28 juillet 2009 2 28 /07 /juillet /2009 15:03

ben-bella-boumediene.jpgLa révolution algérienne a connu, comme la plupart des révolutions, un moment de lutte intestine. En effet, tant que le combat était dirigé contre l’occupant, les dirigeants de la révolution ont tu leurs différends afin que la libération du pays soit effective. L’important pour un peuple dépendant était de se rallier au contre-Etat qui forgeait l’indépendance, a écrit Gilbert Meynier, dans l’histoire intérieure du FLN. Bien que des programmes aient été adoptés pendant les sept ans de guerre, le débat idéologique a été relégué au second plan. 

Toutefois, bien que les dirigeants aient tous participé à la libération du pays, chacun selon le rôle qui était le sien, après le cessez-le-feu, ces derniers n’étaient pas tous d’accord sur le rôle des organismes dirigeants de la révolution. Pour le président du GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) et la plupart des ministres, la mission de ces derniers devait continuer jusqu’à l’élection de l’assemblée nationale constituante. Quant à l’EMG (Etat Major Général) que dirigeait Houari Boumediene, soutenu par Ben Bella, Khider et Bitat, la mission de ces organismes était de conduire le pays à recouvrer son indépendance. Autrement dit, leur mission ne pouvait aller au-delà de la conclusion des accords de paix, signés le 19 mars 1962. Bien que la  libération, le 20 mars 1962, des cinq détenus d’Aulnoy, Ben Bella, Ait Ahmed, Boudiaf, Khider et Bitat, ait  suscité beaucoup d’espoir pour apaiser la tension entre le GPRA et l’EMG, leur division en prison n’a fait qu’attiser la crise. Mais pourquoi une telle divergence  entre deux entités  de la même révolution ? Le conflit entre les deux instances était à l’origine d’un incident survenu le 21 juin 1961 à Mellègue, en Tunisie. En effet,  l’ALN (Armée de Libération Nationale)  des frontières avait utilisé la DCA pour  abattre un avion français. Le pilote, le lieutenant Guillard, a été capturé. Cette affaire a sorti le président Bourguiba de ses gonds. Il a exigé la libération immédiate du pilote en arguant que l’acte s’était produit sur son territoire. L’EMG avait d’emblée refusé d’obéir à cette injonction, perçue comme une immixtion des Tunisiens dans les affaires algériennes. Quelques jours plus tard l’EMG a restitué le soldat français aux autorités tunisiennes. Cet incident a provoqué la démission de Boumediene le 15 juillet 1961. Dans son mémoire adressé au GPRA, celui-ci a usé d’un langage peu amène à l’égard du GPRA, l’accusant de «déviationnisme, non application des décisions prises, etc. » Cette crise a connu son épilogue lors du CNRA d’août 1961. A la fin des travaux de ce conseil, Ferhat Abbas a été remplacé par Ben Khedda. Malheureusement, ceux sur qui reposait l’espoir de réconcilier les antagonistes étaient, eux aussi, divisés. En tout cas, Ben Bella était le premier à prendre parti. Il a choisi l’EMG. Le choix était tactique dans la mesure où l’EMG se trouvait au faîte de sa puissance et que  le GPRA était au début de la phase  d’évanescence. Et en voulant rassembler, autour de sa personne,  toutes les forces vives du FLN, Ben Bella a rendu  la division incontournable. Après leur libération, celle-ci a été portée à la connaissance de la base. Et  le 19 avril 1962 a marqué incontestablement le désaccord le plus profond entre les deux parties.  En effet, lorsque Ben Khedda  a voulu convoquer le conseil des ministres ; ce même jour, Ben Bella s’est rendu à Ghardimaou en Tunisie pour rendre visite aux troupes frontalières. Pour ce dernier, de toute façon, la convocation du CNRA était la condition sine qua none  pour trancher le différend opposant les dirigeants de l’EMG et ceux du GPRA. Cependant, ce dernier voulait s’en tenir à la délibération du 22 mars, à Rabat, en présence des cinq ministres récemment libérés.  Selon Harbi, dans  « Le FLN, mirage et réalité »,  la délibération a été lue par Ben Tobbal : « Au nom de la majorité, Ben Tobbal fait part à Ben Bella du rejet de sa proposition de convoquer le CNRA. » Mais la stagnation de la situation, au début du mois de mai,  a décidé d’autres ministres à se prononcer pour la convocation du conseil national. La date a été fixée pour le 27 mai à Tripoli. C’était le premier conseil national tenu après le cessez-le-feu. Bien qu’il ait été prévu d’aborder le point inhérent au programme, le conseil devait primordialement doter  le pays d’un nouvel organisme dirigeant,  le BP (bureau politique) en l’occurrence. C’est ainsi que se sont ouverts, dans la salle du Sénat libyen, les travaux du CNRA en temps de paix. Ce congrès a été  présidé par Mohamed Ben Yahia, expert des accords d’Evian, secondé par Omar Boudaoud et Ali Kafi. Deux groupes ont essayé de faire valoir la justesse de leur vision. Et les alliances étaient à peu prés les suivantes. D’un coté, un groupe formé autour du GPRA, constitué quasiment des anciens MTLD (Mouvement pour le triomphe des Libertés Démocratiques) où activistes et centralistes ont scellé leur sort et, d’un autre coté, un groupe réuni autour de Ben Bella comprenant l’EMG, les anciens UDMA (Union Démocratique du Manifeste algérien) à leur tête Ferhat Abbas et quelques ulémas.  Le premier point de l’ordre du jour a été consensuel. Bien que la discussion ait pris un peu plus de temps que prévu, la session étant ouverte  le 28 mai, le programme a été entériné le 1 juin. Mise à part la réflexion de  Ferhat Abbas qualifiant le programme « de communisme non digéré », les congressistes ont approuvé le texte  sans rechigner. Le débat, en revanche, devenait houleux lorsque le président Ben Yahia a proposé l’examen du point inhérent  à la désignation du bureau politique (BP).  La première motion émanait de Ben Bella. Il a proposé que le bureau soit composé d’une équipe restreinte. Elle comprenait outre Ben Bella, Ait Ahmed, Boudiaf, Khider, Bitat, Mohammedi Said et Hadj Ben Alla. La seconde liste a été proposée par Krim Belkacem, soutenue par le GPRA, comprenant : Ben Bella, Boussouf, Boudiaf, Bitat, Ait Ahmed, Khider, Ben Tobbal, Krim et Dahlab. Par ailleurs, avant un éventuel vote des congressistes, un débat a été ouvert en plénière. Ait Ahmed et Boudiaf ont refusé tout bonnement de faire partie du BP proposé par Ben Bella. Selon Mohamed Harbi, leur réaction était la suivante : « Nous n’étions pas d’accord entre nous en prison, nous ne le sommes pas plus entre nous aujourd’hui. Alors pourquoi proposer une liste dont les membres ne s’entendent pas au départ. »  Toutefois, selon la commission sondage, cité par Harbi, en reprenant l’estimation du colonel Tahar Zbiri, la liste Ben Bella l’aurait emporté de 33 voix contre 31 pour celle de Krim.

Malheureusement, le 4 juin, le président Ben Yahia a constaté que la réunion ne pouvait pas se poursuivre. Les congressistes étaient sur le point d’en arriver aux mains, sans omettre les obscénités proférées par quelques uns.  Ainsi, à moins d’un mois du référendum sur l’autodétermination, Ben Khedda a quitté Tripoli pour Tunis afin, disait-il, de se consacrer à une mission plus importante : la préparation du référendum.  Il a été suivi par la plupart des ministres. Par contre Ben Bella, Khider et Mohammedi Said sont restés à Tripoli. Le 7 juin, un procès verbal dit de « carence » a été signé contre Ben Khedda. Il a été suivi d’une motion de défiance à l’égard du président du GPRA. Selon Gilbert Meynier, la procédure était illégale. Il a écrit à ce propos : « Tout vote concernant une désignation des responsables devait recueillir les deux tiers des voix des congressistes (article 10), ce qui n’était pas le cas : la motion n’en avait recueilli que 56,52% ; et d’autre part pour qu’une décision soit valable, il fallait qu’elle ait été discutée en séance plénière régulièrement convoquée en présence de tous les congressistes (article14), ce qui n’était pas non plus le cas. » Cependant, cette dissension au sommet de la hiérarchie a créé une onde de choc à l’intérieur du pays, notamment chez les chefs de maquis.

Cependant, la fin du mois de juin a été indubitablement l’une des périodes les plus agitée que l’Algérie ait connue. En effet, le 25 juin, une réunion inter wilayas s’est ténue à Zemmourah, en wilaya3. Les représentants des Wilayas 2, 3, 4, la zone autonome d’Alger (ZAA) et la fédération de France du FLN ont assisté à la réunion. Elle  s’est terminée par la condamnation de la rébellion de l’EMG et la demande faite au GPRA de le dénoncer publiquement. A la fin de la réunion, un comité a été créé. Sa mission : se rendre en Tunisie pour rencontrer le président du GPRA ainsi que ses ministres. A leur réception par Ben khedda, le comité a demandé la dissolution de l’EMG et l’arrestation de ses dirigeants. Khider  s’est opposé catégoriquement à cette doléance. Il a quitté aussitôt la réunion et a rédigé sa démission du GPRA. Deux jours plus tard, Ben Khedda a exaucé le vœu du comité de Zemmourah. Il a dénoncé publiquement les activités de l’EMG et a prononcé la dégradation du colonel Boumediene ainsi que ses deux adjoints, Kaid Ahmed et Mendjeli Ali. Décision qui a été vigoureusement dénoncée par Ben Bella et Khider.  Bien qu’il y ait eu des tractations et des tentatives de réconciliation pour ressouder les rangs, elles se sont toutes soldées sur un constat d’échec.  La constitution du bureau politique à Tlemcen, le 22 juillet 1962, par Ben Bella, a mis ses adversaires politiques devant le fait accompli. Deux membres dont l’influence n’était pas la moindre, Krim et Boudiaf, ont considéré cette proclamation unilatérale comme étant un « coup de force ». Une semaine après cette déclaration,  Boudiaf a été enlevé à Msila par des éléments de la W1. Mais contre toute attente, un événement survenu quelques jours plus tard  a redonné espoir. Il s’agissait de l’accord du 2 août 1962 entre les antagonistes. Boudiaf a été entre temps libéré. La  réunion a regroupé d’une part  Boudiaf, Krim et Mohand Oul Hadj et de l’autre Khider et Bitat. L’accord consistait à parvenir à une solution permettant de gérer la période transitoire que traversait le pays. Du coup, le bureau politique, formé à Tlemcen, a été reconnu à titre provisoire. Sa durée de vie était d’un mois. Sa mission se limitait à l’organisation des élections à l’assemblée nationale constituante. C’était, pour la plupart des observateurs, le véritable dénouement de la crise. Le lendemain de cet accord, Ben Bella a fait son entrée à Alger accompagné par les membres  du BP.  Mais le report des élections pour le 20 septembre 1962, elles étaient prévues pour le 2 septembre, et la démission de Boudiaf du BP  le 25 août 1962, ont replongé le pays dans une crise où, cette fois-ci, il n’y avait guère de place aux tractations. C’étaient aux troupes des frontières, commandées par Boumediene, de faire basculer la balance. Baptisée « Armée de Libération Nationale », l’armée des frontières a fait son entrée à Alger le 4 septembre 1962. Cette fois-ci le bureau politique a triomphé grâce aux troupes de l’Etat-major, selon Mohamed Harbi. Et ce, contrairement à l’affirmation ultérieure de Ben Bella selon laquelle le bureau politique avait triomphé grâce au peuple. En somme, la crise de l’été 1962 ne concernait en aucun cas la confrontation de programme contre programme. Car la plupart des militants se trouvaient depuis les années quarante dans le même parti, le MTLD. En 1962, le centralisme politique et le socialisme étaient communs aux deux groupes. Par conséquent, sur le plan politique, l’Algérie n’aurait pas connu un itinéraire différent à celui qu’elle a connu.

                        Par Ait Benali Boubekeur.  28 juillet 2009, Le Quotidien d'Oran

4 juin 2009 4 04 /06 /juin /2009 10:32
De-gaulle---alger-4-juin-1958.jpg«Quand une république est menacée de corruption, il faut que, par respect de la légalité, elle coure à sa ruine ou que, pour se sauver, elle rompe l'ordre légal. Je conclus que les républiques qui, dans les périls urgents, n'ont pas recours à la dictature ou à quelque autorité du même genre, se perdent infailliblement », déclaration de Michel Debré à la veille des événements du 13 mai 1958.

La faiblesse de la quatrième république française et la détermination du peuple algérien, dès 1954, ont ressuscité les vieux démons dictatoriaux en France. Bien que des élections aient lieu régulièrement en France, la minorité réactionnaire a pu imposer en 1958, sans le verdict des urnes, le général de Gaulle à la tête de l'Etat. En effet, la fragilité de la république a atteint un seuil où le lobby colonial et des militaires de carrière n'en supportaient plus le choix de leurs compatriotes. Ces militaires qui détenaient, notamment en Algérie, les pleins pouvoirs étaient en bonne posture pour influencer la vie politique française. Bien que l'assemblée évanescente, dans son dernier acte de résistance, ait voté sa confiance au dernier président du Conseil légitime, Pierre Pflimlin, l'armée française, selon Michel Winock, a décidé de renverser tout gouvernement qui ne porterait pas à sa tête le général de Gaulle. L'instruction du chef des armées en Algérie, le général Salan, était la preuve irréfutable de l'immixtion des militaires dans les affaires politiques. Il a décrit au général Miquel le plan de renversement de tout président du Conseil n'émanant pas de leur seule volonté: « l'opération résurrection [nom du plan arrêté par les militaires] est parée et se déclenchera sur mon ordre dans les cas suivants: sur appel personnel du général de Gaulle; au cas où le général de Gaulle ne pourrait pas former un gouvernement de salut républicain; en cas d'urgence devant une insurrection communiste ». Quant au deuxième groupe extrémiste de la coalition, le lobby colonial, ce dernier a réussi à moult fois à influencer la politique algérienne de Paris, que ce soit en 1947 lors du vote du statut de l'Algérie ou en 1956 en refusant la nomination du général Catroux comme gouverneur de l'Algérie. Ce sont ces deux groupes qui ont porté à la tête de la quatrième république agonisante le général de Gaulle. Toutefois, nonobstant les risques de voir le pouvoir lui échapper, de Gaulle a saisi l'opportunité sans pour autant cautionner publiquement leur action. Ainsi, en acceptant d'assumer les responsabilités de la haute fonction, allait-il tout de même se soumettre, sans vergogne, aux velléités de ceux qui l'ont porté au pouvoir ?



