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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 23:11
Il y a 60 ans, Alger fait vaciller la IVeme République.

La démocratie parlementaire est indubitablement le régime le plus représentatif des forces politiques nationales. Mais, ces régimes se caractérisent aussi par leur instabilité. Et si jamais ils sont confrontés à des crises profondes, le pouvoir se retrouve pris en otage par les forces les plus audacieuses pour ne pas dire les plus réactionnaires.

Pour conjurer le sort, vers la fin de l’année 1955, les forces de gauches françaises se rassemblent derrière la candidature de Guy Mollet, le représentant de la SFIO (section française de l’internationale socialiste). Le 2 janvier 1956, les Français donnent la majorité au parti de Guy Mollet. Tout au long de la campagne électorale, le débat sur l’Algérie occupe la part du lion. À chacune de ses sorties, le chef de file des socialistes affirme qu’il mettra fin à la « guerre imbécile » en Algérie.

Cependant, bien que l’idée de « lâcher l’Algérie » n’effleure même pas le nouvel exécutif, une mesure en particulier, en l’occurrence le rappel du gouverneur général, prise juste après l’investiture de Guy Mollet, le 1er février 1956, est perçue, par les ultras notamment, comme un signe de bradage de l’Algérie. Ce qui est évidemment loin d’être vrai. Et pour cause ! Le triptyque que compte mettre en œuvre le président du Conseil –cessez-le-feu, élections et négociation –n’est ni plus ni moins que la demande de reddition des chefs insurrectionnels.

Mais, au lendemain de sa prise de ses fonctions, il commet, selon les ultras, une erreur lourde de conséquences : le rappel de l’ancien secrétaire général du RPF –le parti du général de Gaulle –et l’inventeur du concept de l’Algérie française, le gouverneur général Jacques Soustelle. Pire encore, il envisage de le remplacer par l’ennemi juré des colons, le général Catroux, le bradeur de l’Empire.

Du coup, la réaction du lobby colonial ne se fait pas attendre. Tout commence à Paris. « Répartition des tâches : Faivre et Achiary regagnent Alger, pour préparer les réunions des anciens combattants et rameuter d’abord tous les anciens des commandos de France ; Biaggi et Griotteray restent quelques jours à Paris pour consulter et prévenir qu’un « gros coup » se prépare », écrit Christophe Nick dans « résurrection ».

Malgré les conseils de ses amis, Guy Mollet décide de se rendre à Alger, le 6 février 1956, en vue d’introniser le nouveau gouverneur général, le général Catroux, offrant ainsi l’occasion aux ultras de lui montrer ce dont ils sont capables de faire. Mais, avant de montrer leur force au président du Conseil, les ultras organisent, le 2 février 1956, une cérémonie de départ monstrueuse en l’honneur de Jacques Soustelle.

De toute évidence, pour les ultras, cette manifestation n’est qu’une répétition et une façon de jauger leur force. En attendant l’arrivée du président du Conseil, ils élargissent leurs rangs. Le 5 février, à la veille de la visite de Guy Mollet, ils réussissent à convaincre l’homme fort d’Alger, Robert Martel. Bien que ce dernier rejette tout le cadre républicain, il s’engage, pour le moment, sur le dénominateur commun : empêcher la nomination du général Catroux. Le même jour, ils distribuent des tracts de l’UFNA (union française nord-africaine) appelant « au rassemblement au monument aux morts à 15 heures. »

Ignorant ce que les ultras lui réservent, Guy Mollet croit encore à sa politique de paix. « Mon premier appel sera un appel de paix que je lance à tous les esprits sages, à tous ceux qui ne se laissent pas entrainer par la passion. C’est par le calme et le sang froid que se prouve le vrai courage », déclare-t-il à son arrivée à l’aéroport d’Alger, le 6 février 1956, à 15 heures.

Au même moment, les colons se massent au centre-ville. Quand il voit tout ce monde, Guy Mollet a un seul mot à la bouche : « c’est horrible ». C’est ce que « murmure Guy Mollet devant les quinze cents anciens combattants qui tendent le poing vers lui », écrit l’historien. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa sécurité est vivement menacée.

Par conséquent, à peine il dépose la gerbe de fleurs au monument aux morts, son entourage lui conseille de quitter les lieux. Arrivé vers 16 heures au siège du gouvernement général, Guy Mollet se remet peu à peu de ses émotions. Dans la foulée, il contacte l’Élysée par téléphone. Racontant sa journée, il déclare au président, René Coty : « C’est en lisant dans les yeux des anciens combattants, comme moi, cette condamnation qu’ils me portaient que j’ai mesuré quel abîme d’incompréhension les séparait de moi. »

Comprenant sa détresse, le président Coty le rassure que le général Catroux est prêt à renoncer à son poste. « Le général Catroux vous demande de lui rendre sa liberté », renchérit-il. Aussitôt, la nouvelle se répand dans tout Alger. Bien que les organisateurs de la manifestation veuillent aller plus loin en provoquant la chute du gouvernement Mollet, les manifestants se contentent cette fois-ci de leur demi-victoire.

Par ailleurs, même si le calme est revenu, le président du Conseil tire les conclusions qui s’imposent : sur la question algérienne, le dernier mot revient à Alger et non à Paris. Pour Christophe Nick, « le traumatisme l’a fait changer de politique en moins d’une heure. Ses interlocuteurs algériens l’ont tout de suite compris. À la faveur de ce revirement, il tourne le dos aux engagements de la campagne électorale gagnée un mois plus tôt. »

Pour conclure, il va de soi que les contradictions et les faiblesses de la IVeme République participent à son affaiblissement croissant. Ce dernier conduira, deux ans plus tard, à sa mort pure et simple. En tout cas, pour Christophe Nick, « la journée du 6 février 1956 est une répétition générale de celle du 13 mai 1958. »

Enfin, le retour du général de Gaulle aux affaires va faire vite oublier cette démocratie parlementaire incapable de tenir bon face aux ultras et engager il ne serait-ce qu’un dialogue assumé avec les révolutionnaires algériens. Tout compte fait, la chute de la IVeme République est bénéfique pour la France pour avoir retrouvé son prestige international et pour l’Algérie pour avoir recouvré son indépendance.

Aït Benali Boubekeur

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25 janvier 2016 1 25 /01 /janvier /2016 10:00
Le vingt-sixième anniversaire de la grande manifestation du 25 janvier 1990.

Contrairement à ce qui se dit ça et là, cette manifestation est avant tout le refus de la récupération du sigle MCB à des fins politiques. D’ailleurs, beaucoup de personnes considèrent à tort que la marche du 25 janvier 1990 est une démonstration du MCB unifié. C’est faux ! Il s’agit plutôt d’une action engagée par des militants se battant pour le maintien du mouvement culturel berbère, décrété mort par les initiateurs du nouveau parti, le RCD (rassemblement pour la culture et la démocratie).

En effet, pour les fondateurs du nouveau parti, il ne peut y avoir d’existence concomitante entre les deux entités. « Les 9 et 10 février 1989, les assises de ce qu’il faut bien appeler le MCB/RCD, se déroulent dans ce contexte. Mais le Mouvement culturel berbère n’eut même pas le temps de se figer dans le sigle MCB que les initiateurs de ses assises prononçaient son oraison funèbre et sa résurrection sous la forme d’un parti politique », écrit l’anthropologue et spécialiste de l’histoire de la Grande Kabylie, Alain Mahé.

Ainsi, en voulant transformer un mouvement horizontal, dans lequel s’identifie chaque militant de la cause berbère, en un mouvement politique, les fondateurs du nouveau parti mettent les militants devant le fait accompli. Mais, tout de suite, la résistance s’organise. En mars-avril 1989, un groupe de militants porte à la connaissance publique les divergences au sein du MCB. Ce groupe (Ramdane Achab, Arab Aknine, Lounis Aggoun et Ahcene Taleb) est connu plus tard pour avoir réussi à réunir un million de signatures pour le maintien du sigle MCB.

