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22 juillet 2014 2 22 /07 /juillet /2014 08:35
Le 52eme anniversaire de la proclamation du bureau politique à Tlemcen.

« Dans cette phase finale, où prend fin le tête-à-tête avec l’Etat colonial, la direction du FLN va imploser. L’image d’unité, forgée dans la guerre, ne résiste plus lorsque s’approche la possibilité de prendre le pouvoir », Benjamin Stora, dans « histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962 ».

Cette phase à laquelle fait allusion l’historien, natif de Constantine, connait son point de non-retour un certain 22 juillet 1962. Dans leur course effrénée pour le pouvoir, le duo Ben Bella-Boumediene proclament illégalement la naissance du bureau politique (BP), « habilité à assurer la direction du pays ». Et pourtant, ce duo n’a pas plus de légitimité que les autres dirigeants. Bien que Ben Bella soit un chef historique, la collégialité du mouvement de libération ne lui donne nullement le droit de s’emparer des rênes du pouvoir. De la même manière, en termes de compétences, ils ne sont pas plus méritants que leurs compagnons de lutte. En revanche, leur seul avantage est indubitablement d’être à la tête d’une armée stationnée aux frontières depuis 1957. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son unification, en janvier 1960, sous la houlette de Houari Boumediene, s’avère a posteriori une mauvaise affaire. Car, une armée qui soutient un homme ne peut pas être, en même temps, au service du peuple.

Toutefois, pour mieux comprendre la genèse de ce coup de force, il faudrait rappeler succinctement comment la prise du pouvoir a été envisagée avant même que le cessez-le-feu n’ait été proclamé. En effet, à quelques mois de l’arrêt des combats –ce qui correspond à la période des négociations –, Houari Boumediene, à la tête de l’armée des frontières, manœuvre en coulisse. Pour ce faire, il charge Abdelaziz Bouteflika de sonder les cinq chefs historiques, emprisonnés depuis octobre 1956. Citant Rédha Malek, Mustapha Benfodil écrit : « Contrairement à Boudiaf et Ait Ahmed qui refusent de marcher dans la combine, Ben Bella, lui, n’a pas d’état d’âme. Il s’aligne sur l’état-major. »

Cependant, bien que la négociation avec la France paraisse inéluctable, pour le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) comme pour l’EMG (état-major général) –comment parvenir d’ailleurs à l’indépendance quand les ¾ des effectifs de l’ALN, vers la fin de la guerre, se trouvent à l’extérieur –, les chefs de l’EMG attendent le moment opportun pour confisquer le pouvoir. D’ailleurs, l’échec du congrès de Tripoli, qui s’est tenu du 28 mai au 6 juin 1962, est dû à l’opposition des légalistes à légaliser le coup de force du duo Ben Bella-Boumediene. En fait, malgré le chantage de Ben Bella, la commission Benyahia, censée présenter une liste de 7 personnes pour former le bureau politique, n’a pas réussi à dégager une liste consensuelle.

A-vrai-dire, le blocage venait principalement du duo fort du moment, Ben Bella et Boumediene. Et si ces derniers voulaient une direction unitaire, il suffirait qu’ils acceptent d’intégrer Krim Belkacem au BP, et ce, à la place de Mohammedi Saïd. Un mois plus tard, cette proposition est renouvelée derechef par le conseil de la wilaya 3 lors de la réunion du 17 juillet 1962 à El Asnam. « La 3 acceptait le bureau politique mais elle demandait le remplacement de Mohammedi Saïd par Krim, demande impossible à satisfaire pour Ben Bella sauf à accepter de laisser entrer le loup dans la bergerie », écrit Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ».

Cependant, craignant d’être pris de vitesse par le bureau du CNRA (conseil national de la révolution algérienne), qui entend convoquer une session ordinaire pour le 2 aout 1962, le duo Ben Bella-Bouemdiene passe illico à l’offensive. Le 20 juillet, les membres du CNRA, acquis à Ben Bella et Bouemdiene, signent une déclaration dans laquelle ils s’autoproclament dépositaires de la révolution algérienne. « Le soir du 22, à la villa Rivaud et en pleine panne d’électricité, Boumendjel lut à la lumière des bougies un long communiqué s’appuyant sur la motion de défiance du 7 juin et annonçant que le bureau politique assumait désormais ses responsabilités nationales », note encore Gilbert Meynier.

Mis devant le fait accompli, les membres du GPRA qualifient alors la nomination du BP de coup de force. De leur côté, les conseils de wilayas historiques n’approuvent pas ce passage en force. Or, malgré ces oppositions, la coalition Ben Bella-Boumediene ne recule devant rien. Pire encore, une semaine après la proclamation du BP, les deux compères élaborent un plan militaire pour écraser la résistance intérieure. Une victoire amère puisque des Algériens tuent des Algériens pour la prééminence d’un groupe sur l’Algérie.

Pour conclure, il va de soi que l’idée même de créer un bureau politique est porteuse de discorde. A partir du moment où le GPRA a négocié, au nom du peuple algérien, l’indépendance du pays, il est normal qu’il régisse la période de transition, allant du cessez-le-feu jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. En revanche, si jamais le GPRA ne compte pas respecter la volonté du peuple algérien, toute opposition au GPRA sera alors légitime. Hélas, nos pseudos révolutionnaires de palace n’ont pas donné la chance à la légalité. Après avoir évincé le GPRA dans le premier temps, le duo Ben Bella-Boumediene écarte ensuite le peuple algérien de la gestion de ses affaires. Ainsi, tous les efforts qui ont été consentis pour mettre fin à la tutelle coloniale sont vains. 52 ans plus tard, le peuple algérien reste toujours assujetti.

Ait Benali Boubekeur

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5 juillet 2014 6 05 /07 /juillet /2014 17:04
De Gaulle a-t-il donné l’indépendance à l’Algérie ?

Cette idée reçue est évidemment largement partagée. Mais, qu’en est-il vraiment ? C’est ce à quoi tente de répondre l’historienne, Sylvie Thénault, dans un ouvrage intitulé « Algérie : des événements à la guerre ». En effet, bien que la réponse puisse paraître évidente pour certains, ceux qui travaillent sur le sujet refusent de tomber dans cette facilité. Ainsi, même si on peut dire que l’arrivée du général de Gaulle a accéléré le processus –aucune étude sérieuse ne retient la thèse d’une possible indépendance sous la IVème République –, la détermination des Algériens à aller jusqu’au bout de la lutte n’est pas non plus à négliger. Malgré les coups durs de l’armée française, l’ALN (armée de libération nationale) parvient toujours à reconstituer ses réseaux.

De toute évidence, pour mieux cerner le sujet, le retour au contexte qui a permis le retour général de Gaulle au pouvoir est requis. En fait, tout commence le 13 mai 1958. A travers la mobilisation de leurs associations, les ultras s’opposent uniment à l’investiture de Pierre Pflimlin comme président du Conseil. Dans un journal alsacien, il a déclaré, quelques mois plus tôt, que tout en étant ferme, il faudrait négocier avec les Algériens. Du coup, son nom a été tout de suite inscrit sur la liste des ennemis de l’Algérie française. Et quand le nom de Pflimlin circule pour succéder à Félix Gaillard, la réponse des ultras ne se fait pas attendre. « A Alger, le rassemblement organisé sur le forum, épicentre de la vie politique, tourna à l’émeute… Eux voyaient en Charles de Gaulle l’homme providentiel pour garder l’Algérie française », note l’historienne.

Appelé à perpétuer le maintien du système colonial, dans le premier temps –et c’est le moins que l’on puisse dire –, le général de Gaulle n’a pas les coudées franches. « Prisonnier de l’armée et de la foule, il prononce des paroles apparemment définitive : ‘dix millions de Français à part entière’, ‘Vive l’Algérie française’ », écrit, pour sa part, Guy Pervillé sur son site internet. Du coup, dans les premiers mois suivant le retour du général de Gaulle au pouvoir, la politique algérienne demeure la même. Et même si ce dernier ne montre pas les signes de rupture, « ceux-là mêmes qui l’avaient ramené au pouvoir par leur coup de force eurent rapidement des doutes », argue l’historienne.

