des attentats. Selon Stora et de Rochebrune : « En l’espace de moins de 10 jours après le 1er novembre, la totalité du réseau patiemment construit par Zoubir Bouadjadj est démantelé. Y compris les bases logistiques pour l’entrainement et la fabrication des bombes à Souma et Crescia dans l’arrière-pays. La plupart des activistes, à commencer par Bouadjadj lui-même dès le 5 novembre, sont appréhendés tout simplement à leur domicile le plus habituel. Merzougui, Belouizdad, les frères Kaci … Ils sont tous pris. Et ils vivront toute la guerre en prison ». Naturellement, pour créer un nouveau réseau, Rabah Bitat lorgne du côté des anciens militants du MTLD, de préférence  ceux qui ont fait partie de l’OS (Organisation spéciale). Pour ce faire, il reprend indirectement contact avec Belhadj Djelali, un ancien de l’OS. Ce que Bitat ignore c’est que ce dernier a été retourné par les services français. Arrêté en 1950 lorsque l’OS avait été démantelée, Belhadj Djelali a accepté de collaborer avec la DST sans que les nationalistes l’aient su.

À cause de ce réseau de collabos, les nationalistes tombent dans les filets l’un après l’autre. Heureusement que Bitat s’est retrouvé isolé dans la Mitidja. Ainsi, malgré l’acharnement des services français, aidés en cela par les collabos, le patron de la zone IV est introuvable. Du coup, sa priorité est indubitablement de retrouver un refuge sûr. Une fois les conditions sont réunies, il tâchera de reconstituer le nouveau réseau. Bien que ces hommes de confiance soient arrêtés, la révolution ne doit pas s’éteindre pour autant. Bitat se souvient alors d’une conversation qu’il a eue avec Bouadjadj avant le déclenchement de la révolution. Il lui a parlé d’un jeune motivé, en l’occurrence Yacef Saadi. Ce dernier, en attendant qu’on fasse appel à lui, a déjà constitué son groupe. Du coup, après le retour de Bitat dans la capitale, il se lance à la recherche de ce jeune dont on a loué tant de courage. Au bout de trois semaines, après les actions du 1er novembre, Yacef reçoit une visite dans le magasin familial, situé à la Casbah. Le visiteur, Abdellah Kéchida, relate les difficultés que rencontre la nouvelle organisation, le FLN. Il lui explique que le chef algérois, Rabah Bitat, souhaite le rencontrer.

D’emblée, le courant passe très bien entre les deux hommes. « Bitat, qui estime que l’urgent est de rétablir le contact avec les autres responsables du FLN, commence par utiliser Yacef Saadi comme agent de liaison. D’abord pour communiquer début décembre avec ses adjoints de l’Algérois, Souidani, que le boulanger activiste [Yacef Saadi] rencontre à Boufarik, et Bouchaib  », écrivent Stora et de Rochebrune.  Dans la foulée, Bitat cherche à renouer le contact avec les autres chefs de zones. Car, avant de se séparer le 23 octobre 1954, les six chefs historiques ont prévu une réunion de bilan pour janvier 1955. Et c’est là que les services français rentrent en jeu. Belhadj Djelali, se disant représentant de la délégation extérieure, propose à Bitat une rencontre à Alger. Il veut réunir tous les chefs du FLN en vue de les livrer à la police française. Le pseudo envoyé de l’extérieur fixe un rendez-vous à Bitat le 16 mars 1955. Bien que ce dernier ait demandé à Krim et Ouamrane de prendre part à la rencontre, par prudence, Krim a refusé. Ce jour-là, Bitat se trouve en face de Belhadj et à des policiers français n’hésitant pas un instant à l’arrêter. Il passera le restant de la guerre en prison.   