Le 4 juin à Alger, un round décisif



Dès l'intronisation du général, l'urgence était, pour lui, de reprendre en main l'armée et de retirer au CSP (Comité de Salut Public) l'autorité qu'il s'était octroyée. Pour croiser le fer avec eux, De Gaulle a choisi Alger, leur terreau, pour son premier voyage. Le but assigné à son voyage était double: enjoindre à l'armée de se consacrer à sa mission constitutionnelle et prouver au lobby colonialiste qu'il était le seul chef. La tâche n'était, bien entendu, pas simple. En effet, ses partisans n'étaient pas nombreux pour lui permettre un retour aux responsabilités par le biais des urnes. Car deux ans plus tôt, ces listes aux législatives n'avaient réuni que 2,7% des suffrages. Du coup, soutenu par la frange la moins démocratique de France, De Gaulle devait trouver des formules consensuelles pour ne pas heurter ses alliés du moment.

Par ailleurs, avant même qu'il prenne l'avion en direction d'Alger, De Gaulle avait reçu un télégramme émanant du CSP. Ce dernier déniait le droit au maire d'Alger, Jacques Chevalier, de parler au nom de ses administrés. A Alger, le porte-parole des militaires, Godard, contestait à « toute autorité ou organisme élu dans le cadre du système de parler au nom de la population ». Cette élimination des élus a été décidée sans la moindre concertation avec le général de Gaulle. Et les dissensions ont commencé à apparaître quelques jours seulement après la formation du gouvernement, présidé par De Gaulle. Les membres du CSP n'ont pas digéré la mise à l'écart de Soustelle, ancien gouverneur adoré de tous les colonialistes. Pour Léon Delbecque, gaulliste de la première heure, la formation de ce gouvernement ne répondait pas à leurs attentes. Devant les journalistes qui l'interrogeaient, il a répondu ceci: « Vous appelez ça un gouvernement ? Affaires étrangères, un fonctionnaire ! Intérieur, un fonctionnaire ! Ce n'est pas le gouvernement de salut public que nous attendions ». Du coup, la bataille pour le contrôle des institutions ne pouvait pas ne pas déboucher sur l'élimination de l'autre groupe antagoniste. Et les membres du CSP étaient déterminés à exercer une pression continuelle sur les proches du général afin de l'inciter à composer avec eux.

Cependant, dans sa visite algéroise, De Gaulle a été reçu par les membres du CSP et du général Salan. A 19 heures, ce 4 juin 1958, le CSP a réuni près de 200.000 personnes au forum. Les premières paroles adressées par le général à la foule étaient: « Je vous ai compris ». Il a ajouté ensuite : « Je sais ce qui s'est passé ici ! Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte est celle de la rénovation et de la fraternité ». Au même moment, le CSP n'était pas enclin à laisser le route libre au général. En effet, Louis Jacquinot et Max Lejeune, qui ont accompagné le général, ont été enfermés dans l'un des bureaux du GG (Gouvernement Général). Plus tard, la journaliste Marie Elbe a enquêté sur les tenants de cette séquestration en écrivant: « qui avait traité de la sorte les compagnons du général ? On ne le sut pas précisément, mais chacun pensa: Lagaillarde ». Ce dernier était l'un des membres fondateurs du CSP.

Ainsi le malentendu a commencé ce jour-là à Alger. Le général ne supportait pas que le lobby intervienne dans son domaine propre: la politique à mener. Il n'a pas voulu non plus les décevoir en décidant de mener une lutte sans merci contre le peuple algérien. L'enjeu était bien sûr de taille. Pour éliminer ses adversaires du CSP, De Gaulle a décidé d'amplifier la répression contre un peuple ne cherchant qu'à vivre sans carcan. Il a gagné in fine la bataille contre ses adversaires, mais c'était une victoire à la Pyrrhus. En somme, à cette époque-là, lorsque le pouvoir français était enrhumé, c'étaient les Algériens qui toussaient.
Par Ait Benali Boubekeur, 4 juin 2009, Le Quotidien d'Oran
9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 10:23

 

alger56973C2.jpg«Il est difficile de faire entendre au colon européen qu'il existe d'autres droits que les siens en pays arabe et que l'indigène n'est pas taillable et corvéable à merci», lit-on dans un rapport de Jules Ferry de 1884.

Il se dégage nettement, à la lecture de ce rapport, que le système colonial n'était pas là pour apporter le bonheur ou la sérénité aux peuples colonisés. Plusieurs événements de l'histoire coloniale peuvent étayer cette thèse. Pour le cas de l'Algérie, les événements de mai 1945 sont là pour nous rappeler la domination effrénée des colonialistes. Toutefois, la participation des colonisés à la chute du nazisme, lors de la Seconde Guerre mondiale, a laissé entrevoir une brèche de liberté. Bien que la brutalité du système colonial ne soit pas très éloignée de celle du système nazi, le parti pris des colonisés pour celui-là les a induits en erreur en pensant à l'imminence de leur libération.

Malgré un effort de guerre énorme des Algériens, les autorités coloniales n'ont pas épargné leurs familles. En effet, sur 173.000 Algériens ayant pris part à la guerre aux côtés des alliés entre 1943 et 1945, 85.000 étaient des engagés. Hélas, à leur retour au pays, ceux qui ont participé à la campagne d'Italie, de France et d'Allemagne ont constaté que la situation de leurs coreligionnaires ne s'est pas améliorée. Au contraire, la victoire des alliés a revigoré le système colonial abhorré. Et la recommandation parisienne a été la suivante : écraser toute manifestation des «indigènes» voulant s'affranchir du giron colonial. Or, en ce jour symbole de la liberté, était-il possible, s'interroge pour sa part Jean-Louis Planche, «d'exalter la passion nationaliste des uns et refréner celle des autres ?».

Le mouvement national qui tirait à hue et à dia a pu s'entendre sur un programme commun. La création des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), le 14 mars 1944, avait réalisé ses desiderata : l'union des trois partis nationalistes musulmans, le PPA de Messali Hadj, les élus ou les partisans de Ferhat Abbas et les ulémas d'Ibrahimi. La revendication des AML pour un Etat autonome fédéré à la France, au début de ses assises, a été mise au placard au profit de la création d'un Etat séparé de la France. Leur combat désormais avait pour but de doter le pays d'une assemblée constituante élue au suffrage universel, et ce par tous les habitants de l'Algérie. Pour ce faire, les AML devaient d'abord faire connaître le problème algérien aux principales puissances alliées, notamment les USA et les Britanniques. Cependant, bien que la France ait décidé de garder les départements algériens attachés à elle, les nationalistes savaient que les résolutions des trois précédentes conférences internationales jouaient en leur faveur. Il y avait d'abord la conférence de l'Atlantique, du 14 août 1941, qui proclamait «le droit pour chaque peuple de choisir la forme du gouvernement sous lequel il doit vivre» ; ensuite, il y avait la conférence de San Francisco qui soutenait « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes», ainsi que l'engagement de cette dernière à «tenir compte des aspirations des populations et à les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques»; et enfin, la conférence d'Héliopolis, au Caire, ayant donné naissance à la «Ligue arabe» en mars 1945. Ainsi, en prenant l'opinion internationale à témoin, les AML ont décidé d'utiliser une seule arme: le drapeau vert et blanc.



Le drapeau qui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines



Une nation ne peut être considérée comme telle que si elle possède certains critères : son territoire, ses institutions, son emblème, etc. l'Algérie des années quarante ne possédait pas tout ça d'une façon tangible ; mais dans l'esprit des nationalistes, il ne s'agissait que d'une question de temps. Le respect que vouaient les Algériens à leur emblème était la preuve de leur désir de vivre dans une Algérie indépendante séparée de la France. Ainsi, lorsque le commissaire Lucien Olivieri a intimé l'ordre, le 8 mai 1945 à Sétif, au porte-drapeau de jeter son emblème, ce dernier a répondu : «Le drapeau étant sacré, il est impossible de le remiser une fois sorti.» A Alger, le comité directeur des AML a décidé d'organiser, à l'occasion de la fête du Travail, des manifestations autour du drapeau algérien. Hélas, le préfet Perillier, à qui les dirigeants des AML ont demandé l'autorisation de défiler, avait déjà préparé son plan. Selon l'auteur des massacres coloniaux, Yves Benot, «En avril 1945, le préfet d'Alger, Perillier, crée des incidents à Reibell où est assigné à résidence Messali Hadj, et en prend prétexte pour faire déporter le dirigeant nationaliste, le 23 avril, d'abord dans le Sud, à El-Goléa, puis en AEF (Afrique de l'Est française)».

Le 1er mai, à 17 heures 30, un cortège de près de 20.000 Algériens s'est ébranlé de la rue d'Isly. Dès l'apparition du drapeau vert et blanc, des soldats français, qui étaient sur leur passage, ont ouvert le feu sur les manifestants brandissant le drapeau algérien. Les témoins de la fusillade ont raconté que lorsque Mohamed El-Haffaf a été mortellement atteint d'une balle, il avait tout de même eu le courage de dire à son voisin: «Je suis touché, reprends le drapeau.»

Ce jour-là, trois autres militants du PPA, Abdelkader Ziar, Mohamed Laïmèche et Ahmed Boughalmalah, ont été tués sur le coup. Les sept autres ont succombé quelques jours plus tard à leurs blessures. Le lendemain, les funérailles de Mohamed El-Haffaf ont réuni un monde fou. C'était aussi une occasion, pour le comité directeur, de faire le bilan des dégâts de la veille. Les dirigeants de la capitale ont appris les incidents qui ont eu lieu à Bougie, Guelma et Oran. Dans la capitale de l'Ouest algérien, le bilan a été d'un mort et de plusieurs blessés.

Par ailleurs, bien que les autorités coloniales aient décidé d'utiliser tous les moyens pour que le drapeau algérien n'apparaisse pas dans les défilés, la direction des AML a décidé de laisser l'initiative aux directions locales. Les sections d'Alger et d'Oran étant décimées par les arrestations, ces deux grandes métropoles n'ayant pas connu de manifestations le 8 mai 1945. En revanche, dans les petites et moyennes villes du pays, la mobilisation a été au rendez-vous. A nouveau, la bataille autour du drapeau a repris de plus belle. A Sétif, les organisateurs ont harangué la foule avant le départ du cortège. Ils ont insisté sur le caractère pacifique de la manifestation. Mais, pour ces derniers, il ne fallait pas qu'ils subissent des humiliations, surtout si le symbole était visé. Arrivés à la hauteur du café de France, les manifestants ont été arrêtés par le commissaire Olivieri et les inspecteurs Laffont et Haas. Ils les ont sommés de jeter le drapeau et les pancartes où les principaux slogans étaient «L'indépendance de l'Algérie et la libération de Messali». Pour J.L. Planche, c'est à ce moment-là que le dérapage a eu lieu. Un des inspecteurs, fou de rage, a dégainé son arme. Il a abattu le porte-drapeau. La panique a saisi ensuite toute la ville.

A Guelma, les militants des AML ont célébré l'armistice à 17 heures de l'après-midi. Bien que les drapeaux des alliés aient été fortement présents, les manifestants n'ont pas remisé le leur. Il ne restait que 500 mètres aux marcheurs pour déposer la gerbe de fleurs. Soudain, le sous-préfet Achiary a surgi. «Jetez vos drapeaux et pancartes», a-t-il intimé l'ordre aux manifestants. Au refus d'obéissance à cette injonction, note J.L. Planche, «comme sous un coup de fouet, Achiary saisit le revolver dont il s'est armé, entre dans la foule droit sur le porte-drapeau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cortège qui s'enfuit, découvrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza». Pour conclure, la bataille, menée à mains nues par les Algériens autour du drapeau, a permis de connaître le vrai visage de la colonisation. Avec un arsenal de guerre impressionnant, les colonialistes étaient prêts à éteindre toutes les voies appelant à l'indépendance. Bien que les Algériens n'aient pas été organisés à l'échelle nationale - jusque-là, c'était des révoltes localisées, à l'exception de celle de l'Emir Abdelkader -, les animateurs du mouvement national avaient pris conscience de la nécessité impérieuse d'une lutte unifiée.

L'enseignement de cette semaine sanglante était que face au système violent incarné par le colonisateur, il fallait développer une violence plus grande en intensité pour le vaincre. Le chemin pour la guerre d'Algérie a été ainsi amorcé à Sétif et à Guelma.

8 mai 1945 : la bataille du drapeau - Par: Aït Benali Boubekeur

Par: Aït Benali Boubekeur

Publié le: 11/05/2009

 

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19 mars 2009 4 19 /03 /mars /2009 10:49

cessez-20le-20feu-201962.gifLa conclusion des pourparlers d’Evian, connue sous le nom « Les accords d’Evian », a été dure comme l’était d’ailleurs l’épreuve des sept années et demi de guerre. Si du côté Algérien, la lutte armée consistait à inciter la puissance coloniale à débattre du problème épineux algérien, les autorités françaises ont mis énormément du temps à engager un tel processus. Toutefois, la négociation, aux yeux des nationalistes, avait pour but de ramener les colonialistes à mettre un terme à leur domination inhumaine. Et dés le 1er novembre 1954, cette volonté a demeuré inchangée. Cette offre de paix a été étayée dans la première déclaration du FLN en écrivant : « Pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plateforme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent, une fois pour toutes, aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes. »  Toutefois, pour parvenir à cette finalité, le chemin a été dur et tortueux. Ainsi, de rencontres secrètes en pourparlers officiels, les délégués algériens ont su persuader, petit à petit, les Français de la nécessité de  reconnaitre au peuple algérien le droit de vivre libre. Mais, concomitamment à ces contacts, la lutte armée continuait avec  une intensité crescendo. 

 

          Les contacts franco-algériens du début de la guerre.

