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2 août 2015 7 02 /08 /août /2015 09:13
L’accord du 2 août 1962 : un consensus fragile

Après la proclamation du bureau politique (BP), à Tlemcen, le 22 juillet 1962, par la coalition benbelliste, les inquiétudes des politiques, notamment Ben Bella et Khider, face à la noria militaire de leur propre camp, sont palpables. En effet, si l’Etat-major général (EMG), dirigé par Houari Boumediene, « désire ruiner l’autorité du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) et du CNRA (conseil national de la révolution algérienne) et ne voit plus leur raison d’être maintenant que la victoire est là », pour reprendre les termes de Mohamed Harbi, il n’en est pas de même des deux chefs civils déjà cités. Car, bien que le chef de l’EMG reste, pour le moment, en retrait, dans les coulisses, c’est lui qui dirige tout. Et cela n’échappe pas aux observateurs.

En tout cas, c’est dans ce contexte alambiqué que les deux chefs historiques, Ben Bella et Khider, se rapprochent des chefs de wilayas historiques hostiles au BP. Ce compromis intervient le 2 août 1962. Ces chefs civils sont-ils pour autant prêts à partager le pouvoir ? Ce n’est pas sûr à en croire Mohamed Harbi. Pour lui, « la tactique est d’obliger l’adversaire à reculer, sans le provoquer outre mesure». A-vrai-dire, cette stratégie consiste à atténuer l’emprise de l’EMG. « Ce n’est pas exclu si l’on admet qu’un des mobiles de l’accord du 2 aout était justement la crainte de voir l’état-major devenir la pièce maitresse de la coalition benbelliste », argue-t-il. En effet, il n’est pas dans l’intention de Ben Bella de céder la moindre parcelle de pouvoir à ses détracteurs. Bien que l’accord du 2 août, intervenu entre le groupe de Tlemcen et le groupe de Tizi Ouzou, soit porteur d’espoir, les intentions hégémoniques de la coalition Benbelliste transforment cet espoir en illusion.

Et pour cause ! Malgré l’acceptation de Mohamed Boudiaf d’intégrer le BP –accord trouvé lors de la rencontre entre Krim Belkacen, Mohand Oulhadj pour le compte du groupe de Tizi Ouzou et Rabah Bitat, Mohamed Khider pour le compte du groupe de Tlemcen –, et dont la mission est de préparer les élections à l’Assemblée nationale constituante et la session du CNRA, la coalition benbelliste ne joue pas le jeu. « Et ce fut donc le parti de Ben Bella qui à lui seul commença à fabriquer les listes. Mais, pour se concilier les wilaya(s), le bureau politique les avait laissé intervenir dans la désignation des candidats. Or les régions contrôlées par les wilaya(s) 2, 3 et 4, rétives ou hostiles, représentaient près des deux tiers des candidats à élire. Le bureau politique risquait donc d’avoir sur les bras une assemblée où ses opposants seraient majoritaires », souligne Gilbert Meynier.

Doté d’une force de feu largement supérieure à celle des maquis intérieurs, le chef de l’EMG siffle la fin de la récréation. Pour lui, les tractations ont assez duré. Dans la foulée, cela provoque aussi la démission de Boudiaf du BP, le 25 août 1962. A partir de là, les choses vont se précipiter. « Vers le 28, les chefs militaires de la coalition benbelliste se réunissent à Bou-Saâda et décident de forcer les portes d’Alger et de n’accepter aucun compromis », note Mohamed Harbi. Enfin, la fin du coup de force n’intervient que le 9 septembre avec la neutralisation des wilayas hostiles au BP. Ecrasant tout sur son passage, l’armée des frontières cause la mort d’un millier d’Algériens. C’est le prix du sang pour prendre le pouvoir. Et quand Ben Bella parle de la victoire du peuple, l’éminent historien algérien, qui, de surcroît, était un de ses conseillers en 1962, rétablit la vérité en écrivant : « Ce n’était pas vrai. Le Bureau politique a triomphé grâce aux troupes de l’état-major. Et si Ben Bella voulait l’ignorer, la réalité viendra frapper sans cesse à sa porte pour le lui rappeler, jusqu’au jour fatidique du 19 juin 1965 ».

Pour conclure, il va de soi que l’élimination du GPRA, instance légitime de la révolution algérienne, ouvre la voie aux aventuriers. D’ailleurs, l’alliance entre l’EMG et les trois chefs historiques, Ben Bella, Khider et Bitat, s’est faite contre le GPRA. Mais, quand on accepte de faire partie des putschistes, le pouvoir risque de changer de main très vite. Cela devient effectif à partir de juin 1965.

Ait Benali Boubekeur

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25 juillet 2015 6 25 /07 /juillet /2015 09:01
La position de Hocine Ait Ahmed lors de la crise de l’été 1962: le souci permanent du respect de la démocratie.

La propension de la coalition Ben Bella-Boumediene à s’emparer du pouvoir –ce processus a commencé bien avant la fin de la guerre –met leurs adversaires politiques devant le fait accompli. Du coup, deux groupes antagonistes se forment. L’un est dirigé par les deux hommes forts du moment, Ben Bella et Boumediene, appelé « groupe de Tlemcen » et l’autre regroupant les deux chefs historiques, Krim Belkacem et Mohammed Boudiaf, appelé « groupe de Tizi Ouzou ».

Bien que ce dernier s’oppose au coup de force du premier, notamment après la proclamation illégale du bureau politique le 22 juillet 1962 à Tlemcen, il n’en reste pas moins que l’épreuve de force risque de prolonger le drame du peuple algérien sans, pour autant, avoir la garantie de parvenir à instaurer la véritable démocratie.

Hélas, les historiens retiennent de cette période–pas tous évidemment –l’affrontement entre ces deux groupes. Car, au même moment, deux grands dirigeants, Sâad Dahlab et Hocine Ait Ahmed, se distinguent par leur refus de participer à la guerre fratricide. Ainsi, au moment où certains dirigeants aiguisent leurs coteaux, ces deux grandes figures du nationalisme algérien se retirent des organismes dirigeants provisoires. D’ailleurs, s’ils sont appelés provisoires, c’est parce que ce mandat n’a pas été entériné par les Algériens.

