28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 09:32

thumb.jpg« Une certaine notion de la démocratie libérale implique plusieurs partis. Cette conception n’est pas valable pour notre pays », Ahmed Ben Bella, conférence de presse du 5 novembre 1962.

Cette déclaration du premier chef de l’Etat algérien suffit à comprendre la confiscation du pouvoir après le recouvrement de la souveraineté. En dépit des sacrifices consentis par le peuple algérien pour parvenir à juguler le joug colonial, à l’indépendance du pays, des seigneurs le privèrent de sa victoire. Ainsi, en s’appuyant sur l’armée installée aux frontières, le tandem Ben Bella-Boumediene écarta d’un revers de la main le droit au peuple de choisir ses représentants. Dans la confusion, ce fut le bureau politique, créé le 22 juillet 1962, qui a mis en place les premières institutions du pays. Hélas, cela fut intervenu en dehors de toute consultation des Algériens. Du coup, l’accès aux responsabilités fut tranché selon la loi du plus fort. Dans cette période, le mérite et la compétence furent immanquablement relégués au second plan. De la même manière, l’allégeance fut érigée en mode de gestion. La nouvelle administration, installée à cet effet, avait pour seule vocation de servir le plus fort. Mais comment les Algériens auraient-ils pu gamberger que des militants issus du FLN, dont le premier but avait été de recouvrer la liberté, puissent reproduire un modèle combattu durant huit longues années de guerre ? Même si la direction tirait parfois à hue et à dia, rien ne filtrait dans les déclarations des révolutionnaires une éventuelle exclusion du peuple. Cependant, bien que l’objectif primordial ait été avant tout l’indépendance (Il n’y avait pas de discussion préalable sur le programme de gouvernement), il n’en reste pas moins que la rupture avec le système colonial suffisait à garantir la participation du peuple à construire son avenir. Malheureusement, ce qui ne devait pas arriver arriva. Selon Benjamin Stora, les nouveaux dirigeants n’avaient pas rompu avec la mentalité ayant prévalu jusque-là : « Au lendemain de l’indépendance algérienne, les tentatives de s’appuyer sur la société réelle pour reconstruire un Etat et l’économie se heurtent à la puissance de l’appareil militaire. » (1) Quant à Mohamed Harbi, acteur et fin connaisseur du système algérien, il estime que la compétition politique fut faussée par la soif du pouvoir : « Le goût du changement brusque et total, le refus de l’action politique patiente, la préférence de Ben Bella pour des voies irrégulières dans la conduite des affaires publiques, tous ces facteurs mènent droit au coup d’état de Boumediene. »(2) Toutefois, avant ce coup de force, le tandem avait réussi à s’emparer indûment des rennes du pouvoir. L’étape suivante fut de brider la société. Pour ce faire, ils ont neutralisé toute forme de contestation dans sa forme autonome. Mais une fois la société soumise, la lutte atteignit le sommet du régime. Car, dans un système totalitaire, il ne pouvait y avoir de partage de pouvoir même entre amis.

I- Le pouvoir au plus fort

Si la violence contre le régime colonial était la seule voie de libération, elle ne devrait pas subsister à la fin de ce système. Bien qu’on ne puisse pas légitimer une quelconque violence, celle des Algériens pendant la guerre était inéluctable dans le sens où la définît Frantz Fanon : « cette violence est l'intuition qu'ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire, que par la force », a-t-il dit. En revanche, le maintien de la violence après l’indépendance, notamment pour se pérenniser au pouvoir, fut scandaleux. Par ailleurs, avant la signature des accords d’Evian, le groupe d’Oujda ne se départît pas à user de ce moyen. Pour lui, son accession au pouvoir ne pouvait se faire que par l’élimination de l’adversaire politique. Du coup, le mandat du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) a été remis en cause. Ce groupe dénia tout bonnement à son gouvernement de conduire la période de transition jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à l’élection de l’assemblée constituante. Et ce fut le bureau politique, autoproclamé à Tlemcen, qui lui a succédé. Or, comme le déclara Mohamed Boudiaf, figure emblématique du mouvement national, dans son journal al Jarida en novembre-décembre 1974, les initiateurs de l’action du 1er novembre 1954 pensaient qu’il fallait «donner au peuple la possibilité de trancher et de choisir la voie à suivre. » Mais un vrai nationaliste en 1954, en appelant le peuple à braver la force militaire coloniale, pouvait-il le priver du fruit de son combat ? Ou encore, pourquoi ce qui était valable en 1954, à savoir le possible choix du peuple d’assumer sa destinée, ne le fut plus en 1962 ? Hélas, au lendemain de la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, la course pour le pouvoir se fit en dehors de la consultation populaire. Bien que chaque dirigeant ait pu prétendre à assumer les responsabilités suprêmes, son auto proclamation le rendit illégitime. En effet, à Tripoli, l’instance délibérative de la révolution, le CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne), ne pouvait pas siéger normalement. Le 4 juin 1962, le président du congrès, Ben Yahia, constata que la réunion ne pouvait pas se poursuivre. Les congressistes étaient sur le point d'en arriver aux mains, sans omettre les obscénités proférées par quelques-uns. Au lieu de recourir au peuple pour trancher le différend, opposant le GPRA à l’EMG (Etat-major Général), le tandem a opté pour l’entrée en force à Alger en s’appuyant sur ses troupes frontalières. Dans cette démarche, le choix du peuple fut délibérément ignoré. Si on avait appelé à lui, il aurait sûrement désamorcé la crise. En effet, le dirigeant, issu de son choix, n’aurait pas à se soucier d’une quelconque remise en cause de son pouvoir. Car il le tint du peuple. Dans le cas contraire, le potentat devait imposer sa conception politique.