 

Le déclenchement de la lutte armée a mis les politiques français devant le fait accompli. A la proposition du FLN de trouver une solution de paix au problème algérien, la réponse du ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand, a été péremptoire : « la seule négociation, c’est la guerre ». Même le parti modéré, l’UDMA, par la voix de son président, Ferhat Abbas, n’a pas réussi en 1955 à convaincre les autorités françaises de discuter sereinement de  l’appel de détresse du peuple algérien. En effet, avant de dissoudre son parti, Ferhat Abbas a suggéré aux dirigeants du front de tenter une ultime tentative de paix. Bien qu’il ait des contacts avancés avec le FLN, Abbas a tenu à ne pas couper de contact  avec ses interlocuteurs français. Laissez-moi faire une dernière tentative pour essayer d’arrêter cette guerre « qui va être catastrophique pour tout le monde car la victoire ne sera pas facile », a-t-il dit aux dirigeants du FLN. Hélas, cet effort n’a pas été entendu à Paris. 

Le début de l’année 1956 a laissé entrevoir une possibilité de paix. Le président du conseil français, Guy Mollet, a été élu sur la base de sa promesse électorale « La paix en Algérie. » Mais le lobby colonial ne voyait pas cette velléité dans la même optique. Il a gagné sa première épreuve face au président du conseil français en refusant la désignation du général Catroux comme gouverneur de l’Algérie. A ce moment-là, Guy Mollet s’est plié à la volonté du lobby sans rechigner. Depuis, il a mené une politique ambivalente. D’un coté, il a appelé à la négociation sous la forme triptyque « cessez-le-feu, élections, négociation », de l’autre coté, il n’a pas hésité à envoyer les troupes en Algérie.    

Par ailleurs, deux ans après le déclenchement de la guerre, le premier contact a eu lieu dans la capitale égyptienne. De passage au Caire, le ministre des affaires étrangères françaises, Christian Pineau, a été approché par les Egyptiens pour qu’un contact soit organisé avec la délégation extérieure du FLN. Composée de Khidder, Ait Ahmed, Ben Bella et Debaghine, la délégation extérieure a choisi le premier nommé pour rencontrer son homologue français, Joseph Begarra, membre directeur de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). Bien qu’il n’ait pas un mandat engageant le gouvernement français, Begarra  a tenu juste à  rapporter l’offre de paix contenue dans le triptyque. Vigilant qu’il était, Khidder a levé tout amalgame en déclarant : « les interlocuteurs algériens  ne devaient être que ceux désignés par le FLN, lequel n’accepterait de négocier avec la France que si le principe d’un Etat algérien jouissant de tous les attributs de la souveraineté était accepté. »  Les rencontres en Yougoslavie du 26 juillet 1956 et en Italie le 17 aout 1956  ont toutes débouché sur un échec. Toutefois, les délégués du FLN ont tenu à donner une chance à la paix en se rendant le 22septembre 1956 à Belgrade. Néanmoins, il n’était pas question de transiger sur l’indépendance de l’Algérie, condition sine qua none pour signer un accord de paix.

     Vers l’exacerbation de la lutte armée.

La piraterie aérienne du 22 octobre 1956 a compromis toute chance de paix. En effet, l’avion transportant la délégation extérieure du FLN a été détourné par les militaires français sans que le président du conseil soit mis au courant. La mission des chefs algériens  était de se rendre en Tunisie pour une réunion intermaghrébine en vue de trouver une issue à la crise. Selon Robert Barrat, Guy Mollet n’a appris la nouvelle que tardivement dans la nuit. Voici son récit : « Guy Mollet assistait, le lundi 22 octobre, à un diner officiel offert par l’association française pour la communauté atlantique… Il était 21 heures. Dans l’antichambre, Alain Savary et Louis Joxe mirent rapidement le président du conseil au courant : l’état major d’Alger a fait intercepter un avion transportant de Rabat à Tunis cinq des principaux dirigeants du FLN. Ils sont actuellement prisonniers dans l’immeuble de la DST. Guy Mollet pâlit, réfléchit un instant et dit : c’est très grave. » Depuis cette date tout contact a été rompu entre les deux parties. Cette interruption a laissé la place aux maximalistes des deux camps. Il y avait par exemple l’explosion de joie du comité de la Wilaya 2 à la nouvelle de l’arraisonnement de l’avion Air Atlas. Pour eux, il ne  devait plus y avoir de compromis avec  l’ennemi. De l’autre coté, les colonialistes français ont gagné la partie en ce que toute négociation a été dés lors suspendue. Par conséquent la violence a doublé d’intensité. L’un des épisodes les plus durs était indubitablement la violence ayant accompagné la bataille d’Alger. Les incursions punitives contre les populations civiles ont atteint les proportions inadmissibles de violence. Ainsi en confiant les opérations de police aux paras, la torture a été généralisée dans tous les contrôles. Yves Courrière a décrit le procédé des paras à Alger en écrivant : « Avec des camions bâchés ils récupèrent dans tous les centres d'interrogatoire ceux dont le cour a flanché ou ceux qui ne valent pas mieux. Et on embarque tout le monde, cadavres ou demi-morts, jusqu'à une fosse - elle deviendra un charnier - à une trentaine de kilomètres d'Alger, entre Zéralda et Koléa. Sur le bord de la fosse les militaires liquident au pistolet ou au poignard les demi-cadavres. La mer est également bien pratique. Des hélicoptères vont au large se débarrasser des cadavres importuns. On les balance dans le vide, un parpaing aux pieds. Il y en aura 4000 civils pendant la bataille d'Alger. » Le lobby colonial s’est même permis de faire tomber tous les gouvernements qui n’étaient pas en phase avec leur conception de la politique algérienne. Le retour du général de Gaulle au pouvoir a été imposé dans les rues d’Alger. Les militaires ont rejoint ensuite la contestation comme l’a si bien montré Michel Winock : « Bien avant le 13 mai 1958, un slogan jaillit des manifestations de rue en Algérie : l’armée au pouvoir. Si l’armée proprement dite n’a pas été à l’origine directe du coup de force, il est évident que, sans elle, le 13 mai et ses suites n’auraient pas eu lieu. »   Les offensives du plan Challe, déclenchées juste après le retour du général aux responsabilités,  ont exsangue les maquis de l'intérieur. La conséquence était que ces opérations ont engendré une terreur chez les civils qui n'avaient d'autres choix que de quitter leur pays vers une autre destination (le Maroc et la Tunisie étaient les plus prisés). Il y avait eu, au total, plus de deux millions de déplacés.

     Les fluctuations de la politique gaullienne.

Porté au pouvoir par le coup de force militaire, le général de Gaulle a privilégié, dans le premier temps, l’option militaire. Cependant, son appel à « la paix des  braves » n’a pas eu l’écho escompté. Du coup, la négociation lui a paru comme l’unique voie, mais en imposant sa seule méthode. La rencontre de Melun du 26 juin 1960 a été une diversion plus qu’autre chose. D’ailleurs, même du coté français, on y croyait pas trop. En effet, le choix des représentants du général ne pouvait pas permettre la résolution du conflit.  Leur propension à garder l’Algérie française compromettait de fait la solution équitable. Voila ce qu’a dit l’ex gouverneur de l’Algérie, Paul Delouvrier,  à propos de cette rencontre : «  Le président de la république n'avait rien fait pour que ces entretiens aboutissent. Il voulait aller de l'avant mais pas trop vite. Le choix du négociateur principal, Roger Moris, dont les opinions Algérie française étaient connues de tous, et les consignes draconiennes qu'il lui avait données, auguraient mal du résultat des conversations. »

Il a fallu trois ans pour que le général se rende compte qu’il fallait négocier avec le seul représentant légitime du peuple algérien, le GPRA. Et la négociation proprement dite a été très longue. Elle a débuté réellement le 20 mais 1961 pour se terminer le 18 mars 1962. Par ailleurs, plusieurs interruptions ont été observées entre ces deux dates. Toutefois, la volonté d’aller de l’avant  a primé chez les deux camps. Le GPRA a levé le préalable de l’indépendance en déclarant le 16 janvier 1961 : «  Le GPRA, en ce qui concerne ses responsabilités, est prêt, quant à lui, à engager des négociations avec le gouvernement français sur les conditions d’une libre consultation du peuple algérien. » Quant à la France, le 7 mars 1961, de Gaulle a décidé de lever le préalable de « la trêve des combats et des attentats. »

Dans la foulée, la première délégation algérienne officielle a été ainsi formée. Conduite par Krim Belkacem, elle s’est rendue à Evian le 20 mai 1961. La stratégie du GPRA consistait à tester la bonne foi des français en réclamant la libération des cinq ministres détenus. Bien que le chef de la délégation française, Louis Joxe, n’ait pas accepté cette requête, il a tout de même promis des mesures libérales en faveurs des ministres incarcérés. Cette concession a été ainsi résumée : « le transfert D’Ahmed Ben Bella, de Mohamed Khidder et de Hocine Ait Ahmed de l’ile d’Aix au château de Turquant , en Maine-et-Loire, non loin du Saumur. Mohammed Boudiaf et Rabah Bitat, qui étaient incarcérés à Fresnes, les y avaient précédés dans la journée. » Au bout de la treizième séance, le 13 juin 1961,  cette conférence a été interrompue à l’initiative de la délégation française. En effet, en voulant que l’assiette territoriale de l’autodétermination soit limitée à la partie nord de l’Algérie, la délégation algérienne a rejeté cette proposition dans le fond et dans la forme. Ainsi, lorsque Louis Joxe a annoncé sa suspension, le porte parole de la délégation algérienne, Réda Malek, a tenu une conférence de presse où il a résumé la position algérienne : « Le FLN ne peut accepter un Etat algérien amputé des quatre cinquième de son territoire dominé par certaines enclaves militaires et miné de l'intérieur par la cristallisation d'une partie de la population autour d'intérêts coloniaux révolus. »

Le souci de mettre fin à la souffrance du peuple algérien a poussé le GPRA à poursuivre ses efforts de paix. Du coup, le 20 juillet 1961, les deux délégations se sont retrouvées à Lugrin. Le point d’achoppement a été toujours cette fameuse assiette territoriale de l’autodétermination excluant le Sahara. L’un des membres de la délégation française, Vincent Labouret, a fini par avouer les intentions de la France sur le Sahara. Il a résumé la position de la France en ces termes : «  Si vous voulez la fin du conflit, il faudrait vous contenter d’une Algérie indépendante réduite à sa partie Nord. Le Sahara ferait ensuite l'objet de discussion entre la France et les riverains dont, en premier lieu, l’Etat algérien. »  En constatant l’impasse, la délégation algérienne a tenté de surmonter cette difficulté, a écrit Rédha Malek, grâce à un tête à tête Krim Belkacem – Louis Joxe. Pour le porte parole de la délégation algérienne, il s’agissait de la répétition du 13 juin à Evain, version algérienne. La conférence a été interrompue sine die.

     Du remaniement du GPRA au cessez-le-feu.

La rupture de la négociation a été une occasion pour le conseil national de la révolution algérienne (CNRA) de se retrouver au complet. En effet, du 9 au 27 aout 1961, les délégués du conseil ont débattu, sans fard ni acrimonie, du bilan de la négociation. Ils ont procédé ensuite au remaniement du GPRA. Le 27 aout, la nouvelle équipe a été approuvée par 36 voix contre 6. A sa tête, Ben Khedda a remplacé Ferhat Abbas. Krim Belkacem a laissé le portefeuille des affaires étrangères à Saad Dahlab qui était son secrétaire général. Tout en restant chef de la délégation, Krim a pris aussi le ministère de l’intérieur en remplacement de Bentobbal.

Bien que le contact soit interrompu pour quatre mois, les déclarations des uns et des autres auguraient d’une reprise éminente. D’ailleurs, le dénouement a été venu de l’Elysée, le 5 septembre 1961, lorsque le général a reconnu, dans une conférence de presse, « qu’il n’y a pas un seul Algérien, je le sais, qui ne pense que le Sahara doive faire partie de l’Algérie et qu’il n’y aurait pas un seul gouvernement algérien, quelle que soit son orientation par rapport à la France, qui ne doive revendiquer, sans relâche, la souveraineté sur le Sahara. »

Cependant, la conférence des Rousses, dans le Jura du 12 au 20 février 1962, a été une occasion de rapprocher les positions des uns et des autres étant donné que la question du Sahara avait été évacuée. D’ailleurs, si le GPRA a évité toute espèce de précipitation, ce n’était pas le cas pour de Gaulle qui enjoignait à son représentant, Louis Joxe, de hâter la conclusion des accords. Son message était le suivant : « l'essentiel est d'aboutir à un accord comportant le cessez-le-feu puis l'autodétermination, du moment que cet accord n'entraîne pas des bouleversements soudains dans les conditions actuelles relatives aux intérêts matériels et politiques des Européens, aux conditions pratiques dans lesquelles s'opère sur place l'exploitation du pétrole et celle du gaz. »

Toutefois, bien qu’ils aient le mandat pour négocier au nom de l’Algérie, pour la délégation conduite par Krim Belkacem, l’accord des Rousses ne pouvait être qu’un préaccord. Pour eux, le texte devait être ratifié par le CNRA au 4/5 des voix. Après avoir rendu compte au GPRA, c’était autour du CNRA, réuni du 22-27  février 1962, d’en débattre du contenu du document. En tout cas, ce qui a donné plus de consistance et de crédibilité à ce préaccord était indubitablement le soutien des cinq détenus du Turquant. Leur message aux membres du CNRA a été laconique : « Nous, soussignés, déclarons approuver et ratifier ces accords conclus par notre gouvernement. » L’ultime séance du CNRA du 27 février a été une occasion de renouveler sa confiance à la délégation afin de poursuivre sa mission tout en essayant d’améliorer le contenu des accords. La résolution a été votée par 45 voix contre 4. Le quorum exigé étant de 40 voix, la délégation pouvait donc signer la proclamation de cessez le feu. Ce fameux document, après certaines améliorations, a été ratifié lors de la dernière rencontre à Evian du 7 au 18 mars 1962. Il a été conclu que la souveraineté de l’Algérie devait être totale que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur. Après le référendum, souligne le document, « L'Etat algérien se donnera, librement, ses propres institutions et choisira le régime politique et social qu'il jugera conforme à ses intérêts. »

Ce moment émouvant de la signature des accords de cessez-le-feu a été raconté par le témoin direct, Rédha Malek : « Nous sommes très surpris de voir les trois ministres français apposer successivement leur paraphe. Quand vient le tour de la délégation algérienne, Krim a un moment d’hésitation. Il regarde de part et d’autre Bentobbal et Dahlab d’un air interrogateur. Dahlab le sort d’embarras, en déclarant que, pour ce qui est de l’Algérie, seul le chef de la délégation est habilité à signer. »

Pour conclure, on peut dire que la guerre d’Algérie a été la plus pénible de toutes les guerres de décolonisation. Bien que son déclenchement ait été à l’origine d’une mésentente des chefs du MTLD, principal parti nationaliste, il n’en demeure pas moins que l’objectif des activistes du parti était en phase avec l’aspiration du peuple algérien. Et grâce à leur intransigeance, étant par la suite dirigeants du FLN, l’Algérie a pu recouvrer son indépendance. Ainsi, les Algériens ont réussi en 1954 à poser le problème en portant les armes et à l’emporter en 1962 grâce à la détermination du peuple soutenant jusqu’au bout ses diplomates.