Fort de ce soutien populaire, le groupe élargit, dans la foulée, sa base. Du 16 au 24 juillet 1989, le MCB survivant à la tentative de sa transformation en parti politique tient un séminaire à la maison de la culture. Pour plus d’efficacité, les participants s’organisent en commissions. « D’où le nom MCB-commissions nationales qui permettra ensuite de les distinguer de deux autres MCB. Ce n’est qu’après que le RCD a suscité la création d’un MCB-coordination nationale, en janvier 1994, que l’on a commencé à désigner le MCB qui avait survécu aux assises du RCD sous le nom MCB-commissions nationales », écrit encore Alain Mahé.

Parmi les actions prévues par les commissions du séminaire, il y a le rassemblement devant le siège de l’APN, le 25 janvier 1990, une façon sans doute de renouer avec les mobilisations d’antan. En outre, après leur rencontre avec Hocine Ait Ahmed, revenu au pays le 15 décembre 1989, les animateurs du MCB reçoivent un soutien de taille. Bien que certains d’entre eux souhaitent garder une certaine autonomie –c’est aussi la conception de Hocine Ait Ahmed sur le partenariat, et ce, pour que les associations puissent se développer –, le chef historique accompagne avec la plus grande intelligence cette dynamique.

Enfin, pour couronner le tout, les organisateurs de la manifestation désignent Matoub Lounès pour qu’il remette leur document aux responsables du parlement. Pour les nostalgiques de cette période, un événement a prolongé, pendant quelques jours, l’ambiance de cette marche historique : la recherche de la canne de Matoub Lounès, perdue lors de la marche. Heureuse fin, puisque le célèbre chanteur a récupéré sa canne quelques jours plus tard.

Aït Benali Boubekeur

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23 janvier 2016 6 23 /01 /janvier /2016 11:21
La grève des huit jours : la victoire à la Pyrrhus du CCE.

A l’approche du débat onusien sur la question algérienne en février 1957, la direction de la révolution, incarnée par le CCE (comité de coordination et d’exécution), issue, pour rappel, du congrès de la Soummam, aimerait démontrer au monde entier l’adhésion du peuple algérien au combat libérateur.

Contrairement à ce que colporte la propagande colonialiste, tentant vaille que vaille de présenter la révolte comme étant le fait de quelques égarés, le FLN soutient qu’il n’est que le représentant du peuple algérien en guerre. Cette stratégie correspond évidemment à l’idée que se fait Larbi Ben Mhidi de la révolution : "Mettez la révolution dans la rue et vous la verrez reprise et portée par des millions d’hommes. "

De toute évidence, de l’avis des membres du CCE, une action de grande envergure à Alger est plus efficace, notamment en termes de retombées, qu’une série d’attentats dans les régions les plus reculées du pays. En plus, l’implication des citadins creuserait le fossé entre les deux communautés, pied-noir et algérienne. Ce qui va immanquablement exacerber la rupture et provoquer, par la même occasion, la généralisation de la guerre.

Ainsi, en se basant sur un rapport de la fédération de France du FLN, Abane Ramdane croit à une victoire à court terme. "Il semble que l’État français d’ici 6 mois ne sera plus en mesure de faire face aux dépenses militaires. Il s’ensuivrait en cas de continuation de la guerre d’Algérie, la faillite de l’État français", écrit-il dans sa lettre du 24 juillet 1956 aux représentants extérieurs du FLN.

Cependant, en se lançant dans une telle voie, les dirigeants de la révolution sont contraints de rompre avec le caractère –lequel a fait la force du mouvement dans la capitale –clandestin du mouvement. En d’autres termes, la grève des huit jours incite les militants clandestins à agir et à organiser le mouvement de grève sans se cacher. Cette stratégie, selon Gilbert Meynier, " allait être marquée par une grève générale de longue durée qui obligerait forcément des milliers de gens à se démasquer du fait de leur absence au travail ou de la fermeture de leurs boutiques. "

Mais, après plus de deux ans de guerre, est-ce qu’il n’est pas temps que le mouvement change de stratégie en assumant une guerre généralisée ? Le rassemblement de toutes les forces vives, dans un congrès national réuni à la Soummam du 20 août au 10 septembre 1956, étaie cette thèse. D’ailleurs, les membres du CCE sont confiants quant à l’adhésion massive à leur appel à la grève générale à partir du 28 janvier.

Ainsi, bien que l’armée française ait les pleins pouvoirs, ce qui annonce par ricochet une répression aveugle de toute manifestation, les Algériens répondent massivement à l’appel du CCE. Contrairement aux allégations mensongères des défenseurs du système colonial, "aucun historien digne de son nom ne pourra sérieusement croire les allégations d’arrière-garde des auteurs Algérie française pour lesquels seule la "terreur FLN" contraignit les gens à faire grève", argue Gilbert Meynier.

Toutefois, bien que l’adhésion des Algériens aux instructions du CCE ne fasse aucun doute, cette démonstration et ce défi, dans le cœur même du système colonial, ont un prix. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la répression qui s’abat sur la population est terrible. Les arrestations massives, suivies de la corvée de bois, battent alors leur plein.

Pour Gilbert Meynier, "le secrétaire général de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen, grand résistant, qui avait quinze auparavant été torturé par la Gestapo à Nancy, ne put que constater la ressemblance entre les méthodes colonialistes françaises et celles des nazis. Il décompta minutieusement 3024 cas de personnes définitivement disparues dans le département d’Alger du 28 janvier au 2 avril 1957 et qui ne furent pas retrouvées. "

Dans cette répression innommable, un pilier de la révolution, en l’occurrence Larbi Ben Mhidi, est arrêté. En fait, le quadrillage des quartiers d’Alger conjugué à des opérations musclées conduisent inéluctablement au démantèlement des réseaux FLN. Bien qu’il y ait de la relève à chaque disparition, force est de reconnaître que celle de Ben Mhidi va peser lourdement sur la suite du conflit. Avec sa disparition, Abane Ramdane perd un allié incontournable pour le maintien des principes soummamiens, notamment la primauté du politique sur le militaire.

De la même manière, cette répression incite les dirigeants du CCE, encore en liberté, à quitter le territoire national. Si pour Abane Ramdane ce repli doit être momentané, il n’en est pas de même des autres dirigeants qui pensent au retour que lorsque l’Algérie recouvrera l’indépendance. En tout cas, ce départ à l’extérieur remet ipso facto le principe soummamien de la suprématie de l’Intérieur dur l’Extérieur.

Par conséquent, à partir du moment où la direction de la révolution doit s’ériger à l’Extérieur, il n’est pas sûr que ce soient les rescapés de la bataille d’Alger –Ben Youcef Ben Khedda, Saad Dahlab, Krim Belkacem, mais sans Abane Ramdane assassiné par ses frères de combat le 27 décembre 1957 –assureront la direction du pays. Car, en prenant le risque de s’éloigner de l’esprit de la Soummam, les hommes forts du CCE, notamment les 3B, ouvrent la voie à la prise du pouvoir par la force. Du coup, plusieurs chefs ont renoncé bien avant le cessez-le-feu à la lutte en vue se préparer à la course finale pour le trône.

Pour conclure, il va de soi que la grève des huit jours de fin janvier 1957 a marqué des points décisifs sur le plan diplomatique. En revanche, sur le plan interne, la révolution a fait un pas en arrière en annulant, dans le premier temps, les résolutions de la Soummam en août 1957 et, dans le second temps, en établissant le rapport de force comme seul caractère pour accéder au pouvoir.

Aït Benali Boubekeur

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 12:58
Retour sur le coup d’État du 11 janvier 1992.

Le coup d’État du 11 janvier 1992 marque, de façon indélébile, l’une des pages les plus sombres de notre histoire. En effet, après avoir vivoté péniblement pendant trois ans, la démocratie reçoit un coup d’estocade par ceux-là mêmes qui sont censés la protéger. Ce jour-là, le haut commandement militaire referme définitivement la parenthèse démocratique, et ce, en s’appuyant sur des forces qui n’ont de démocratique que le nom.