Cependant, après l’usurpation du pouvoir, les Algériens entendirent des fois, dans les discours officiels, qu’ils pouvaient participer à la vie politique de leur pays à condition que cela soit fait à l’intérieur du parti. Mais, pouvaient-ils être libres à l’intérieur d’une salle si cette même liberté n’était pas accordée aux autres Algériens ne pouvant pas s’exprimer devant les instances ? En tout cas, peu de temps après, ces déclarations furent contredites dans les actes. Ainsi, l’Etat incarné, dans le premier temps, par le parti, et ensuite seulement par l’armée, était omnipotent et omniprésent. Le peuple étant vaincu, le pouvoir fut concentré entre les mains de quelques personnes. Les profiteurs, pouvant manger à tous les râteliers, guettèrent ainsi le moment opportun pour se servir. Selon Amrane Ahdjoudj : « Des clans se structurent, des clientèles se cristallisent. Le système de cooptation s’institutionnalise. Docilité et allégeance ont souvent la préférence sur l’expérience et l’engagement. Les querelles de personnes et la légitimité se greffent aux rivalités pour le contrôle des appareils. » (3)

Toutefois, dans les systèmes fermés, bien que le dirigeant ait de larges prérogatives, il se soucie toujours des personnes l’entourant. Peu à peu, la méfiance s’installe au sommet de la hiérarchie. En Algérie, au début des années soixante, les dirigeants furent d’accord que lorsqu’il s’agissait de brider la société. Mais ils n’avaient pas forcément la même conception du pouvoir. En effet, si Boumediene pensait faire de l’armée la colonne vertébrale sur laquelle reposait le régime, Ben Bella croyait à l’influence du parti. Or, en cas de problème entre les deux, le rapport de force était malheureusement inéquitable. D’ailleurs, en interne, avant que l’un d’eux ne prenne la responsabilité de se débarrasser de l’autre, les réunions ou les congrès donnaient lieu à des empoignades. Lors du congrès du FLN, selon Amrane Ahdjoudj, Ben Bella ne s’adressa-t-il pas à Boumediene en ces termes : « Je le dis franchement au frère Boumediene : il sera tout avec le parti, il ne sera rien sans le parti. » (4) Ce à quoi Boumediene répondît par un autre reproche, écrit Amrane Ahdjoudj. Mais malgré les malentendus, tous les deux vouaient une haine viscérale pour les organisations autonomes. En conjuguant leurs forces, les partis furent interdits, les syndicats atomisés et la société embrigadée.

II- Neutralisation de l’expression autonome

Dès l’indépendance, la cible prioritaire, de la nouvelle équipe dirigeante, fut les syndicats. Le but latent fut d’interdire toute expression libre. Peu à peu, le pouvoir en place exerça une mainmise totale sur la société. L’explication des dirigeants se résumait à la nécessité impérieuse d’avoir un régime fort et stable. Mais peut-on glorifier le peuple dans le discours et l’écraser une fois le laïus terminé ? Selon Amrane Ahdjoudj : « Faute d’une confiance populaire suffisante depuis l’indépendance, son rôle (Le FLN) d’orientation et de direction politique ne s’est jamais totalement affirmé. Les décisions essentielles, les choix stratégiques et tactiques sont arrêtés par le sommet du pouvoir. » (5) Ainsi, le décret du 14 aout 1963 interdit formellement toute organisation affichant un but politique. Une règle contraignante visant à soumettre le peuple. Et les récalcitrants furent tout bonnement liquidés ou forcés à l’exil. Du coup, l’organisation de la société fut du seul ressort du sommet de l’Etat. Selon Amrane Ahdjoudj : « Un seul modèle est agréé, une seule vocation est possible : celle de soutenir le régime qui œuvre pour la préservation des acquis révolutionnaires. Dans cette optique, privées d’autonomie, les organisations de masse –y compris le mouvement syndical-, sont progressivement réduites à une courroie de transmission. » (6)

Cependant, la velléité de faire des syndicats des simples relais fut toujours le rêve de tout dictateur. En Algérie, dès 1962, le tandem Ben Bella-Boumediene s’attaqua sans vergogne à la centrale syndicale. Et pour cause. La neutralité de l’UGTA lors de la crise de l’été 1962 lui a valu une rancune du clan vainqueur. Du coup, en plus de cette animosité, le régime chercha à neutraliser toute forme de contre-pouvoir. Le système opta alors pour le musellement pur et simple de la société. Le syndicat, qui avait affiché des velléités autonomes, fut attaqué tous azimuts. D’ailleurs, l’acharnement, contre des syndicalistes qui avaient risqué leur vie pour l’indépendance, fut incompris par les dirigeants syndicaux.