Toutefois, si Sâad Dahlab démissionne dans le but de « sauvegarder le prestige de la révolution » en se retirant définitivement de la vie politique, il n’en est pas de même du chef charismatique, Hocine Ait Ahmed. Pour ce dernier, la sauvegarde des acquis de la révolution ne peut se concrétiser qu’en exhortant les deux groupes à cesser les hostilités, et ce, afin que les Algériens puissent élire leurs représentants.

En plus, ces combats n’ont aucun sens dans la mesure où quelques jours plus tôt le peuple algérien s’est prononcé pour son autodétermination. Et s’il l’a fait pour déterminer son avenir, pourquoi le groupe de Tlemcen –sous prétexte que son chef contrôle les effectifs militaires –le priverait-il de son droit de choisir librement sers dirigeants ?

Pour Hocine Ait Ahmed, tout mandat qui ne provient pas du peuple est illégal. « La solution doit résider dans un recours au verdict du peuple. Provisoirement, le peuple s’est prononcé, et c’est lui qui a raison, pour le départ de tous les dirigeants », déclare-t-il le 25 juillet 1962, lors d’une conférence de presse annonçant sa démission de tous les organismes dirigeants de la révolution algérienne.

Hélas, cette voie de sagesse n’a pas été suivie. En voyant les portes du pouvoir grandes ouvertes, certains dirigeants ont oublié les sacrifices du peuple algérien pendant les huit années de guerre sans pitié.

Pour conclure, il va de soi que la légitimité d’un dirigeant est intimement liée au mandat qu’il reçoit de ses concitoyens. À ce titre, le régime algérien, issu du coup de force de l’été 1962, ne peut pas se prévaloir de ce principe. Malheureusement, en 1962, il n’y avait pas beaucoup de sagesse s’associant à celles de Hocine Ait Ahmed et de Sâad Dahlab pour mettre en valeur le processus démocratique. Résultat des courses : 53 ans après l’indépendance, le pouvoir politique échappe carrément au contrôle du peuple.

Aït Benali Boubekeur

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23 juillet 2015 4 23 /07 /juillet /2015 19:50
Quelques échanges avec un internaute à propos de mon texte : le coup de force du groupe de Tlemcen.

Commentaire de Si Afif!

Si Boubekeur, vous avez tout faux ou presque.

A supposer qu’après le départ de certains ministres, il y avait toujours le quorum pour prendre une décision, vous savez pertinemment que la majorité statutaire exigée était impossible à obtenir puisqu’elle était de deux tiers. Par conséquent, c’est cette majorité statutaire qui posait problème et non les majoritaires du CNRA.

Fallait-il alors, faute de majorité statutaire, laisser le statu-quo, c’est-à-dire un GPRA minoritaire. Non, ce n’est pas logique et indigne de continuer à exercer le pouvoir tout en étant minoritaires (une tradition dans ce pays : Nahkem Ouella Nharram).

En effet, il y avait bien une majorité qui n’était pas statutaire certes, mais qui l’était puisqu’elle dépassait la majorité absolue et en face, il y avait une minorité. Normalement, cette dernière aurait dû se plier à la majorité et éviter un bain de sang au peuple algérien et le désastre qui s’en est suivi.

Par ailleurs, vous dites que formellement, il n’y a pas eu de vote et qu’il ne s’agissait que d’intentions. Mais, qu’avons-nous constaté lors de la crise de l’été 1962 sur le terrain : en juillet, 4 wilayas sur six, la W1sous la direction de Tahar Zbiri, la W2 avec Larbi Berredjem, la W5 avec Othamne et la W6 avec Chaâbani ont soutenu les majoritaires du CNRA, et une seule la W3 et le Comité directeur de la Fédé de France avec Mohand Ou El Hadj et Omar Boudaoud qui ont soutenu les minoritaires. La base de la Fédé de France était partagée, les benbellistes étant dirigés par Saâd Absi, futur Président de l’Amicale des Algériens en France. Par conséquent, sur le terrain, le Bureau Politique était nettement majoritaire.

Après le compromis du 2 août entre le BP et le Groupe de Tizi, la W4 qui était neutre en juillet a mis le feu aux poudres en s’opposant seule au BP, et c’est à partir de cette rebellion que les affrontements ont eu lieu et des morts à déplorer alors qu’en juillet, il n’y avait eu que peu d’affrontement armés.

En conclusion, la crise de l’eté 1962 est un coup de force de la minorité du CNRA qui a mal tourné pour eux, vu le rapport de forces interwilayas, et qui, surtout, a permis aux militaristes de s’entraîner pour les futurs coups de force, au grand malheur du peuple algérien. Ce n’est M° Ali Haroun, le juriste, qui va soutenir le contraire, Maâza Ou Law Tarat.

Mon commentaire : @ Si Afif!
Je ne crois pas que vous ayez compris le sens de ma contribution. Pour moi, tous les organismes étaient provisoires. Du coup, la lutte pour le pouvoir était injuste. Il fallait attendre l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour que les Algériens puissent élire leurs réels représentants. Du coup, que ce soit le groupe de Tlemcen ou celui de Tizi Ouzou, le résultat reste, pour moi, inchangé. Cela dit,à la simple lecture des statuts de la révolution algérienne, il suffit que les membres majoritaires convoquent le CNRA pour que la séance soit provoquée. Celle-ci a été convoquée le 20 juillet au mépris des statuts. Le 22, le BP se déclare habilité à assumer le pouvoir en s’appuyant sur la majorité imaginaire. Cela s’appelle le coup de force constitutionnel. En plus, son rôle devait se limiter à gérer la période de transition. Or, les vainqueurs n’avaient pas l’intention de lâcher les rênes du pouvoir. Et c’est là où se situe l’usurpation du pouvoir. Si vous pouvez démontrer l’inverse, on aimerait bien que vous nous fassiez la démonstration.

Commentaire Si Afif !

Si Boubekeur, si nous deux on ne s’entend pas, ce serait la bonne démonstration de la crise de 1962, c’est-à-dire que chacun campe sur ses positions jusqu’à ce que la violence y mette un terme.

Je ne vais revenir sur ma précédente démonstration à laquelle je n’ai rien à ajouter, sauf si vous voulez qu’on fasse le décompte des voix du CNRA de mai 1962 largement favorable à la composition du BP de Ben Bella.