Mais, à analyser l’avènement même de la démocratie en Algérie, ce résultat est prévisible dans la mesure où le processus est la résultante des luttes au sommet de l’État, opposant les réformateurs aux conservateurs, et non une revendication émanant de la société. Ainsi, le peuple algérien n’est que le troisième acteur.

Cependant, bien que le processus soit biaisé à son origine déjà, il n’en reste pas moins que les Algériens accueillent l’ouverture démocratique à bras ouverts et décident, par la même occasion, de donner vie à ce processus en jouant, à fond, le jeu démocratique. À deux reprises, le 12 juin 1990 et le 26 décembre 1991, ils se rendent massivement aux bureaux de vote en vue de choisir leurs représentants. Cela rompt avec la pratique du parti unique où des hommes sans envergure interdisent au peuple algérien toute immixtion dans la vie politique du pays.

En tout cas, par ces deux actes citoyens, les Algériens démentent les arguments des usurpateurs du pouvoir en 1962, lesquels soutenaient injustement l’idée que les Algériens n’étaient pas en mesure de participer à l’édification des institutions de la République. Hélas, après trois décennies de verrouillage du champ politique, la transition d’un système dominé par la hiérarchie militaire –tous les militaires algériens ne font pas de la politique. C’est le haut commandement qui dévie la mission de cette institution à d’autres fins – à celui d’un système libéral au sens politique du terme ne se passe pas sans heurts ni sans grenouillages politiques.

Malgré le retrait des militaires du comité central du FLN en mars 1989, dans les coulisses, le haut commandement surveille, à travers le déploiement des agents de la police politique, les moindres faits et gestes des acteurs politiques. Ainsi, bien que le gouvernement réformateur, dirigé par Mouloud Hamrouche, veuille se lancer dans la voie des réformes démocratiques, les pesanteurs dont telles que chaque annonce est immédiatement combattue par les conservateurs.

Pour ces derniers, les acquis accordés au peuple algérien sont provisoires et constituent une réponse « préconisée pour faire face à la crise économique et sociale et pour dépasser les contradictions qui minent le système », pour reprendre une expression de Madjid Benchikh. D’ailleurs, lors des deux premières joutes électorales, les candidats se présentent, selon l’article 40 de la constitution du 23 février 1989, au nom des associations à caractère politique.

Dans une vraie ouverture, peut-on faire de la politique sans reconnaître au préalable les partis politiques ? À vrai dire, le piège consiste à contrôler ces associations en finançant leurs activités. Seuls deux partis, le FFS du charismatique Hocine Ait Ahmed et le FIS d’Abassi Madani, refusent ces subventions. Dans ces conditions, hormis ces deux partis, la marge de manœuvre des autres partis est uniment réduite. Le jour où les financeurs auront besoin d’eux, ils ne pourront pas se dérober. Ainsi, bien que certains puissent tenir des discours tranchants envers le gouvernement réformateur, dans la réalité, ils obéissent au pouvoir occulte.

Cependant, s’il y a un point qui fait loger les deux pouvoirs, apparent et occulte, à la même enseigne, c’est que les Algériens ont une seule motivation : s’allier au parti qui rejette le pouvoir. Ainsi, lors des premières élections libres depuis l’indépendance, tenues le 12 juin 1990, le FIS rafle la mise. Et même quand les circonstances ne l’aident pas, la loi électorale, conçue pour favoriser le parti arrivant en tête, fait le reste.

Du coup, avec un poids électoral de 34%, le FIS obtient 57% d’Assemblées communales et 66% d’Assemblées de wilayas. Et à en croire l’ancien harki du système, Sid Ahmed Ghezali, avant même la tenue des élections, la manœuvre des décideurs visait à confier la gestion des communes défaillantes à l’opposition. Le but étant de discréditer, aux yeux des Algériens, l’incompétence de ces nouvelles majorités. En un mot, le régime joue l’avenir du pays en pariant sur l’échec des nouvelles Assemblées locales.

Au lieu de se démener pour proposer une gestion exemplaire des affaires, le régime joue avec le feu. D’ailleurs, même lorsque le gouvernement réformateur tente de mener les réformes, le pouvoir occulte, quant à lui, étudie les scénarios en vue de piéger le peuple algérien. Ainsi, dès décembre 1990, Khaled Nezzar, le tout puissant ministre de la Défense, « soumet confidentiellement au premier ministre Mouloud Hamrouche un document extraordinaire, révélateur à lui seul du rapport très singulier …que les nouveaux chefs de l’armée algérienne entretiennent avec le pouvoir exécutif », écrit François Gèze. Ce rapport sera publié plus tard par Khaled Nezar en 1999.

Quant à la réaction de Mouloud Hamrouche, celui-ci aurait refusé le deal, selon toujours François Gèze, car le scénario était antinomique avec l’esprit réformateur de son gouvernement. Mais, quelle est la teneur de ce scénario. Celui-ci « appelle la mise en œuvre de deux plans : un « plan A » visant à réaliser les conditions pour un succès électoral des forces démocratiques avec participation des formations islamistes ; et, en cas d’échec du « plan A », un « plan B », pour neutraliser d’autorité les formations extrémistes avant l’échéance des élections », note-t-il.

Dans la réalité, seul le « plan B » a les faveurs du haut commandement militaire. Et pour cause ! Le gouvernement Hamrouche, en programmant les élections législatives pour le 26 juin 1991, élabore une loi électorale, certes sévère, mais qui garantit la défaite du FIS. Bien que la réaction des dirigeants du FIS soit violente, si les militaires avaient soutenu Mouloud Hamrouche, il n’y aurait pas eu de tragédie nationale. Car, le découpage électoral favorise le FLN réformateur et le FFS. En plus, Hocine Ait Ahmed, en politicien chevronné, accepte une alliance avec le FLN réformateur. Dans les milieux algériens, les gens parlent d’un gouvernement républicain, issu d’une alliance FFS-FLN réformateur.

Toutefois, en réaction à ce découpage électoral –qui ressemble étrangement aux termes du plan A –, le FIS appelle à une grève générale et exige, dans la foulée, la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Au lieu de soutenir le gouvernement, l’armée se met à l’écart, dans le premier temps, pour laisser le FIS déstabiliser le gouvernement, et dès que les rues commencent à se vider –ce qui annonce l’échec de la grève –, la police politique entre en scène pour envenimer la crise. En obtenant la démission du gouvernement Hamrouche, il va de soi que le « plan A » est définitivement rangé au placard. En visionnaire averti, Hocine Ait Ahmed commente le départ du gouvernement Hamrouche en disant : « j’entends le bruit des bottes ».

La suite va confirmer cette allégation. Car, quelques jours après la démission de Mouloud Hamrouche, un nouveau gouvernement est nommé. Dès sa prise de ses fonctions, Sid Ahmed Ghezali s’attaque à la loi électorale de son prédécesseur, votée deux mois plus tôt. En portant le nombre de députés de 295 à 430, Sid Ahmed Ghezali corrige certes le découpage sévère, mais offre la victoire sur un plateau au FIS. « Le nouveau premier ministre Sid Ahmed Ghezali avait promis l’organisation d’élections libres et honnêtes, avec une nouvelle loi électorale, ce qui pouvait ressembler aussi à la victoire du FIS », écrit William Quandt, auteur « société et pouvoir en Algérie ».

Après la tenue de son congrès à Batna, le FIS tergiverse et ne décide de participer aux élections du 26 décembre que douze jours avant le scrutin, et ce, malgré l’emprisonnement de ses deux leaders, Abassi Madani et Ali Belhadj, arrêtés le 30 juin 1991.

En outre, en dépit de la proposition de Hocine Ait Ahmed d’une élection proportionnelle, les décideurs optent pour un mode de scrutin majoritaire à deux tours. Du coup, bien que le FIS perde plus d’un million de voix par rapport aux élections municipales de juin 1990, il obtient 188 sièges dès le premier tour –suivi par le FFS avec 25 sièges et le FLN avec 15 sièges –et il est en ballotages favorables dans beaucoup de circonscriptions.