Créée le 24 février 1956, l’UGTA avait apporté énormément à la révolution. Cette centrale avait affiché, dès sa naissance, sa volonté de se soustraire de l’influence de l’organisation communiste, la CGT. A l’indépendance, quand l’UGTA voulait se limiter au combat syndical autonome, le tandem décida de la sanctionner. En effet, en janvier 1963, l’UGTA organisa son premier congrès pour affirmer ses valeurs. Selon Amrane Ahdjoudj : « Outre la volonté d’étouffer toute conception d’un syndicalisme autonome, l’objectif (des nouveaux dirigeants du pays) est de faire payer à la centrale ses prises de position de l’été 1962… Tout au long des premiers jours, de faux délégués manipulés par le FLN sont introduits dans la salle du congrès pour torpiller les débats, intimider les intervenants et finalement expulser l’ancienne direction. » (7) Dans une ultime tentative, Boualem Bourouiba, secrétaire général de l’UGTA, tenta de raisonner les agitateurs en leur expliquant que l’action syndicale devait être indépendante de la sphère politique. Peine perdue. Et le tandem Ben Bella-Boumediene obtint ce qu’il voulait. C’est-à-dire une centrale syndicale soumise au pouvoir politique. Pour achever leur besogne, le tandem exigea de l’UGTA son retrait de la CISL (Confédération internationale des Syndicats Libres). Ainsi, jusqu’à la veille de son arrestation, Ben Bella cherchait à atomiser le syndicat en Algérie. L’équipe issue du congrès de janvier 1963 n’étant pas capable de juguler les grèves, un autre congrès fut convoqué pour le 23 mai 1965. A propos de la préparation de ce congrès, Amrane Ahdjoudj écrit : « Après avoir écarté le Conseil National et désavoué l’ancienne direction, Ben Bella désigne et préside la commission préparatoire du congrès. » (8) Concernant les syndicats, la victoire de Ben Bella ne souffrit d’aucune équivoque. Mais à qui revint le dernier mot en cas d’un différend, avec le chef des armées, sur la question de pouvoir ?

III- Les retombées d’une politique autoritaire

Les aspirations du peuple, après une guerre éprouvante, n’ont pas été concrétisées. Car les perspectives démocratiques furent obstruées. En effet, selon Amrane Ahdjoudj « Depuis 1962, de proche en proche, l’Etat se substitue à la société civile et son action change à la fois de nature et de dimension. Il devient à la fois « l’Etat-gendarme » dépositaire du monopole de la force et de la contrainte et dont la finalité est d’assurer la reproduction la moins conflictuelle des rapports sociaux. »(9) Mais la prévention des conflits, engendrés notamment par des personnes à l’extérieur du système, ne garantissait pas l’entente au sommet de l’Etat. Pour peu qu’un autre dirigeant veuille être en première ligne, le dernier mot revint au plus fort. Dans l’Algérie des années soixante, la situation politique fut contraignante à l’égard du peuple et explosive au sommet de l’Etat. Pour le clan de Boumediene, le maintien de Ben Bella ne constitua qu’une solution temporaire. D’ailleurs, comment la situation pouvait-elle autrement lorsque le contrôle de l’armée lui échappait ? A peine une année après l’indépendance du pays, les effectifs de l’armée avoisinaient les 120000 soldats. Elle fut indubitablement l’une des plus fortes du continent africain. Selon Samir Amin, cité par Amrane Ahdjoudj, « Mais que cette armée continue à coûter aussi cher (soldes relativement élevées, habitudes de gaspillage etc… peut être 80 à 100 milliards, armement exclu, soit 10% de la production intérieur brut) risque de réduire considérablement les possibilités de développement économique du pays. » (10) L’auteur, cité par Amrane Ahdjoudj, ne remet pas en cause le principe d’avoir une armée forte. Ce qui fut répréhensible était de bâtir une armée forte pour se maintenir au pouvoir.

Cependant, l’exclusion du peuple dans la vie politique de son pays ne résolut pas pour autant l’exercice du pouvoir. Ainsi, au lieu de construire des institutions libres, l’usurpation du pouvoir a créé des divisions au sommet de la hiérarchie. Selon Amrane Ahdjoudj : « Les conflits opposent essentiellement deux fractions, deux tendances : celle de Ben Bella et celle de Boumediene. En l’absence de régulateurs démocratiques (suffrage universel et parlement), les dissensions se reflètent directement sur l’Etat, c’est-à-dire sur l’ensemble des appareils et organes dirigeants. » (11) Par conséquent, le rapport de force à l’égard du citoyen ne pouvait pas donner lieu à une gestion raisonnable à l’intérieur du système. Et chaque conflit en dehors du régime accentua par ricochet les contradictions à l’intérieur du système. A la ruse du chef de l’Etat, Ahmed Ben Bella de bâtir le pouvoir sur le parti, répondait la force armée de Houari Boumediene. En effet, en congédiant les ministres proches de Boumediene, Ben Bella pensait avoir récupéré plus de pouvoir. D’ailleurs, à la veille du coup d’état, et ce avant qu’il mette fin à la mission d’Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, Ben Bella fut « Président de la République, chef du gouvernement et secrétaire général du FLN, il s’attribue les portefeuilles de l’Intérieur, des Finances et de l’Information. » (12) Toutefois, de ce conflit, et comme en 1962 lorsque l’armée des frontières s’était opposée au GPRA, opposant Ben Bella à Boumediene, le dernier mot revint à la grande muette. Depuis, cette force stable dans l’instabilité sut renforcer son emprise sur l’ensemble de la société. En effet, Ben Bella étant affaibli, il ne restait au prédateur qu’à achever la bête blessée. Tout compte fait, la machine du coup d’état fut lancée. Rien, du coup, ne pouvait stopper les dessins d’un homme à la tête d’une grande armée. Selon Hervé Bourges, ami de Boumediene, « Les officiers s’estiment désormais investis d’une mission de salut public : substituer l’ordre et la force à ce qu’ils considèrent comme l’arbitraire et l’anarchie. » (13) Ainsi, sans aller jusqu’à comparer le système colonial à celui issu de l’usurpation de la souveraineté nationale, le peuple algérien est resté otage du népotisme.