Quoi qu’il en soit, les vrais signes d’ouvertures ne commencent à se manifester que lorsque les institutions de la Vème République sont consolidées. Dans son discours du 16 septembre 1959, le général de Gaulle parle pour la première fois du principe de l’autodétermination. Bien qu’il maintienne l’effort de guerre intact, il évoque aussi l’éventuelle formation d’un « gouvernement algérien ». Cela est bien entendu insuffisant pour calmer les ultras. Ces derniers ne veulent rien entendre. Pour eux, il n’y a qu’une seule politique : le maintien de l’Algérie à la France. Or, le général de Gaulle, après avoir intensifié l’action militaire sur le terrain, veut désormais sortir la France du bourbier algérien. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle politique obéit aussi à des contraintes. Car, sur le terrain des opérations et sur la scène internationale, le FLN historique –pas l’actuel où les principes sont troqués contre des privilèges –est omniprésent. En fait, bien que les dirigeants de la révolution algérienne ne tablent pas sur une victoire militaire, leur action diplomatique déstabilise la France. Comme le rappelle si bien l’historienne, « la lutte des Algériens pour l’indépendance prit pour terrain la scène mondiale, où la France fut mise en difficulté et désavouée ».

En somme, il va de soi que général de Gaulle n’a pas octroyé l’indépendance à l’Algérie. Considérée comme un frein à l’épanouissement de la France, l’Algérie représente un gouffre financier, selon les propres termes du général de Gaulle. Sur le plan international, la France est également isolée. Mêmes les alliés traditionnels souhaitent que la France tourne la page de cette histoire coloniale. Pour toutes ces raisons, estime l’historienne, le général de Gaulle n’a pas donné l’indépendance à l’Algérie. « Il dut gérer un conjoncture difficile, dans laquelle la France était mise en échec, sans perspective de retournement de la situation », conclut-elle. Cela dit, en étant contraint de négocier, cela ne veut pas dire que le général de Gaulle a relégué les intérêts de la France au second plan. Jusqu’à l’ultime round des négociations, la délégation française, mandatée par le général de Gaulle, a exercé une pression intenable pour que la délégation algérienne, mandatée par le CNRA (conseil national de la révolution algérienne) et conduite par Krim Belkacem, accepte ses conditions. C’est peine perdue, puisque les patriotes de l’époque ne jouent pas avec le sang des martyrs. Ce qui est aux antipodes du FLN actuel où l’on se bat à coup de poings pour des postes et des privilèges.

Ait Benali Boubekeur

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30 juin 2014 1 30 /06 /juin /2014 09:03
16 ans après, les Algériens attendent toujours la vérité sur l’assassinat de Matoub.

Dans l’histoire des assassinats politiques, il y a des affaires que l’on ne peut pas classer par le fait d’une procédure bâclée. L’assassinat de Matoub Lounes ne déroge pas à cette règle. En effet, à chaque fois que le régime et ses complices dans la région croient enterrer l’affaire, les fans du chanteur et tous ceux qui sont épris de justice ne veulent pas que ce lâche assassinat soit clos de cette manière. Pour ces derniers, oublier ce crime est une attitude pusillanime. En revanche, le fait d’entretenir cette mémoire, pour eux, est tout bonnement une manière de résister. Et pour cause ! Il n’est pas normal, selon eux, qu’à chaque fois que des tensions subsistent au sommet de l’Etat, les planificateurs de la mort sévissent sans crainte.

Hélas, il y a de cela 16 ans, ce marchandage a couté la vie au chanteur populaire, Matoub Lounes. Or, malgré la précipitation de certains politiques de la région à imputer l’assassinat de Matoub au GIA (groupes islamiques armés), les manifestants – qui ont investi la rue dans les heures qui ont suivi le crime – n’ont pas gobé ce mensonge éhonté. En fait, dès l’annonce de la mort du chanteur, les manifestants ont tout de suite compris la manœuvre. Pour rappel, à l’époque, les tensions entre le chef de l’Etat, Liamine Zeroual, et le clan des « janvieristes » (allusion à ceux qui ont fait le coup d’Etat en janvier 1992) ont atteint leur paroxysme. D’ailleurs, le général Zeroual renoncera à son mandat trois mois après l’assassinat de Matoub. Si le lien entre les deux événements ne peut pas être appuyé par des éléments palpables, il est difficile, tout de même, de ne pas faire le rapprochement.

En effet, en 1998, l’agitation est à son comble au sommet de l’Etat. D’après une enquête de Libération, dirigée par Florence Aubenas et José Garçon, un clan du pouvoir aurait utilisé ses relais dans la région de Kabylie pour déstabiliser le clan présidentiel. « Si la direction de l’armée n’apprécie pas la loi d’arabisation, elle ne peut s’y opposer ouvertement et il serait plus habile que la mobilisation parte de la population elle-même. La Kabylie, en pleine effervescence à cause de cette loi, parait le terrain le plus favorable. S’en prendre à l’un des symboles de la culture berbère serait une provocation susceptible d’allumer la mèche. Durant cette réunion, un dirigeant du RCD aurait affirmé qu’il se charge d’enflammer la Kabylie », notent les deux journalistes de Libération.

Malheureusement, à chaque fois que l’on veut mobiliser la région, certains politiciens pensent plutôt à piéger ses habitants. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est la version que les milieux populaires retiennent à l’affaire Matoub. D’après eux, les instigateurs de ce crime veulent vraisemblablement inciter le général Zeroual à accepter leur feuille de route. En tout cas, la suite des événements révèle l’existence d’un plan préalablement établi. « Quelques heures après cet assassinat, Nourredine Ait Hamouda intervient dans les médias internationaux (comme France –Infos) pour affirmer que les assassins sont les islamistes du GIA, idée fixe également développée par Khalida Messaoudi, députée du RCD au parlement algérien. C’est ainsi une véritable « pression » médiatique qui s’exerce pour faire admettre la thèse du GIA dans l’assassinat de Lounès », publie Massin Ferkal sur le site « Tamazgha ».

Quoi qu’il en soit, bien que l’enquête soit d’emblée orientée vers les groupes islamistes, la quête de la vérité ne s’arrête pas non plus. Malgré les blocages tous azimuts, les habitants de la région de Kabylie commémorent l’anniversaire de l’assassinat de leur chanteur préféré en réclamant toujours la vérité. « Cessons de trouver de faux assassins. Nous n’accepterons pas un simulacre de procès destiné à tromper l’opinion et à clore le dossier. Nous exigeons une véritable enquête », confie la sœur du chanteur, Malika Matoub, aux deux journalistes de Libération en 2000.

Depuis ce temps-là, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La justice algérienne a trouvé deux coupables. Pour classer l’affaire, elle a bidouillé un procès auquel personne n’accorde de crédit. Et pour cause ! Les aveux arrachés sous la torture ne sont pas recevables. Pour autant, il ne s’agit pas ici de disculper les deux mis en cause, Malik Medjnoun et Abdelhakim Chenoui, pour avoir pris les armes. Mais, dans l’affaire Matoub, les revendications sont de nature à consacrer les principes de justice. Quand un crime est commis, la moindre des choses est d’œuvrer pour que les zones d’ombre soient élucidées.

Dans ce cas, c’est toute la procédure qui doit être reprise à zéro. Pour montrer sa bonne foi, la justice doit recevoir tous les éléments qui sont susceptibles de rétablir la vérité. De la même manière, toutes les personnes qui peuvent apporter leur témoignage doivent être entendues. Enfin, en procédant de la sorte, la justice algérienne gagnerait davantage en crédibilité. Dans le cas contraire, la justice va continuer à être perçue comme un instrument entre les mains des comploteurs.

Ait Benali Boubekeur

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1 juin 2014 7 01 /06 /juin /2014 14:27
La naissance au forceps de la presse algérienne.

Après trois décennies d’une mainmise totale sur l’information, le régime algérien –à la faveur notamment des événements d’octobre 1988 –lâche enfin du lest. Désormais, bien qu’elle soit contrôlée, l’expression plurielle est tolérée. Ainsi, bien que cette ouverture se limite à la presse écrite, cette réforme est accueillie avec allégresse par l’opinion. En dépit d’un quart de siècle qui nous sépare de l’événement, les Algériens qualifient cette période d’âge d’or de la presse.

En fait, la constitution du 23 février 1989 garantit, de façon latente, la liberté d’expression, mais aussi la liberté d’association. Cela dit, intervenant dans un contexte alambiqué, cette ouverture constitue-t-elle une manœuvre des décideurs pour mieux canaliser la grogne sociale ? A posteriori, cette hypothèse n’est pas à exclure. En effet, certains observateurs n’hésitent pas à avancer la thèse selon laquelle la liberté d’expression permettait de transformer la violence dans les quartiers en expression politique.