Si vous voulez, on peut imaginer d’autres hypothèses avec des « si » : et là, lorsque je pense que, si on avait intégré Krim au niveau du BP et c’est tout à fait légitime compte du critère de l’historicité admis par tous avec un BP composé des six historiques rescapés et de Ben Alla, la majorité des deux tiers aurait été largement acquise. Pour ce motif et pour moi, Ben Bella a voulu la confrontation en refusant Krim et il est grandement responsable de cette crise nationale. Et je n’ignore pas que derrière ce refus obstiné, il y avait Boumediene, car Ben Bella était de nature consensuelle.

Par ailleurs, je vous livre un complément d’information que vous ignorez peut-être. D’abord une remarque : provisoires ou définitives, les instances de la Révolution devaient être légitimes, la légitimité ne pouvant provenir que du CNRA.

Information : Ben Bella ne voulait absolument pas qu’un centraliste du PPA qui était à l’origine opposé au 1er Niovembre entre à Alger en champion de l’indépendance, encore moins un udémiste comme Ferhat Abbas. Pour lui, Ben Khedda et Ferhat n’étaient qu’une vitrine pour la Révolution à remiser au moment de l’indépendance, ce moment historique devant revenir à ses initiateurs véritables.

Un autre « si » : l’Armée des frontières n’avait plus lieu d’être après l’indépendance. Normalement, elle aurait dû se fondre dans les wilayas d’origine. Or, c’est exactement le contraire qui a eu lieu. Et là Ben Bella n’est pas seul responsable, les autres dirigeants n’ayant pas exigé une telle refonte.

En tout état de cause, la légitimité de Ben Bella au moment de la crise de l’été 1962, entraîne sa responsabilité écrasante dans le désastre du pays et de son mauvais départ. Sa légitimité n’a pas été utile pour un bon départ, bien au contraire

Mon commentaire !

@ Si Afif !

C’est normal que nous ne soyons pas d’accord. Vous voulez transformer un coup de force militaire en acte démocratique. D’ailleurs, Ben Bella n’a-t-il pas déclaré, le 4 septembre 1962, que c’est grâce au peuple que le BP a triomphé.

Et au risque de vous choquer, il n’y a aucune chance pour que vous puissiez me convaincre de la légalité de la proclamation du BP, le 22 juillet 1962. En plus, en ce qui me concerne, je me contente de constater les faits. Du coup, je ne vais pas chercher non plus à vous convaincre.

À vrai dire, l’histoire a déterminé clairement les responsabilités des uns et des autres. On ne va pas refaire indéfiniment l’histoire. Les PV des réunions sont disponibles et consultables. Celui du 7 juin que j’ai entre les mains mentionne 39 noms, dont 9 pour les wilayas III et IV historiques.

Si on dit que les voix des mandataires, à la réunion de Tripoli, ne reflètent pas leur choix réel –on dit que Said Yazourene s’est vengé contre Krim –, on peut dire que les signataires ne disposent même pas de majorité simple.

Cependant, pour surmonter la crise, les représentants de la wilaya III ont fait une proposition à Ben Bella, le 17 juillet 1962. En contrepartie de l’acceptation du BP, ils ont demandé le remplacement de Mohammedi Said par Krim Belkacem.

Ceci dit, à s’y intéresser de plus près à cette affaire, la proclamation du BP n’est que le résultat d’une machination remontant à 1961 lorsque Ben Bella a accepté d’être porté au pouvoir par l’armée et non par la volonté populaire.

Hélas, bien que les faits soient indéniables, les partisans de Ben Bella refusent d’admettre cette vérité. Un de mes amis me dit souvent que Ben Bella voulait surtout sauver l’Algérie de la militarisation du système politique. Personnellement, je ne crois pas à cette approche. Pour moi, Ben Bella aimait, autant que Boumediene, le pouvoir.

Tous les deux ont concentré entre leurs mains, lors de l’exercice de leur fonction, les mêmes pouvoirs. Mais, si vous estimez le contraire, vous y avez le droit de le penser. Bien que je puisse débattre avec vous, je vous le dis clairement : mon opinion sur la crise de l’été 1962 a été faite depuis des lustres. Donc, il n’y aucune chance pour que vous parveniez à me convaincre.

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21 juillet 2015 2 21 /07 /juillet /2015 19:33
22 juillet 1962 : le coup de force du groupe de Tlemcen.

« Conscients de leurs responsabilités, ils évitaient ainsi d’ouvrir une crise politique grave qui aurait pu servir de prétexte souhaité dans divers milieux pour empêcher la proclamation de l’indépendance de l’Algérie », extrait de la proclamation du bureau politique (BP) du 22 juillet 1962, à Tlemcen.

Apparemment, ce qui retient le duo Ben Bella-Boumediene de passer à l’offensive est sa crainte de voir la France annuler le referendum de l’autodétermination du peuple algérien, prévu le 1er juillet 1962. Une fois cet obstacle est franchi, l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene, n’en ferait qu’une bouchée des maquisards intérieurs. Partant, dès le 3 juillet, date de la proclamation de l’indépendance, l’armée des frontières, sous la houlette de Boumediene, se déploie en vue de conquérir le pouvoir. « C’était des troupes fraiches et bien armées, à la différence des junuds des maquis. Quelques escarmouches ne tardèrent pas à les opposer, qui firent les premières victimes de cette nouvelle guerre algéro-algérienne. Mais il s’en produisit relativement peu : les hommes voulaient la paix, surtout les junuds de l’Intérieur qui n’étaient pas vraiment prêts à mourir pour le GPRA», écrit Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ».

Toutefois, pour justifier leur passage en force, c’est-à-dire en proclamant, au mépris des statuts du FLN et des institutions provisoires de la République algérienne, la coalition Ben Bella-Boumediene s’appuie sur un procès-verbal, rédigé le 7 juin 1962, à Tripoli. Pour rappel, ce sont les insanités proférées par Ben Bella à l’encontre de Ben Khedda, président en exercice du GPRA, qui ont provoqué, le 5 juin 1962, la rupture des travaux de la cession du CNRA (conseil national de la révolution algérienne). L’atmosphère n’étant pas favorable à la reprise de la séance plénière, les congressistes se sont séparés.