En guise de conclusion, il allait de soi qu’au sortir de la guerre, les Algériens ne pensaient pas que leurs sacrifices soient vains. Pendant huit longues années, ils avaient bravé un système colonial qui leur déniait le droit à la liberté. A l’indépendance, les propensions de Boumediene de gouverner par la force, en s’opposant notamment au GPRA, créèrent une anarchie au sommet de l’instance révolutionnaire. Bien que les Ben Khedda ou les Ferhat Abbas n’aient pas été élus au suffrage universel pendant la guerre, leur sagesse augurait d’une volonté manifeste de revenir au suffrage du peuple le moment adéquat. Leur neutralisation mit fin à tout espoir de compétition politique saine. Le nouveau pouvoir, selon Amrane Ahdjoudj, fit tout pour asseoir son pouvoir au lieu de développer le pays : « Les tensions internes sont d’autant plus vives que l’Etat apparait comme le principal instrument d’accumulation et de répartition du surplus économique. Les avantages en matière de revenu, de mode de vie, de prestige et de statut social sont réels, les occasions d’enrichissement multiples. La participation au FLN se pose pour beaucoup en termes de droits et de privilèges à acquérir. »(14)

Cinquante ans après l’indépendance, force est de constater que le régime n’a pas changé. Certaines personnes qui gravitent autour ne pensent qu’à s’enrichir au lieu de développer le pays. Les envies sont désormais décuplées. Et comme dans les années soixante, le pouvoir revient au plus fort. Du coup, les soubresauts ne sont pas estompés au sommet de l’Etat. Comparés au 15 millions d’Algériens vivant avec moins de 2 dollars par jours, les dirigeants affichent des fortunes colossales. Pour corroborer cette thèse, il n’y qu’à voir ce qui se passe chez les voisins. Les dernières révolutions, en Tunisie et en Egypte, prouvent que les richesses amassées ne furent pas le fruit d’un travail, mais des détournements des deniers publics.

Ait Benali Boubekeur, 28 mars 2011, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie

Notes de renvoi :

1) Benjamin Stora, Algérie : histoire contemporaine, page 250.
2) Ibid.
3) Amrane Ahdjoudj, Algérie, état, pouvoir et société, page 16.
4) Ibid, page 136.
5) Ibid, page 19.
6) Ibid, page 21.
7) Ibid, page 105.
8) Ibid, page 107.
9) Ibid, page 26,
10) Ibid, page 133.
11) Ibid, page 124.
12) Benjamin Stora, Algérie : histoire contemporaine, page 250.
13) Amrane Ahdjoudj, Algérie, état, pouvoir et société, 140.
14) Ibid, page10.

8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 10:10
9782070342013.jpgLes révolutions récentes ont révélé la vrai nature des régimes de leur pays. Pour se pérenniser, ces derniers sont prêts à massacrer leur peuple. Bien que deux dictatures soient déjà tombées, en attendant la troisième, les réflexes répressifs furent dominants chez les dirigeants. La propagation du vent de liberté, dans ces pays, est malheureusement associée à une effusion de sang, bien que le flot soit disparate d'un pays à l'autre. Mais, pourrait-on s'interroger, cette violence est-elle passagère? Qu'il en déplaise à certains, elle fut la méthode de prédilection de régimes-là. Elle est aussi conséquence directe de la gabegie de ces régimes depuis les indépendances. Bien que la colonisation ait détruit toutes les structures de l'« indigène », force est de reconnaître que la décolonisation n'a pas apaisé les rapports entre gouvernants et gouvernés. Selon un des défenseurs du régime algérien, Yasmina Khedra, la situation postcoloniale n'est pas imputable à cette période d'occupation : « Je ne peux pas dire que le colonialisme est responsable des dérives que connait l'Algérie d'aujourd'hui. C'est surtout la désillusion, l'immense déception qui a conduit ce pays dans le cauchemar. » (1)

 

Cependant, la ressemblance entre les deux périodes, coloniale et post-coloniale, est criante. En effet, ces régimes, issus des indépendances, se sclérosent dans leurs habitudes. L'exclusion du citoyen du débat politique, l'enrichissement démesuré d'une infime partie du peuple, la gestion opaque des deniers publics sont entre autres les traits les caractérisant. L'auteur du « Portrait du décolonisateur », après avoir soutenu le combat du colonisé, décrit les tares des systèmes issus des indépendances : « Dans les premières années des indépendances, des observateurs attentifs et bienveillants s'inquiétaient déjà des persistantes misères et carences des ex-colonisés; cinquante ans après, rien ne semble avoir vraiment changé, sinon en pire quelquefois. » (2) Cependant, après un demi-siècle de règne sans partage, un bilan sans fard ni acrimonie s'impose. En effet, durant les cinquante années qui viennent de s'écouler, les reproches peuvent se multiplier à foison. La mainmise sur les institutions, le développement des fléaux sociaux et l'absence de perspective d'avenir sont les griefs pouvant être reprochés aux dirigeants de ces jeunes nations. La disparition de ces tares signifierait la construction de ces nations. Mais quelles sont ces étapes scabreuses ?