Cependant, saisissant la balle au bond, les professionnels –quel que soit leur bord –se lancent dans l’aventure en créant une multitude de titres. Bien que la loi du 3 avril 1990 réduise cette ouverture à la presse écrite (le pouvoir central garde le contrôle sur la télévision et la radio), il n’en reste pas moins que l’opinion accompagne avec abnégation cet élan. Peu à peu, le gouvernement réformateur, dirigé par Mouloud Hamrouche, parvient à rassurer l’opinion sur le bien-fondé de son programme de réformiste. Et ce n’est pas par hasard que le chef de file des réformateur sera encouragé dans cette voie par le charismatique chef historique, Hocine Ait Ahmed. Constatant le sérieux dont fait preuve l’équipe réformatrice, le président du FFS va jusqu’à envisager une coalition gouvernementale FFS et FLN réformateur, à l’issue des élections législatives, prévues initialement le 27 juin 1991.

Hélas, dans cette affaire, le pouvoir ne s’exprime pas d’une seule voix. En d’autres termes, est-ce que tous les segments du pouvoir sont d’accord pour que la liberté soit consacrée en Algérie et plus particulièrement la liberté de la presse ? Le départ du gouvernement Hamrouche, le 4 juin 1991, est la preuve que les réformes engagées en 1989 ne sont pas unanimes au sein du pouvoir. Après une période d’accalmée, la police politique reprend le contrôle. Pour ce faire, elle infiltre uniment toutes les rédactions ou peu d’en faut. Plus grave encore, après le premier tour des élections législatives avortées du 26 décembre 1991, la presse est sommée de rentrer dans les rangs.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas ici de mettre tout le monde dans le même sac. En fait, malgré une répression aveugle, plusieurs titres ont essayé de respecter les règles de déontologie. Mais, dans l’Algérie des généraux, le prix à payer est colossal. « C’est le cas, fin 1996, de la Nation, qui fut durant des années le seul hebdomadaire indépendant privé à parler des violations des droits de l’Homme, de la répression contre les militants islamistes, des ratissages, des disparus, etc. Tout ce qui fâche et qui n’est jamais traité dans les autres journaux », écrivent François Geze et Sahra Kettab.

Dans la réalité, la descente aux enfers débute au lendemain du premier tour des élections législatives « propres et honnêtes », de décembre 1991. En mobilisant ses relais, l’offensive du régime aboutit au coup d’Etat du 11 janvier 1992. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci referme uniment la parenthèse démocratique. Désormais, l’information est du seul ressort des décideurs. Dans son article 5, le décret sur l’Etat de siège énonce vaguement le droit d’interpeller toute personne susceptible de perturber « le bon fonctionnement des services publics ».

Du coup, dans un climat marqué par une répression tous azimuts, il est impossible que la presse puisse en échapper. En tout cas, après le coup d’Etat, l’autonomie de la presse se réduit telle une peau de chagrin. Malgré les services rendus entre les deux tours des élections législatives avortées, les journalistes vont payer un lourd tribut. Le premier journal à payer les frais est le quotidien El Watan. Le 2 janvier 1993, le journal est suspendu. Et pour cause ! Il publie un article faisant état de l’assassinat de 5 gendarmes.

A partir de cette date, les suspensions vont s’enchainer jusqu’à ce que les titres récalcitrants rentrent dans les rangs ou disparaissent du paysage médiatique. En plus, dépendant du pouvoir politique, une certaine presse troque définitivement sa liberté en contrepartie d’une récompense financière. Bien qu’elle puisse critiquer de temps en temps les dirigeants, elle s’accommode facilement des injonctions des autorités. « Pas question de mettre ne cause la légitimité du coup d’Etat -22ans après, la presse parle d’acte salvateur –de janvier 1992, impossible de sortir du discours officiel à propos de la commission d’enquête internationale ou de la réunion de Rome des partis de l’opposition », écrit Salima Ghezali, dans une tribune intitulée : « De la presse bâillonnée à la une presse schizophrène ».

Enfin, bien que la presse écrite connaisse ces derniers temps un semblant de libéralisation, elle reste tout de même liée à un clan ou autre du pouvoir. Les différents déballages auxquels on peut assister sont le fait de la lutte de clans.

Pour conclure, il va de soi que la presse, quel que soit le pays, ne peut pas s’épanouir dans un climat hostile. La presse algérienne a toujours été utilisée par le régime comme un instrument pour sa propre propagande. Mis-à-part la période 1989-199, où elle a bénéficié d’une relative autonomie, la presse a été muselée. Cela dit, dans un pays où l’on bafoue tous les droits, peut-on s’attendre à ce que la liberté d’expression soit garantie ? La réponse est évidemment non. Et comme tous les droits, il doit être arraché à ceux qui exercent un chantage permanent sur la société algérienne.

Ait Benali Boubekeur

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19 mai 2014 1 19 /05 /mai /2014 12:48
Hommage aux étudiants algériens.

La grève générale du 19 mai 1956, déclenchée à l’initiative de la section d’Alger de l’UGEMA (Union Générale des Étudiants musulmans algériens), constitue la preuve, si besoin se fait sentir, de l’engagement massif des étudiants Algériens pour la cause nationale indépendantiste. Bien qu’il existe des réticents parmi eux, il n’en reste pas moins que beaucoup d’entre vont rejoindre, après l’appel du 19 mai, le FLN (Front de Libération nationale) et son bras armé, l’ALN (Armée de Libération nationale). D’ailleurs, la lutte des étudiants, depuis la création du mouvement nationaliste en 1926, s’inscrivait en parfaite symbiose avec les revendications du mouvement national. En effet, dans les années 1920 et 1930, les étudiants algériens ont créé respectivement l’AEMAN (Association des Étudiants musulmans d’Afrique du Nord) et l’AEMNA (Association des Étudiants musulmans nord-africains). Toutefois, l’existence de plusieurs partis a fait que chaque parti nationaliste avait ses militants et ses sympathisants parmi les étudiants. D’où l’existence de plusieurs associations estudiantines.

Cependant, le combat politique ne pouvant conduire le peuple algérien à son émancipation, les militants nationalistes ont opté, deux ans plus tôt, pour la lutte armée. Et dans ce contexte, toutes les organisations algériennes ont été invitées à rejoindre le Front de libération. Sous la houlette d’Abane Ramdane, tous les partis algériens, ayant existé avant 1954, sont sollicités pour qu’ils rejoignent individuellement le FLN et l’ALN. Pour encadrer la lutte, les dirigeants du front ont besoin de l’apport des étudiants. C’est dans ces conditions qu’a lieu, le 8 juillet 1955, le congrès constitutif de l’UGEMA en vue d’unifier les syndicats estudiantins. D’ailleurs, la présidence est revenue à Ahmed Taleb El Ibrahimi, de l’association des Oulémas. Ainsi, tout en gardant un lien étroit avec le FLN, l’UGEMA s’ouvre à d’autres formations.

Cependant, dix mois après la création de l’UGEMA, les dirigeants vont inviter leurs camarades, inscrits à l’université d’Alger et ailleurs, à boycotter les cours et les examens. Ainsi, les universitaires algériens, mais aussi les lycéens, rejoignent sans réticence les maquis pour lutter contre le joug colonial, imposé injustement au peuple algérien. En effet, l’appel du 19 mai souligne qu’ « avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! » A quoi serviraient-ils, arguent les rédacteurs du document, ces diplômes si le peuple continuait à souffrir. En signe de solidarité avec les combattants, les étudiants et les lycéens décident de mettre cursus en sourdine. « Nous observons, tous, la grève immédiate des cours et des examens et pour une durée illimitée. Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis», écrivent-ils.

Par ailleurs, une semaine plus tard, le comité directeur de l’UGEMA, dont le siège se trouve à Paris, exhorte, à son tour, les étudiants algériens en France, au Maroc et en Tunisie à adhérer au mouvement lancé par la section d’Alger. Au même moment, les étudiants, établis en Algérie, prennent le chemin du maquis. Pour ces derniers, leur rôle consiste, dans le premier temps, à renforcer l’organisme politique, le FLN. Evidemment, cet apport est bien accueilli par les dirigeants du FLN. En revanche, la puissance coloniale qui a tablé dès le début de la guerre sur la compréhension des universitaires algériens en vue d’une éventuelle coopération a été vite déçue. C’est en effet un pari insensé dans la mesure où les étudiants sont pour la plupart acquis, depuis au moins les événements de mai 1945, au combat nationaliste. Bien que la scolarisation, dans les années de colonisation, soit réservée à certaines familles préconisant l’assimilation, il n’en reste pas moins que leur progéniture ont une conscience nationaliste précoce. D’ailleurs, plusieurs étudiants et lycéens ont quitté, suite aux événements de Sétif et de Guelma, les bancs de l’école pour militer au sein du principal parti nationaliste le PPA (Parti du Peuple algérien) et ensuite le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques).