Du coup, bien que le nouveau bureau politique transforme plus tard les intentions des congressistes en élection, force est de reconnaitre qu’aucun vote n’a été organisé. En fait, il existait bien une commission de sondage, dirigée par Mohammed Seddik Benyahia. Celle-ci avait pour mission de présenter, le jour du vote, une liste consensuelle. Est-ce que la commission a été au bout de sa mission ? Le lendemain de l’altercation entre Ben Bella et Ben Khedda, soit le 6 juin 1962, les rapporteurs de la commission de sondage ont noté ceci : « Nous avons le triste devoir de vous informer que nous avons échoué dans notre mission. »

Et pourtant, c’est en s’appuyant sur les résultats de la commission Benyahia que le BP de Tlemcen argue son intronisation, un mois et demi plus tard. « Les membres majoritaires du CNRA, conscients de la gravité du moment, décident de mettre en application la résolution concernant la désignation du Bureau Politique, telle qu’elle résulte du rapport du 6 juin 1962 de la commission désignée à cet effet », maquillent-ils le coup de force d’un vernis de la légalité. Pour y parvenir à ses fins, la coalition Ben Bella-Boumediene ne recule devant rien, y compris le mensonge. Pour elle, c’est le départ de « certains ministres du GPRA » qui a bloqué la poursuite des travaux du CNRA, d’autant plus que le quorum était largement atteint ce jour-là.

Or, comme le démontre Ali Haroun, dans « l’été de la discorde », le quorum étant atteint, « il appartenait à tout membre du CNRA –et tout spécialement aux signataires de cette résolution –de demander au bureau la poursuite des débats et, au besoin l’exiger. Le quorum atteint, toute décision régulièrement prise par l’assemblée plénière aurait été parfaitement opposable à tous, y compris aux absents qui n’auraient pas obtempéré pour réintégrer la session. »

Dans ces conditions, si le groupe de Tlemcen tenait à la légalité, pourquoi éviterait-il de convoquer ce fameux CNRA ? D’après les spécialistes de la question, le groupe de Tlemcen n’avait pas la majorité. Pour l’ancien responsable de la fédération de France du FLN, un simple décompte des voix prouve que le groupe de Tlemcen ne dispose même pas de majorité simple, loin des deux tiers exigés dans les statuts du FLN et des institutions de la révolution algérienne. « Les signataires du procès-verbal du 7 juin 1962 sont au nombre de 39 (parmi ces voix, on compte 5 de la wilaya III et 4 de la wilaya I. Sur le terrain, faut-il le rappeler, ces deux wilayas sont les plus opposées au coup de force.)», écrit-il.

Tout compte fait, à l’examen de ces éléments, il va de soi que la décision de créer un bureau politique –sans se soumettre aux statuts de la révolution algérienne –est d’une illégalité flagrante. À moins que, pour le groupe de Tlemcen, la légalité soit un costume que l’on ressort dans une occasion particulière et que l’on remise aussitôt au placard. Par conséquent, bien que l’on puisse reprocher au GPRA des défauts et des carences, la reconnaissance dont il jouit sur la scène internationale –le GPRA est reconnu par la plupart des gouvernements –lui donnerait plus de légitimité à gérer la période de transition si parmi les révolutionnaires il n’y avait pas des comploteurs. Hélas, cette malédiction va poursuivre, pour longtemps, le peuple algérien. C’est comme si ce peuple est condamné à vivre assujetti, d’abord sous la domination coloniale pendant 132 ans et ensuite sous celle des nationaux.

Aït Benali Boubekeur

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28 juin 2015 7 28 /06 /juin /2015 12:23
Le 55e anniversaire de la première négociation officielle à Melun.

À la suite de la rencontre élyséenne du 10 juin 1960, entre le chef de la wilaya IV historique et le général de Gaulle, le président français se résout enfin à négocier avec le seul représentant du peuple algérien en lute, le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne). Et pour cause ! Bien que ses hôtes veuillent mettre fin à la lutte armée, ils n’envisagent pas d’accord politique sans l’aval du GPRA ou sans l’avis favorable des chefs historiques emprisonnés à la Santé. D’après Gilbert Meynier, c’est cette attitude des maquisards de l’Algérois qui convainc définitivement le général de Gaulle « sur la réalité du leadership du Front : c’était bien le GPRA qui était maître du jeu ».

En tout cas, c’est dans ce climat de décantation concernant la représentativité du GPRA que s’ouvrent les premières négociations directes entre les représentants algériens et leurs homologues français, à Melun, du 26 au 29 juin 1960. Cela dit, les positions sont tellement éloignées que la délégation algérienne, représentée par Ahmed Boumendjel et Mohammed-Seddik Benyahia, met fin à la rencontre. Car malgré l’évolution du discours du général de Gaulle, ses représentants en sont toujours à l’offre de « la paix des braves ».

Pour rappel, cette proposition a été faite deux ans plus tôt par le général de Gaulle invitant les combattants du FLN à rendre les armes. Dans la réalité, même si le discours a évolué, il n’en est pas de même des intentions. « Le général de Gaulle n’avait jamais promis de négocier autre chose que la fin des combats », écrit Matthew Connelly, dans « l’arme secrète du FLN : comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie. »

Quoi qu’il en soit, bien que les deux parties fassent preuve de vouloir conclure un accord de paix, les conditions –et c’est le moins que l’on puisse dire –ne s’y prêtent pas. Entre le préalable de l’indépendance avancé par le GPRA et l’exigence française d’un cessez-le-feu suivi de l’élection des représentants algériens avec lesquels la France voudrait négocier, l’écart est insurmontable. Mais, pour prouver leur bonne foi, aucune partie ne pouvait refuser le principe des rencontres bilatérales.

Du coup, chaque délégation cherche à piéger son homologue. « [Roger] Moris fut frappé par l’intérêt de ses interlocuteurs pour une éventuelle rencontre entre [Ferhat] Abbas et de Gaulle comme reconnaissance implicite du GPRA qu’il exploiterait sur le plan diplomatique », argue Matthew Connelly. De son côté, les délégués français annoncent à la presse que la présence des délégués algériens est synonyme de leur acceptation du plan préconisé par l’Élysée.