I- Les débuts calamiteux

Sous prétexte que le jeu démocratique pouvait donner lieu à des affrontements, les militaires se sont emparés indûment des rennes du pouvoir. En Algérie, cette situation perdure encore. Ainsi, le décolonisé s'est heurté de prime à bord à une chape de plomb. Cela dit, qu’on ne se méprenne pas. Le régime a organisé son pouvoir de sorte à ce que le citoyen soit exclu de toute participation à la vie politique. D'emblée, toute organisation qui ne soutint pas indéfectiblement le régime était exposée aux attaques récurrentes. Le peuple fut soumis à la sentence : « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi ». Selon Amrane Ahdjoudj, « Le congrès [Janvier 1963] est donc l'occasion de reprendre en main le syndicat et de procéder à sa stricte normalisation. Dès la séance d'ouverture, Ben Bella accuse la centrale d'être une organisation “aristocratique” et “non représentative” qui dérive vers l'ouvriérisme... Ben Bella se prononce pour la prééminence du parti unique et contre l'indépendance du mouvement syndical. » (3) Toutefois, cette exclusion s'est traduite par l'usure du pouvoir. A l'aune du cinquantième anniversaire de l'indépendance algérienne, la classe dirigeante est inamovible. Bien que rien n'interdise au politique de poursuivre une carrière longue, le hic c'est que leur maintien se fait avec le truchement. Ainsi, la longévité des dirigeants s'explique par la non disponibilité de ces derniers à quitter le pouvoir. Le président actuel, Abdelaziz Bouteflika, fut ministre du premier gouvernement algérien en 1962. En généralisant son analyse sur l'ensemble des pays récemment indépendants, Albert Memmi écrit : « Tant que le système fonctionne, il suffit à ces grands commis d'avoir la bénédiction de leurs parrains occultes. D'où la durée insolite de la direction politique apparente dont la longévité est l'un des paradoxes de ces contrées à l'avenir trouble. L'habituel humour des dominés a noté que les potentats ne quittent le pouvoir que dans un cercueil. » (4) Cependant, ces contradictions concourent immanquablement à élargir le fossé séparant gouvernants et gouvernés. Un élément particulier étaie cette thèse. En effet, si 80% de la population a moins de 30 ans, la classe dirigeante, quant à elle, dépasse les 70 ans. Et en dépit de la rente pétrolière, celle-là souffre quotidiennement du dénuement. Là où le bât blesse c'est que cette jeunesse n'a pas le droit de crier son marasme. Quand elle sort dans la rue, ces soubassements sont réprimés dans le sang. Et pourtant, beaucoup de choses doivent être revues et corrigées. Car, ces dernières années, l'Algérie vit une multiplication de scandales. Les détournements sont tout simplement ahurissants. Et l'absence de contre-pouvoirs ne fait qu'envenimer la situation. Aujourd'hui, une partie conséquente des ressources pétrolières échappent à tout contrôle. Sinon, pourquoi le régime maintient-il la loi de finance à la base d'un baril à 19 dollars, alors que son prix oscille entre 80 et 120$ ? Hélas, dans les systèmes verrouillés, la séparation entre les dépenses publiques et privées est rarement respectée. A l'occasion de la guerre en Irak, on a mis en lumière, ce que l'on savait déjà, que le chef d'État, Saddam Hussein, était l'un des hommes les plus riches du monde, écrit Albert Memmi. Récemment, après que les langues se sont déliées, on a découvert, avec effarement, que les fortunes de Ben Ai Moubarak et Kadhafi sont tout bonnement colossales.

II- la propagation des fléaux

La gestion opaque des deniers publics, et c'est le moins que l'on puisse dire, crée inéluctablement des fléaux sociaux. Dés le départ, pour affermir son pouvoir, le régime s'appuya sur une clientèle, payée à prix d'or. Cette façon de procéder est responsable aujourd'hui de la corruption généralisée. En reconnaissant que la corruption atteint même les plus respectables des nations occidentales, Albert Memmi la trouve exagérément pratiquée dans les pays du tiers monde : « Dans les jeunes nations, moins délicate à cet égard, la corruption est cynique et brutale, une espèce de bakchich généralisé, admis ou toléré par tous, presque comme une institution. » (5) Par ailleurs, sous l'œil goguenard des dirigeants, une infime partie de la population amasse des fortunes. Le malheur de ces pays c'est que même l'argent détourné est placé à l'étranger. Ainsi, la famille Kadhafi a placé 21 milliards d'euros aux USA, 23 milliards au royaume uni et entre 5 et 10 milliards en Italie, selon le journal de France 2 du 7 mars 2011. Tout compte fait, l'enrichissement facile entrave l'investissement dans ces pays. Résultat des courses: la misère générée précipite la décomposition du tissu social. En effet, plutôt que de fonder des entreprises, écrit Albert Memmi, il est moins pénible, plus immédiatement rentable de prélever des ristournes démesurées sur les transactions, fictives quelquefois, ou sur l'aide internationale, dont une large part n'arrive pas à destination.