Cependant, bien que la mission soit périlleuse, les étudiants en France ont pour mission d’expliquer aux ouvriers, désorientés par le MNA (Mouvement national algérien), mouvement concurrent créé par Messali Hadj, que le FLN se bat pour la libération nationale sans qu’il y ait la moindre compromission avec la France. D’ailleurs, sur le sol hexagonal, le président de l’UGEMA a rejoint la direction de la fédération de France. Sur le plan international, l’UGEMA devrait mener le combat sur trois fronts : l’anticolonialisme, l’indépendance et l’action. Pour ce faire, l’UGEMA définit sa politique en clarifiant sa politique : « Notre but était clair : informer, expliquer la tragique réalité algérienne, démystifier le monde étudiant qui distingue mal la France culturelle de la France colonialiste, gagner les sympathies à notre juste cause, obtenir l’engagement concret de la communauté étudiante mondiale dans la lutte que nous menons. »

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet engagement sera chèrement payé. Du côté colonial, les étudiants subissent, durant toute la période de la guerre, les arrestations, les procès, voire les liquidations physiques. Mais grâce à la mobilisation, ces abus sont portés à la connaissance de la communauté internationale. La campagne menée par l’UGEMA auprès de l’UIE (Union Internationale des Étudiants) aboutit à la mobilisation internationale. Du côté algérien, l’intoxication des maquis par les services psychologiques va semer le doute chez certains maquisards. Cette tactique, qui a déclenché la terrible vague de « bleuite », va causer la disparition d’un nombre considérable des étudiants.

Pour conclure, on peut dire que les étudiants algériens ont été à la hauteur des attentes placées en eux. En effet, ils se sont acquittés convenablement de leur tâche. D’ailleurs, lors des négociations franco-algériennes, plusieurs militants de l’UGEMA ont représenté le peuple algérien lors des pourparlers de cessez-le-feu, conclus à Evian, le 18 mars 1962.

Par Ait Benali Boubekeur.

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12 mai 2014 1 12 /05 /mai /2014 16:08
L’évolution du mouvement syndical en Algérie.

L’histoire du syndicalisme se résume à l’éternel rapport de force entre le pouvoir et l’organisation des travailleurs. Bien que celle-ci ait pour vocation de défendre les préoccupations des salariés, force est de reconnaitre que l’emprise du pouvoir politique est telle que le principal syndicat, en l’occurrence l’UGTA (union générale des travailleurs algériens), ne joue plus son rôle. Ces derniers temps, il est uniment un appendice du gouvernement. À vrai dire, depuis sa création, la centrale syndicale n’a jamais pu s’émanciper du pouvoir politique.

Pour comprendre cette mainmise sur le mouvement syndical, un retour à la genèse du mouvement est requis. En fait, c’est en pleine guerre d’Algérie que les dirigeants du FLN décident de mettre en place une organisation indépendante de son rival, le MNA de Messali Hadj, et de la CGT. Bien que le temps de concertation soit formel, l’essentiel, estiment les dirigeants de la révolution, réside dans l’occupation du terrain. « Lors d’une réunion au domicile de ce dernier [Boualem Bourouiba], Ben Khedda , Abane Ramdane, Aissat Idir préparent en une nuit tous les documents nécessaires à la création de l’union générale des travailleurs algériens (UGTA) et choisissent sa direction », souligne l’éminent historien Mohamed Harbi.

De toute évidence, en période de guerre, il est difficile de respecter les règles inhérentes à l’organisation d’un mouvement de masses. D’ailleurs, celui qui a donné naissance à l’UGTA n’a-t-il pas fait, lui aussi, une entrée par effraction, pour reprendre l’expression de Mohamed Harbi, sur la scène politique ? À la limite, pour tenir tête aux autorités coloniales, la mise en sourdine de quelques formes protocolaires pourrait être justifiée. Ce qui compte, c’est de pouvoir réunir les conditions en vue mettre fin au joug colonial. En plus, malgré son rôle de simple courroie de transmission, l’UGTA a su représenter dignement l’Algérie en guerre lors des différentes rencontres internationales.

Mais, là où le bât blesse, c’est lorsque des compatriotes, dans l’Algérie indépendante, privent d’autres compatriotes de leur droit de s’organiser. Hélas, à la veille de l’indépendance, la propension de certains dirigeants pour le pouvoir met un terme au rêve des Algériens, lequel rêve ne devrait pas être un luxe si on tenait compte de leur sacrifice. En fait, après le cessez-le-feu, les nationalistes sont contraints de choisir entre un soutien au GPRA évanescent –au risque de payer très cher plus tard leur engagement – ou se ranger derrière la coalition Ben Bella-Boumediene, soutenue par l’armée des frontières, dont la victoire n’est qu’une question de temps. En choisissant la première alternative, l’UGTA se retrouve dans la ligne de mire des nouveaux maitres de l’Algérie.

Cependant, bien que l’UGTA accepte, après la victoire de la coalition Ben Bella-Boumediene, le nouveau pouvoir et entende juste contribuer à l’édification de la nation, l’esprit revanchard des vainqueurs, lors de la crise de l’été 1962, l’emporte sur le souci de bâtir un État de droit. Et lorsque l’UGTA envisage de tenir son premier congrès, le 17 janvier 1963, le régime mobilise ses baltaguias en vue de récupérer le syndicat. Menés de gourdins, ces nervis expulsent de la salle les véritables organisateurs. « Plus tard, tandis que les gros bras s’assurent le contrôle de la salle et que la police entoure le bâtiment, ont fait voter à main levée le nouveau bureau du congrès », écrit Catherine Simon, dans « Algérie, les années pieds-rouges ».

Dans le même ordre d’idées, des témoins relatent des dépassements tous azimuts. Couvrant l’événement pour le compte de France Soir, Edmond Bergheud accuse directement le chef de l’État Ahmed Ben Bella d’être l’instigateur. « C’est le chef de l’État en personne, soucieux de briser un mouvement syndical en quête d’autonomie, qui aurait mis au point, avec Mohamed Khider, encore numéro un du FLN, ce scénario quasi maffieux. Avec, à la clé, un commando de trois cents benbellistes, spécialement amenés sur les lieux », raconte-t-il. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cet événement va mettre définitivement fin à l’autonomie de l’UGTA.

À partir de cette date, la centrale syndicale n’est plus que l’ombre d’elle-même. Désormais, elle est chargée d’encadrer les travailleurs pour le compte du pouvoir. C’est ainsi qu’elle se trouve dans la cruelle alternative de soutenir, sans fard ni acrimonie, les orientations politiques et économiques des différents gouvernements. Malgré les crises que l’Algérie a vécues dans les années 70 et 80, la centrale syndicale ne réagit pas. Pire encore, au lieu d’accompagner la protestation en cas de fermeture d’usines, l’appareil de l’UGTA se range du côté du pouvoir. De la même façon, l’ouverture politique, survenue certes au forceps après les événements d’octobre 1988, ne change rien à la donne. Malgré quelques tentatives, le mouvement syndical ne se libère pas de l’emprise des politiques. Ainsi, au début des années 1990, le SIT (syndicat islamique du travail), dont les visées hégémoniques sont un secret de polichinelle, ne songe qu’à remplacer l’UGTA.

Par ailleurs, après le coup d’État de janvier 1992, auquel l’UGTA a apporté tout son soutien, l’appareil syndical se rend avec armes et bagages. Malgré la multiplication des plans sociaux, les travailleurs sont livrés à eux-mêmes. Contraints alors de rompre avec la centrale syndicale, les travailleurs s’organisent, cahin-caha, autour des syndicats autonomes, tels que le SNAPAP, le CNES, etc. Toutefois, l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir ne fait que compliquer la situation du mouvement syndical, et ce, bien que le régime claironne que tout va bien. Et paradoxal que cela puisse paraitre, c’est qu’en dépit de l’aisance financière, la situation des travailleurs reste précaire. Une situation à laquelle l’UGTA fait la sourde oreille. D’ailleurs, dans une déclaration du front syndical libre, les rédacteurs regrettent que l’UGTA serve de « courroie de transmission aux décisions du pouvoir et du patronat, tout en leur faisant croire qu’ils se battaient pour arracher l’essentiel aux représentants de l’État. »

Lors des événements nord-africains de 2011, ayant emporté plusieurs dictateurs, le patron de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, avertit qu’ « aucune personne n’a le droit de perturber le pays. » Ce qui signifie que l’appareil de l’UGTA serait du côté du pouvoir si jamais il y avait des troubles. Récemment encore, la centrale syndicale, en outrepassant ses prérogatives, soutient sans vergogne la candidature d’A. Bouteflika. Ainsi, pour peu que les intérêts personnels soient préservés, l’obéissance se manifeste avec un large sourire. Aissat Idir, le fondateur de l’UGTA, qui a été torturé par les paras français pour avoir combattu l’injustice, va subir une seconde mort en voyant ce qui est advenu de l’UGTA.