Comme en juin 1990, la victoire du FIS est assurée par un quart de l’électorat, en revanche, en suffrages exprimés, cela représente 47,3%. Alors que dans tous les pays démocratiques la question de remettre en cause le choix des citoyens n’effleure même pas l’esprit des dirigeants –cela dit, il faut reconnaître que ce choix risque de couter cher à l’Algérie, car les vainqueurs veulent remplacer les dirigeants en place en ajoutant encore une dose de rigueur –, le haut commandement commence à manœuvrer, dès le lendemain des élections, en vue d’annuler le processus démocratique.

Malgré les interventions du chef charismatique de la révolution algérienne, Hocine Ait Ahmed, pour la poursuite du processus électoral –il n’y a que les naïfs qui croient qu’en annulant le processus démocratique, les auteurs du coup d’État pourraient sauver la démocratie –, la machine est déjà lancée. En s’appuyant sur « les différents partis démocratiques ultraminoritaires créés sur l’initiative du clan Belkheir en 1989 », pour reprendre l’expression de François Gèze, le clan Nezzar donne un coup de massue à la République.

Pire encore, des acteurs malhonnêtes de la société civile iront jusqu’à dévier la marche du 2 janvier 1992 –organisée, pour rappel, à l’initiative de Hocine Ait Ahmed, pour rejeter à la fois l’État policier et l’État intégriste – de son objectif initial et ils l’utilisent pour justifier leur appel à l’armée. De là est née, un certain 11 janvier 1992, une alliance entre les civils, des acteurs politiques minoritaires et le haut commandement militaire, connus plus tard sous le nom d’éradicateurs, pour mettre fin au processus démocratique.

Pour conclure, il va de soi que la démocratie algérienne était victime du système électoral élaboré par les dirigeants en vue de fausser le processus démocratique. Et pourtant, malgré les grenouillages politiques tous azimuts, les Algériens ont joué le jeu jusqu’au bout. Et sans l’intervention de Khaled Nezzar et de ses amis en juin 1991, on aurait eu une victoire des républicains, emmenée par la coalition Hamrouche-Ait Ahmed. Hélas, le haut commandement militaire tenait à son « plan B ». En offrant une victoire au FIS en décembre 1991, le haut commandement militaire trouve le seul argument justifiant le retour à l’ère du parti unique. Mais la question qui taraude plusieurs observateurs, c’est pourquoi le haut commandement refuse d’assumer le coup d’État ? Pourquoi cherche-t-il le truchement en créant un vide constitutionnel pour justifier son acte ? Ce sont des questions auxquelles on n’aura peut-être jamais de réponse.

Aït Benali Boubekeur

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5 janvier 2016 2 05 /01 /janvier /2016 12:57
La défaite du projet républicain défendue par Abane Ramdane a conduit la crise politique endémique.

« L’Algérie est un pays qui n’a pas de chance. Ses enfants se jalousent, manquent d’esprit de discipline et de sacrifice. Ils se plaisent dans l’intrigue. Ils oublient l’essentiel pour le futile. L’avenir me parait incertain. Les imposteurs, les malins risquent d’imposer leur loi », réaction de Ferhat Abbas aux aveux de Ben Tobbal et Benaouda justifiant la mort d’Abane Ramdane.

Ni le sang des chouhadas, ni l’investissement des hommes intègres, à l’instar de Ferhat Abbas, Hocine Ait Ahmed et bien d’autres, n’ont réussi à conjurer ce funeste sort. Entre les adversaires et les partisans du projet républicain, incarné notamment par Abane Ramdane, force est de reconnaître que la victoire est souvent revenue à ceux-là.

Et quand Dahou Ould Kablia affirme, il y a quelques jours, qu’Abane Ramdane n’avait pas de sympathisants, cette allégation est totalement fausse, car il ne s’agissait pas et il ne s’agit pas de nos jours d’une affaire de personnes, mais d’un projet politique. Bien qu’on associe toujours des noms à des lignes politiques, il n’en reste pas moins que les différends sont inhérents aux projets.

Quoi qu’il en soit, s’il y a un seul point sur lequel l’ancien ministre de l’Intérieur et fils spirituel du terrible fils de la révolution, Abdelhafid Boussouf, c’est quand il affirme qu’Abane Ramdane avait une perception différente de la politique avec le MALG, une organisation déviée par Boussouf de son objectif révolutionnaire.

Quelles sont alors ces divergences ? Bien qu’Abane Ramdane ne soit pas présent lors de la préparation de la lutte armée –car condamné à une peine de 6 ans de prison en 1951 pour ses activités au sein du PPA-MTLD-OS –, dès sa sortie de prison en janvier 1955, il s’est opposé à ce fameux contrat moral, c’est-à-dire ceux qui ont déclenché la guerre ont plus de légitimité que les autres militants ou les autres Algériens.

Qu’il en déplaise à Dahou Ould Kablia, Abane Ramdane ne voulait pas d’une Algérie appartenant à des personnes, mais il luttait pour une Algérie appartenant à tous les Algériens. Pour lui, comme le prouve son premier tract politique de juin 1955, la révolution algérienne doit s’appuyer sur tous ses enfants. « Le FLN n’est pas la reconstitution du MTLD. Le FLN est le rassemblement de toutes les énergies saines du peuple algérien. Le MTLD pensait que la libération de l’Algérie serait l’œuvre du parti. C’est faux. Le FLN, lui, affirme que la libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien », écrit-il.

En tout cas, c’est dans cet esprit qu’Abane Ramdane, soutenu par l’un des plus illustres chefs historiques, Larbi Ben Mhidi, entreprend la démarche du rassemblement de tous les courants politiques sous l’égide du FLN. Seuls deux partis refusent d’intégrer le rassemblement, le parti communiste algérien (PCA) pour des raisons idéologiques et le mouvement national algérien (MNA) pour des raisons de leadership.

De toute évidence, à l’époque, la seule préoccupation était de savoir comment organiser cette lutte en suscitant la plus grande adhésion populaire possible. Or, si les partisans de Dahou Ould Kablia avaient voulu jouer le même rôle qu’Abane Ramdane, pourquoi son mentor, en l’occurrence Boussouf, n’était pas rentré en Algérie pour organiser le mouvement révolutionnaire ? En plus, est-il besoin de rappeler que ce travail était un engagement pris par les initiateurs de la lutte armée, dans leur dernière réunion du 23 octobre 1954 où une rencontre a été prévue pour faire le bilan des trois mois de lutte.

Et si cette réunion avait eu lieu, les chefs de zones –le terme wilaya n’est apparu qu’après le congrès de la Soummam – auraient sans doute appelé à la participation de tous les Algériens au projet révolutionnaire.

Hélas, au lieu d’associer leurs efforts à l’œuvre, les amis de Dahou Ould Kablia se mobilisent en vue d’empêcher la dynamique. Cependant, si Ben Bella s’est opposé au projet d’Abane Ramdane en évoquant le fameux contrat moral entre les 9 chefs historiques, Abdelhafid Boussouf agit comme un criminel.

En effet, toute personne qui s’oppose à son projet machiavélique mérite, selon lui, la mort. Pour ce faire, il attend qu’Abane Ramdane soit lâché par Krim Belkacem, un homme fort de la révolution et qui a convaincu Abane Ramdane de rejoindre la révolution, pour commettre son ignoble crime, un certain 27 décembre 1957.

En se débarrassant de l’homme qui incarne le projet républicain par excellence, les colonels condamnent par la même occasion le pays à vivre sous la dictature. Et c’est ce système que tente de justifier le fils spirituel de Boussouf, Dahou Ould Kablia.

Pour conclure, il va de soi que l’échec du projet républicain est dû à la prééminence du militaire sur le politique. Bien qu’Abane Ramdane ait tenté –en payant son engagement de sa vie –de remettre la révolution sur les rails, les amis de Dahou Ould Kablia se sont ingéniés à mettre ce projet en échec.

Par conséquent, une question se pose avec acuité. 53 ans après l’indépendance, dans quelle situation se trouve l’Algérie? Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-ci ne plaide pas en faveur du discours d’Ould Kablia. Car si la dictature pouvait développer un pays, les pays occidentaux adopteraient le même modèle. Or, aucun pays ne s’est précipité à copier notre système.