Cependant, bien que rien n'interdise de créer de la richesse, force est de reconnaître que, dans les pays du tiers monde, les grandes fortunes sont amassées en pressurant le citoyen. D'ailleurs, existe-t-il une limite ou des scrupules dans les actes de détournement ? L'insatiabilité, faut-il le reconnaître, n'a pas de borne. D'ailleurs, même la richesse du sous-sol algérien, combien importante dans les pays du tiers monde, ne permet pas de résoudre les problèmes épineux liés à l'habitat, au travail, etc. Les jeunes, qui doivent constituer un atout majeur pour bâtir le pays, meurent quotidiennement dans les eaux méditerranéennes, prés de l'Europe. Ainsi, au lieu de fructifier l'argent engrangé, grâce à la vente des hydrocarbures, dans divers investissements, l'Algérie ressemble à l'Espagne au temps des conquistadores la transformant en «obèse infirme». D'où l'interrogation de l'auteur du portrait du décolonisé sur l'apathie de l'économie algérienne. Pourquoi l'Algérie qui découvre ses immenses richesses d'hydrocarbures au même moment que la Norvège, demeure-t-elle dans un état alarmant de pauvreté, alors que la Norvège, précédemment l'un des pays les plus pauvres d'Europe, rejoint les plus développés, s'est-il interrogé ? Loin de moi l'idée de débiner mon pays, la différence entre ces deux pays réside dans le rapport que ces deux pays entretiennent avec leurs institutions. Entre un pouvoir qui fait confiance à son peuple et un autre qui le muselle, la différence de développement est là. Le développement est en effet proportionnel au rapport de confiance entre les dirigeants et les citoyens. En outre, le non renouvellement de la classe politique en Algérie a créé et crée une apathie de la classe dirigeante. En effet, pour que le chef ait plus de motivation, il faudrait que l'accès aux fonctions suprêmes émane de la volonté populaire. Cette dernière devrait aussi avoir la possibilité de sanctionner tout dirigeant ne tenant pas ses promesses. A l'occasion de la future consultation, elle portera un autre candidat à la tête de l'Etat. Or, excepté le simulacre d'ouverture, la violence régnant en Algérie, ces dernières années, empêche littéralement le libre choix. Aujourd'hui encore, l'inexistence de débat politique, la fermeture du champs médiatique et le trucage des élections discréditent le régime algérien. C'est ce que résume Lahouari Addi, dans un longue contribution « De la permanence du populisme algérien » : « A l'Indépendance, se posant comme l'incarnation du peuple, le pouvoir a utilisé l'idéologie populiste, ce qui a permis, d'une part, d'éviter la sanction du suffrage universel et, d'autre part, de faire taire toute opposition qui se présenterait comme alternative. Mais, ce faisant, il se coupait de la population dont il n'avait connaissance qu'à travers les rapports de police. L'image du pouvoir se dégrada au sein de la population au fur et à mesure de la dégradation des conditions de vie de la population. Le déclin de légitimité du pouvoir ne s'est, cependant, pas accompagné de l'extinction du populisme comme idéologie, il s'est accompagné d'un changement dans ses formes d'expression. » (6)

Cette cécité d'ailleurs fait oublier aux dirigeants la pauvreté endémique du peuple. Ils se rencontrent lors des manifestations. Le régime mobilise, à l'occasion, ses forces. Et les manifestants le défient en bravant la mort. En effet, les jeunes risquent leur vie pour vivre dignement. Hélas, lorsque ces derniers revendiquent le droit à la dignité, les forces du régime provoquent des flots de sang.

III- Abattre le mur de la peur

Les dernières révolutions nord-africaines prouvent, si besoin est, que la fin des autoritarismes sont imminents. Bien que les régimes s'échinent à maintenir le statu quo ante, le vent de la liberté a déjà gagné ces contrées. Ainsi, la prétention des oligarchies militaires de demeurer au pouvoir ad vitam aeternam est illusoire. En effet, aucun régime, hermétique soit-il, ne peut résister au tsunami des révoltes populaires. En ce sens, la révolution libyenne doit être aidée pour déposer le sanguinaire le plus fou de la planète. En effet, bien que le peuple libyen ait payé déjà un lourd tribut, cette population n'est pas encore sortie de l'auberge. En effet, le peuple, bien qu'on puisse le traiter d'inculte, sait que le tyran cherchera à se maintenir, même en utilisant souvent des moyens illégaux. Mais, l'échec de la révolte signifie le décuplement de son autorité. Le quadrillage policier, le trucage des élections, votes terrorisés seront amplifiés. En comprenant cela, le peuple libyen ne lâchera pas le morceau, bien que l'effusion du sang ne soit qu'à son commencement. Après avoir vaincu le colonialisme, l'ex colonisé est désormais livré à la furie des tyrans. Dés les indépendances, ils furent ligotés et bâillonnés. Cinquante ans après les indépendances, la domination ne peut être imputable qu'aux dirigeants. En effet, si le décolonisé n'est pas libre, c'est plus la faute des nouveaux tyrans issus des indépendances. Pour institutionnaliser sa répression, le dirigeant attribue ces échecs à l'ex colonisateur. Et celui qui ne partage pas ce constat est classé comme traitre à la nation. Or, la construction démocratique exige un débat constructif sans recourir à des méthodes machiavéliques. En tout cas, force est de reconnaître que les problèmes des décolonisés sont à chercher dans la période actuelle. Selon Albert Memmi, « si la colonisation a stoppé le développement des décolonisés, elle n'a pas généré leur déclin antérieur... La colonisation fut une spoliation dans tous les domaines, inutile de revenir là- dessus, il est judicieux de voir ce qu'il en reste et de ne pas lui attribuer ce qui n'est plus. » (7)