Pour conclure, il va de soi que le mouvement syndical a du mal à exister en toute autonomie. Le pouvoir politique empêche en effet les travailleurs de se donner les moyens de choisir librement ses représentants. Bien que ces derniers tentent tant bien que mal de créer des syndicats autonomes, les autorités du pays ne veulent pas lâcher la bride. Pour eux, tous les Algériens qui n’applaudissent pas le système ne sont pas dignes d’être représentés. Du coup, la seule consolation pour les travailleurs, c’est de dire que toutes les organisations subissent le même sort.

Ait Benali Boubekeur

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10 mai 2014 6 10 /05 /mai /2014 15:52
Le mémorandum du FFS de mai 2001 : une véritable feuille de route pour l'opposition démocratique.

Malgré les années qui passent, force est reconnaître que ce document n'a pas pris une ride. Il faut dire aussi que la crise politique n'a pas connu son épilogue. Bien qu'elle ne soit pas la première du genre, cette initiative est la plus marquante. Toutefois, depuis sa création, le FFS a toujours proposé, sans fard ni acrimonie, la voie à suivre. Bien évidemment, le changement auquel appelle le FFS est un changement pacifique, mais aussi radical. Il doit être radical pour qu'il n'y ait pas de faux changement. De la même façon, celui-ci ne doit pas intervenir de façon violente, et ce, pour plusieurs raisons historiques. D'abord, après avoir vécu une guerre civile de plus de dix ans, le peuple algérien a assez pays de son sang. Ensuite, les changement violents donnent généralement naissance à des régimes qui n'ont rien à envier aux dictatures d'Amériques latines. Enfin, dans la situation d'anarchie, la stabilité est tout bonnement renvoyée aux calendes grecques.

Cependant, bien qu'il faille éviter de tels scénarios, le changement s'impose en Algérie. En fait, il paraît plus que jamais impérieux. Et pour cause ! Malgré la mobilisation du régime et de sa clientèle pour rendre ce changement impossible, la construction d'un État de droit requiert la participation de toutes les bonnes volontés. En tout état de cause, l’expérience algérienne a prouvé que le pays ne pourrait pas être bâti par un groupe ou un clan, puissant soit-il. « C'est en effet aux Algériennes et aux Algériens, et à eux seuls, qu'il appartient de reconstruire un État en lui donnant des fondements garantissant la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice... », écrivent les rédacteurs du mémorandum du FFS en mai 2001.

Toutefois, pour que les étapes ne soient pas grillées, les rédacteurs du mémorandum préconisent, avant toute chose, l'élection de l'Assemblée nationale constituante, véritable source du projet démocratique. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cette revendication ne survient pas ex nihilo. Ce combat remonte en effet à la naissance du mouvement national, comme le soutiennent les rédacteurs du dit document. « Notre projet démocratique plonge ses racines dans le mouvement nationale indépendantiste qui a mobilisé les énergies patriotiques autour des valeurs universelles et modernes : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et celui des Algériens à construire un État de droit », notent-ils.

Hélas, ce rêve a été brisé dès 1962. Bien que le peuple algérien ait payé un lourd tribut pour arracher son droit à l'autodétermination, l'armée des frontières, sous la houlette de Houari Boumediene, a privé le peuple algérien de sa victoire sur le colonialisme. Par ailleurs, en dépit du respect des apparences, avec notamment l'élection de l'Assemblée nationale constituante le 20 septembre 1962, les vainqueurs de la crise de l'été 1962 n'avaient pas l'intention de gouverner sous le contrôle du peuple. Cinquante-deux ans après le recouvrement de l'indépendance, les effets de ce coup de force se ressentent avec acuité. Et ce n'est sans doute pas le maintien d'Abdelaziz Bouteflika, pour un quatrième mandat de trop, qui va arranger les choses. En se maintenant grâce à une clientèle de plus en plus vorace, la pérennisation du régime s'organise en empêchant toute solution à la crise politique que vit le pays.

Néanmoins, si des acteurs politiques tirent la sonnette d'alarme à l'approche des élections, il n'en est pas de même du FFS. Depuis l’arrêt du processus électoral en janvier 1992, plusieurs initiatives ont été entreprises. Chacune d'elle mettait en exergue la nécessité d'un dialogue franc entre toutes les forces politiques. En tout cas, c'est dans ce sens là que le FFS a interpellé les décideurs en mai 2001 pour trouver une solution à la crise. Pour les rédacteurs du mémorandum, « les enjeux dépassent plus que jamais aujourd'hui les considérations de personnes, de région ou d'appareils. Il s'agit d'abord de sauver notre pays du chaos... »

Qu'en est-il treize ans après que le FFS a tiré la sonnette d'alarme ? Malgré l'aisance financière, la crise politique est toujours là. Toutefois, de plus en plus, on assiste à une levée de boucliers. En effet, les acteurs politiques sont conscients de la gravité de la situation. Bien que le FFS ait reçu de terribles coups pour avoir fait des propositions pour sortir l'Algérie de la crise, aujourd'hui, les partis qui, hier défendaient le maintien du régime, se rendent à l'évidence. Devenues un sujet non tabou, plusieurs personnalités, civiles ou militaires, à l'instar du général Benhadid ou Chaifik Mesbah, n'hésitent pas à parler de la seconde République ou de l'Assemblée nationale constituante. Fidèle à ses positions de principes, le FFS ne peut que se réjouir de ces avancées, pour peu que ces sorties médiatiques ne soient pas un leurre. En tout cas, comme ce fut le cas hier, le FFS ne néglige aucune piste pour parvenir au changement mettant le citoyen au centre du projet politique.

Pour conclure, il va de soi que le mémorandum du FFS de mai 2001 balise le terrain. Si des forces politiques veulent réellement concrétiser le changement, il faudra s'en inspirer. Car, tous les éléments contenus dans le documents sont nécessaires pour engager le pays sur le chemin du changement. Faut-il pour autant faire du mémorandum un document « scellé et non négociable » ? La réponse est non. L'histoire nous a enseigné que ce genre de chantage cache des idées extrémistes. Ainsi, tout en gardant l'essentiel, les autres forces peuvent apporter leurs idées pour parvenir à un consensus national. Et c'est la condition sine qua none pour engager le pays sur la voie du dialogue.

Ait Benali Boubekeur

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 13:29
Retour sur les événements du 8 mai 1945.

Le 8 mai 1945, dans tous les pays vainqueurs du nazisme, la joie est indescriptible et incommensurable. En effet, la capitulation a scellé la fin d’un cauchemar ayant duré plus de cinq longues années. L’information sur la chute de Berlin, la signature de Reims, la fin des combats se sont propagés telle une traînée de poudre. Et pourtant, l’Algérie ce jour-là s’engouffre dans un précipice. Les autorités coloniales ont demandé à ce que la célébration de la victoire alliée se fasse sur tout le territoire, aux couleurs de la France et de ses alliés, mais elle a, en même temps, interdit aux autres de déployer leur emblème. L’historien français Jean-Louis Planche pose alors la question : « Mais sera-t-il possible, un jour pareil, d’exalter la passion nationaliste des uns et de refréner celle des autres ? ».