                           Par Ait Benali Boubekeur.

·         Ouvrage de référence : Rédha Malek : L’Algérie à Evian.    

8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 10:40

Algerie-Bentalha-Massacre-22septembre1997-18 mars 1910 – 8 mars 2009, voila 99 ans que la journée internationale de la femme à été célébrée à Copenhague, au Danemark. Cette journée a été décidée à l’initiative de « la conférence internationale des femmes socialistes », proposée par Clara Zetkin née le 8 mars 1857, réunissant dix-sept pays. Les résolutions de cette conférence étaient toutes inhérentes aux droits de la femme, tels que le droit de vote, l’exercice de la fonction publique, le droit à la formation professionnelle, etc.

Par ailleurs, bien que le combat n’ait pas cessé pour l’égalité des droits entre les deux sexes, les deux grandes guerres ont éclipsé, pour un moment, cette dynamique. Il fallait donc la fin de la guerre de 39-45 pour que les revendications refassent surface derechef. Cette fois-ci, les congressistes, réunis à San Francisco du 25-26 avril 1945, ont pris les revendications légitimes des femmes à bras le corps. Il a été décidé dans la foulée de proclamer l’égalité des sexes en tant que droit fondamental. Mais, pendant que ces décisions se prenaient en Europe et en Amérique, l’Afrique était sous le joug colonial. Considérés comme sujets, ces textes ne les concernaient ni de prés ni de loin. En tout cas, pour l’Algérienne, il fallait qu’elle participe activement à la lutte armée pour qu’elle recouvre son indépendance. Et une fois celle-ci acquise, il fallait qu’elle milite pour qu’elle soit reconnue et respectée.

1) Le combat de la femme algérienne pour l’indépendance.

Le statut de sujet, des Algériens en général, ne tendait qu’à nier leur existence. Bien que l’extermination n’ait pas été officiellement assumée, il n’en reste pas moins que pendant les quarante ans de pacification, de 1830 - 1871, la population a dégringolé de 3 millions à 2,1 millions d’habitants. La femme algérienne n’a pas échappé à la furie des Bugeaud, Clauzel, Berthezène, de Bourmont, St Arnaud, Montagnac et Pélissier. Dans une lettre de ce dernier à Bugeaud, Pélissier a raconté l’enfumade du Dahra en été 1845. Après avoir obligé les Algériens à rentrer dans la grotte, « un corps de troupes françaises s’est occupé à entretenir un feu infernal. Entendre le gémissement des hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement de rochers calcinés s’écroulent et les continuelles détonations des armes… Le matin… J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras… On a compté 760 cadavres. » Dans cette phase sombre de la colonisation, le moins que l’on puisse dire c’est que les souffrances étaient les mêmes que se soit pour les hommes ou pour les femmes.

Plus tard, en dépit de la répression systématique des autorités coloniales, le peuple a résisté par diverses formes de lutte. Et à chaque fois qu’une revendication était de nature à demander l’égalité entre les Algériens et les Français d’Algérie, les autorités coloniales ont maté sans vergogne ces manifestations. Le summum de la violence a été atteint le 8 mai 1945 lors de la célébration de la victoire des soi-disant démocraties de l’époque contre les régimes totalitaires, représentés par Hitler et Mussolini. Ainsi, la femme algérienne a été profondément marquée par ce massacre, à Sétif et à Guelma, à ciel ouvert.

Cependant, bien qu’elle soit confinée dans la vie familiale, le déclenchement de la guerre, en novembre 1954, a été considéré par ces femmes comme une occasion idoine pour se libérer du carcan colonial. Du coup, sur les 1010 combattants de la première heure, les 49 femmes qui, dés le premier mois, ont rejoint le FLN-ALN ont représenté 5% de l’effectif initial des combattants. Cette nouvelle donne a amené les chefs de l’insurrection à intégrer la femme dans la nouvelle équation, cette fois-ci, comme variable non négligeable. Cette adhésion des femmes, quoi que difficile au début, a été pleinement assumée. Voici le récit de Djamila Amrane, auteure de « Femmes au combat » : « Le départ au maquis est l’acte qui marque le plus profondément et de manière irréversible la coupure avec la famille et le mode de vie traditionnel. Ces jeunes filles, dont la moindre sortie était contrôlée par leurs parents, font preuve d’un courage et d’une volonté exemplaires en décidant d’abandonner leur vie protégée pour la lutte dans les maquis. »

Cependant, l’intégration de ces femmes étant peu ou prou acceptée, un accord a été conclu entre la direction du FLN et l’UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens), connu sous le nom de « l’appel d’Alger ». Ce dernier s’adressait à tous les étudiants sans distinction de sexe. Au sein du bureau de l’UGEMA, deux étudiantes (Hafsa Bisker et Zoulikha Bekaddour) ont joué un grand rôle de sensibilisation. Par la suite, les membres de l’insurrection de l’intérieur, réunis à Ifri en aout 1956, ont rappelé le rôle de la femme pendant cette période cruciale. Elle a été citée dans le texte final en notant : « l’exemple récent de la jeune kabyle, qui repousse une demande en mariage parce que n’émanant pas d’un maquisard, illustre d’une façon magnifique le moral sublime qui anime les Algériennes. »

Ce moral d’acier et cette détermination exemplaire ont été mis à l’épreuve lors de la grande répression de février 1957. Après le vote des pouvoirs spéciaux, la répression inouïe des paras, dirigés par le général Massu, a poussé les chefs du FLN à se replier momentanément vers l’extérieur. Dans les mois suivants, plusieurs milliers de militants ont été arrêtés. La plupart d’entre eux étaient torturés et exécutés au mépris de toutes les lois. Pendant cette période, les militantes du FLN ont pris la relève en perpétrant des attentats, et ce malgré le bouclage de la ville par les paras. En somme, quoi qu’il ait été épilogué sur la guerre d’Algérie, aucun historien n’a remis en cause le rôle joué par la femme algérienne depuis le début de la guerre jusqu’au cessez le feu. D’ailleurs, les anciens documents du FLN ont même évoqué son avenir dans le futur Etat indépendant : « dans ce domaine, le parti ne peut se limiter à des simples affirmations, mais doit rendre irréversible une évolution inscrite dans les faits en donnant aux femmes des responsabilités en son sein. »

2) La femme algérienne enfin libre

Le 5 juillet 1962 a été une occasion de fêter dans la joie l’indépendance recouvrée. Les femmes ont déferlé dans les rues des grandes villes, telles qu’Alger, Oran, Constantine, etc. Ainsi, code à code, tous les Algériens célébraient, pendant plusieurs jours, la naissance du nouvel Etat et criaient leur désir de vivre libre. Hélas, la logique du parti unique et de la pensée unique ont rendu ce rêve utopique. Dans ce monde où la force du cerveau devait être proportionnelle à la force des bras, la femme a été de fait exclue. Par ailleurs, bien qu’un appel ait été fait à toutes les forces vives de participer à l’édification de la nouvelle nation, l’Algérienne a été tout bonnement écartée de toutes les responsabilités. Selon Djamila Amrane : « Sur 194 membres, la première Assemblée constituante compte 10 femmes, toutes anciennes militantes. Elles ne sont que 2 sur les 138 membres de la deuxième assemblée. Au parti, aux syndicats, aucune n’a un poste de responsabilité. » Même celles qui avaient la chance d’être désignées ne pouvaient pas avoir la liberté de ton. Le témoignage de Jemaa, ancienne maquisarde, montée au djebel dés les années 1950 du coté des Aurès, est édifiant. A l’indépendance, disait-elle, j’ai essayé d’être à l’UNFA (Union Nationale des femmes Algériennes), mais je ne leur ai pas été utile, ils préfèrent des femmes qui applaudissent et qui ne parlent pas trop comme moi, a-t-elle conclu.

Par ailleurs, l’éloignement de la femme des sujets brulants de la société a laissé le chemin libre aux législateurs du parti unique. Toutefois, jusqu’aux années quatre-vingt, les Algériens étaient tous soumis au code civil. Ce dernier n’était nullement en contradiction avec les constitutions de 1963 et 1976. Mais voila que le 9 juin 1984, un code de la famille a été adopté, à huis clos, à l’APN (Assemblée Populaire Nationale), dont la représentation féminine était quasiment nulle. Il est communément reconnu, y compris par certains hommes politiques, que le code de la famille est injuste dans au moins deux dispositions : la polygamie et le tutorat. La première prive la femme du droit à la jalousie et la seconde la rend mineure à vie.

Cependant, plusieurs associations féministes ont été crées en vue de lutter contre ce statut scélérat, à leur yeux. Regroupées en coordination des femmes, ces associations ont organisé moult manifestations pour infléchir les pouvoirs publics. La décennie noire, pour ne pas incriminer aucune partie, a suspendu carrément la vie politique en Algérie. Le retour relatif au calme a permis de relancer le débat. La journaliste du journal le Monde, Florence Beaugé, qui suit depuis des années l’actualité algérienne, a noté à propos des promesses du président Bouteflika d’amender le code de la famille que : « l’avant projet, adopté par le gouvernement à l’automne 2004, prévoyait pourtant que la présence du tuteur matrimonial, le plus souvent père ou frère, ne serait plus obligatoire. Les partis islamistes dénonçaient par avance cette disposition, contraire, disaient-ils, à la charia, le droit religieux qui régit la vie des musulmans. »

Finalement, le président a reculé sur les amendements envisagés tels que la suppression du tuteur lors de la conclusion du mariage. Bien que certains amendements soient positifs, il n’en demeure pas moins que la suppression de ce code est tout bonnement nécessaire. Car l’Algérie n’est pas plus rétrograde que certains pays musulmans ne possédant pas ce genre de code.

Pour conclure, l’Algérienne, qui a participé à toutes les périodes cruciales de son pays, doit être l’égale de l’homme. Pendant la colonisation, la femme algérienne a subi les pires humiliations. Aujourd’hui rien ne justifie sans statut inférieur. D’ailleurs, son émancipation ne sera que bénéfique pour l’avenir de l’Algérie. Les études comparatives, les analyses sociologiques et économiques montrent que là où la femme est infériorisée, la société ne progresse pas, ou progresse lentement, que celles qui favorisent l’égalité entre les hommes et les femmes, a écrit un universitaire algérien dans un de ses textes.

12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 10:19
 iran.jpgL'Iran vient de célébrer le trentième anniversaire de la révolution islamique de 1979. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la propagande occidentale, colportée jusque-là sur l'Iran, ne visait qu'à lui porter préjudice. Ainsi, depuis trois décennies, les articles et reportages ne montraient ou ne décrivaient que les foules fanatiques et des femmes en tchador noir, un pays totalitaire et obscurantiste, a écrit l'auteur de « Iran : la révolution invisible », Thierry Coville.

Bien que le régime iranien ne soit pas le modèle à envier, il n'en reste pas moins que la société iranienne ne s'est pas figée, et ce, malgré un embargo rigide, infligé par les Etats-Unis depuis 30 ans. Par ailleurs, depuis l'élection d'Ahmadinedjad à la tête de l'Etat iranien, l'administration américaine s'est acharnée contre son régime en le qualifiant dans l'un des discours de G.W.Bush, en janvier 2002, comme faisant partie de « l'axe du mal ». En effet, durant le règne de G.W.Bush, l'intervention militaire contre l'Iran n'a jamais été exclue. Cette velléité de contrôler la région, c'est-à-dire le Proche-Orient, est dictée par l'esprit mercantiliste des Occidentaux afin d'avoir une mainmise sur l'or noir, dont les réserves atteignent les deux tiers de l'ensemble de la production mondiale. Du coup, quelle que soit la nature de la révolution dans la région, les puissances étrangères déployaient et déploient tous leurs moyens pour les saborder. En Iran, les trois événements ayant marqué cette ancienne civilisation ont connu une intervention étrangère musclée. Les deux premières n'ont pas survécu aux coups durs portés par les étrangers. La dernière n'a pas encore vacillé, bien que l'Amérique n'attende que le moment opportun.



Le premier régime constitutionnel du monde musulman



Depuis l'avènement de l'acception Etat-nation, l'Iran a été le premier musulman à s'être doté d'une constitution. En octobre 1906, les divers groupes sociaux, y compris les religieux, ont mis en place un système politique reposant sur la démocratie et l'Etat de droit. Un an plus tôt, la connivence du roi, pour l'octroi d'une concession sur la vente et l'exportation de tabac à un amiral anglais, avait exaspéré la population. Ce mouvement nationaliste s'était assigné alors un objectif à court terme : faire cesser l'influence anglo-russe dans leur pays. Suite à cette pression populaire, le prince Muzaffar al-Din Shah a signé une proclamation donnant naissance à la première assemblée constituante. Bien que les groupes aient été hétérogènes, ces derniers s'étaient entendus sur trois réformes capitales : le constitutionalisme, le sécularisme et le nationalisme. Selon Thierry Coville, les trois réformes avaient pour ambition la mise des gardes-faux. Ainsi, pour l'auteur : « Le constitutionalisme permettait de lutter contre le pouvoir royal, le sécularisme contre le pouvoir religieux et le nationalisme contre les influences étrangères ». Toutefois, le nouveau régime n'a pas survécu aux pressions extérieures. Le pays, qui s'appelait à l'époque la Perse, a sombré vite dans l'anarchie. Du coup, la troisième réforme n'a pu se concrétiser à cause de l'intervention étrangère permanente. L'opposition au régime a bénéficié d'un soutien indirect, mais décisif, de la Russie et de l'Angleterre.