Cependant, les rivières de sang qui ont coulé en 2011 ne sont pas imputables à la force étrangère. La raison de cette furie c'est que les régimes ont du mal à concevoir que leurs peuples puissent vivre librement. D'ailleurs, quoi qu'on ait pu dire des violences coloniales, celles qu'on constate, en Libye par exemple, sont aussi dévastatrices. La violence que l'Algérie a connue dans les années quatre-vingt-dix est imputable à eux-mêmes. A défaut d'opter pour le choix du peuple, les dirigeants ont tranché la question du pouvoir sur la base du rapport de forces. Selon l'éminent sociologue, Lahouari Addi, « peu à peu, cet absolutisme se met au service de la logique du pouvoir qui se subordonne toute la société pour se maintenir. Le maintien au pouvoir devient une fin en soi pour laquelle les potentialités de la société sont mobilisées. » (8) D'ailleurs, comment expliquer la répartition non équitable des ressources pétrolières en 2011 par l'occupation de 1830 ? Il s'agit au mieux d'une mauvaise fois et au pire d'une moquerie insupportable. Car, au lieu de privilégier une politique de développement, les régimes tiers-mondistes détournent des sommes colossales. Selon Albert Memmi : « Si les ressources procurées par le pétrole étaient au bénéfice de ces masses innombrables, la situation changerait totalement. » (9) Ainsi, au lieu de recourir à l'apaisement des esprits, ces systèmes entretiennent la violence. Et les séquelles de la colonisation, loin d'être effacées, sont toujours perceptibles à travers cette violence. Dans ces conditions, seule une mobilisation générale pourrait parvenir à la chute de ces régimes honnis par les peuples assujettis.

En guise de conclusion, il paraît aller de soi que le choix du système totalitaire est catastrophique pour ces jeunes nations. Partout, la force la plus organisée, en l'occurrence l'armée, s'est emparé indument des rennes du pouvoir et des ressources qui allaient avec. Du coup, loin de garantir une stabilité des institutions, la gestion militaire a donné lieu à des coups d'état permanents. Selon Albert Memmi, « au contraire de la démocratie où le pouvoir est relativement stable, précisément parce qu'il n'est pas imposé, mais légitimé par une délégation provisoire du peuple. Le pouvoir militaire s'effondre dés qu'un autre factieux y porte la main, instituant une pseudo légitimité à la place d'une autre. » (10) Ainsi, contrairement à la fausse normalisation crue par le régime, la soumission du peuple, comme au temps de la colonisation, n'est pas définitive. Le printemps des peuples arabes, bien qu'il se soit déroulé en hivers, démontre que les peuples peuvent bousculer beaucoup d'idées reçues. En effet, la démocratie n'est pas une acception occidentale. Deuxièmement, le choix entre les extrêmes n'est pas la seule équation qui prévaut. Enfin, et c'est l'enseignement principal, l'abus de pouvoir n'est pas éternel. Aujourd'hui, les dictateurs, Ben Ali et Moubarak, sont tombés. En attendant d'autres chutes, les peuples doivent multiplier leur vigilance.

Boubekeur Ait Benali, 8 mars 2011, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie


Notes de renvoi :

1. Yasmina Khadra, quotidien d'Oran, 5 novembre 2008.
2. Albert Memmi, «Portrait du décolonisé», page 13.
3. Amrane Ahdjoudj, «Algérie, état, pouvoir et société», page 104.
4. Albert Memmi, id, page 33.
5. Id, page 26.
6. Lahouari Addi, De la permanence du populisme algérien, décembre 1990.
7. Albert Memmi, id, page 45.
8. Lahouari Addi, id.
9. Albert Memmi, id, page 54.
10. Id, page 41.
9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 17:46
2164592-L.jpg«Si…les juges n’arrivent pas à une certitude, leur devoir absolu est de l’acquitter…Le doute doit toujours entraîner l’acquittement», René Floriot, «Les erreurs judiciaires.» (1)

Cette règle universelle, s’elle avait été appliquée pendant la révolution algérienne, elle aurait épargné la vie d’un grand patriote, Abane Ramdane. Qui fut alors ce grand homme ? Bien qu’il ait été absent lors du déclenchement de la guerre d’Algérie, le 1er novembre 1954, et ce afin qu’il purge une peine de prison de cinq ans pour ses activités politiques nationalistes, il n’en reste pas moins qu’il rejoignit les rangs de la révolution dés sa sortie de prison, intervenue le 18 janvier 1955. En effet, loin d’être un handicap, cette absence plaça celui-ci en homme neuf susceptible de rassembler l’ensemble des forces vives de la nation. Car à la même époque, les luttes fratricides, suite à la scission du PPA-MTLD, rendirent les acteurs, de l’une ou de l’autre courant, suspects et incapables de rassembler sous leur bannière. Or, pour Abane, il ne pouvait y avoir que deux antagonistes. Selon Khalfa Mameri, «Pour lui [Abane] il y a d’un coté la France avec son énorme puissance et, de l’autre, non pas les Algériens avec leurs contradictions, leurs luttes intestines et fratricides mais l’Algérie et son peuple, lourdement handicapés et affaiblis par rapport à l’ennemi extérieur.» (2) Plus explicite fut le témoignage de l’un des dirigeants centralistes, Abderrahmane Kiouane. Pour ce dernier, Abane ne cherchait nullement à vexer ou à gêner son interlocuteur à propos de la scission du seul parti nationaliste prônant ouvertement l’indépendance nationale. Bien plus que ça, Abane essaya de faire des nouveaux venus au FLN des dirigeants à part entière. Erreur tactique ou naïveté de la part d’Abane, ces nouvelles adhésions ne furent pas accueillies avec joie par des éléments professant l’hostilité à l’égard de ces modérés. Pour Khalfa Mameri, «Cette hostilité s’est transformée chez certains en oppositions larvée et feutrée lorsque les leaders des formations modérées ont été placées ou ont acquis d’eux-mêmes des postes de responsabilités au sein des rouages de la révolution. Qu’on leur ouvre les portes de la révolution, c’était déjà énorme. Qu’ils deviennent des chefs au même titre, voire même au dessus de ceux qui ont eu le redoutable honneur d’allumer le feu de la libération, c’était déjà trahir en quelque sorte cette même révolution.» (3) A ce titre, la détermination d’Abane de faire de la révolution algérienne l’œuvre de tout le peuple ne fut jamais appréciée. Son intransigeance à faire valoir des valeurs universelles le conduisit indubitablement vers la mort. Mais avant cela, il a consolidé le socle de la révolution. Jusqu’à sa déchéance, il resta digne et courageux. Hélas! Le dernier mot revient toujours aux plus forts et non pas aux plus justes.

