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La description de la langue carrière politique de Hocine Ait Ahmed –un vrai parcours de combattant, pour reprendre le titre de l’un de ses livres –ne peut pas se faire en quelques pages. En effet, son combat pour le recouvrement de l’indépendance nationale et puis pour l’instauration de la démocratie en Algérie nécessite un espace amplement plus grand. Du coup, cette brève présentation ne reprend que les faits majeurs. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la conjoncture de l’époque, caractérisée par une domination féroce du système colonial, donne du fil à retordre aux jeunes de sa génération. Du coup, pour Hocine Ait Ahmed, la confrontation avec ce système commence très tôt. Haut de ses onze ans, il est confronté à la dure réalité de cette domination. Revenant de l’école de Tiferdout, lui et ses copains croisent l’administrateur de la commune mixte de l’ex Michelet. « Nous ignorons le degré de ses pouvoirs, mais nous savons qu’il exige d’être salué ostensiblement. Avec la désinvolture de l’enfonce, nous tournoyons autour de lui en enlevant et remettant note coiffure », raconte-t-il, dans son livre « l’esprit d’indépendance ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la sentence ne tarde pas à tomber. Le lendemain, les gardes de l’administrateur procèdent à l’arrestation des écoliers. Ces derniers sont restés « incarcérés » une journée pour avoir commis le sacrilège de se moquer du représentant de la colonisation.
Après ce baptême de feu, les épreuves s’enchainent. En 1939, il rejoint Alger –accueilli par son oncle, Ouzzine –en vue de poursuivre ses études. Toutefois, son combat politique remonte à l’année 1943. Malgré son jeune âge, il adhère au PPA (Parti du Peuple algérien). D’emblée, il condamne sévèrement le système colonial, un système reposant sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Et c’est à ce moment crucial de l’avenir de l’Algérie que Hocine Ait Ahmed débute sa carrière politique. Cela correspond à peu près à la naissance du Manifeste du peuple algérien. Véritable catalyseur, ce mouvement rassemble la classe politique algérienne, dont les figures de proue sont Messali Hadj et Ferhat Abbas. En tout état de cause, pour les nationalistes, si les Algériens participent à l’effort de guerre, ils devront, à la fin de la seconde guerre mondiale, être récompensés, et ce, en vertu des engagements pris par les Alliés en 1941, à savoir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Hélas, les engagements des autorités coloniales sont uniment chimériques.
De leur côté, les nationalistes ne songent qu’à juguler la sujétion coloniale en radicalisant leur position. À partir de là, la carrière de Hocine Ait Ahmed connait une ascension fulgurante. Elle se manifeste notamment par ses premières responsabilités au sein du mouvement nationaliste. Ainsi, après les événements de mai 1945, il est chargé d’organiser les activistes en Kabylie en vue d’en découdre avec les autorités coloniales. Dès le 15 mai 1945, Ouali Bennai sollicite la section lycéenne de Ben Aknoun pour qu’elle fournisse les volontaires capables de mener le combat révolutionnaire. D’après Hocine Ait Ahmed, « le soir même, un taxi nous déposait tous les cinq (Ouali Bennai nous accompagnait) à Tizi Ouzou ; le véhicule appartenait à Mohamed Zekkal, un vieux militant du quartier Belcourt. » Les quatre autres sont : Laimeche Ali, Omar Oussedik, Hocine Ait Ahmed et Amar Ould Hamouda. Dans la foulée, la Kabylie est scindée en plusieurs régions. Il s’agit de Fort National (Larbaa Nath Irathen), Azazga, Dellys-Tigzirt et Michelet (Ain El Hammam), dirigées respectivement par Laimeche Ali, Bennai Ouali, Omar Oussedik et enfin Hocine Ait Ahmed et Amar Ould Hamouda. Bien qu’un contre ordre soit donné par la direction à la veille du passage à l’action armée, le 22 mai 1945, ce groupe a mentalement rompu avec la colonisation.