Pour répondre à cette question, il faut essayer de comprendre comment la politique coloniale a évolué jusqu’à cette période précise. Eh bien, les recherches menées ont montré que les colonialistes exerçaient une domination sans vergogne sur les indigènes. Durant toute la période coloniale, ceux-là exigeaient de ceux-ci une soumission sans réserves. Pour les colonialistes, la seule conduite possible était celle décrite par l’historienne Annie Rey Goldzeiguer en parlant de contact entre le colon et l’indigène : « le contact, le colon l’a nécessairement, car il ne peut se passer de la main d’œuvre. Il vit de et par les Algériens dont il partage de façon inégalitaire le sol ». Néanmoins, pour élucider ce qui s’est passé en 1945, il est important qu’il y ait au moins, selon moi, trois parties à décrire. En effet, pour comprendre le parcours des indigènes et des colonialistes depuis la défaite française de 1940 jusqu’aux massacres de Sétif et Guelma, posons la question de savoir comment a été d’abord accueillie la nouvelle de la défaite de part et d’autre ?

Pendant les cinq années qui ont suivi la défaite, beaucoup de choses ont évidemment bougé, notamment l’évolution des positions sur la guerre et sur l’avenir de l’Algérie. Le 8 mai n’est-il pas la conséquence du non rapprochement des visions des uns et des autres ?

En effet, après la défaite française, les français d’Algérie trouvaient en Pétain le chef qui allait leur rendre le peu d’espace perdu lors du simulacre de réformes du front populaire. Pour eux, la défaite n’était que celle de la troisième république qui a perdu du terrain, incarnée par la gauche, leur ennemie jurée. Partant, cette défaite était par ricochet leur victoire. Louis Bertrand résume le sentiment général des français d’Algérie à ce moment-là : « Nous Français somme chez nous en Algérie. Nous nous sommes rendus maîtres du pays par la force. Nous avons pu organiser le pays et cette organisation affirme encore l’idée de supériorité du vainqueur sur le vaincu, du civilisé sur l’homme inférieur. Nous sommes les légitimes propriétaires du pays ».

Quant aux algériens, cette défaite a scindé le courant nationaliste indépendantiste en deux. Le courant majoritaire a été représenté par Messali. Selon lui, un soutien au nazisme aurait conduit uniment à une autre forme de domination. Donc, pas de compromis avec Hitler. Et un autre groupe de jeunes militants du PPA, en créant le comité d’action révolutionnaire nord-africaine (CANRA) dirigé par Belkacem Radjef et Mohamed Taleb, a demandé aux Allemands de les former. Messali a alors sommé les membres du CANRA de démissionner du parti.

Désormais, la situation provoquée par l’occupation de la France a laissé les colonialistes davantage maîtres du pays. Dans une note remise au Maréchal Pétain, au retour d’une tournée en Afrique du nord, l’Amiral Darlan a écrit : « L’indigène de l’Algérie surtout est misérable. Cela éclate à l’œil nu quand on parcourt les rues d’Alger ». Cette situation est provoquée par l’accélération des exportations de nourriture en direction de la France et pour l’entretien de l’armée allemande. Comparant le niveau de vie des habitants d’Algérie, A.R. Goldzeiguer précise : « la comparaison avec l’aisance des colons et la nourriture de leurs troupeaux alimente la colère générale. Les jeunes, surtout, comprennent que pour échapper à la faim et à la misère, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et ils vont écouter les discours des jeunes militants qui parlent de luttes politiques et veulent se libérer du joug colonial. ».

Par ailleurs, à partir de 1942, une infime minorité des français d’Algérie commence à suivre le combat auquel appelait le général de Gaulle. En réponse à cette invitation, le journal Echo d’Oran de septembre 1942 se permet même l’insulte : «Quant à vous, monsieur de Gaulle, qui traînez dans la honte et dans le sang les lambeaux d’un uniforme français, vous êtes un misérable, un traître et un assassin ». Quant aux aborigènes, la position est sans ambiguïté. En effet, pour les nationalistes modérés, avant qu’une quelconque mobilisation soit décrétée, un message a été signé par Ferhat Abbas et par quelques notables, le 22 décembre 1942. Celui-ci a été remis aux autorités et aux alliés en demandant : « avant que les musulmans d’Algérie ne consentent aux sacrifices que l’entrée en guerre annonce, ces derniers demandent qu’ils soient assurés de se battre pour leur propre affranchissement politique et ne restent pas privés des droits et des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants de ce pays ».

Ainsi, la mobilisation du début 1943 a un écho favorable auprès des indigènes : 173000 hommes dont 87500 vont s’engager. En revanche, moins d’un an après cet élan, la nomination du général Catroux va mettre fin à l’espoir d’une émancipation réelle. Pour A.R Goldzeiguer, l’internement des chefs aurait permis, pensait-il (Catroux), de stopper toute velléité des militants à demander des réformes. Il s’agissait, à l’époque, des réformes qui n’allaient pas au delà de l’égalité comme l’a écrit Belaid Abdeslam dans son livre, le hasard et l’histoire : « ce n’était pas toujours facile, parce que, pour le milieu intellectuel de l’époque, parler de l’indépendance de l’Algérie était quelque chose de déraisonnable : il fallait être un fou pour parler de cela ».

Pour toute réponse, le CFLN a proposé quelques réformes, mais, avant cela, de Gaulle avait fermé la porte, d’après goldzeiguer, à toute idée d’indépendance ou même d’autonomie des colonies et avait rejeté toute possibilité d’évoluer hors du bloc de l’empire. En effet, la réforme du 7 mars 1944 allait permettre au mieux l’octroi du statut de citoyen à quelque 60000 indigènes. La même réforme propose le partage des Algériens en deux collèges. Le premier comporte les français auquel se joignent les musulmans de droit français. Le second réunit une masse qui deviendra, en 1962, le peuple Algérien indépendant. Par ailleurs, une semaine après avoir pris connaissance de ces réformes, le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté sera créé. Le mouvement s’est fixé comme objectif de rassembler tous les Algériens. Pari réussi puisque en un temps record le mouvement enregistre plus de 500000 adhérents. Dans son congrès du 2 au 4 mars 1945, les trois tendances du mouvement du mouvement y participent, à savoir le PPA, les ulémas et les partisans de Ferhat Abbas. La résolution adoptée était la suivante : « Le bureau regrette que le manifeste et son additif établis par tous les élus et représentants musulmans à la demande des pouvoirs publics,le 23 juin 1943, ait été repoussé et n’ait provoqué que la réforme électorale du 7 mars 1944 ».

Ce qui va annoncer une période de grande agitation et de répression. A ce titre, le mois de mai va être le plus grand malheur que l’Algérie ait connu jusqu’alors. A vrai dire, les massacres ont commencé bien avant le 8. Car avant de fêter l’armistice, les algériens voulaient comme à l’accoutumée célébrent la fête du travail. Lors des différents défilés, sur tout le territoire national, un mot d’ordre revient tel un leitmotiv : libérer les prisonniers politiques. Les slogans dénoncent également la déportation de Messali à Brazaville. A Sétif le cortège est estimé à prés de 5000 personnes, chiffre cité par le commissaire divisionnaire M. Bergé. D’après le même rapport, la dispersion s’est faite dans le calme. A Guelma, le comité des AML demande de s’intégrer dans le cortège de la CGT, mais les dirigeants syndicaux, d’après J.L Planche, ont refusé nettement. Ainsi à Guelma la marche avait revêt un autre cachet : Les responsables demandent aux indigènes de marcher silencieusement.

En revanche les manifestants d’Alger et d’Oran vont payer une lourde facture en exaltant leur joie. En effet, à Alger, les forces de police établissent des barrages et tirent sur les manifestants dés l’apparition du drapeau algérien. Lors d’une enquête menée par Henri Alleg : « il y avait eu quatre morts et sept autres qui ne survivront que quelques jours à leur blessure ». Ce même jour un autre fait a été relevé par A.R Goldzeiguer : « les Européens des abords de la rue d’Isly ont non seulement barricadé leurs balcons, mais des coups de feu ont été tirés sur les manifestants ». À Oran également, l’intervention de la police avait provoqué une bagarre qui s’était terminée par un mort et plusieurs blessés du coté des manifestants.

Pendant toute la semaine des rencontres ont lieu, du coté des nationalistes, pour évaluer la situation provoquée par la répression d’Alger et d’Oran. En effet, le 8 mai 1945, beaucoup de comités AML, selon J.L Planche, renoncent à manifester en Oranie et dans l’Algérois pour éviter sans doute à leurs coreligionnaires les accrochages sanglants du 1 mai. En plus de cela, le complot dit Gazagne, du nom du secrétaire général du gouvernement général, a éliminé à Alger et à Oran les cadres dirigeants et les militants les plus solides des AML et du PPA. Par contre, à Sétif et à Guelma où, le 1 mai ayant été sans incidents, la proposition d’organiser un défilé ne suscite aucune méfiance. Ainsi, à Guelma et à Sétif les gens allaient à la marche sans douter qu’un cauchemar les attendait.