Enfin, au lieu de reconnaître le fait que l’usurpation du pouvoir soit à l’origine des déboires postindépendances, Dahou Ould Kablia accuse ceux qui n’ont jamais accédé aux responsabilités d’être responsables de la crise. Une façon sans doute de vouloir se laver les mains, mais l’histoire ne leur pardonnera jamais d’avoir humilié la nation, d’avoir assassiné ou exilé ses meilleurs fils et d’avoir condamné le pays au sous-développement.

Aït Benali Boubekeur

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14 décembre 2015 1 14 /12 /décembre /2015 10:28
Retour sur le coup d'État manqué du 15 décembre 1967.

L’élimination d’Ahmed Ben Bella, après le coup d’État du 19 juin 1965, ne résout pas la question du pouvoir. En effet, bien que le pouvoir soit désormais entre les mains des militaires, l’insatiabilité de Houari Boumediene pour le pouvoir génère une opposition, certes marginale, à l’intérieur du Conseil de la révolution (CR). Et comme cette lutte oppose, cette fois-ci, des militaires, l’épreuve de force constitue la seule alternative et devient, par la même occasion, inéluctable.

Mais, avant de revenir sur le putsch raté de Tahar Zbiri, il faudrait se demander pourquoi l’un des artisans du coup d’État du 19 juin 1965 voulait-il renverser son mentor ? Bien que ce coup de force supprime définitivement toute velléité d’instaurer un pouvoir civil, force est de reconnaître que les membres du CR –composé de 25 ou 26 membres dont la quasi-totalité était des officiers de l’ANP – ne se valent pas. En fait, il y avait d’une part Houari Boumediene et d’autre part les autres membres.

De toute évidence, pour réussir son plan, Houari Boumediene n’affichait pas initialement ses intentions consistant à s’emparer, à son propre profit, du conseil de la révolution. « Théoriquement, le CR pouvait mettre en jeu la responsabilité politique des ministres et le gouvernement n’exerçait le pouvoir législatif et exécutif que par délégation du CR », écrit Abdelkader Yefsah, dans « la question du pouvoir en Algérie ».

Dans la réalité, les déclarations de bon sens ne sont destinées qu’à rassurer l’opinion nationale et internationale qui pourrait désavouer le coup d’État. Peu à peu, le centre du pouvoir se déplace. D’un conseil de révolution collégial, celui-ci se retrouve entre les mains d’une seule personne, Houari Boumediene. Pire que Ben Bella –écarté en juin 1965 pour avoir monopolisé le pouvoir –, Houari Boumediene reprend les mêmes postes en plus de celui de chef de l’armée qu’il avait à lui tout seul de 1962 jusqu’à sa mort en décembre 1978.

Dans ces conditions, deux choix s’offrent aux membres du CR. Ou bien ils s’effacent, ce que font la totalité ou peu s’en faut, on bien ils contestent le nouveau pouvoir. Bien que Tahar Zbiri réagisse au fait qu’il ne soit pas associé au pouvoir, une certaine tendance présente encore cette tentative de coup d’État comme un acte de bravoure. Ce qui n’est pas le cas. Et pour cause ! Alors que « le CR a prévu 6 mois pour le retour à la légalité », pour reprendre les termes de Tahar Zbiri, l’ancien colonel de la wilaya I historique a attendu 30 mois pour réagir.

Dans une interview accordée au Figaro, Tahar Zbiri justifiera, deux ans plus tard, sa tentative de coup d’État en ces termes : « C’est ainsi que très vite nous nous retrouvâmes en face des mêmes problèmes qui nous avaient décidés à déposer Ben Bella : le glissement progressif du régime vers la dictature. » Mais, quand on prive le peuple algérien de sa liberté de choisir ses propres représentants et quand on humilie l’instance légitime de la révolution algérienne, en l’occurrence le GPRA, peut-on s’attendre à autre chose qu’à l’instauration de la dictature ? Apparemment, il n’y a que Tahar Zbiri et ceux qui partagent son analyse qui pensent le contraire. En tout cas, le 15 décembre 1967, Tahar Zbiri comprend enfin la nature du régime. « Devant l’impossibilité de rendre la parole au peuple, je suis donc amené à réfléchir à d’autres formes d’action », répond-il au journaliste du Figaro.

Hélas, cette tentative s’avère, à en croire Abdelkader Yefsah, infructueuse, voire lourde de conséquences. « Quelles que fussent les raisons réelles qui poussèrent T. Zbiri à tenter à son tour un coup d’État, son échec avait permis à l’ANP de s’affirmer définitivement en tant que groupe social hégémonique. En effet, l’échec de la tentative de coup d’État du 15 décembre 1967 avait favorisé l’élimination de ce qui restait d’intérieurs et portait en lui, vrai ou faux, les relents ou les germes du wilayisme », note-t-il.

Pour conclure, il va de soi que la dernière tentative de coup d’État, sous le règne de Houari Boumediene, profite à ce dernier. Désormais, il possède à lui tout seul l’ANP. D’ailleurs, après s’y être opposé au service national depuis cinq ans, après l’échec du coup d’État de décembre 1967, Houari Boumediene donne enfin son feu vert. Hélas, bien qu’il ait les coudées franches, Houari Boumediene mène le pays à vau-l'eau. En laminant l’opposition et en gouvernant dans cadre anticonstitutionnel –il n’y avait de 1965 à 1976-1977 ni constitution, ni parlement, ni partis politiques –, le pays vit au rythme de l’humeur d’un seul homme. Or, pour bâtir un pays, l’effort doit reposer sur toute la population. Et pour qu’elle y adhère, il faudrait qu’elle soit associée au projet. Et c’était bien ça le rêve de ceux qui ont donné leur sang pour la libération du pays.

Aït Benali Boubekeur

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11 décembre 2015 5 11 /12 /décembre /2015 09:11
Décembre 1960-décembre 2015 : le peuple algérien a perdu le sens des responsabilités.

En décembre 1960, lorsque le général de Gaulle avait du mal à trancher sur le futur statut de l’Algérie, contrarié notamment par les ultras, le peuple algérien a pesé alors de tout son poids pour le dénouement de la crise. Ainsi, au moment aux les dirigeants sont divisés –l’armée des frontières ne rate aucune occasion en vue de déstabiliser le GPRA –, cette démonstration représente un vrai tournant. « Face aux périls qui s’amoncelaient, et aux luttes intestines au sein du FLN/ALN, qui n’étaient pas des moindres, le peuple algérien a pris sur lui de défendre par lui-même ses intérêts. Il entrait ainsi brutalement dans la scène politique en tant que sujet et acteur de son propre destin », répond Daho Djerbal, à une question sur les manifestations de décembre 1960, à l’occasion du cinquantenaire de cette démonstration populaire.

Que reste-t-il, 55 ans plus tard, de ce sursaut populaire ? Pour résumer en quelques mots la situation, la mutation est tellement profonde que la comparaison constituerait une insulte à l’histoire. Et pourtant, vers la fin de la guerre, la répression atteignait, dans tout le territoire, son paroxysme. En effet, le vote des pleins pouvoirs à l’armée française en janvier 1957 avait conduit au quadrillage du territoire national. En plus, la construction des barrages électrifiés le long des frontières tunisienne et marocaine a permis à l’armée française de pacifier une à une les différentes régions du pays. Ce plan porte le nom du responsable militaire en Algérie, en l’occurrence le plan Challe.