Par Ait Benali Boubekeur

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 21:33

imagesCA7PRIFD.jpgLes manœuvres, pour désigner le successeur de Boumediene en 1979, donnent lieu, et c’est le moins que l’on puisse dire, à une lutte sans pitié. En effet, la mort prématuré de Houari Boumediene, survenue le 27 décembre 1978, a pris de court la nomenklatura. Pendant son agonie, qui a duré à peu près trois mois, chaque clan essaie de tirer ses marrons du feu. À peine l’oraison funèbre, prononcée par Abdelaziz Bouteflika, est dite que les éventuels successeurs sont prêts à livrer la bataille. Cela dit, bien que les statuts du parti soient en faveur du responsable du FLN, Mohamed Salah Yahiaoui, le chef des services secrets de l’époque, Kasdi Merbah, avait concocté un plan à part. Selon Hocine Malti, dans « Histoire secrète du pétrole algérien » : « On savait que dès qu’ils furent convaincus que Houari Boumediene était condamné, alors même qu’il se trouvait encore à Moscou [hospitalisé du 29 septembre au 14 novembre 1978], les membres du Conseil de la révolution avaient engagé d’intenses tractations en vue de la succession. Deux hommes, représentant deux tendances politico-économiques différentes, s’étaient portés candidats : Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, et Mohamed Salah Yahiaoui, coordinateur du FLN ».   

Quoi qu’il en soit, dans cette compétition en dehors  du peuple, celui qui est choisi candidat sera forcément élu. En d’autres termes, la désignation d’un candidat implique par ricochet sa victoire lors du prochain scrutin. En effet, une fois les vrais décideurs auront opté pour leur président, et dans le souci de maintenir une démocratie de façade, ils le proposeront enfin à l’approbation du peuple. Du coup, la surenchère pour choisir le candidat, en ce mois de décembre 1978, est à son apogée. Néanmoins, aux deux candidatures déjà citées, il y a une troisième, celle du chef des services secrets, Kasdi Merbah. Bien que ne pouvant pas la déclarer ouvertement, dans la réalité, selon Hocine Malti, il y pense fortement. « Dès le mois de novembre, Kasdi Merbah, patron de la Sécurité militaire depuis 1962, avait pris en effet une initiative qui sera lourde de conséquences. Sans l’avouer ni l’annoncer publiquement, il aurait aimé, lui aussi, succéder à son ancien chef. Il fut néanmoins assez sage pour ne pas tenter d’organiser un coup d’État », écrit-il.  

Cependant, pour imposer un homme sans envergure, Kasdi Merbah, avec le concours de son adjoint Nourredine Yazid Zerhouni, élimine de la course les deux candidats potentiels, Bouteflika et Yahiaoui. Bien que leur appartenance au groupe d’Oujda, ayant écarté le GPRA d’assumer les destinées politique du pays en 1962, leur ouvre la voie à la succession, le chef de la sécurité militaire se projette dans l’après premier mandat du futur chef d’État. Il est plus facile, pense-t-il, d’écarter un malléable qu’un homme voulant à tout prix devenir président. Ainsi, sans les manœuvres de Kasdi Merbah, le pouvoir serait revenu à Bouteflika ou à Yahiaoui. Pour le premier candidat cité, sa relation privilégiée avec Boumediene, estime-t-il, est suffisante pour qu’il accède à cette fonction suprême. Il considère, selon Hocine Malti, que « le groupe d’Oujda s’apparentait à une monarchie, au sein de laquelle il était le dauphin naturel auquel le souverain disparu avait laissé le trône en héritage ». Quant à Mohamed Salah Yahiaoui, il revendique son droit de succession en invoquant son statut de membre du Conseil de la révolution et son grade de colonel. En tout cas, pour Hocine Malti, Yahiaoui  possède un avantage de taille : « En tant que coordinateur du FLN, il contrôlait non seulement le parti unique, mais aussi toutes les organisations de masse, dont le Syndicat UGTA (Union générale des travailleurs algériens) et l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne). Il jouissait donc du soutien de ces organisations, mais aussi de celui des communistes du PASG clandestin, futur MDS ».

Cependant, Kasdi Merbah, dont l’ambition présidentielle ne fait aucun doute  et ce, bien qu’elle soit tempérée par son entourage, envisage la succession autrement. Pour garder ces chances intactes pour la prochaine mandature, il opte pour le colonel Chadli Bendjedid. Son calcul est ainsi résumé par Hocine Malti : « Encore fallait-il, dans ce cas-là, que le titulaire du poste qui allait être choisi fût facile à manœuvrer et qu’il puisse être délogé sans difficulté. Or, ni Bouteflika ni Yahiaoui ne correspondaient à ce critère ». En revanche, le colonel Chadli, n’ayant jamais affiché une quelconque ambition pour la fonction, parait un candidat idéal. Pour Hocine Malti, le chef de la 2e région militaire depuis 1964 répond aux critères recherchés par Kasdi Merbah : « Son âge relativement avancé –il avait 49 ans –, son éloignement du centre de décision d’Alger, son ignorance présumée de la chose politique, son indolence et le peu d’ardeur avec laquelle il avait assumé sa responsabilité de chef de région en faisait un candidat idéal ».