Cependant, la position de la Perse pendant la Première Guerre mondiale a été fatale pour l'avenir de son constitutionalisme. En effet, exhortée par les alliés à les rejoindre, la Perse a adopté la position de neutralité. Par ailleurs, le ressentiment du peuple perse à l'égard de Londres et de Moscou a penché la bascule vers le blog germano-turc. Ce choix a provoqué la prise du territoire perse par les deux puissances alliées. Le gouvernement, mis en place à la fin des hostilités, a été favorable aux deux pays. Cette situation a permis à Reza Khan de renforcer la monarchie en 1921. Quatre ans plus tard, le roi, de la lignée de Pahlavi, a mis fin au régime précédent, en se proclamant Shah. Il a également débaptisé la Perse en lui préférant le nom d'Iran. Bien que le nouveau régime se soit appuyé principalement sur l'armée, dont le budget a été multiplié par cinq entre 1926 et 1941, plusieurs réformes modernistes ont été mises en oeuvre. Le statut de la femme a été amélioré. Et les établissements scolaires étaient contraints, tout au long de cette période, d'accepter les filles sous peine d'amende. Cependant, une fois de plus, le déclin du nouvel Iran a été à l'origine de l'immixtion de la Russie et de l'Angleterre dans les affaires intérieures de ce pays. En effet, la neutralité de l'Iran lors du second conflit mondial a provoqué l'invasion russo-britannique de son territoire, le 16 aout 1941. Cette fois-ci, aux deux forces alliées présentes sur le terrain, un nouveau pays, les Etats-Unis, a fait son entrée sur la scène moyenne-orientale en général, et iranienne en particulier.



Le mouvement de nationalisation des années cinquante



L'opposition des forces étrangères à toute forme de nationalisme iranien, qui remettrait en cause leurs intérêts, a fragilisé la société. Mais, dès 1950, le Front national, que dirigeait Mohammad Mossadegh, s'est opposé, selon Thierry Coville, à la renégociation de l'accord de 1933 avec l'Anglo-Iranian Oil Camapany (AIOC). Il a même milité pour que cette société soit nationalisée. Suivi dans cette contestation par la population, le parti de Mossadegh a été majoritaire aux élections de mai 1951. L'intervention étrangère, suite au coup d'Etat fomenté par la CIA, a été une nouvelle fois à l'origine de la chute du régime nationaliste. En effet, dans le documentaire intitulé « le dossier secret de la CIA », l'auteur du coup d'Etat, Richard Helms, a avoué avoir obéi aux injonctions de la nouvelle administration du président Eisenhower. Le coup d'Etat d'août 1953, qui a remis le pays aux mains de Mohammed Reza Shah, a mis fin à cette expérience d'un pouvoir nationaliste légitime et fruit d'un processus démocratique. Certes, le Shah a repris la totalité du pouvoir, mais l'opinion iranienne savait désormais que le roi entretenait une complicité avec une puissance étrangère, en l'occurrence les USA. En effet, l'influence des Etats-Unis, heurtant à ce titre le nationalisme iranien, n'a pas été digérée pas la majeure partie de la population. Ils reprochaient au roi de les avoir éloignés de la gestion de leur pays au profit d'une nation étrangère. Pour se pérenniser, le roi recourait systématiquement à la répression, sans vergogne, des manifestations en s'appuyant derechef sur l'armée et la SAVAK (les services secrets). Toutefois, bien que la réforme agraire de 1963 ait été de nature à garantir l'autarcie économique du pays, la rue était ouvertement sceptique à toute réforme émanant du roi. L'opposition libérale a décidé de s'associer avec les religieux pour contrer l'emprise du roi. Ce dernier a recouru, comme d'habitude, à la répression des manifestations. Il y avait également plusieurs arrestations, dont celle du guide Ayatollah Khomeiny.

Libéré contre la promesse de ne plus faire de déclaration publique, ce dernier a enfreint la clause, en octobre 1964, en critiquant la loi qui prévoyait d'attribuer l'extraterritorialité politique au personnel militaire américain.

Le départ du guide religieux pour la Turquie dans le premier temps, et Nadjaf (Irak) ensuite, a seulement donné un répit relatif au régime du roi. Car l'opposition a glissé vers les extrêmes comme l'a bien noté Thierry Coville : « Succédant au début des années 1960 au mouvement nationaliste libéral de Mossadegh, marqué et affaibli par le coup d'Etat de 1953, l'opposition religieuse au shah est vite apparue comme l'opposition nationale la plus légitime ».



Vers la révolution théocratique



Le discrédit du mouvement réformateur, incapable de changer le cours des événements, a porté au devant de la scène une opposition de plus en plus radicale et religieuse. Le laminage des forces libérales a rendu l'équation, pour les nationalistes, plus alambiquée. Leur silence allait avantager le maintien de la dictature royale et leur mobilisation ne pouvait conduire qu'à instaurer un régime théocratique. Le spécialiste de la révolution iranien, Thierry Coville, a estimé que la condition sine qua none d'un éventuel changement résidait en fait dans le rassemblement le plus large possible des différents groupes sociaux. Il a noté à ce propos : « la répression des soulèvements menés en 1963 par les religieux, lors de la révolution blanche, confirma qu'un mouvement politique national de protestation contre la dictature royale ne pouvait réussir et durer en Iran que s'il reposait sur une alliance durable entre les classes moyennes modernes, d'un côté, et le bloc traditionnel, classes moyennes traditionnelles et clergé, de l'autre ». Dans les années 1970, plusieurs événements ont concouru à ce qu'une alliance soit scellée entre les différents groupes. En 1971, le roi a mis en place une politique culturelle consistant à glorifier la période préislamique. Pour ce faire, il a débloqué une enveloppe conséquente pour la célébration du 2500e anniversaire de l'Empire achéménide.

Dans la foulée, le calendrier habituel, celui de l'Hégire, a été remplacé par celui correspondant à la date de la création de cet Empire. Bien que le roi ait instauré des lois libérales, dont celle relative à la protection de la famille et celle accordant aux femmes le droit au divorce et la garde des enfants si le tribunal compétent le décidait, la société traditionnelle n'a pas adhéré à ces nouvelles dispositions. En effet, seules les femmes des classes aisées ont adhéré de façon effective à ces réformes.

En revanche, sur le plan économique, la détérioration de la situation a débuté avec la crise pétrolière de 1973. Sur l'ensemble du règne du Shah, le bilan était surtout mi-figue mi-raisin. En effet, bien que la croissance économique ait été très positive pendant plusieurs années de suite, il n'en demeure pas moins que les projets ont été financés grâce à la hausse des prix du pétrole. Quant à la corruption, celle-ci a touché tous les niveaux de la société conduisant au détournement de sommes colossales. Conséquence de cette gabegie, le fossé séparant le roi et la société allait grandissant. Selon Evrand Abrahamian, cité par l'auteur, l'erreur du roi résidait dans la stratégie suivie : « en se reposant sur l'armée, un système politique clientéliste et l'appareil bureaucratique, le souverain s'est ainsi peu à peu isolé de la société ». Par ailleurs, profitant de la récrimination du président Jimmy Carter en 1976 au roi, l'exhortant de cesser les brutalités contre son peuple, les forces religieuses ont profité de cet espace qui s'est libéré. L'erreur fatale s'est produite en février 1978, lorsque le quotidien gouvernemental a osé insulter l'ayatollah Khomeiny. Le lendemain, des milliers d'étudiants en théologie sont sortis dans la rue. La répression policière a été sans pitié. Ce jour-là, plusieurs morts ont été enregistrées du côté des manifestants. En constatant cette effusion de sang, la population s'est rangée du côté des révoltés. Le 7 septembre 1978, la foule a carrément demandé pour la première fois le départ du shah et le retour de Khomeiny. Cette pression s'est maintenue tout au long de l'année 1978. Le 16 janvier, le shah a fui le pays. Deux semaines plus tard, en provenance de France, Khomeiny est arrivé à Téhéran. La révolution islamique est ainsi née. Pour conclure, la découverte du pétrole au début du XXème siècle, en paroi à toutes les convoitises, a suscité un appétit incommensurable des Occidentaux. Les régimes successifs dans le Moyen-Orient ont été déstabilisés par les étrangers à cause de l'intérêt porté à leurs richesses. L'immixtion dans les affaires internes de ces pays a conduit à une multitude de coups d'Etat. Seuls les pays acceptant de coopérer avec eux ont bénéficié d'une paix durable. Le seul régime qui a résisté à ces coups fatals est pour le moment la révolution islamique d'Iran. Bien que le nouveau président américain, Barack Obama, ait voulu nouer un dialogue avec Téhéran, il n'en reste pas moins qu'un pays impérialiste ne change pas de cap de façon aussi instantanée. Ce qui est certain en revanche, c'est que, tant que cette révolution n'est pas déchue, la richesse pétrolière restera entre les mains des Iraniens.

Par Aït Benali Boubekeur, 24 février 2009, Le Quotidien d'Oran

10 décembre 2008 3 10 /12 /décembre /2008 10:28

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Les événements du 11 décembre 1960 ont constitué, de façon décisive, le véritable tournant de la fin de la guerre d'Algérie. Entre l'offensive militaire française et les prétentions hégémoniques des politiques français, il ne restait pas assez d'espace pour une expression algérienne libre. En effet, la politique algérienne, depuis le retour du général De Gaulle au pouvoir, a été menée sans concession à l'égard des Algériens. Bien qu'il ait tenu tête aux lobbies coloniaux, le général a su défendre les intérêts de la France jusqu'à l'ultime round des négociations avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). Pour mieux comprendre cette période, il faut revenir sur les différentes phases de la politique algérienne du général. Il y avait d'emblée l'offre de la paix des braves, quelques mois après son installation à l'Elysée. Cette offre ne préconisait ni plus ni moins qu'une reddition pure et simple des combattants de l'ALN (Armée de Libération Nationale). Ensuite, le plan Challe, lancé en septembre 1959, avait pour but l'étouffement des maquis. Jusqu'au mois de juin 1960, période correspondant à son discours sur l'autodétermination, le général a oeuvré pour le rétablissement de la paix en Algérie mais en voulant imposer sa seule vision. D'ailleurs, le général a toujours exigé le préalable du cessez-le-feu avant qu'une quelconque discussion soit ébauchée. Bien que ces déclarations aient été de nature à réjouir le peuple algérien, lorsqu'il parlait par exemple du futur destin de l'Algérie, le GPRA a su maintenir en permanence une pression afin que l'indépendance soit totale, et ce dans tous les domaines. Toutefois, face à l'intransigeance du gouvernement provisoire sur le recouvrement de la souveraineté nationale, De Gaulle a essayé de créer une troisième force, favorable aux intérêts de la France en Algérie. Dans son discours du 2 décembre 1960, De Gaulle a parlé de l'Algérie algérienne, mais en voulant la confier à ses alliés algériens depuis le début du conflit. Le FAD (Front de l'Algérie Démocratique), animé par le Cadi Belhadj Lamine, a été ainsi créé pour une éventuelle négociation sur l'avenir de l'Algérie.



Cependant, toute cette stratégie a été concoctée dans les bureaux parisiens. En Algérie, les deux communautés partageant le même territoire avaient des visions diamétralement opposées. D'un côté, le peuple pied-noir voulait exister par la seule force des armes et souhaitait maintenir le peuple algérien dans une situation d'asservissement. De l'autre, le peuple algérien aspirait à vivre dignement, sans carcan et surtout sans tutorat.





Le bras de fer opposant le lobby pied-noir à De Gaulle




Depuis le rappel, le 22 novembre 1960, du gouverneur général Delouvrier, la politique algérienne se décidait uniquement à l'Elysée. Le général De Gaulle a choisi son homme de confiance, Louis Joxe, pour diriger cette mission. La nouvelle fonction de délégué général a été confiée à un préfet, Jean Morin, de la haute Garonne (Toulouse). Le choix de ce dernier était significatif. Ce commis de l'Etat n'était là que pour appliquer la politique du général, sans dévier d'un iota les orientations présidentielles. Les deux représentants de De Gaulle avaient pour première mission la préparation de la visite du général prévue du 9 au 12 décembre 1960. Par ailleurs, dès l'annonce de cette information, le lobby colonial s'est mobilisé en vue d'empêcher, ou du moins perturber, la visite présidentielle. Ils se sont regroupés au sein du FAF (Front de l'Algérie Française). Selon Yves Courrière, les tracts du front ont été imprimés sur les ronéos du gouvernement général. Le Front de l'Algérie Française s'est adressé au peuplepied-noir en ces termes : « la vie de la capitale doit s'arrêter. Interdiction aux véhicules civils de circuler. Interdiction d'ouvrir les magasins sous peine de les voir saccagés ». Ce 9 décembre dès 9 heures du matin, les rues d'Alger grouillaient de monde. La tactique usitée par les commandos FAF consistait à harceler les CRS et les gendarmes sur plusieurs points distincts. Selon leur calcul macabre, s'ils arrivaient à déborder les services de sécurité, l'ordre serait donné aux paras pour maintenir l'ordre. Et là, cerise sur le gâteau puisque les paras étaient très proches du FAF. Plusieurs militaires faisaient en effet partie du front, tel que Pierre sergent. Leur voeu était de rééditer notamment le coup du 13 mai 1958. Ce jour-là, pour rappel, ultras et paras avaient réuni leurs forces pour renverser la quatrième République.



En revanche, le fait indéniable lors des manifestations des Français d'Algérie, ce 9 décembre 1960, était indubitablement la complicité entre les institutions coloniales et le FAF. L'auteur de « les feux du désespoir » a relaté cette connivence comme suit : « Les violents accrochages - entre manifestants et les mobiles il y a toujours un jet de pierre - ont fait des blessés de part et d'autres mais rien de grave. Et puis, comme par miracle, vers 13 heures les combats cessent. La trêve du déjeuner ! Les manifestants disparaissent, recueillis par la ville complice ». Vers la fin de la journée, un appel similaire à celui de la veille a été lancé. Cette fois-ci, la population a été exhortée de descendre massivement dans les rues de la capitale pour contrer la politique d'abandon du général De Gaulle. Bien que le général ait évité de visiter Alger et Oran, il a prévu quand même de visiter les villes moyennes telles que Cherchell, Blida, Tizi Ouzou, El-Asnam, Akbou, Téléghma, et Batna. Dans son dernier périple algérien, le général De Gaulle a eu un accueil hostile des pieds-noirs et mitigé de la part des Algériens. Aux slogans «Algérie Française » des pieds-noirs, les Algériens ont répondu par des slogans tels que : « Algérie algérienne, Vive Ferhat Abbas, Indépendance, etc. ». En tout cas, en dépit de l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes, les Algériens ont affirmé, pendant ces journées, haut et fort qu'il fallait les intégrer dans l'équation algérienne comme une variable non négligeable.