Mais, quand un peuple aspire à la liberté, les barrières sautent naturellement. Bien que les gaullistes veuillent encadrer ces manifestations pour qu’elles soient un soutien massif à l’initiative de l’homme du 18 juin, les Algériens, tout en reconnaissant le courage et le bon sens du général de Gaulle, se prononcent en faveur de son représentant légitime, le GPRA. Lors de ces manifestations, les slogans qui reviennent tel un leitmotiv sont : « Vive l’indépendance, vive Ferhat Abbas, vive le GPRA, vive de Gaulle, etc. »

De toute évidence, cette leçon d’un peuple humble, mais téméraire répond, sans fard ni acrimonie, à l’interrogation du général de Gaulle sur le futur statut de l’Algérie. Pour les manifestants, leur message est limpide : un peuple digne ne peut pas s’épanouir sous la domination d’un autre peuple. Par conséquent, seule l’indépendance constitue la voie juste. Pour y parvenir, ils lui indiquent leur représentant, le GPRA. Du coup, malgré la suprématie de l’armée française sur le terrain, les plus grandes victoires ne s’obtiennent pas forcément par les armes. En ce sens, la démonstration du 11 décembre 1960 est bel et bien un « Diên Biên Phu politique de la guerre d’Algérie », pour reprendre le titre de la revue Naqd, dirigée par Daho Djerbal.

Hélas, après la fin du joug colonial, le peuple algérien adopte une attitude rompant avec son passé de résistant. D’ailleurs, si Daho Djerbal retient les manifestations de février 1934, mai 1945, décembre 1960 et octobre 1961 comme des dates références à ce passé de résistance, il n’en est pas de même, selon lui, de celle d’octobre 1988. Citant Mohamed Harbi, il estime que les manifestations d’octobre 1988 ne constituent pas une initiative visant à « construire une contre-société et un contre-pouvoir ». Tout est dit.

Pour conclure, il va de soi que le peuple algérien a laissé des plumes dans le combat qui l’opposait au régime colonial. À l’indépendance, il a cru que les dirigeants allaient rompre définitivement avec les anciennes pratiques. En effet, dans une Algérie libérée, qui pourrait croire qu’un Algérien puisse priver un autre Algérien de ses droits ? C’est ce qui explique peut-être le manque de vigilance. Cela dit, si la génération de la guerre n’est pas à plaindre pour avoir subi des humiliations de toute sorte, il n’en est pas de même de la génération postindépendance qui, au moins, est coresponsable de la crise actuelle. En refusant de lutter pacifiquement pour l’intérêt général –le trafic, la corruption, la bureaucratie sont ses outils de prédilection –, cette génération compromet l’avenir du pays. Et il est vraiment temps qu’elle se ressaisisse.

Aït Benali Boubekeur

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6 décembre 2015 7 06 /12 /décembre /2015 08:10
La création du PRS : le premier parti d’opposition contre la dictature.

Loin de normaliser la vie politique en Algérie, la prise du pouvoir par la force, en 1962, par le duo Ben Bella-Boumediene, crée immanquablement un malaise au sein de la classe politique. Bien qu’au lendemain de l’indépendance certains acteurs de premier plan, à l’instar de Hocine Ait Ahmed, Krim Belkacem, tentent d’accompagner le processus d’édification des institutions, d’autres, à l’instar de Mohamed Boudiaf, prônent déjà une rupture radicale, en donnant naissance au parti de la révolution socialiste (PRS). Son but est, selon Abdelkader Yefsah, auteur du livre « la question du pouvoir en Algérie », de se substituer au FLN moribond.

Et pourtant, quand le dialogue pouvait, selon Mohamed Boudiaf, déboucher sur une issue salvatrice pour le pays, il n’a pas fermé la porte. Le 2 août 1962, il a accepté de faire partie du bureau politique (BP), dominé par la coalition dirigée par le duo Ben Bella-Boumediene. Pour rappel, cette entrée de Mohamed Boudiaf au BP était le résultat d’un accord entre le groupe de Tizi Ouzou, dont il était membre, et celui de Tlemcen, qui s’est autoproclamé le 22 juillet 1962 le seul représentant du peuple algérien, et ce, sans qu’il ait le moindre mandat pour exercer ce pouvoir.

Hélas, les pratiques antidémocratiques du groupe de Tlemcen incitent Mohamed Boudiaf à jeter l’éponge. Dans sa lettre de démission, le 27 août 1962, il proteste « contre son exclusion de la confection des listes électorales (allusion à l’élection de l’Assemblée nationale constituante), de la désignation de nombreux responsables politiques à des postes importants, comme de certaines décisions ou prises de positions engageants la responsabilité du BP dans son ensemble. »

Peut-on déduire que l’accord du 2 août 1962 n’a été qu’une manœuvre du groupe de Tlemcen visant à remettre à plus tard son projet hégémonique sur l’Algérie ? Il est évident que le duo Ben Bella-Boumediene n’a reculé que pour mieux rebondir. Un proverbe anglais ne dit-il pas que lorsque l’on chasse le naturel, il revient vite au galop.

Quoi qu’il en soit, en parachevant leur œuvre de destruction de l’opposition avant même la tenue de l’élection du 20 septembre 1962, le nouveau bureau politique « purifié » élabore la seule liste de candidats à l’Assemblée nationale constituante où il est sûr d’avoir une majorité écrasante. L’enjeu n’était pas l’élection elle-même, mais sa confection. Bien que cette liste soit soumise à l’approbation de la population, le 20 septembre 1962, un groupe de nationalistes, à leur tête Mohamed Boudiaf, fonde le même jour le PRS pour signifier son opposition à la dictature se profilant à l’horizon.

Dans son programme, le PRS dénonce sans fard ni acrimonie la dérive du système. « Il (Mohamed Boudiaf) était le seul avec Ait Ahmed à pressentir le danger militariste et à le dénoncer sans aucune complaisance », écrit Abdelkader Yefsah. A deux reprises, en cette fin de l’année 1962, Mohamed Boudiaf prend l’opinion publique à témoin sur l’enlisement du régime benbelliste dans la dictature. Dans le tract du 14 novembre, il accuse Ben Bella de ne pas être à la hauteur de la mission et, dans celui du 22 novembre, il dénonce la mainmise du duo Ben Bella-Boumediene sur les institutions.

Au grand dam de l’Algérie, comme le constate Abdelkader Yefsah, le projet du PRS échoue « dans son ambition de se substituer au FLN moribond ». D’ailleurs, l’échec du PRS –comme le seront les futurs mouvements d’opposition –s’explique par la lassitude de la population. Après sept ans de guerre, le peuple est prêt à troquer sa liberté contre une vie paisible. Cette erreur est monumentale dans la mesure où la victoire du duo Ben Bella-Boumediene ne leur épargne pas l’enfer.

En tout cas, profitant de la faiblesse du peuple algérien, exsangue par sept ans de guerre, le régime écrase peu à peu toute la société. La naissance du FFS, une année après celle du PRS, ne retarde les desseins du duo Ben Bella-Boumediene que le temps d’asséner le coup d’estocade au parti de Hocine Ait Ahmed. Bien que le FFS ait une base et une audience plus importante, force est de reconnaître que la population ne suit pas le mouvement, de crainte de subir les affres du régime. Là aussi, le peuple commet une erreur stratégique dans la mesure où même quand il a affiché sa soumission, la répression est devenue tout de même son lot quotidien.

En guise de conclusion, il va de soi que l’échec de l’Algérie est à mettre sur le compte des usurpateurs du pouvoir. Bien que le peuple algérien ait été prêt à accepter n’importe quelle direction et à œuvrer pour l’édification de la nation, le duo Ben Bella-Boumediene a opté pour l’exclusion de tous les Algériens ne rompant pas à ses pieds. A ce titre, quels que soient les défauts de l’opposition, seul le régime est comptable de la crise algérien.

Aït Benali Boubekeur

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23 novembre 2015 1 23 /11 /novembre /2015 11:00
Mémorandum de Messali versus le document d’Idir El Wattani : comment définir la nation algérienne ?

Vers la fin de l’année 1948, au moment au le parti indépendantiste, le PPA-MTLD, atteint le faîte de sa puissance, il se pose naturellement la question de l’identité nationale. Au lieu de provoquer un débat à l’intérieur des instances du parti, Messali Hadj adresse un mémorandum à l’ONU où il définit la nation algérienne comme une nation exclusivement arabo-musulmane. En un mot, il refuse de donner une quelconque existence à l’Algérie avant l’avènement de l’Islam en Afrique du Nord.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vision est loin de faire l’unanimité au sein du principal parti indépendantiste. Autant l’indépendance nationale est un dénominateur commun à tous les militants du PPA-MTLD, il n’en est pas de même de cette orientation exclusive défendue par la direction du parti. En tout cas, le raccourci historique de Messali Hadj ne passe pas sous silence. Un groupe de militants, composé de Mabrouk Belhocine, Yahia Henine et Sadek Hadjeres, se donnant pour pseudonyme Idir El Wattani, élabore un document de 33 pages où il jette les bases de la nation algérienne moderne. Contrairement au travail fractionnel de Rachid Ali Yahia, Idir El Wattani propose une autre alternative politique inclusive.