Toutefois, pour le placer à la tête de l’État, Kasdi Merbah ne lésine pas sur les moyens à employer. Ainsi, pendant l’agonie de Boumediene, Kasdi Merbah a nommé Chadli Bendjedid, en novembre 1978, coordinateur de l’armée. Pour parer à un éventuel remue-ménage, il invoqua son âge et son ancienneté dans l’armée.  Après l’élimination des deux candidats potentiels, Chadli va bénéficier d’un appui important, celui du colonel Abdelghani, chef de la région de Constantine. Partant, celui qui deviendra son futur premier ministre mène une campagne auprès de ses collègues militaires, mais aussi auprès des cadres civils du FLN. Lors du 4e congrès du FLN, le choix de Chadli est quasi total. De toute façon, les dés furent pipés bien avant. La suite consiste à jouer la partition. «  En janvier, le choix du congrès se porta  effectivement sur le nom de Chadli Bendjedid, qui fut présenté comme unique candidat au suffrage des Algériens. Il fut élu président de la République, le 7 février 1979, avec un score de 94% ». Il va de soi, en somme, que le choix de cette candidature n’a pas obéi aux intérêts de la nation. Cette façon d’isoler le peuple de toutes les décisions concernant son avenir va plonger le pays dans une crise abyssale. Hélas, aujourd’hui encore, l’avenir de l’Algérie se décide sans tenir compte de ce peuple malheureux.  

Par Ait Benali Boubekeur   

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 15:22

imagelavals.jpgL’occupation de la France en juin 1940 donne l’occasion aux adversaires de la République de prendre leur revanche. L’acharnement d’un homme, en l’occurrence Pierre Laval, par ces coups successifs d’estocade, parvient à provoquer la mort de la IIIème  République française. En effet, son  éviction du pouvoir en janvier 1936 lui a laissé un gout amer. Ce communiste passant à la droite dure ne jure que par une éventuelle revanche. Cependant, à la faveur des événements de juin 1940, où l’armée allemande, en rouleau compresseur, a écrasé l’armée française, Pierre Laval se trouve derechef propulsé sur la scène politique. Malgré l’occupation étrangère, ce partisan de la droite conservatrice ne pense qu’à précipiter la mise à mort d’une République déjà grabataire.

Dans une analyse richement instructive, Michèle Cointet, professeure à l’université de Tours, décortique le rôle décisif de Pierre Laval dans la désignation du maréchal Pétain à la tête de l’État français. Il note à ce propos : « Déjà, à Bordeaux, au début du mois de juin 1940, il a aidé le maréchal à vaincre toute opposition à la signature de l’armistice. » En guise de récompense, le maréchal le désigne vice-président du Conseil. Un poste qu’il sous-estime bien sûr. Pierre Laval convoite le prestigieux ministère des Affaires étrangères. Or le passé de Laval ne plaide pas pour une telle désignation. En effet, dans le but de ne pas froisser les relations avec les Anglais, le général Weygand s’oppose à cette nomination.

Cela dit, bien qu’il n’obtienne pas le poste escompté, Pierre Laval ne baisse pas les bras non plus. Pour y parvenir à ses fins, il s’appuie sur un homme de confiance du maréchal Pétain, le juriste Raphael Alibert. Ce juriste, qui est apprécié pour ses compétences en la matière, participe à l’élaboration des textes juridiques faisant du maréchal le seul homme fort de la nation. Cette machination désintègre l’État et donne un coup de massue à la République. « Alors que Pétain aurait pu rester Président du Conseil, Laval et Alibert élaborent un scénario à la fin du mois de juin : les parlementaires donneront à Pétain la mission de refaire la constitution, en vertu de quoi Alibert publiera des actes constitutionnels qui donnent tous au chef et suppriment la République », écrit l’historienne dans une contribution à Marianne intitulée « Les grandes manœuvres de M. Laval ».