Dans le fond, cette façon « peu orthodoxe » de mener la négociation montre bien qu’aucune délégation n’a les coudées franches. En effet, le général de Gaulle est contraint de composer avec la coalition ultras-militaires de carrière et le GPRA vient à peine de sortir d’une crise qui l’a paralysé durant six mois. Tout compte fait, si le général de Gaulle a réussi à vaincre ses opposants en recourant aux référendums populaires de janvier 1961 et avril 1962, le GPRA, quant à lui, perd de plus en plus de pouvoir au profit de l’EMG (état-major général), dirigé par Houari Boumediene. Et s’il est autorisé à mener les négociations, c’est parce que ses opposants, à en croire Gilbert Meynier, sont incapables de mener une telle mission.

Pour conclure, il va de soi que cette première rencontre officielle ne pouvait pas donner lieu à des accords politiques dans la mesure où les positions des uns et des autres étaient inconciliables. Toutefois, malgré le chantage interne, le GPRA parvient à engranger des points sur la scène internationale. D’ailleurs, la victoire militaire étant une chimère, chaque soutien international à l’action du GPRA le rapproche de la victoire sur le système colonial. Hélas, cette victoire ne va pas profiter au peuple algérien, car, à la même période, l’EMG prépare déjà son plan consistant à se substituer au système vaincu.

Aït Benali Boubekeur

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19 juin 2015 5 19 /06 /juin /2015 17:25
Les premiers guillotinés de la guerre d’Algérie : les cas de Ferradj et Zabana.

« Dès lors qu’on avait arrêté quelqu’un, il fallait qu’il soit coupable. Quand une bombe avait éclaté, si on attrapait un type et qu’on trouvait qu’il avait la tête du client, on ne s’en embarrassait pas plus », témoignage de Jean-Claude Périer, membre du conseil supérieur de la magistrature (CSM) en 1956.

De façon générale, sous la IVeme République, 142 Algériens sont guillotinés. Les 80 autres subiront le même sort après le retour du général de Gaulle au pouvoir, en juin 1958. Ces exécutions arbitraires commencent un certain 19 juin 1956. Les premières victimes sont Abdelkader Ferradj Ben Moussa et Ahmed Zabana (inscrit Ahmed Zahana dans le dossier du CSM).

Bien que ce dernier soit connu des services de police pour son engagement politique au sein du PPA-MTLD (parti du peuple algérien-mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), le premier est un inconnu des services jusqu’à ce qu’il soit arrêté pour la mise à feu d’une maison des colons, le 7 mars 1956. Quant à Ahmed Zabana, grièvement blessé au moment de son arrestation, il lui a été reproché sa participation à l’attaque d’une maison forestière, le 4 novembre 1954.

De plus, l’engagement révolutionnaire de Ferradj, selon plusieurs témoignages, est sujet à caution. « Pour son supérieur, le capitaine Martini, Ferradj donnait satisfaction et rien ne laissait prévoir qu’il était en liaison avec des hors-la-loi. Les autorités de son village, en revanche, estiment qu’il est anti-français, de mauvaise tenue et aime semer le désordre et la panique », écrivent François Mayle et Benjamin Stora, dans « François Mitterrand et la guerre d’Algérie ».

Cela dit, au bénéfice du doute et quand tenu de l’état de santé de Zabana –monseigneur Duval parle de l’exécution d’un infirme –, la condamnation à mort est antinomique avec les principes républicains voire avec l’esprit de l’état de droit. Or, pour la France, l’année 1956 est l’année où la République vacille sous les coups d’estocades des ultras. « Une justice soumise à une terrible pression des européens d’Algérie, des militaires, des tribunaux d’exception installés à la suite de la promulgation des décrets d’application des pouvoirs spéciaux, mais une justice qui a décidé d’entrer en guerre à son tour. Et son arme, c’est la guillotine », écrivent-ils.

Dans ce cas, le débat au sein du CSM est biaisé par le chantage permanent du lobby colonial pour que le gouvernement frappe très fort. Bien que le CSM soit collégial, deux personnages importants –François Mitterrand, ministre de la Justice et René Coty, président de la République –veillent à ce que les décisions ne déstabilisent pas la République. Selon les deux historiens, « sur quarante-cinq dossiers d’exécutés lors de son passage place Vendôme, François Mitterrand ne donne que huit avis favorables à la grâce (…) On peut le dire autrement : dans 80% des cas connus, il a voté la mort. » Et tout ça, pour ne pas avoir à dos les ultras qui ont, pour rappel, humilié le président du Conseil quatre mois plus tôt à Alger.

Pour conclure, il va de soi que les premières exécutions, le 19 juin 1956, représentent un clin d’œil aux ultras. Ainsi, malgré les engagements électoraux de Guy Mollet en faveur de la paix en Algérie, à son arrivée au pouvoir, il change littéralement de cap. En fait, tout commence lors de la journée des tomates, le 6 février 1956, quand le président du Conseil s’illustre par son recul face au chantage des ultras. Dans la foulée, les choses vont s’accélérer à travers le vote des pouvoirs spéciaux en mars 1956, les exécutions en juin 1956 et enfin le rapt aérien de la délégation extérieure du FLN en octobre de la même année.

Pour ces raisons, on peut dire que Guy Mollet n’a pas respecté le mandat que les métropolitains lui ont confié. Mais, sous la IVeme République, un président de Conseil peut-il se mesurer à la coalition ultras-militaires de carrière ? En tout cas, à chaque fois que l’un d’eux suggère une voie libérale, sa chute survient aussitôt. Du coup, toutes les mesures tendant à rassurer les ultras sont de nature à prolonger la durée de vie de leurs gouvernements.

Aït Benali Boubekeur

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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 18:19
Bref rappel de l’affaire Si Salah

Le 10 juin 1960 a lieu une rencontre entre le conseil de la wilaya IV historique, conduit par son chef Salah Zaamoum, et le général de Gaulle. Mise à part l’histoire officielle qui n’en fait nullement mention, cette affaire donne lieu à deux versions antinomiques. La première, de surcroit simpliste, fait état de la trahison pure et simple du conseil de la W4 et l’autre, plus raisonnable, relate les faits en les rapprochant autant que faire se peut de la réalité.