En tout état de cause, avant de se lancer dans la définition de la nation algérienne, estiment les rédacteurs du document « Vive l’Algérie », il faudrait « analyser les exemples concrets que constitue la venue au monde de très nombreuses nations au cours de ce siècle et demi d’histoire moderne» (page 3). D’ailleurs, peut-on prétendre bâtir une nation en s’inspirant du paradigme européen tout en le rejetant aussitôt le même modèle ? Et puisque le modèle fait consensus au sein du PPA-MTLD, la nation à bâtir doit impérativement s’inscrire dans le cadre « d’une communauté d’individus constituée par les évènements historiques ». Bien que le parti veuille nier cette évidence, ces individus, jusqu’à preuve du contraire, sont issus de la « vieille souche ethnique Nord-africaine ».

Cela dit, en dépit de ce rappel des origines lointaines de l’Afrique du Nord, les auteurs du document ne nient pas les apports des autres cultures. Mais, pour mieux vivre ensemble, les rédacteurs du document « Vive l’Algérie » suggèrent que cette nation ne se définisse ni par la communauté raciale, ni par la communauté religieuse, ni par la communauté de langue. Pour étayer leur thèse, ils expliquent que « tous ceux qui ont soutenu des théories raciales ne l’ont fait que pour justifier leur action après coup, sans croire à la rigueur scientifique que leur thèse, ou bien étaient aveuglés par un chauvinisme démesuré » (page4)

Quant au critère religieux, les rédacteurs du document estiment que « l’existence de plusieurs religions dans un pays n’empêche pas du tout celui-ci de se développer en Nation s’il en a les facteurs suffisants, et par ailleurs la communauté religieuse entre divers pays n’empêche pas ceux-ci de se développer en Nations fort différentes » (page4). Enfin, s’agissant du critère de la langue, les auteurs citent les dérives du cas allemand ayant abouti au désastre des années 1930 et 1940.

Cependant, cette étude exclut la minorité française, car celle-ci n’adhère pas au principe de la constitution de la nation algérienne. En effet, bien qu’elle soit attachée à la terre d’Algérie, il n’en demeure pas moins que son maintien est synonyme, pour elle, de l’exclusion des neuf dixième du peuple algérien. « Supériorité du colon, infériorité du colonisé dérivent pour ces nations de la race qui fait de l’un un être éminemment civilisé, de l’autre un être voisin de la bête, incapable de perfectibilité et de progrès », écrivent-ils (page 20).

En revanche, dans le cas où cette minorité accepte de s’en séparer du système colonial, sa place est garantie dans la communauté nationale, et ce, pour peu qu’elle ne revendique pas non plus un statut privilégié. Pour eux, « seule une suppression du régime colonial pourra amener la solution de ce problème et l’intégration libre de cette minorité dans la nation algérienne », suggèrent-ils (page 7). Mais, compte tenu du contexte, il paraissait absurde de tabler sur une telle éventualité.

Toutefois, le problème de la minorité française étant évacué, les rédacteurs du document « Vive l’Algérie » dissèquent les outils permettant de parvenir à l’indépendance. Ainsi, ils analysent, dans le premier temps, les moyens permettant de concrétiser le projet de la libération politique et, dans le second temps, les libérations sociale et culturelle. Ainsi, contrairement au nationalisme oppresseur, le nationalisme algérien doit être libérateur dans le sens où il s’oppose « à ce nationalisme européen, chauvin, impérialiste, dont le bellicisme aboutit à l’asservissement des peuples par d’autres peuples » (page19).

Pour ce faire, seule une révolution, d’après eux, est à même de réaliser ce changement total, « souvent brusque, obtenu par tous les moyens de l’état de choses existant » (page 25). Quant aux deux autres principes, les rédacteurs n’excluent pas une action immédiate, c’est-à-dire sous le joug colonial, mais cette œuvre devra se poursuivre après l’indépendance du pays. Mais, pour rêver à un tel projet, il faudrait que les dirigeants indépendantistes abandonnent leurs querelles pour agir enfin en vue de rassembler le peuple algérien. Ce qui ne semble pas, pour le moment décrit, la priorité de Messali Hadj et des tenants d’une Algérie amputée des apports antérieurs à l’Islam.

Pour conclure, il va de soi que le document « Vive l’Algérie » correspond davantage à la réalité. Cela dit, bien qu’il soit une réponse au mémorandum de Messali, le document n’est pas conçu dans le but de s’opposer à la version de Messali, mais il offre une étude complète en vue de construire une nation inclusive et non exclusive. Enfin, le mémorandum de Messali et le document « Vive l’Algérie » opposent deux visions : la première est restrictive dans la mesure son projet exclut de fait une partie du peuple algérien et la seconde est moderne dans le sens où chacun à sa place, et ce, pour peu qu’il adhère au projet national.

Aït Benali Boubekeur

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7 novembre 2015 6 07 /11 /novembre /2015 20:03
Formation de la nation algérienne :Yassine Temlali tord le cou aux idées reçues.

Dans l’ouvrage de Yassine Temlali, intitulé « la genèse de la Kabylie », il n’y a pas de place aux raccourcis historiques. À toutes les questions inhérentes aux périodes les plus ambigües de notre histoire, l’auteur y répond sans fard ni acrimonie. D’emblée, il affirme que l’Algérie, comme c’est le cas de toutes les nations, n’échappe pas aux mutations identitaires. Éprouvée par tant de conquêtes, celle-ci se construit sur son élément autochtone, le berbère. Bien qu’il puisse déplaire à ceux qui fondent leur projet sur la supériorité d’un groupe régional, Yassine Temlali démontre que la formation de l’Algérie constitue la somme des apports régionaux, en l’occurrence kabyle, chaoui, mzab et arabe.

Toutefois, bien que livre ait pour objet « de restituer le cadre historique quand lequel, entre 1830 et 1962, est née une conscience culturelle et politique berbère (kabyle), de façon concomitante avec la naissance de ces entités modernes que sont la nation algérienne, la Kabylie, les Aurès » (page 46), il n’en reste pas moins que l’auteur consacre un chapitre, intitulé « entre les conquêtes islamo-arabes et l’occupation française, la survie difficile des langues berbères », où il relate la difficile cohabitation entre les autochtones et les conquérants.

En fait, si la première période, allant du VIIème siècle au XIème siècle, se passait sans anicroche, il n’en est pas de même après l’arrivée des expulsés de l’Orient, les Banu Hilâl et les Banu Sulaym, au XIème siècle. D’ailleurs, n’est-il pas resté dans l’histoire que la violence, dont sont affublés les Algériens, vient de cet héritage. Fustigeant le comportement des colonels de l’ALN lors de la guerre d’indépendance, Ferhat Abbas, dans l’autopsie d’une guerre, s’interroge : « Allions-nous rester les héritiers des Beni Hilale, de ceux pour qui la légitimité se fonde sur la raison du plus fort » (page 224).

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’impact de la deuxième invasion a eu des effets désastreux. Fuyant sans doute la barbarie des Banu Hilâl, les Berbères se replient dans les montagnes. « C’est une Algérie composée de trois grandes communautés ethnolinguistiques distinctes que trouveront les Frères Barberousse en fondant, en 1518, à Alger, une « Régence » reconnaissant la suzeraineté d’Istanbul. Les principaux massifs montagneux étaient, en majorité, habités de berbérophones ; les plaines étaient peuplées de Berbères arabisés d’origine « botr » mais aussi d’une minorité d’«Arabes » descendants plus au moins authentiques des Hilaliens ; les villes anciennes étaient, quant à elles, habitées de « Maures » arabophones, distincts des parlers hilaliens », écrit Yassine Temlali (page 62).