Cependant, au départ, les intrigues ont du mal à réussir. Tous les députés et les sénateurs ne sont pas d’accord pour que la République meure. Pour convaincre les récalcitrants, Pierre Laval déploie des efforts incommensurables. En mêlant la persuasion à la menace, il trouve une idée ingénieuse : séparer les députés des sénateurs. Ainsi, à leur arrivée le 3 juillet, il s’arrange pour que les députés soient installés au Casino des Fleurs et les sénateurs à la salle des Sociétés médicales. En plus de cela, il les prive d’accéder facilement aux nouvelles. Il veut rester le seul maitre de l’information. Il donne prioritairement les informations alarmantes. Ainsi, en jouant sur la fibre patriotique, il n’hésite pas à haranguer les parlementaires sur le bombardement anglais de la base navale de Mers-el-Kébir, prés d’Oran. Bien que les Anglais l’aient fait pour que les nazis ne s’emparent pas de la flotte maritime, les parlementaires ne peuvent pas le savoir. Suite à cet incident, certains veulent accorder rapidement les pleins pouvoirs à Pétain.

Sur un autre plan, l’architecte du nouveau régime ne lésine pas sur les promesses. Selon Michèle Cointet, il développe un discours rassurant auprès des parlementaires : « l’indemnité parlementaire sera maintenue et la questure leur versera immédiatement une aide exceptionnelle et deux mois d’avance », promet-il. Du coup, les ralliements s’enchainent. Le plus spectaculaire est celui du ministre de l’Économie du gouvernement du Front populaire, le socialiste Charles Spinasse. Selon l’historienne : « Devant ces camarades, Spinasse justifie sa conversion. Il se frappe la poitrine, confessant qu’il a trop cru à la réalisation d’un idéal inaccessible. Il remercie Dieu d’avoir donné Pétain à la France ».

Par ailleurs, avant que le vote ait lieu, Pierre Laval est déstabilisé par l’arrivée surprise du député Pierre Étienne Flandin, un partisan du régime républicain. Bien qu’il ne conteste pas le principe de l’accession du maréchal Pétain aux responsabilités suprêmes, le député Flandin souhaite que Pétain soit désigné Président de la République, et ce, après avoir demandé au Président Lebrun de démissionner. Or, ce dernier refuse catégoriquement de céder sa place. Par conséquent, le député se range aux côtés de Laval. Quant aux parlementaires les plus téméraires, Pierre Laval recourt à la menace. Selon Michèle Cointet : « Laval répète qu’avec la peur on peut tout faire, car les hommes sont lâches. À Jules Moch, l’ancien ministre du Front populaire, Marquet, maire néo socialiste de Bordeaux et ministre de l’Intérieur complice de Laval, conseille d’être absent le jour du vote. Sinon, il pourrait « [lui] en cuire ».

Toutefois, aux multiples menaces, Pierre Laval répand l’information selon laquelle le général Weygand [celui qui l’a empêché de devenir ministre des Affaires étrangères] prépare un coup d’État. Pour lui, ce putsch va plonger la France dans un désordre inouï. Partant, en jouant sur la peur, il presse les parlementaires à vote pour que l’ordre revienne rapidement. À défaut de quoi, menace-t-il, ce sont les Allemands qui l’imposeront. Ainsi, le 10 juillet, les travaux de l’Assemblée nationale s’ouvrent sous la houlette de Pierre Laval. Selon l’historienne : « Laval monopolise la scène, brandit une lettre dans laquelle Pétain lui exprime sa confiance. Après le discours de Flandin –le seul autorisé –, il enlace l’orateur qui vient de prononcer un vibrant adieu à la République ». Après cela, les parlementaires passent au vote. 569 voix sur 649 accordent les pleins pouvoirs à Pétain. Le lendemain, le complice de Laval, Alibert, publie deux  actes constitutionnels dans le journal officiel. L’un concerne la suppression de la présidence de la République. Le second est inhérent à la dissolution des deux chambres, le parlement et le sénat. Ce régime qui n’a pas de nom va durer cinq ans. En somme, grâce au mouvement de la résistance et en s’appuyant sur les colonies, le général de Gaulle libérera la France des nazis et de leurs collaborateurs.

Par Ait Benali Boubekeur             

 

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