De toute évidence, bien que le discours du 16 septembre 1959 –où le général de Gaulle parle du droit du peuple algérien à l’autodétermination –ait un poids considérable dans le processus de la prise de décision, il n’en demeure pas moins que les raisons sont davantage endogènes à la révolution algérienne. En fait, la mésentente entre le conseil de la W4 et l’organisation extérieure atteint son paroxysme vers janvier 1960.

Lors du conseil de wilaya, Si Salah reproche amèrement au GPRA son mutisme aux appels de détresse qui lui sont lancés par les maquisards de l’intérieur. Dans un rapport rédigé par Boualem Seghir, les chefs de la W4 dressent un tableau noir de la situation. « Le peuple a trop souffert… Le peuple est en voie de nous abandonner », constatent-ils. Selon Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN », « ce fut à qui fulminerait le mieux contre le GPRA et les planqués de l’extérieur qui avaient abandonné les combattants à leur triste sort. »

Cependant, à l’époque des faits, la révolution vit au rythme d’une crise interne sans précédent. En effet, sous le règne des 3B (Belkacem Krim, Abdelhafid Boussouf et Abdellah Bentobbal), la révolution allait à vau-l’eau. Cela dit, bien que les organismes issus du CNRA (16 décembre 1959 – 18 janvier 1960), lui-même précédé de la réunion des dix colonels (11 aout – 16 décembre 1959), soient un pur dosage entre les forces en présence, une décision capitale est tout de même prise : le retour des forces combattantes, stationnées aux frontières marocaine et tunisienne, à l’intérieur du pays. Ce qui correspond, de façon sous-jacente, aux desiderata des combattants intérieurs.

Hélas, le CNRA commet une erreur irréversible en confiant le commandement militaire unifié à Houari Boumediene. Alors que les maquis de l’intérieur sont pris en étau, le chef de l’état-major général se projette dans l’après-guerre. Du coup, ne voyant rien venir, le conseil de la W4 revient à la charge, en mars 1960, en accusant les chefs extérieurs d’opportunistes. « Les vieux griefs contre Boumediene le voleur d’armes resurgirent à propos d’un contingent de 17000 armes promises à la 4 et qui auraient été accaparées par la 5 et l’armée des frontières du Maroc », écrit Gilbert Meynier.

Ce sont, sans doute, ces divergences internes qui ont motivé les combattants de la W4 de se rendre à l’Élysée en vue de rencontrer le général de Gaulle. « Nous ne voulons plus que notre million de martyrs serve de slogan publicitaire… en connaissance de cause et en qualité de responsables des combattants, il nous est plus permis de laisser mourir un seul algérien en plus. Dans l’intérêt supérieur du peuple et de l’armée de libération, il est urgent de cesser le combat militaire pour entrer dans la bataille politique », écrivent les membres du conseil de la W4.

Enfin, dans son ultime tentative d’infléchir la position du GPRA, Si Salah écrit une lettre, le 15 avril 1960, dans laquelle il se montre intransigeant. « Vous avez interrompu radicalement tout acheminement de compagnie et de matériel de guerre depuis 1958… Nous ne pouvons plus en aucune manière assister les bras croisés à l’anéantissement progressif de notre chère ALN », écrit-il.

Concomitamment à ces remontrances, le conseil de la W4 noue des contacts avec des responsables français. Prenant les choses au sérieux, le général de Gaulle envoie deux émissaires : Bernard Tricot et le colonel Mathon. Après moult conciliabules, ces rencontres aboutissent à la rencontre du 10 juin 1960 à l’Élysée. Enfin, bien qu’ils jugent leur démarche responsable, les chefs de la W4 demandent à ce que leur accord soit soumis au GPRA ou à l’approbation des chefs historiques emprisonnés.

Pour conclure, il va de soi qu’une action séparée, dans un mouvement de libération nationale, est improductive. Cela dit, si jamais une telle action devait être condamnée, il faudrait condamner les causes qui l’ont produite. Enfin, s’il y a un point sur lequel les membres du conseil de la W4 ne sont pas trompés, c’est la mise à nue du système militarisé se profilant à la fin de la guerre. Du coup, condamner de façon simpliste leur action revient à cautionner l’emprise du groupe de militaires sur la souveraineté nationale.

Ait Benali Boubekeur

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4 juin 2015 4 04 /06 /juin /2015 17:37
Quand Alger définissait la politique de la France.

Dans la foulée de son retour au pouvoir, le général de Gaulle réserve son premier voyage, le 4 juin 1958, à la ville qui a permis sa renaissance politique, en l’occurrence Alger. En effet, un mois plus tôt, une alliance entre des militaires de carrière –qui détiennent les pleins pouvoirs depuis le 7 janvier 1957 –et les ultras achevait la quatrième République déjà évanescente.

Toutefois, la comparaison entre l’auteur de l’appel du 18 juin 1940 et ces fanatiques s’arrête à leur répugnance au régime des partis. Ainsi, bien que la classe politique française ne s’oppose pas frontalement au retour du général de Gaulle aux responsabilités, ses alliés de circonstance n’ont pas lâché la pression jusqu’à ce que son investiture, le 1er juin 1958, devienne effective. Évoquant celle-ci, Pierre Mendès France la qualifiera, plus tard, de « vote contraint par l’insurrection et la menace de coup d’État ».

Dans le contexte de l’époque, la question qui se pose légitimement est de savoir comment le général de Gaulle gérerait cette situation alambiquée ? De toute évidence, bien qu’il ne partage pas la vision politique de la coalition militaires-ultras, le général de Gaulle doit composer avec les hommes forts d’Alger. Et comme son espace de manœuvre est exigu, il avance ses pions habilement.

Lors de son premier voyage en Algérie, entamé le 4 juin à Alger et achevé le 6 juin à Mostaganem, il piège les ultras en portant un projet d’égalité entre tous les habitants d’Algérie. « Je prends acte au nom de la France et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière », déclare-t-il au balcon du gouvernement général à Alger. Malgré l’hostilité des colons, il déclare la même chose à Mostaganem.