Les Algériens avaient aussi leur mot à dire




Le peuple autochtone ne pouvait pas et ne voulait pas que l'avenir de son pays soit tranché en dehors de lui. Il savait pertinemment que ses intérêts ne pouvaient être garantis si son avenir se décidait par les lobbies d'Alger ou par l'Elysée. Il faut se rappeler de la conférence d'Evain du 20 mai au 13 juin 1961, pour comprendre les visées hégémoniques du général De Gaulle. Le porte-parole de la délégation du GPRA de l'époque, Réda Malek, a rendu compte à la presse sur les motifs du retrait de la délégation algérienne de la conférence : « Le FLN ne peut accepter un Etat algérien amputé des quatre cinquième de son territoire dominé par certaines enclaves militaires et miné de l'intérieur par la cristallisation d'une partie de la population autour d'intérêts révolus ».



Toutefois, bien que les services spéciaux aient voulu encadrer la manifestation pour qu'un soutien sans réserve soit apporté à De Gaulle, le peuple algérien a saisi cette occasion pour affirmer encore une fois qu'il soutenait indéfectiblement son gouvernement provisoire. D'ailleurs, quand De Gaulle s'adressait à la foule en leur disant : «il vous appartient de prendre des responsabilités algériennes », les manifestants algériens répondaient en choeur : «Vive Ferhat Abbas, Vive De Gaulle, Négociation, Algérie Indépendante, etc. ». Cependant, ce dimanche 11 décembre 1960, dans différents quartiers de la capitale, des milliers d'Algériens ont bravé la mort en sortant massivement manifester pour l'indépendance de l'Algérie. Ils n'ont pas omis de rappeler que la solution, il s'agissait pour eux de l'unique, se trouvait dans la création de la République algérienne conformément à l'appel du 1er Novembre 1954. Dès neuf heures du matin, la nouvelle s'est répandue telle une trainée de poudre. Les quartiers algériens, en opposition aux quartiers pieds-noirs, étaient noirs de monde. Ces quartiers étaient : Belcourt, Bouzareah, la Casbah, Clos Salembier, Maison Carrée, El-Biar, les Eucalyptus.



Cependant, dès que le FAF a appris la nouvelle, les ultras pieds-noirs ont mobilisé les leurs pour contrecarrer ces manifestations. Selon Courrière : « A Belcourt la tension a monté. Des Européens sont maintenant dehors. Beaucoup ont l'arme à la main. » A Bab El-Oued, repaire des ultras pieds-noirs, des manifestants algériens ont brandi les drapeaux vert et blanc à leur risque et péril. Toutefois, les menaces de canarder les manifestants ont été mises à exécution au courant de l'après-midi. Dans plusieurs rues de la capitale, des pieds-noirs ont ouvert le feu, derrière leurs balcons, sur la procession des Algériens. Au siège du gouvernement général, gardé par les paras, les manifestants ont essuyé des coups de feu tirés par les bourreaux de la bataille d'Alger. Ces manifestants venaient notamment de la Casbah. Par ailleurs, se trouvant devant le fait accompli, le chef des armées en Algérie, le général Crépin, a donné l'ordre à 15 heures d'ouvrir le feu sur la foule si besoin s'en faisait sentir. Le bilan de cette furie a été énorme. En effet, les manifestants ont payé un lourd tribut ces jours-là à Alger. Rien que pour la journée du 11 décembre, pas moins de 55 Algériens ont été tués. Sur l'ensemble de la visite du général, 112 Algériens ont péri dans les différentes manifestations.



Finalement, depuis le retour du général De Gaulle aux responsabilités, sa politique a évolué suivant ses calculs propres. De la simple reddition à l'autodétermination en passant par les opérations du plan Challe, la politique française en Algérie a été fluctuante. En revanche, les responsables du FLN avaient un seul objectif : la libération nationale. Cette détermination était également partagée par le peuple algérien. Bien qu'il y ait au sein de cette population d'autres Algériens qui soutenaient sans vergogne le régime, il n'en demeure pas moins que la quasi-totalité du peuple était enclin à la rupture avec ce système colonial. Le silence, face aux mitraillettes, n'était pas synonyme de consentement, mais une façon de se préserver pour le moment opportun.



Le 11 décembre 1960 : le peuple a réaffirmé ses choix précédents - Par: Aït Benali Boubekeur

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4 août 2008 1 04 /08 /août /2008 17:27
conquete« Tandis que l'Europe se coalise contre la France libre, une puissance africaine (Alger), plus loyale et fidèle, reconnaît la république et lui jure amitié. »
Le Moniteur de juin 1793

Cette relation d'amitié a été entretenue pendant toute la période scabreuse qu'a vécue la France. Car du 25 mars au 26 septembre 1793, l'Europe se coalisait dans son ensemble contre elle. Son territoire a été envahi sur plusieurs points et son armée manquait cruellement de subsistance. Par ailleurs, le premier Directoire qui a succédé à la Convention, deux ans plus tard, n'a pas ramené la paix. Situation par ailleurs qui ne dépendait pas de sa seule volonté. La coalition, de son côté, n'a pas non plus affiché une quelconque volonté eu égard aux buts qu'elle s'était fixés. Il s'agissait, dans un premier temps, de sauver la civilisation européenne menacée par la Révolution française et, dans le second temps, de contraindre la France à renoncer à sa propagande. Pour y parvenir à cette fin, les Anglais avaient contribué activement au blocus afin que le peuple et l'armée français aient à manquer de tout. En plus du blocus, en 1793, la France était confrontée à une calamité: la disette dans plusieurs départements. Cette dernière avait rendu la situation intenable étant conjuguée aux attaques de la coalition, si l'on croit Georges Lefebvre, auteur de Révolution française: «La débâcle fut si brusque que la vie économique semble comme suspendue; les salaires, naturellement, ne purent suivre la hausse des prix et le resserrement du marché, par la réduction du pouvoir d'achat, alla jusqu'à provoquer l'arrêt de la production: les mines de Littry, par exemple, suspendirent l'exploitation.» Quant aux commerçants, ils ont simplement suspendu leur activité suite aux décisions du gouvernement de pratiquer «l'assignat», c'est-à-dire papier-monnaie dont la valeur était assignée sur les biens nationaux.

Cependant, la bouffée d'oxygène venait de l'alliée, la Régence d'Alger. En effet, le dey avait proposé au gouvernement français, pour l'achat du blé algérien, de lui prêter l'équivalent d'un million, sans intérêts. La maison qui s'était occupée de la vente appartenait à Bacri et Busnach. Ces juifs livournais établis à Alger détenaient, à eux seuls, la totalité ou peu s'en faut du commerce de la Régence. Ainsi, pendant sept ans, la maison Bacri-Busnach avait pourvu en céréales le Midi de la France et les armées engagées dans les campagnes d'Italie et d'Egypte. Toutefois, lorsque le premier Empire a succédé au second Directoire, les 9 et 1O novembre 1799 correspondant aux 18 et 19 brumaire an VIII, Napoléon n'avait pas, comme ceux qui l'avaient précédé, l'intention de rembourser la dette. Pire encore, c'était le début de la détérioration des relations entre les deux Etats. Bien qu'elle ait été sous l'autorité ottomane, la Régence répondait aux critères d'un Etat souverain, selon Benjamin Stora, auteur de «Histoire de l'Algérie coloniale». Thèse qu'il corrobore en écrivant: «souveraineté reconnue par la plupart des Etats européens et les Etats-Unis, qui avaient accrédité auprès du dey des agents diplomatiques permanents.»

Une décennie après le coup d'Etat perpétré par Napoléon, ce dernier a songé réellement conquérir l'Algérie. Le prétexte avancé était l'achat des comptoirs français par des Anglais, dans la région bônoise (actuelle Annaba), en avril 1808. Perçue comme une humiliation, cette affaire a failli déboucher, plus tôt que prévu, sur la colonisation de l'Algérie. Pour se venger, Napoléon a chargé son ministre de la Marine, dans son discours du 18 avril 1808, de préparer une expédition contre Alger. Henri Noguerès, auteur d'«Expédition d'Alger 1830» rapporte l'instruction de l'empereur: «Monsieur Decrès, méditez l'expédition d'Alger, tant sur le point de vue de mer que sous celui de la terre.» Suite à cette injonction, le ministre a aussitôt désigné Vincent-Yves Boutin, marin de profession. Le 9 mai, celui-ci s'embarquait sur le Requin, direction Alger, pour tâter le terrain. Dans un rapport envoyé à l'empereur, Boutin décrivait précisément l'itinéraire et la période propice pour une éventuelle expédition. Il notait en guise de plan, l'endroit où l'armée française devait opérer: «Reste donc l'espace entre Cap Caxime, Sidi Ferruch et au-dessus et c'est vraiment là qu'il faut opérer.» Les différentes guerres sous le premier Empire ont rendu cette entreprise irréalisable. En juin 1815, la bataille de Waterloo a mis un terme aux visions expansionnistes de Napoléon.

Le gouvernement de la Restauration a pris la suite de l'Empire. Bien que l'ordre et la paix soient retrouvés, Louis XVIII n'a guère manifesté de velléité en vue de régler la dette contractée 22 ans plus tôt. Quatre ans après l'intronisation de Charles X, d'après l'historien Olivier Le Cour Grandmaison: «La commission française, réunie en 1819, fit subir de sérieuses réductions aux factures de Bacri, en suite desquelles ce qui reste dû est fixé définitivement, d'accord avec Bacri et le dey, à une somme globale de 7 millions.» En outre, l'accord stipulait que, sur les 7 millions, on ôtait les sommes dues par Bacri à ses créanciers. Aubaine pour les créanciers de gonfler leurs factures. Du coup, la justice a été saisie pour déterminer la véracité des éléments présentés par chaque partie. En 1827, les tribunaux n'ont pas encore rendu leur verdict. Excédé par l'attente interminable, le dey Hussein a envoyé quatre lettres au roi des Français, Charles X. Selon Charles Robert Ageron: «C'est de ce contentieux qu'eut à débattre, avec le dey Hussein, Pierre Duval, consul général de France, mis en poste à Alger par Talleyrand, en dépit (ou en raison) de ses intrigues. Le 27 avril 1827, cet affairiste douteux est frappé d'un coup d'éventail par Hussein, puisqu'on en fera la cause première de l'expédition d'Alger.»

Par ailleurs, dès la fin de l'année 1827, le ministre de la Guerre, le comte Clermont-Tonnerre, a exposé au roi les bénéfices à tirer en occupant la Régence. Pour lui, une intervention militaire réussie «ferait une utile diversion à la fermentation politique de l'intérieur», note Ch. R. Ageron. En effet, le conflit intérieur pouvait, à tout moment, déboucher sur une guerre civile. Et le risque était maximal lorsque le roi Charles X a désigné le prince de Polignac pour diriger le gouvernement ultra. Parmi les buts fixés par De Polignac, il y avait l'obsession de renouer avec l'époque napoléonienne. Pour atteindre son objectif, De Polignac a misé, selon Benjamin Stora, sur «la recherche d'une brillante victoire extérieure, mais aussi le souci de juguler l'opposition intérieure en vue du rétablissement de la monarchie absolue dont rêvait Charles X.» En fait, tant que l'opposition intérieure ne menaçait pas directement le trône, Charles X n'avait pas intérêt à offrir aux libéraux une occasion de se manifester. Et en 1830, la confrontation frontale avec ces derniers était inéluctable. La raison est décrite par Ageron: «Le pays régal (90.000 électeurs sur 32 millions a envoyé en 1827, à la chambre des députés, une majorité (221 députés) qui refuse d'accorder sa confiance au ministère Polignac, ce qui aboutit à l'épreuve de force entre partisans de la monarchie parlementaire et ceux de la royauté de droit divin, emmenés par Charles X.»

Dans ces conditions, la conquête de la Régence constituait l'unique solution, pour le roi, pour maintenir la cohésion nationale. Charles X a présenté la conquête, dans son discours du 2 mars 1830, comme une décision visant à venger l'honneur de la nation tout entière. D'ailleurs, cette conquête a été présentée comme une expédition punitive. Et l'accent mis sur la nature de cette dernière classait de fait les Algériens dans le camp des méchants. Quant à la mission de civilisation et du combat contre la piraterie, ils n'étaient qu'une politique sournoise visant une seule finalité: vendre le projet de la conquête. Mais, pour que la première réussisse, ne fallait-il pas s'assurer d'emblée que les personnes envoyées soient plus civilisées que les autochtones ? Pour l'auteur des mythes fondateurs de l'Algérie française, Jean-François Guillaume, les personnes envoyées en Algérie n'étaient pas plus civilisées que les Algériens. Il ajoute: «Il ne faut pas croire qu'il y avait une grande distance au point de vue de la civilisation entre les paysans et les ouvriers français, qui ont formé la presque totalité des colons officiels à l'époque de la conquête, et les paysans arabes. La France tenait la tête en Europe par l'éclat des sciences, des lettres et des arts, mais cette magnifique culture était réservée aux hautes classes de la société.» Concernant la lutte contre le repaire de la piraterie, plusieurs historiens s'accordent à dire que cette activité, en 1830, était quasiment inexistante. Pour cause, une mission militaire anglaise avait endommagé la flotte du dey en 1812. Et depuis, le contrôle des mers était dominé par les Européens afin que le commerce triangulaire, appelée aussi la traite atlantique, puisse être davantage florissant. En effet, cette activité a connu son âge d'or au début du XIXe siècle. Celle-ci consistait à fournir les esclaves africains aux colonies américaines en échange des produits récoltés par les colons. Au XIXe siècle, les prix des esclaves ont atteint leur apogée. Hugh Thomas, dans la traite des Noirs, dresse un tableau exhaustif des prix pratiqués. En Sénégambie, par exemple, en 1440, un cheval valait de 25 à 30 esclaves. En 1847, à Lagos, le coût d'un captif était de 480 f et en 1851, le prix des esclaves du Mozambique était, selon le même auteur, d'environ 3 à 5 dollars. Depuis la quasi-disparition de la flotte du dey, les ports français n'arrêtaient pas de faire des va-et-vient pour chercher des esclaves, selon Raymond-Marin, auteur du commerce triangulaire colonial. Il note en guise de récapitulatif que: «De 1814 à 1849, ils [les ports français] envoyèrent 717 navires chercher des Noirs.»