Cependant, bien que le système colonial parvienne à étouffer la contestation, les événements de mai 1945 marqueront à jamais le jeune militant, Hocine Ait Ahmed. Très vite, son sens de responsabilité le propulse aux hautes responsabilités au sein du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD. Ainsi, bien que la création de la branche légale, le MTLD, soit décidée à l’initiative de Messali Hadj en novembre 1946, le congrès de février 1947 va créer deux autres branches du parti. L’une est clandestine, le PPA, l’autre est paramilitaire, l’OS. Pour créer les conditions du passage à l’action directe, le bureau politique, réuni le 13 novembre 1947, crée une commission composée de quatre personnes : le Dr Lamine Debaghine, Messaoud Boukadoum, Mohamed Belouizdad et Hocine Ait Ahmed. Grosso modo, il leur est demandé de formuler des propositions sur la structuration de l’OS. Dans la même réunion, il est également décidé le remplacement de Belouizdad par Ait Ahmed à la tête de l’OS. En effet, celui-là est souffrant d’une maladie grave, la tuberculose.
Dans la première phase de sa constitution, c’est-à-dire la période allant de novembre 1947 à décembre 1948, l’organisation spéciale se donne les moyens en vue de développer l’organisation. Selon Hocine Ait Ahmed, l’OS va élaborer des documents nécessaires à son fonctionnement. « Nous travaillons d’arrache-pied à la rédaction de la ‘brochure d’instruction militaire’, c’est-à-dire au manuel de formation de base des membres de l’OS », écrit-il dans ses mémoires. D’une façon générale, la mission de l’OS est de former les cadres capables de diriger l’action révolutionnaire. À ce titre, le manuel sert à faire comprendre au militant comment manier les armes, les explosifs et les combats individuels. Cependant, cette formation va s’accélérer à partir de la réunion du comité central élargi de Zeddine en décembre 1948. D’après Hocine Ait Ahmed, « dès décembre, après la première réunion au complet de notre équipe, le rythme est imprimé. Les chefs de zones s’emploient à constituer leurs effectifs en sélectionnant les militants les plus prometteurs ».
Hélas, la vie politique réserve parfois des événements imprévus. Bien que le rapport, présenté par Hocine Ait Ahmed, soit adopté à l’unanimité, le parti ne mettra pas en œuvre le projet. La crise de 1949 donne un coup de frein à la préparation de l’action armée. Le chef de l’OS, le fervent partisan de l’action, Hocine Ait Ahmed, est écarté de la direction. Dans la foulée, Ahmed Ben Bella le remplace à la tête de l’OS. Ce dernier ne reste pas longtemps à la tête de l’OS. En effet, en mars 1950, cette organisation paramilitaire est carrément démantelée. Avec cet échec cuisant, le mouvement national se retrouve derechef dans l’impasse. D’ailleurs, bien que la direction du parti n’attende que le moment propice pour écarter les activistes, la motion proposée par Ali Yahia Rachid lui en fournit un prétexte idéal. Absent au comité central élargi de Zeddine, ce dernier « ignore tout de nos options fondamentales, de nos buts. Mais justement, comment les atteindre si on décime l’encadrement en Kabylie », tente-t-il concilier la direction du PPA-MTLD avec le bastion révolutionnaire, la Kabylie. A-vrai-dire, la direction du PPA-MTLD saisit cette occasion pour régler ses comptes avec l’aile activiste du parti. Ainsi, en dépit de son discours radical, dans les faits, « Messali Hadj n’a jamais voulu, comme le dit si bien Mohamed Harbi, engager une épreuve de force contre le système colonial ». Du coup, pour avoir le contrôle sur le parti, il monte une aile du parti contre une autre afin de rester maitre du jeu.
De toute évidence, cette stratégie conduit droit dans le mur. La dissolution de l’OS et l’engagement du PPA-MTLD dans la voie réformiste reportent sine die le projet défendu par Hocine Ait Ahmed à Zeddine. Contraint de quitter l’Algérie en 1952, il rejoint Le Caire où il intègre la délégation extérieure du parti. À ce titre, il participe à la conférence de Rangoun, en Birmanie, en 1953. Les participants adoptent, à la fin des travaux de la conférence, la résolution consistant à lutter contre le colonialisme. En Algérie, la crise du parti, qui couve depuis longtemps, est portée à la connaissance du public. Contre le virage réformiste du parti, Messali Hadj, président du parti, demande les pleins pouvoirs. Sans le crier sous tous les toits, le comité central, conduit par Ben Youcef Ben Khedda, ne l’entend pas de cette oreille. Du coup, la scission du parti devient inéluctable. C’est en réunissant les activistes du parti que les fondateurs du FLN, dont fait partie Hocine Ait Ahmed, engagent le combat libérateur.