Du coup, une semaine après le retour du général de Gaulle aux affaires, le mouvement lancé en mai 1958 est quasiment fissuré. En fait, la déception des colons commence à l’instant où le général de Gaulle prononce le mot égalité entre les habitants de l’Algérie. Or, s’il y a une idée constante chez colons, et ce, depuis l’instauration du système colonial, c’est de combattre sans vergogne toute amélioration du statut des « indigènes ». Le sort réservé au statut de septembre 1947 en témoigne de leur rejet de toute réforme. Et portant, ce dernier est inégalitaire dans la mesure où une voix des leurs est équivaut à neuf voix autochtones.

Dans ces conditions, l’épreuve de force est uniment inévitable. Cela dit, en n’ayant pas les moyens, dans les premiers mois, de réduire leur influence, le général de Gaulle adopte une stratégie prudente envers la coalition d’Alger. En d’autres termes, ne pouvant pas engager le bras de fer, il s’attelle, à court terme, à renforcer son pouvoir en élaborant une nouvelle constitution. Celle-ci consacre d’ailleurs le régime présidentiel. Dans son article 16, le chef de l’État assume, en cas de crise, les pleins pouvoirs. D’ailleurs, lors de la tentative de coup d’État en avril 1961, le général de Gaulle en fera usage. Enfin, bien que les ultras ne lâchent pas du lest jusqu’à l’ultime instant, le général de Gaulle va réussir à déjouer leurs plans diaboliques en s’appuyant sur le soutien du peuple français, consulté constamment par référendum.

En guise de conclusion, il est évident que la visite présidentielle constitue le vrai test en vue d’évaluer le poids de chaque groupe. Bien que les ultras attendent qu’il soit leur tête d’affiche, le général de Gaulle n’est pas l’homme à qui on dicte la conduite. Du coup, l’alliance entre les ultras et de Gaulle ne résiste ne tient pas un mois. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la victoire de ligne gaullienne permet à la France de retrouver sa grandeur en permettant aux peuples colonisés de recouvrer leur liberté. Sont-ils pour autant libres ? En Algérie, le débat se pose sérieusement.

Ait Benali Boubekeur

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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 21:01
La demande de repentance cache-t-elle un calcul politique?

À chaque célébration d’un événement historique, le débat sur la repentance resurgit. Bien évidemment, ce dernier est généralement animé par des officiels. Et pourtant, cette page a été tournée par les révolutionnaires dès 1954. Un couplet de l’hymne national ne dit-il pas que « le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. » Que vaut alors l’agitation des décideurs en ces circonstances ? Pour l’historien Daho Djerbal, « nous devons faire cette histoire pour nous-mêmes. C’est-à-dire, qu’il faut mettre en parole, verbaliser, publier, travailler, se rencontrer autour de ces questions et se demander : que sommes-nous devenus ? » Hélas, tant que ceux qui s’accrochent à la fausse légitimité historique –d’ailleurs même si ces gens ont le mérite de participer à la guerre, cela leur donne-t-il le droit d’avoir une mainmise sur le pays –sont aux responsabilités, on ne risque pas de vivre ces moments où les Algériens les débattront sans tabou.

En tout état de cause, si la condamnation du fait colonial ne doit souffrir d’aucune ambigüité, il n’en est pas de même quand elle est utilisée à des fins politiques. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fait de s’accrocher à cet argument explique l’échec de la politique postindépendance. Alors que plus de ¾ de la population est née après la guerre, il est répréhensible de faire diversion en invoquant à chaque fois les crimes coloniaux pour justifier le maintien de la même équipe au pouvoir depuis 1962. Et qui plus est, cette revendication émane des dirigeants n’hésitant pas à s’installer en France. D’après le récent livre sur la relation entre Paris et Alger, les investissements algériens en métropole s’élèveraient à environ 50M$. Inutile de rappeler que les plus grandes fortunes viennent de la soi-disant famille révolutionnaire.

Toutefois, il suffit de réaliser un sondage, en Algérie, sur cette question pour savoir que la majorité du peuple ne se préoccupe pas de ce volet. En revanche, elle devrait attendre que la promesse de novembre, relative à l’État démocratique et social, devienne enfin une réalité. Hélas, en privant le peuple algérien de se donner lui-même ses représentants, le régime est redevable devant l’histoire. D’ailleurs, si les Algériens doivent demander des comptes, leur question serait à peu près la suivante : puisque vous avez gouverné depuis 1962 sans partage, qu’avez-vous fait de notre indépendance ? De la même manière, comment voulez-vous que les jeunes désœuvrés réclament la repentance, alors qu’à chaque visite d’un président français, en Algérie, ils réclament des visas? Pire encore, l’un des plus virulents chantres de cette fameuse repentance, en l’occurrence Cherif Abbas, coule des jours paisibles à Lyon.

Pour conclure, il va de soi que la question de repentance perd tout son sens quand elle est exploitée par des politiques. Personnellement, j’ai été étonné de lire le grand historien Daho Djerbal dire que cette revendication n’est pas essentielle. Or, les dirigeants ressassent tellement cette rengaine, comme si l’Algérie est incapable de tourner cette page. Et pourtant, la promesse était de rompre avec ce système inique et, une fois l’indépendance recouvrée, de bâtir un État de droit. Malheureusement, après 53 ans d’indépendance, la seconde partie de la promesse est loin d’être concrétisée. Et pour cause ! Lors des différents classements internationaux, l’Algérie est à la queue du peloton dans tous les domaines. En plus, alors que de nombreux compatriotes ont du mal à finir les fins de mois, des dirigeants et leurs proches –sans qu’ils aient créé des entreprises productrices de richesses –se permettent d’acheter de luxueux appartements dans la meilleure ville du monde, Paris. Est-ce pour ça que les meilleurs fils de l’Algérie se sont-ils sacrifiés? Enfin si les Algériens veulent leur rendre le plus grand hommage, c’est en premier lieu de ne pas trahir leur cause, et ce, quelle que soit la motivation : financière, de prestige ou autre.

Ait Benali Boubekeur

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8 mai 2015 5 08 /05 /mai /2015 10:52
Le 8 mai 1945 en Algérie : complot colonialiste ou plan insurrectionnel ?

« Le monde doit savoir que la nation algérienne existe, malgré les dénégations françaises, qu’elle veut liberté et indépendance et qu’elle revendique son emblème », extrait du livre d’Annie-Rey Goldzeigueur, dans « aux origines de la guerre d’Algérie ».