Pour conclure, on peut dire que l'addition des éléments cités précédemment a suscité une course effrénée des Européens pour le contrôle de la Méditerranée. La France a réussi à s'emparer du pays en devançant les autres concurrents. Pire encore, la signature de l'acte de reddition, le 5 juillet 1830, a constitué une épreuve terrible pour le peuple. Car la violence qui a accompagné la pacification a failli l'anéantir totalement. Pendant 41 ans qu'a duré cette période, la démographie a connu une chute vertigineuse, passant d'environ 3 millions en 1830 à 2.15O.000 habitants en 1871. Période que résume si bien Robert Louzon: «Quarante ans de combats, de meurtres et de pillage, quarante ans pendant lesquels, à chaque moment, telle région qu'on avait hier pacifiée se soulevait à nouveau et devait être pacifiée à nouveau, à coups de razzia et de massacres.» En somme, tel était l'acte fondateur de l'Algérie française.
par Ait Benali Boubekeur, 2 aout 2008, Le Quotidien d'Oran
29 mai 2008 4 29 /05 /mai /2008 16:10

photo-petrole-irakien.jpg«A tort évidemment, nous nous étions habitués à croire que le XIXe siècle avait inauguré une ère de civilisation, d’industrie, de paix, de souveraineté des populations.»

E. Renan (1871)

 Si les deux premières ne soulèvent aucune remise en question, les deux dernières restent largement discutables, non seulement au siècle où a vécu Renan, mais aussi pour les deux siècles suivants. La colonisation d’abord et l’impérialisme ensuite ont rendu des sociétés plus misérables avant de les connaître. Sans omettre un fait notable: la disparition de la paix dès l’occupation immédiate d’un pays. Car la ligne directrice de ces occupants a toujours été de dominer, selon une théorie parfois eugéniste, les pays moins forts, et ce dans le seul but de s’emparer des richesses non exploitées. Bien sûr, l’argument invoqué à chaque fois était soit de civiliser, soit de libérer l’autochtone. Mais un élément particulier les trahissait: l’indigence des occupés et la richesse latente des occupants. Cette situation s’est envenimée avec la découverte de l’or noir où la lutte pour sa mainmise était et est sans pitié. Toutefois, la région qui souffre le plus est, sans conteste, le Moyen-Orient. L’Irak, avec 13% de la réserve mondiale, a connu depuis près d’un siècle une histoire agitée. Voici les moments forts du pays que l’on appelait jadis la Mésopotamie.

L’Irak a été, comme beaucoup d’autres provinces, sous l’emprise de l’Empire ottoman. Mais l’engagement de ce dernier aux côtés de l’alliance conduite par l’Allemagne, dans le grand conflit (1914-1918), a suscité la convoitise des alliés pour cette région si riche en pétrole. Le Koweït a été pris, dès 1914, sous la protection britannique. Bien qu’il soit un morceau intégral de l’Irak, le Koweït a été devenu, dans la foulée, indépendant sans qu’il y ait le départ des forces britanniques. Quant à l’Irak, la stratégie adoptée était tout autre. En effet, les Britanniques qui se trouvaient à la frontière ont voulu soulever le peuple contre l’autorité de l’Empire. Mais n’étant pas enclins à se défaire d’une autorité pour la remplacer par une autre, probablement, pourrait-on dire, plus vorace, les Britanniques ont décidé d’occuper le pays par la force. Bien que la ville de Bagdad soit tombée le 11 mars 1917, la résistance opposée par le peuple irakien a été celle de tous les pays épris de la liberté.

Le traité des Sèvres du 10 août 1920, signé par la Turquie et les alliés, n’a pas atténué la détermination des Irakiens à en finir avec l’occupation britannique. Autrement dit, la présence britannique était tout simplement perçue comme une force pernicieuse pour le peuple irakien. Et en 1920, une insurrection générale a embrasé le pays entier. Six mois plus tard, les Britanniques ont pu venir à bout de la résistance en utilisant l’aviation pour pilonner les zones récalcitrantes.

 Cependant, plus on découvrait des gisements de pétrole, plus la violence faite aux autochtones augmentait en intensité. Et les accords passés auparavant pouvaient être changés au profit de l’occupant sans qu’aucun pays «civilisé» ne s’émeuve. Le traité des Sèvres signé sous l’égide de la Société des Nations (SDN), futur ONU, a connu ce sort en 1925. Dans ce traité, il était question de la création d’un Kurdistan autonome, l’une des 3 vilayets sous l’Empire, au nord de l’Irak. Mais la découverte du pétrole à Kirkouk a fait naître un appétit, sans vergogne, des Britanniques pour le contrôle de cette province. La Société des Nations n’avait alors d’autres choix que d’accepter ce mandat aux Britanniques. Et jusqu’à 1932, malgré la force de dissuasion dont disposait les Britanniques, la résistance était le leitmotiv de la population irakienne. Par ailleurs, l’indépendance irakienne, survenue le 3 octobre 1932, n’a pas résolu totalement le conflit tant la présence anglaise était prépondérante. D’ailleurs, un journal britannique a ironisé sur cette indépendance concédée par les Britanniques tout en maintenant leur emprise sur le pays, en la décrivant ainsi: «Un Etat pour un puits de pétrole !»

Du simulacre d’indépendance jusqu’à celle effective en 1958, plusieurs insurrections ont marqué l’histoire du pays. Mais, pour qu’il y ait une insurrection, il faut qu’il y ait aussi une organisation qui canaliserait ce mouvement. En Irak, le mouvement de la renaissance arabe et socialiste, connu sous le sigle «le parti Baas», a été l’un de ces mouvements ayant conduit le peuple à recouvrer sa véritable indépendance. A cette époque, la machine coloniale britannique, pour créer la zizanie parmi les Irakiens, avait taxé le mouvement d’être un mouvement exclusivement sunnite. Le but étant de les opposer à la majorité chiite. Là encore le régime colonial a voulu ressusciter les anciennes querelles afin de s’assurer tranquillement la ressource énergétique. Cependant, pour que le lecteur comprenne cette mauvaise intention des autorités coloniales, il faut remonter jusqu’à l’année 1930 correspondant à la création du mouvement. En effet, le parti a été créé en 1930 en Syrie, le pays voisin. Les idéologues de la mouvance étaient deux Syriens: Michel Aflaq, chrétien orthodoxe, et Salah Bitar, musulman sunnite. Ce mouvement devenait incontournable en Irak, à partir de l’année 1952. Sauf qu’en Irak, le chef de file du parti était un musulman chiite, Fouad al Rikabi.

La conjugaison de toutes les forces vives de la nation a abouti à l’indépendance du pays, en 1958. Parmi les desiderata du nouveau président, le général Kassem, il y avait la volonté de récupérer le territoire perdu en 1914, le Koweït. Mais la convoitise sempiternelle des forces étrangères pour le pétrole irakien a engendré une instabilité à la tête de l’Etat. Ce qui a été à l’origine, sans doute, du nombre hallucinant de coups d’Etat ou de tentatives de coups d’Etat. Car le moindre fléchissement du dirigeant sur tout ce qui concernait la nation pouvait provoquer sa chute. Comme tous les dirigeants irakiens, Ahmad Hassan al-Bakr, du parti Baas, a été porté à la tête de l’Etat grâce à un coup de force, perpétré le 17 juillet 1968.

Profitant de la bonne santé financière du pays, suite au choc pétrolier de 1973 ayant vu les revenus de l’Etat multipliés par neuf, les dirigeants ont effectué d’énormes chantiers. Et malgré le coup d’Etat de palais de Saddam Hussein en 1979, la politique de réforme a été poursuivie.

Deux exemples au moins peuvent élucider ces avancées. Premièrement, la priorité accordée à l’enseignement a permis de ramener le taux d’analphabétisme de 85% en 1968 à 25% en 1980. Secundo, le système de santé a été, pendant cette période, l’un des meilleurs dans la région. Sa gratuité a suscité l’envie des voisins. Et les étrangers y venaient même pour se soigner. Malheureusement, ce qui a sonné le glas de la décadence irakienne était un problème extérieur à ses intérêts. En effet, la chute du Shah d’Iran, porté au trône par la CIA en 1953, dans une opération baptisée Ajax, aveu de l’artisan lui-même Richard Helms, contre Mossadegh, risquait de remettre en cause les intérêts américains dans la région. Pour endiguer la vague verte, l’Irak a bénéficié d’aides logistique et financière. Cadeaux empoisonnés si on regarde la situation actuelle de l’Irak. Ainsi, ce dernier a payé un lourd tribut pour avoir constitué un rempart contre «l’obscurantisme de Téhéran».

Cependant, l’effort de guerre, qui a duré 8 ans, a plongé le pays dans une crise financière sans précédent. Jamais le pays n’a connu des déficits aussi faramineux. Gérard Chaliand, auteur de «D’une guerre d’Irak à l’autre», écrit à ce propos: «Dans ce contexte économique difficile, l’un de ses plus importants créanciers, le Koweït, dépasse la production de brut fixée par l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), contribuant à faire baisser encore plus le prix du baril alors en déclin.». Selon le même auteur, le 2 août 1990, Saddam Hussein a envahi le petit émirat. Dans la foulée, le Koweït a été déclaré «19ème province irakienne».

La coalition emmenée par les Etats-Unis a pu contraindre Saddam, en un temps record, à un retrait inconditionnel du Koweït. L’opération «Tempête du désert» a brisé quasiment une armée qui était à l’image de la santé économique du pays. Mais le plus dur a été sans doute les sanctions qui ont suivi. Le pays étant totalement ou peu s’en faut dépendant des exportations extérieures, l’embargo a concouru décisivement à l’effondrement de l’économie nationale. Voilà comment G. Chaliand rend compte de la situation: «Les sanctions internationales, en imposant des restrictions sévères en matière d’exportation, provoquent l’effondrement de l’économie irakienne, fortement dépendante de l’extérieur. A un déficit budgétaire croissant s’ajoutent une inflation galopante et une dépréciation du dinar (avant l’invasion du Koweït, 1 dollar valait 4 dinars). Au milieu de l’année 1991, 1 dollar valait 8 dinars irakiens et, en décembre 1995, il était possible d’acheter 300 dinars avec un seul dollar américain. En mai- juin 2001, le dollar s’échangeait à environ 1850 dinars.»

C’est dans cette atmosphère que la guerre contre le peuple irakien a été déclenchée en mars 2003. Paradoxale que puisse paraître la situation, le nom donné à l’opération pour envahir l’Irak était: «Liberté de l’Irak». A moins que le mot n’ait pas la même signification, que l’on soit occidental ou non, le peuple irakien était libre avant la guerre bien que vivant sous un régime fortement centralisé. Et si le pays ne représentait pas la deuxième réserve mondiale de pétrole, cette opération aurait-elle existé ou même imaginé ? Doit-on dans ce cas s’attendre à ce qu’il y ait une pareille intervention au profit du peuple palestinien qui ne demandait qu’une chose: vivre librement à l’intérieur de ses frontières.

Encore une fois, comme au 20ème siècle en Irak, le pétrole était l’élément déclencheur de la domination. D’ailleurs, ceci ne fait aucune ombre de doute si on a connaissance d’un rapport rédigé par Dick Cheney, en mai 2001. La crise énergétique américaine a été décrite sans fard: «La nation est en danger, car nous faisons face à la plus grande pénurie depuis l’embargo sur le pétrole imposé par les pays arabes dans les années 70.» Et les chiffres de D. Cheney n’étaient pas de nature à rassurer l’administration Bush. Car, avec 4,6% de la population mondiale, le pays consomme 25% de l’énergie mondiale. Selon le rapport Cheney: «Cette dépendance va s’accroître dans les prochaines années, où l’on prévoit une augmentation de 33% de la consommation de pétrole, 50% pour le gaz et 45% pour l’électricité.» Quelle devait être la solution face à cet épineux problème ? D’après Hocine Malti, ex-vice-directeur de la Sonatrach, un groupe de travail NEPD Group (National Energy Program Development), mis en place par le président Bush, deux semaines après la prise de ses fonctions, a conclu son rapport en écrivant: «Le but principal de l’administration serait de convaincre, voire obliger les Etats de la région [Moyen-Orient] d’ouvrir les zones pétrolifères à l’investissement étrangers.»

Deux ans après la rédaction de ce rapport, le président Bush est devenu maître du pays d’une des plus anciennes civilisations du monde. La prise du pays s’est faite sans majeures difficultés. Et la fin des grandes opérations en Irak a été annoncée le 1er mai 2003 par Bush sur le porte-avions Abraham Lincoln. Deux semaines à peine après cette annonce, un nouvel administrateur, Paul Bremer, a été nommé pour diriger l’Irak. Ce dernier restera dans l’histoire tant ses déclarations annonçaient nettement la couleur. En effet, au lendemain de son installation, Paul Bremer a déclaré à la presse que «les Etats-Unis resteront pour une période indéterminée».

Officiellement, depuis les élections de décembre 2005, en application de la résolution onusienne du 8 juin 2004, l’Irak est un peuple souverain. Officieusement, l’armée américaine est maîtresse des lieux. D’ailleurs, même pour doter le pays de nouvelles institutions, l’initiative irakienne était fortement bridée. En décembre 2003, Paul Bremer ne déclarait-il pas en parlant de la nouvelle constitution: «Nous allons mettre exactement les types de garanties qui n’existaient pas dans la constitution Saddam...» Désormais, les entreprise étrangères peuvent investir en Irak. Selon G. Chaliand, voici comment est définie l’organisation des entreprises en Irak: «La loi irakienne qui limitait et encadrait la possibilité d’investissements étrangers en Irak est modifiée en septembre 2003 (order 39), autorisant désormais la possession à 100% d’entités économiques irakiennes par les investisseurs étrangers.» D’ailleurs, le secteur qui a bénéficié d’une protection exemplaire après l’invasion est le département gérant le pétrole. Car depuis l’invasion de l’Irak, une minorité de chapardeurs s’est adonnée aux pillages des magasins, sous les regards passifs des soldats américains. Plusieurs objets du musée d’Irak ont été ainsi dérobés; mais un seul bâtiment a échappé à ce genre de razzia, le ministère du Pétrole mis sous haute protection.