A Sétif, le 8 mai, à 8 heures du matin, environs 2000 personnes sont rassemblées devant la mosquée de la gare. Profitant du jour du marché hebdomadaire, les organisateurs rappellent aux paysans venus des villages de déposer tout ce qui pouvait être une arme (coteau, hache, faux...). Derrière les drapeaux des alliés, les jeunes scouts sont au premier rang suivis des porteurs de la gerbe de fleurs, et les militants suivaient juste derrière pour éviter tout débordement de la masse paysanne. A la vue d’un drapeau algérien, d’après le général Tubert, celui-ci avait été déployé en cours de route, les policiers jaillissent du barrage et attaquent la foule pour s’emparer du drapeau. Un militant explique alors que le drapeau étant sacré, il est impossible de le remiser une fois sorti. Selon J.L Planche : « c’est à ce moment que tout dérape quand un inspecteur tire, tue le porte drapeau et deux coups de feu en soutien partent du café de France. Dans la panique provoquée par les premiers coups de feu, à d’autres fenêtres des Européens tirent à leur tour sur la foule ». Bien que la panique gagne l’ensemble des manifestants, un militant sonne le clairon pour que la gerbe de fleurs soit déposée.

A Guelma, à 16 heures, un rassemblement est organisé hors de la ville. Les militants AML attendent, en fait, les instructions venant de Annaba. A 17 heures le cortège s'ébranle avec les pancartes célébrant la victoire des alliés ainsi que leurs drapeaux entourant l’algérien. Arrivé à l’actuelle rue du 8 mai, le cortège se fait arrêter par le sous préfet Achiary. Pour Boucif Mekhaled, il ne reste en plus que 500 mètres pour atteindre le monument aux morts. Le sous préfet, Achiary -futur chef de l’OAS créé à Madrid en 1961 -, hors de lui intime l’ordre de jeter les pancartes, drapeaux et banderoles. Un socialiste nommé Fauqueux râle auprès du sous préfet : « Alors, monsieur le sous préfet est ce qu’il y a ici la France ou pas ? ». Selon J.L Planche : « Comme sous un coup de fouet, Achiary saisit le revolver dont il s’est armé, entre dans la foule droit sur le porte drapeau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cortège qui s’enfuit, découvrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza ».

Cependant, suite aux assassinats à Sétif et à Guelma, des groupes d’indigènes vont, dans leur repli, tuer des Européens qui ne sont pas forcément les plus hostiles à leur émancipation. La réponse française à la colère des indigène ne se fait pas attendre en mobilisant les forces de police, de gendarmerie, des miliciens et des militaires.

Déjà le 9 mai, à Sétif, 35 Algériens sont abattus parce qu’ils ne savaient pas qu’un couvre feu a été établi. Le rapport du commissaire divisionnaire, M. Bergé, explique que chaque mouvement jugé suspect doit provoquer le tir. Dans une enquête effectuée par M. Esplass le 15 mai sur la localité de Sétif, il écrit : « Les musulmans ne peuvent circuler sauf s’ils portent un brassard blanc délivré par les autorités et justifications d’un emploi dans un service public. »

Le 9 mai, à Guelma, la milice dirigée par Achiary tient sa première séance au cours de laquelle l’adjoint Garrivet propose : « Nous allons étudier la liste des personnes à juger. Commençons par nos anciens élèves ». Selon A.R Goldzeiguer : « la perquisition au local des AML a permis de saisir les listes nominatives des responsables et militants, tous suspects, qui seront incarcérés, souvent torturés, et exécutés par fournée ».

D’ailleurs, dans un article signé Guy Pervillé, professeur à l’université de Toulouse, reconnaît que la répression des manifestations était féroce. Il admet la conclusion de Marcel Reggui selon laquelle le sous préfet Achiary et le préfet de Constantine ont fait disparaître les cadavres des victimes dans des fours à chaux. En effet, à Héliopolis -village baptisé par le général Bedeau au début de la conquête estimant qu’il fallait renvoyer les indigènes pour faire installer les colons-, le 21 mai, la gendarmerie ont décidé de nettoyer la ville de Guelma avant l’arrivée du ministre de l’intérieur de l’époque, Adrien Tixier. J.L planche explique la manœuvre du sous préfet Achiary : « avec l’avenue de l’été, la chaleur monte. Faute de les avoir tous enterrés assez profond ou brûlés, trop de cadavres ont été jetés dans un fossé, à peine recouverts d’une pelletée de terre. Les débris humains sont transportés par camion. Le transport est effectué avec l’aide de la gendarmerie de Guelma pendant la nuit. Les restes des 500 musulmans ont été amenés au lieu dit (fontaine chaude) et brûlés dans un four à chaux avec des branches d’oliviers. Le four appartient à monsieur Lepori ».

Pendant six semaines les autorités coloniales vont utiliser tous les moyens pour aller au bout d’une résistance inexistante. Le 11 mai, trois B26 interviennent à la bombe et à la mitrailleuse pour dégager la ville. Selon A.R goldzeiguer, le général Weiss, chef de la cinquième région aérienne, ordonne le 13 mai le bombardement des rassemblements des indigènes sur les routes et à proximité des villages. L’aviation, dit-il(Weiss), doit aider à déloger les rebelles des positions qu’ils occupent dans des régions inaccessibles. La marine non plus n’est pas restée à l’écart. En effet, dés le 10 mai, les fusiliers vont débarquer dans la région de Cap Aokas. Au crépuscule, les tirs répétés résonnent jusqu’à Alger.

Par ailleurs, pour justifier cette intervention musclée, les autorités coloniales essayent d’imputer la responsabilité des massacres aux AML et au PPA. Mais, après la saignée du complot Gazagne consistant à arrêter les vrais responsables du PPA, ce parti pouvait-il lancer un mot d’ordre alors que son encadrement était paralysé et son président déporté au Congo ? Quant aux AML, le matin même du 8 mai, son président et son secrétaire général, Ferhat Abbas, se sont rendus au siège du gouvernement général pour féliciter les autorités de la victoire des alliés. Autre fait à signaler : le seul haut responsable PPA en liberté était Debaghine. Plus tard, dans une réunion du bureau clandestin, Debaghine justifie sa non implication aux événements : « Comment aurais-je pu prendre la responsabilité d’une insurrection alors que je venais d’envoyer mon père et ma femme à Sétif où ils se trouvaient le 8 mai ». Pour prouver que les événements du 8 mai étaient un complot ourdi par le secrétaire du gouvernement général, A.R Goldzeiguer se demande dans son livre pourquoi, à l’intérieur du quadrilatère (Béjaia, Constantine, Annaba, Souk Ahras), la région située entre Sétif et Guelma, n’a-t-elle pas connu une flambée de violence des deux points chauds ? Elle répond : « L’émeute n’a pas gagné ces villes et centres pourtant très politisés, tenus en main par les AML et surtout par le PPA ». Les rapports ultérieurs vont même disculper les responsables du PPA en disant que ces derniers ont joué un rôle modérateur et ont évité des affrontements à Constantine par exemple.

Pour conclure, on peut retenir que les événements de Sétif et Guelma sont un résultat de l’accumulation des causes remontant jusqu’à la conquête et à la domination effrénée des colons. Malgré les efforts fournis par les indigènes, lors des deux guerres mondiales, pour que la France ait pu garder son rang de puissance mondiale, les français d’Algérie voyaient dans toutes les réformes un danger qui les guettait. D’ailleurs, en commentant les réformes du mois de mars 1944, un professeur de droit à la faculté d’Alger expliquait à ses étudiants : « Ce n’est pas l’Islam qui est venu à la citoyenneté française, c’est elle qui s’est pliée jusqu’à lui ». Enfin, bien que les causes politiques n’aient pas été considérées plus tard comme fondées, les chantres du coloniasme se rabattaient alors sur les causes économiques. Or à Sétif, par exemple, la zone sud, plus sèche n’avait pas trop bougé. Par contre la zone nord, bien arrosée et riche, la révolte s’était répandue telle une traînée de poudre. La meilleure explication a été donnée par A.R Goldzeiguer : « Il est remarquable que le mouvement insurrectionnel n’ait pas gagné des régions aussi sensibles que le sud Constantinois, le sud algérois, le littoral. Le soulèvement du 8 mai est un moindre mal, car il est une fausse manœuvre. Il aurait été autrement tragique si le PPA y avait participé ».