Cela dit, en dépit des replis sur les montagnes, les relations entre les berbérophones et les arabophones ne sont pas pour autant interrompues. Bien que les relations soient tumultueuses, celles-ci ont « débouché sur l’introduction des parlers barbières dans les villes comme Alger (le Kabyle, le Mozabite) et peut-être aussi, dans une moindre mesure, sur un mouvement inverse de « berbérisation » de tribus arabes, notamment dans les Aurès », note-t-il (page 63). Qu’en est-il du phénomène de l’arabisation en Kabylie ? Bien que des chercheurs, à l’instar de Salem Chaker, réduisent la présence de la langue arabe en Kabylie à sa proportion infinitésimale, la vérité, selon l’auteur, c’est qu’à travers la religion, la langue arabe a eu une audience non négligeable, dans la mesure où elle est « la langue de culte et des études ». Comparée aux autres régions, il se peut que la langue arabe soit moins présente qu’elle était dans la vallée du Mzab ou dans les Aurès.

Quoi qu’il en soit, depuis l’occupation du pays par le pouvoir ottoman –une présence que les différents pouvoirs politiques après l’indépendance ne qualifient pas de colonisation –, les trois groupes, déjà cités par Yassine Temlali, font face –sans qu’il y ait certes de coordination entre eux –à la présence turque. Or, bien qu’elle ne soit pas plus pénible que l’occupation française, force est de reconnaître que la présence turque ne diffère pas des autres colonisations, et ce, dans la mesure où les sujets sont immanquablement étranglés par leur politique fiscale. Ce qui explique la désobéissance des Kabyles des montagnes au pouvoir turc, mais pas les Chaouis protégeant leurs possessions situées dans les plaines. En revanche, écrit Yassine Temlali, « à cause de leur vulnérabilité topographique, les Amraoua, par exemple, seront la force de frappe des Turcs en Kabylie et plus tard rallieront l’Émir Abdelkader, à la différence des tribus montagnardes, rétives à toute soumission fiscale à quelque sultan que ce soit, fût-il un frère autochtone » (page 70).

En tout cas, c’est dans ce contexte marqué par l’affaiblissement du pouvoir janissaire et le refus des principales tribus autochtones de prendre part au combat que les Français occupent le pays en juin-juillet 1830. Pour Yassine Temlali, « la réussite du débarquement français n’a pas immédiatement allumé le feu du jihad antichrétien ni en Kabylie montagneuse ni dans les Aurès ni dans d’autres régions de l’Algérie profonde, tant le pays entier était peu solidaire du pouvoir oppressif des janissaires » (page91).

Mais dès que les autorités coloniales décident une occupation totale du pays, les Kabyles comme les Chaouis ont défendu crânement leurs territoires. Bien qu’il y ait d’autres soulèvements, l’auteur en cite deux marquant notre histoire. Le premier est celui de 1871, connu comme une « révolte kabyle » et le second est celui des Aurès en 1916, car, dit-il, il porte ce nom. Dans la réalité, ces soulèvements, et notamment celui de 1871, ont une « dimension pré-nationale ou nationale de soulèvement d’une entité indépendante contre une annexion étrangère », écrit-il en s’inscrivant en faux par rapport à la thèse de Maxime Ait Kaci qui, lui, croit à un soulèvement pré-national kabyle (page 97).

Par ailleurs, malgré la pacification du pays, « les indigènes », dans leur ensemble, sont restés attachés à leurs valeurs ancestrales. Ainsi, en dépit des politiques de division, il se trouve que les régions les plus scolarisées sont les premières à être acquises aux idées nationalistes. Levant le voile sur la politique kabyle de la France, Yassine Temlali écrit : « Mais la Kabylie décevra les espoirs inconsidérément mis en elle par les autorités françaises : la plupart des fondateurs de l’Étoile nord-africaine, première organisation indépendantiste algérienne créée à Paris en 1926, étaient originaires de cette région et étaient passés par l’école française » (page 143).

Et, qui plus est, si ces authentiques nationalistes avaient des préjugés ethniques, ils ne porteraient pas à la tête de leur organisation le natif de Tlemcen, Messali Hadj. Ce comportement de nos ainés ne doit-il pas couper court à toutes les surenchères visant à exploiter l’engagement révolutionnaire de la région à d’autres fins ? Citant le différend opposant Messali Hadj à Amar Imache, Yassine Temlali explique que malgré son éviction, Amar Imache « continuait à définir la nation algérienne comme … une nation arabe » (page 154). Et ce, en opposition à l’Algérie française.

Hélas, Messali Hadj ne saisit pas l’occasion [de la convergence des idées] pour réaliser le rassemblement des forces vives de la nation. À chaque crise, il s’appuie sur un groupe pour en éliminer un autre. C’est du moins dans cette logique qu’intervient l’excommunication des berbéristes en 1949. Bien qu’il y ait certes un courant, notamment en émigration, qui avance des revendications culturalistes –en plus, revendiquer une Algérie algérienne n’est ni une outrance ni une contrevérité historique –, les militants du district du Djurdjura sont, dans leur ensemble, des patriotes acquis à l’idéal d’indépendance.

Pour résumer leur sentiment, voilà ce que déclare Hocine Ait Ahmed aux membres du bureau politique du PPA-MTLD, présidé par Messali Hadj, lui demandant de désavouer ses camarades : « puisque mes camarades et moi n’avons jamais avancé de revendication culturelle et linguistiques berbères, afin de ne pas compromettre le processus révolutionnaire, c’est que nous acceptons plutôt l’Algérie arabe que l’Algérie française. Par contre, j’ai le sentiment que certains préféreraient encore l’Algérie française à l’Algérie berbère. »

En tout état de cause, bien qu’il y ait des divergences réelles sur la définition de l’Algérie ou à la limite sur l’intégration de sa composante berbère, il n’en reste pas moins que dès le déclenchement de la guerre d’Algérie, ces militants se sont mis à la disposition du FLN historique. En revanche, malgré la grandeur du projet, les initiateurs de la lutte armée ne sont pas d’accord sur la conduite à tenir. Si certains avancent l’idée d’un contrat moral –c’est-à-dire, la révolution appartient uniment à ceux qui l’ont déclenchée –, d’autres soutiennent que la révolution doit appartenir au peuple algérien. Et comme ils n’arrivent pas à trancher cette question, le pouvoir revient au groupe le plus puissant.

L’étude comparative entre la wilaya I et la wilaya III est, à ce titre, intéressante. Leur rivalité remonte, selon l’auteur, à l’époque où les dirigeants kabyles étaient chargés de réorganiser la wilaya I. C’est probablement ce qui détermine le choix des Chaouis lors de la crise de l’été 1962 en se ralliant à l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene. Bien que la crise de l’été 1962 oppose deux organismes, le GPRA et l’EMG, les choix des dirigeants sont parfois dictés par d’autres impératifs. Et pourtant, les statuts de la révolution déterminent clairement les rôles : c’est le GPRA qui nomme les membres de l’EMG. En droit, il existe une règle simple : celui qui nomme peut mettre fin aux fonctions du chef désigné. Du coup, sans tenir compte des éléments composant ces groupes, la victoire de l’EMG sur le GPRA ne peut porter qu’un seul nom : le coup d’État. Et c’est la seule période où l’auteur s’éloignerait, à mon humble avis, de l’étude des archives.

Pour conclure, il va de soi que cette note ne peut pas synthétiser le magnifique travail de Yassine Temlali. Pour mieux comprendre l’évolution du mouvement national et par la même occasion la formation de la nation algérienne –une contribution à laquelle ont participé toutes les régions d’Algérie –, il faudra lire le livre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet ouvrage répondra sans ambages à toutes les interrogations que le lecteur pourrait se poser.

Aït Benali Boubekeur

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  • Il est du devoir de chaque citoyen de s’intéresser à ce qui se passe dans son pays. C'est ce que je fais modestement.
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