Et en dehors de ce secteur névralgique, ailleurs les bévues sont incalculables. Deux ont soulevé l’indignation de la communauté internationale. Il y avait l’affaire de la prison d’Abou Ghraib en avril 2004 et celle d’Al Qaim (ouest irakien) en mai 2005. La première révélait les sévices infligés par des soldats américains aux prisonniers irakiens. La seconde bévue concernait le bombardement d’un village célébrant un mariage où les citoyens s’étaient rassemblés. Résultat du pilonnage: 40 morts, dont des femmes et des enfants. Quant aux conditions de vie, celles-ci sont nettement dégradées depuis l’intervention américaine. Dans un rapport publié en 2006 par le PAM (programme alimentaire mondiale), «5,6 millions d’Irakiens vivent dans des conditions d’extrême pauvreté». Les données reprises par G. Chaliand montrent l’état d’indigence de la population: «L’accès à l’eau potable est encore problématique: un seul tiers des Irakiens a accès à l’eau potable. Pour comparaison, plus de la moitié des Irakiens avaient accès à l’eau potable avant la guerre.» Il ajoute plus loin en disant: «L’approvisionnement en électricité est très en dessous des besoins et très largement inférieure aux niveaux d’avant-guerre: à Bagdad, par exemple, les habitants ne disposent que de quelques heures d’électricité par jour.» Ce sont là bien sûr des données de 2007. En somme, on a vu que sous Saddam, le taux d’analphabétisme est passé de 80% à 25%. Actuellement, il y aurait à peu près 75% d’enfants à ne pas être scolarisés suite aux déplacements de la population. Selon l’Unicef, entre 30% et 70% des écoles sont fermées, les autres ont besoin d’être rénovées et équipées. Quant au secteur de la santé qui faisait autrefois la fierté de l’Irak, il se retrouve dans un état de délabrement pour cause de guerre. Le ministre irakien de la Santé estimait, fin 2005, que près de 80% de médecins travaillant à Bagdad ont quitté le pays.

Sur ce, on peut dire, in fine, que l’Irak ne connaîtra de jours meilleurs que si le pays est géré par les Irakiens, eux-mêmes, en dehors de toute immixtion étrangère. Les arguments avancés, relatifs aux libertés et aux droits de l’homme, ne sont qu’un leurre. Car s’ils veulent vraiment la liberté pour tous, pourquoi ces interventions ne se font que dans des pays dont les sous-sols regorgent de richesses?

par Aït Benali Boubekeur 5 juin 2008 Quotidien d'Oran

13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 16:59

 

16-mai Alger fouleLa chute du vingtième gouvernement français, celui de Félix Gaillard, le 15 avril 1958, a causé indubitablement la mort de la IVème République. Bien que cet événement n’ait rien à voir avec l’Algérie actuelle, il n’en demeure pas moins qu’à l’époque la sédition s’était faite exclusivement en son nom. En effet, la manifestation du 13 mai 1958, à Alger, réunissant les ultras et les paras, a eu raison d’un régime chancelant ne pouvant écraser le mouvement algérien lancé en novembre 1954, pensaient-ils. Son agonie, en tout cas, n’a duré que trois semaines. Par ailleurs, la chute de la IVème république a eu des causes immédiates et d’autres lointaines. Depuis le début de la colonisation, les colons s’inscrivaient en faux avec tout gouvernement essayant de montrer une quelconque indulgence envers les Algériens. La chute de la république précédente avait provoqué une joie indescriptible auprès des colons. Et Pétain était considéré comme le chef qui allait les débarrasser de la gauche réformiste et des Algériens qui ne cessaient de demander à être citoyens à part entière. Toutefois, en mai 1958, le président René Coty a commis, selon les colons, l’erreur de désigner Pierre Pflimlin, député MRP (mouvement républicain populaire), à la tête du conseil. Bien qu’il ne soit pas partisan de l’indépendance de l’Algérie, Pflimlin avait osé déclarer précédemment qu’une discussion avec les Algériens était possible. Cette assertion n’était bien sûr ni du goût des militaires, ni des colons. A cet imbroglio, on peut ajouter les gaullistes qui planifiaient, sans vergogne, le retour du général. Mais quel était alors le poids de chaque tendance ? Rapport entre l’armée et le conseil français Engagée dans les guerres coloniales (en Indochine et en Algérie), l’armée française a perdu contact avec la métropole, selon l’historien Yves Courrière. En outre, l’instabilité du régime des partis l’a contrainte à s’immiscer davantage dans le conflit politique. En effet, il n’est un secret de polichinelle que l’armée française détenait tous les pouvoirs -militaire et civil- bien avant le 13 mai 1958, en Algérie. L’auteur de l’agonie de la IVème république, Michel Winock, en analysant les causes du 13 mai 1958, a noté à juste titre que : «Bien avant le 13 mai 1958, un slogan jaillit des manifestations de rue en Algérie : l’armée au pouvoir. Si l’armée proprement dite n’a pas été à l’origine directe du coup de force, il est évident que, sans elle, le 13 mai et ses suites n’auraient pas eu lieu». Pour étayer cette thèse, au moins quatre événements peuvent la corroborer. Il y avait d’abord la piraterie aérienne du 22 octobre 1956. Ce jour-là, l’avion qui transportait la délégation extérieure du FLN a été détourné par des militaires français sans que le gouvernement de Guy Mollet ait la moindre connaissance. Il y avait ensuite l’incursion des avions français, le 8 février 1958, dans le territoire tunisien sans prévenir le pouvoir politique. Le bombardement du village Sakhiet Sidi Youssef a soulevé l’indignation de la communauté internationale. Ceci a conduit les alliés Anglais et Américains à proposer leurs bons offices au lieu d’un soutien indéfectible auquel la France était habituée. Cependant, le rubican a été franchi, en mai 1958, avec la prise en main du comité de salut public présidé par un général et la préparation d’une opération militaire appelée «résurrection». Celle-ci consistait à renverser tout gouvernement qui ne portait pas à sa tête le général de Gaulle. Dans ses Mémoires, le général Salan, cité par Winock, dit avoir confié le plan résurrection, en métropole, au général Miquel de Toulouse : «l’opération résurrection est parée et se déclenchera sur mon ordre dans les cas suivants : sur appel personnel du général de Gaulle ; au cas où le général de Gaulle ne pourrait pas former un gouvernement de salut républicain ; en cas d’urgence devant une insurrection communiste.» Etait-ce une coïncidence ou une inspiration d’un mouvement similaire qui a eu lieu, peu ou proue, dans les mêmes circonstances 22 ans plus tôt, en Espagne. En effet, cette opération ressemblait au putsch du 13 juillet 1936 ayant porté à la tête de l’Etat espagnol le dictateur Franco. Le coup, pour rappel, était parti du Maroc espagnol (région de Melilla, Ceuta, Tétouan et Tanger), dirigé par des colonels factieux contre le gouvernement madrilène. La comparaison s’arrête là car de Gaulle n’avait pas les mêmes acceptions de la république que Franco. Mais il faut aussi dire que du coté de l’armée, les conditions étaient réunies pour qu’un tel coup soit réédité. Cependant, en citant les coups de force que la France a connus dans le passé, M. Winock a décrit ceux qui avaient échoué (en 1899 et 1936) et a ajouté : «Or, en 1958, pour la pour la première fois de son histoire depuis Louis Napoléon Bonaparte, l’armée intervient sur la scène politique pour en devenir un des principaux acteurs, comme une république branlante d’Amérique latine.» L’influence des colons sur la politique française en Algérie Le 13 mai a été derechef une confirmation que les colons pouvaient influer sur le choix de Paris. A Alger, les associations dites patriotiques détenaient la réalité du pouvoir. Les moyens dont elles disposaient les rendaient incontournables dans la vie politique française. En 1947, une caisse (taxes obligatoires pour les colons possédant des fermes) a été créée pour que les députés aient des moyens de combattre le statut de l’Algérie. Selon Courrière : «en 1956, devant l’ampleur prise par la rébellion le fonds s’est considérablement développé.» Le président du conseil, Guy Mollet, a eu à le vérifier dans sa visite du 6 février 1956. Le but de sa visite était la nomination du général Catroux comme gouverneur général. Arrivé à Alger, les associations patriotiques l’ont accueilli avec les jets de tomate et des _ufs pourris. Une fois l’agitation passée, Mollet a pris le téléphone pour informer personnellement le président Coty. Le général Catroux qui se trouvait à ce moment-là à l’Elysée, d’après Christophe Nick, a tout entendu. Le soir même, le général Catroux a annoncé sa démission. Pour Michel Winock : «c’est alors que se produit l’acte le plus lourd de conséquence : Mollet accepte la démission de Catroux. L’autorité de l’Etat est bafouée.» Cette victoire était une preuve, s’il en fallait une autre pour les colons, que le président du conseil, quel qu’il soit, n’aurait pas fait de poids à leurs associations. Un autre groupe, moins fort mais bien organisé, a fait son entrée sur la scène algéroise : les gaullistes. En effet, en1958, le ministre de la défense, Chaban Delmas, a créé une antenne à Alger. Ce gaulliste convaincu a voulu s’informer de tout ce qui se tramait, sur place, par ses proches collaborateurs. Mais pour que de Gaulle ait la chance de revenir aux responsabilités, il fallait faire des alliances. L’alliance a été conclue avec les activistes d’Alger pour former le comité de vigilance. Car à l’époque, comme l’a expliqué Christophe Nick : «Gaullistes et extrême droite ne forment qu’une seule famille : les nationaux. Leur but est le renversement de la IVème république». Le 26 avril a eu lieu la répétition générale. Selon Courrière : «pour la première fois le comité de vigilance va aligner ses troupes et Pouget demander à ses potes léopards de lui prêter la main.» Le 13 mai, les activistes ont réuni leurs troupes. Le siège du gouvernement général a été pris d’assaut sans qu’une quelconque résistance leur soit opposée. Le soir du 13, le comité de vigilance s’est transformé en comité de salut public présidé par le général Massu. De Gaulle en sauveur de la république Tout en étant conscient que son retour ne pouvait se faire par la seule voie légale, de Gaulle n’a jamais soutenu ouvertement, ni désavoué d’ailleurs, la coalition militaires- activistes. Se trouvant dans l’endémique opposition, de Gaulle a décidé de dissoudre son parti, le RPF (rassemblement du peuple français) dans une conférence de presse en novembre 1953. Le rassemblement avait été créé sept ans plus tôt. Et en critiquant sans cesse le régime des partis, de Gaulle savait pertinemment que les parlementaires auraient voté contre son retour. Car au parlement, ses partisans perdaient continûment du terrain. Selon Christophe Nick : «au soir du 2 janvier 1956, date du deuxième tour des législatives, les gaullistes disparaissaient du paysage politique français. Les républicains sociaux ne recueillent que 585764 voix, soit 2,7% de suffrages exprimés.» La seule solution qui reste aux gaullistes était le retour de De Gaulle sans les élections. La situation en ce mois de mai était favorable. Car lorsque la nouvelle de l’investiture de Pierre Pflimlin, le 14 mai à 1 heure du matin, est parvenue à Alger, le comité de salut public n’a pas tardé à réagir. Dans le message lu par Massu, l’appel disait ceci : «le comité supplie le général de gaulle de vouloir bien rompre le silence en s’adressant au pays, en vue de la formation d’un gouvernement de salut public.» Le général a répondu le lendemain en se disant prêt à assumer les pouvoirs de la république. Selon l’historien M.Winock : «au moment où la République, avec Pierre Pflimlin, reprenait ses esprits et ses forces, voilà que de Gaulle fournissait un second souffle aux rebelles d’Alger.» Par ailleurs, lorsque l’assemblée a voté les pouvoirs spéciaux à Pflimlin, le 20 mai 1958 avec 475 voix conte 100, les militaires ont peaufiné une opération militaire baptisée «résurrection». Quel était le but de cette opération ? Pour M.Winock : «il s’agit de préparer le débarquement des paras en métropole, dans les aéroports du Bourget (pour les troupes Sud-ouest) et Villa Coubley(pour celle d’Alger). Le but final : la chute du gouvernement Pflimlin et la mise en place d’un gouvernement républicain de salut public présidé par de gaulle.» L’avertissement des militaires a eu lieu le 24 mai avec le débarquement en Corse. Toutefois, après la rencontre Pflimlin de Gaulle, le dénouement n’était pas pour longtemps. En effet, malgré le vote de confiance du 27 mai pour Pflimlin (408 voix pour et 165 contre), celui-ci a provoqué sa propre chute en décomptant les voix communistes (142voix). Le lendemain, il a remis sa démission au président Coty. Désormais, la voie légale était libre. L’opération résurrection par la même a été suspendue. Le 1 juin 1958, de Gaulle a été investi par le parlement. Bien que des personnalités de gauche aient accepté de faire partie du gouvernement de Gaulle, d’autres n’ont pas digéré le retour du général aux responsabilités. M. Winock a repris la réponse de Pierre Mendès France à la question de savoir si le retour du général était-il entaché d’illégalité: «elle est positive si l’on considère, comme le dénonce Pierre Mendès France lors du débat d’investiture, que le vote a été «contraint» par le «chantage à la guerre civile», que le «consentement»a été vicié par la menace de l’intervention militaire.» Pour conclure, la faiblesse de la IVème république a entraîné les militaires à s’immiscer davantage de la question politique. Le dernier rempart pour protéger la république a été ainsi brisé. Cependant, la situation est rendue plus alambiquée avec le chantage permanent des colons. Ces derniers savaient que la république ne pouvait rien contre eux. Etant nés loin de la patrie des droits de l’Homme, les colons ne pensaient qu’à asservir les «indigènes». Ceux-là étaient en tout cas conscients de leur force et savaient que rien ne pouvait se faire sur la question algérienne sur qu’ils aient le dernier mot. Cette contradiction a été résumée par Yves Benot dans les massacres coloniaux : «la IVème république, dans l’hexagone, elle s’affirme antifasciste, invoque les principe de 1789, tandis qu’aux colonies, elle tolère le fascisme qui lui sert à maintenir, sous couvert de l’union française, l’ancienne domination coloniale.» On peut dire, in fine, que les pleins pouvoirs accordés à de Gaulle, bien qu’il les ait utilisés dans le premier temps pour étouffer la révolution algérienne, ont permis l’instauration d’une véritable république, encore plus grande en laissant les autres peuples disposer d’eux-mêmes. Sources : 1) Michel Winock : L’agonie de la IVème république, 2) Christophe Nick : Résurrection, 3) Yves Courrière : L’heure des colonels.

Par Aït Benali Boubekeur, 13 mai  2008, Le Quotidien d'Oran

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