Chargé de représenter le FLN dans le monde, il participe en avril 1955, en tant représentant du jeune parti révolutionnaire, le FLN, à la conférence de Bandoeng, en Indonésie. Dans la foulée, il ouvre un bureau du FLN à New York. D’une façon générale, l’action de Hocine Ait Ahmed commence à porter ses fruits. Ainsi, au moment où d’autres complotent pour s’emparer du pouvoir le jour de la victoire, Hocine Ait Ahmed peaufine son plan visant à doter la révolution d’une grande diplomatie. Selon Matthew Connelly, auteur du livre « comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie » : « Il [Ait Ahmed] avait compris que les nationalistes nord-africains, pas seulement les Algériens, mais aussi les Marocains et les Tunisiens, pouvaient utiliser l’allié américain de la France en agitant la menace de voir l’Afrique du Nord tomber dans les bras du communisme. Il défendait que la cause algérienne était un symbole de la lutte des nationalistes contre le colonialisme face à une France qui, en essayant de garder son empire, s’opposait à la grande vague de l’histoire ». Hélas, au moment où les efforts diplomatiques suscitent l’intérêt international pour la cause algérienne, un conflit entre l’organisation intérieure et la délégation extérieure du FLN voit le jour. En effet, hormis Hocine Ait Ahmed, la délégation extérieure s’oppose à la ligne soummamienne, défendue par Abane Ramdane. Et le détournement de l’avion transportant la délégation extérieure, de Rabat vers Tunis, le 22 octobre 1956, ne fait que reporter le conflit entre les dirigeants.
En 1962, la course pour le pouvoir revêt un cachet particulier. Chaque clan se défend et tente alors d’éliminer le groupe concurrent. Cela dit, à l’indépendance, Hocine Ait Ahmed soutient systématiquement le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) dans le bras de fer l’opposant à l’EMG (état-major général). D’ailleurs, dans les statuts de la révolution, celui-ci devrait obéir à celui-là. Il refuse du coup de siéger au bureau politique (BP) proposé par Ben Bella, et dont l’armée constitue le centre de gravité de la coalition. Avec la formation du groupe de Tlemcen et de celui de Tizi Ouzou, Ait Ahmed décide de sortir de ce jeu politique qui voit l’affrontement entre les deux factions. Reproduite par le journal le Monde du 29 juillet 1962, Hocine Ait Ahmed annonce le 27 juillet 1962 « sa démission de tous les organismes directeurs de la révolution ». Mais, ce retrait, contrairement à ce que colportent ses détracteurs, ne signifie nullement le retrait de la vie politique. D’ailleurs, son parcours et son engagement, en faveur de la démocratisation des institutions algériennes, démentent leurs allégations mensongères.
Pour conclure, il va de soi que Hocine Ait Ahmed possède une qualité que l’on rencontre rarement de nos jours, à savoir l’éveil politique précoce. Ainsi, après son adhésion au PPA clandestin à l’âge de 17 ans, il devient à l’âge de 21 ans un cadre du parti, devenu PPA-MTLD. À 22 ans, il expose au comité central élargi de Zeddine, en décembre 1948, un rapport sur la lutte armée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rapport sera, six ans plus tard, d’un grand apport aux allumeurs de la mèche. Hélas, à l’indépendance, les appétits pour le pouvoir s’aiguisent. Désormais, l’exercice des responsabilités se jauge à l’aune du rapport de force et non à celui du mérite. Dans ce cas, les hommes, comme Hocine Ait Ahmed, sont systématiquement écartés, et ce, au grand dam de l’Algérie.
Ait Benali Boubekeur