De façon générale, si toute la période coloniale s’est reposée sur un véritable quiproquo, comme dirait Charles Robert Ageron, en 1945, le malentendu atteint son point culminant. En effet, au moment où toute la planète s’apprête à retrouver une liberté dangereusement menacée par Hitler, il est tout à fait normal que le peuple algérien veuille la même chose. D’autant plus que deux ans plus tôt, les représentants « indigènes » –notamment les plus modérés, dont la tête d’affiche est Ferhat Abbas –ont subordonné leur participation à l’effort de guerre en contrepartie de concessions substantielles. D’ailleurs, à la fin du conflit, la conférence de San Francisco ne donne-t-elle pas raison aux mouvements anticolonialistes en décrétant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

Toutefois, pour que les revendications algériennes soient entendues, les modérés créent une organisation politique, appelée les amis du manifeste et de la liberté (AML), en mars 1944. En un laps de temps record, les AML fédèrent les courants nationalistes. « La direction s’étoffe donc pour répondre à l’afflux des adhésions (500000 environ). Ferhat Abbas s’adjoint Ibrahimi des Oulémas. Le PPA délègue Hocine Asselah pour accompagner Abbas dans ses tournées de propagande dans tout le pays », écrit l’éminente historienne. Cela dit, à partir du moment où les modérés acceptent le principe d’ouverture, la ligne politique ne peut pas rester figée. Du coup, au congrès des AML en mars 1945, les modérés sont mis uniment en minorité. Bien qu’ils ne quittent pas le mouvement qu’ils ont créé une année plus tôt, désormais, son orientation leur échappe totalement ou peu s’en faut.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rassemblement national commence à inquiéter les autorités coloniales. Ainsi, en dépit de la ferveur mondiale pour la liberté, ces dernières s’activent en vue de court-circuiter la dynamique nationaliste. Celui qui est s’occupe de ce plan machiavélique est Pierre-René Gazagne, haut fonctionnaire du gouvernement général. Le plan Gazagne consiste alors à provoquer les nationalistes pour leur asséner un coup fatal. « Attendre une infraction pour les atteindre, et il assure que plus de cinquante cadres nationalistes ont été ainsi arrêtés et neutralisés », témoigne le haut fonctionnaire en 1946.

Du coup, en réagissant à la déportation de Messali Hadj, à Brazzaville, les militants du PPA, devenus entre-temps l’ossature des AML, décident d’investir la rue, « en marge de la tradition fête syndicale », pour réclamer la libération du père fondateur du projet indépendantiste. Dans toutes les grandes villes, à l’instar d’Alger, d’Oran ou de Blida, pour ne citer que les principales, les nationalistes algériens défilent. Là où s’est possible, ils se joignent au cortège de la CGT. Ainsi, en plus des revendications habituelles, pour la première fois, ils sortent le drapeau national. Si, dans les petites villes, les manifestations se terminent sans grands heurts, il n’en est pas de même des deux principales villes, Alger et Oran. Selon une enquête d’Henri Alleg, pour la journée du 1er mai 1945, sept manifestants ont laissé leur vie ce jour-là.

En tout cas, conformément au plan Gazagne, « les autorités saisissent l’occasion pour frapper avec vigueur et décapiter le PPA qui vient de faire preuve de son aptitude à mobiliser les masses algériennes et à les encadrer. Les arrestations « préventives » dans l’Oranie, l’Algérois et à Constantine permettent de démanteler les organisations locales et obligent les militants à se camoufler, rendant aléatoire les liaisons avec la direction », note l’historienne. Partant, c’est avec une grande vigilance que les AML s’apprêtent à célébrer l’armistice, sauf à Alger et à Oran où la répression est encore vivace.

En revanche, dans les villes où les manifestations n’ont pas dégénéré, les AML veulent montrer à la face du monde le désir des Algériens à vivre sans tutelle. En tout état de cause, dans toutes les manifestations, il est recommandé que les drapeaux alliés soient fièrement brandis. De la même manière, il est aussi recommandé de sortir l’emblème national. À la veille de l’armistice, à en croire Annie-Rey Goldzeigueur, la section locale des AML de Sétif reçoit des ordres précis : « la manifestation pacifique du 8 mai doit se dérouler sans armes (même pas un canif), mais les slogans doivent apparaître sur les banderoles et le drapeau algérien doit être brandi au milieu des drapeaux alliés », écrit-elle.

Quoi qu’il en soit, bien que les instructions soient respectées par les manifestants, il n’en demeure pas moins que les autorités coloniales s’en tiennent au plan préalablement défini par Gazagne. A Sétif, le 8 mai 1945, dès l’apparition du drapeau algérien, les policiers exigent son retrait. Voilà comment Annie-Rey Goldzeigueur raconte cet instant fatidique : « Vous savez combien le drapeau est sacré [répond le porte-drapeau] et quand il est sorti, il n’est plus question de le remiser. Lorsque les policiers ont voulu le saisir, ils se heurtent à un véritable rempart humain. C’est ainsi que la fusillade éclate. » Il commence alors un déchainement de violence sans commune mesure. À la suite d’une période de pacification de deux mois, le général Duval promet une paix de dix ans.

Pour conclure, il va de soi que les autorités coloniales n’avaient pas d’arguments à opposer aux aspirations de liberté des Algériens. Et qui plus est, « les indigènes» ont grandement contribué à la libération de la métropole. Hélas, le sentiment de la grandeur de l’empire l’emporte sur l’idéal de liberté. Pour garder ce vaste territoire, il fallait mettre en œuvre un plan diabolique. Qu’en est-il 70 ans plus tard ? La version selon laquelle les autorités coloniales ont déjoué un plan insurrectionnel est la plus répandue. Faux, écrit Annie-Rey Goldzeigueur. « Comment le PPA pouvait-il lancer une insurrection alors que ses rangs étaient éclaircis par les arrestations et que son leader était déporté en un lieu très lointain ? Quant aux AML, s’ils avaient décidé d’une action révolutionnaire, Ferhat Abbas et le docteur Saadane se seraient-ils laissés arrêter au gouvernement général, le 8 mai au matin », s’interroge l’éminente historienne.

Ait Benali Boubekeur

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