Ait Benali Boubekeur

Sources :

Annie Rey- Goldzeiguer : aux origines du mouvement national,
Jean Louis planche : Sétif 1945, un massacre annoncé,
Boucif Mekhaled : chroniques d’un massacre,
Marcel Reggui : les massacres de Guelma, Revue “Histoire” avril 2007.

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 08:59
ALGERIE/FRANCE: Ces deux 8 Mai qui n’en font qu’Un

En ce 8 mai 2014, certains iront commémorer la victoire des démocraties et des résistances antifascistes sur le national-socialisme qui a été à l’origine de l’entreprise d’extermination la plus sophistiquée et la plus destructrice de l’histoire de l’humanité.

D’autres rappelleront, à juste titre, que ce même 8 mai évoque le souvenir douloureux des massacres sanglants de Sétif, Guelma et Kheratta (Est algérien), commis par l’armée française, les milices de colons et certains auxiliaires sécuritaires au service du colonialisme.

Comment ne pas penser que ces commémorations officielles, pleines de bons sentiments, constituent aussi des machines à fabriquer de l’amnésie collective ?

Peut-on commémorer la victoire sur l’idéologie génocidaire du nazisme en la transformant en objet de musée et en oubliant un peu vite que le racisme d’Etat continue à poindre dans nombre de nos sociétés européennes ?

De mon point de vue, la commémoration du 8 mai 1945 n’a de sens que si elle se réfère simultanément à la victoire contre le nazisme et aux souvenirs des massacres de Sétif/Guelma, nous incitant à maintenir cette vigilance permanente à l’égard du « racisme légitime » qui traverse nos sociétés dites « civilisées » et savamment distillé par les appareils d’Etat.

Fraternellement.

Vincent Geisser

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 07:24
Le rôle de Hocine Ait Ahmed à la conférence de Bandoeng.

Le 18 avril 1955, la conférence de Bandoeng regroupe vingt-neuf pays qui se démarquent des deux blocs en lutte. L’un est incarné par les USA et l’autre par l’URSS. A cette conférence, plusieurs chefs, de renommée internationale, y prennent part. Parmi les plus réputés, on peut citer le président chinois Chou Enlai, le président indien Jawaharlal Nehru, le président égyptien Gamal Abdenasser, etc. A cette pléiade de grands chefs, la délégation extérieure du FLN, représentée à cette occasion par Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid, donne à l’Algérie en guerre la dimension d’un véritable Etat.

Cela dit, pour un mouvement naissant –l’action armée a été déclenchée six mois plus tôt –, la tâche n’est pas une simple sinécure. Contrairement à notre génération qui courbe facilement l’échine devant l’injustice, la génération de novembre 1954 est capable de consentir des sacrifices pour que l’Algérie recouvre sa dignité. A ce titre, la révolution algérienne peut compter sur les talents d’un organisateur hors-pair, Hocine Ait Ahmed. En 1953 déjà, il a été à la tête de la délégation du PPA-MTLD, le principal parti indépendantiste, à la conférence de Rangoun, en Birmanie.

Naturellement, après le déclenchement de la révolution algérienne, l’action diplomatique échoit aux mêmes membres, qui sont aussi, pour rappel, membres fondateurs du FLN. Celle-ci est renforcée, dans le premier temps, par les centralistes, M’hamed Yazid et Hocine Lahouel. Ainsi, bien que l’action sur le terrain soit primordiale pour les allumeurs de la mèche, l’action diplomatique n’est pas négligée. « Pour parvenir à ses fins, le FLN aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure (…) et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier avec l’appui de tous nos alliés naturels », écrivent les membres fondateurs du FLN historique, le 1er novembre 1954.

Toutefois, s’il est plus facile d’énoncer les grandes actions, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de mettre les plans en exécution. Bien que le FLN historique renferme en son sein des grandes potentialités, force est de reconnaitre que la tâche n’est pas aisée. Selon Ferhat Abbas, dans son fabuleux livre « l’autopsie d’une guerre », il faut toute la détermination de Hocine Ait Ahmed pour faire participer l’Algérie à la conférence de Bandoeng. Car, les Egyptiens ne veulent pas que la révolution algérienne leur échappe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en dépit du chantage du pays hôte, le chef de la délégation extérieure, épaulé par M’hamed Yazid, ne se laisse par embrigader.

Ainsi, dès le début de l’année 1955, Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid déploient tous leurs efforts en vue de faire participer l’Algérie à la conférence de Bandoeng, prévue en avril 1955. Malgré les réticences exprimées par certains participants à la conférence, à l’instar du président Nehru, les délégués du FLN n’abdiquent pas. Pour transcender les difficultés, les deux représentants du FLN se partagent le travail. A-vrai-dire, c’est Hocine Ait Ahmed, en tant que chef de la délégation extérieure, qui fixe le cap. En effet, devant le risque que le FLN ne prenne pas part à la conférence, Hocine Ait Ahmed charge M’hamed Yazid de rentrer au Caire afin d’informer les autres responsables du parti. Quant à lui, il décide de rester sur place. Décrivant un engagement sans faille, Ferhat Abbas, en parlant de Hocine Ait Ahmed, écrit : « Il effectue un immense travail d’information. Il se rend à Bombay, à Calcutta et développe le point de vue algérien. »

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs efforts ne sont pas vains. Au bout de quatre mois d’intense activité, Hocine Ait Ahmed et M’hamed Yazid, en compagnie des délégués Tunisiens et Marocains, participent à la conférence des non-alignés. Ne se contentant pas de jouer un rôle de figuration, les délégués du FLN parviennent à inscrire la question algérienne au débat. « La résolution finale parle de l’appui donné par la conférence asiatique et africaine aux peuples d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Quatre hommes d’Etat de dimension mondiale : Nehru, Chou Enlai, Soekarno, Nasser, avaient été convertis à notre thèse. Ait Ahmed, patient et persuasif, avait expliqué la « duplicité » du régime colonial appliqué à l’Algérie et rallié la conférence à notre juste cause », note Ferhat Abbas.

Quoi qu’il en soit, joignant l’acte à la parole, les non-alignés ne se limitent pas à un soutien hypocrite. En fait, trois mois après la conférence de Bandoeng, quatorze chefs d’Etat écrivent une lettre dans laquelle ils demandent au secrétaire général de l’ONU d’inscrire la question algérienne à l’ordre du jour de la session ordinaire de l’Assemblée générale. Malgré l’opposition des alliés de la France, à l’instar des USA, de la grande Bretagne, l’Assemblée générale accepte d’en débattre. Ainsi, le 17 septembre 1955, la question algérienne prend définitivement une dimension internationale. Pour couronner le tout, Ait Ahmed ouvre, dans la foulée, le bureau du FLN à New York.

Malheureusement, quelques mois plus tard, le père de la diplomatie algérienne sera arrêté. En déplacement à Tunis pour participer à la conférence inter-maghrébine, l’avion qui le transporte, en compagnie de Ben Bella, Boudiaf, Khider, Lacheref, est détourné par l’armée française. Pour frapper la révolution à la tête, celle-ci invente alors la piraterie aérienne. Cela dit, bien que la délégation extérieure soit amoindrie, sur le plan diplomatique, la voix de l’Algérie ne s’éteint pas. Et pour cause ! Le successeur de Hocine Ait Ahmed, M’hamed Yazid, continue dans le même sillage. Ainsi, malgré les embûches et les pressions tous azimuts, les diplomates algériens vont réussir leur pari : faire accepter à la France coloniale le droit du peuple algérien à l’autodétermination.

Pour conclure, il va de soi que l’action diplomatique ne peut pas être séparée de l’action armée dans le cas du conflit algérien. Toutefois, compte tenu de la disparité des moyens entre les deux pays, il est normal que les chefs de la révolution parient sur la victoire diplomatique. A ce propos, la conférence de Bandoeng représente le premier succès pour le FLN. Grâce aussi à la persévérance des diplomates algériens, les victoires se suivent. En 1962, ils parviennent à recueillir le fruit de leur travail, en signant les accords de cessez-le-feu. Ainsi, après avoir posé le problème militairement en 1954, l’Algérie, grâce à la mobilisation de toutes les forces vives, accède à son indépendance. Enfin, sans l’acharnement de certains aventuriers, cette indépendance aurait pu profiter à l’ensemble des Algériens.

Ait Benali Boubekeur

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  • Il est du devoir de chaque citoyen de s’intéresser à ce qui se passe dans son pays. C'est ce que je fais modestement.
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