 

I) Un engagement sans faille en faveur de l’indépendance

Abane Ramdane, pour des raisons qui ne dépendaient pas de lui, ne fit pas partie de ce que l’histoire retient comme «les allumeurs de la flamme». Mais s’il était en liberté à ce moment-là, il ferait indubitablement partie du groupe ayant déclenché l’action armée. Car, dés son jeune âge, il avait adhéré au parti du peuple algérien luttant pour l’indépendance nationale. D’ailleurs, dés qu’il sortit de prison, il ne tarda pas nouer le contact avec les dirigeants du FLN. Bien qu’il ait été en liberté provisoire, Abane n’hésita pas à rencontrer, à Azouza, son village natal, l’adjoint du colonel de la zone III, le colonel Ouamrane. Ce dernier le convainquit d’assumer un rôle de haut responsable en zone IV, l’Algérois. Et dans quelques jours, il rejoignit Alger. Selon Khalfa Mameri, «A Alger nous retrouvons la trace de Abane Ramdane auprès d’un autre militant du PPA: Rebbah Lakhdar dont chacun se plait à souligner le rôle si efficace qu’il va jouer en tissant comme une araignée besogneuse le tissu compliqué et impénétrable des relations de celui qui deviendra tout à la fois son chef, son ami et son pensionnaire.» (4)

Cependant, l‘activité politique de l’enfant d’Azouza put être située vers début mars 1955, soit cinq mois après le déclenchement de la guerre d’Algérie. La plupart des militants qu’il rencontra furent ses anciens camarades au sein du PPA-MTLD. Cependant, ce parti qui avait lutté pendant trente ans pour la libération du pays se retrouva bloqué à cause des luttes intestines stériles. Heureusement qu’une partie de ses militants, la branche activiste notamment, engagea avec audace le combat pour le recouvrement de l’indépendance nationale. Cependant, les initiateurs de l’action armée ne furent pas pour autant certains quant à l’aboutissement de leur combat. De son coté, Abane fut réellement coqué de l’improvisation qui avait entouré la préparation du passage à l’action armée. Il fut davantage plus offusqué en apprenant le manque flagrant de moyens et d’armement des maquis. Le colonel Ben Aouda, cité par Khalfa Mameri, relate l’état d’esprit qui prévalut à ce moment-là: «Nous n’avons que très peu de chance de nous en sortir, mais d’autres nous remplaceront. Il faut que nous donnions le départ de la révolution, que l’on sache que notre pays n’est plus amorphe! Les premières actions contre la colonisation ne seront pas grand’ chose, ne vous faites pas d’illusions, mais elles auront une grande importance psychologique. Il faut que les Français se disent: «Ils ont osé!» C’est cela l’important! Il faut allumer la mèche.» (5) En effet, plusieurs historiens confirment que, peu après le 1er novembre 1954, la lutte avait tendance à s’atténuer. Bien que le combat ait continué sans relâche dans les zone I et zone III, cela ne fut possible que grâce à la géographie et à la nature du relief contribuant au maintien des maquis dans l’une ou dans l’autre, argue Khalfa Mameri. En revanche, au moment où Abane prit les hautes responsabilités au sein du FLN, les zones fonctionnèrent au ralenti. Sur les six chefs historiques, écrit encore Khalfa Mameri, qui reçurent un commandement à la veille du déclenchement de la lutte armée; y compris Boudiaf qui devait assurer la coordination entre les zones, mais qui n’a pas pu rejoindre l’Algérie depuis son départ à l’extérieur pour annoncer la Révolution du 1er novembre 1954. (6) Ainsi, le moins que l’on puisse dire c’est que la nouvelle direction avait quand même du pain sur la planche afin de redonner un second souffle à la révolution.

II) La réorganisation de la Révolution

La première entrée sur la scène politique de Ramdane Abane fut inaugurée le 1er avril 1955. Son appel au peuple algérien restera à jamais indélébile. Ce fut digne de l’appel du 18 juin 1940, prononcé, à partir de Londres, par le général de Gaulle en vue de résister à l’occupation nazie. Que l’on juge alors sa teneur: «Depuis cinq mois, ton armée de libération nationale combat pour que l’Algérie recouvre sa dignité, sa liberté et sa souveraineté…Algériens ! Venez en masse renforcer les rangs du FLN. Sortez de votre réserve et de votre silence. Elargissez chaque jour le champ de votre action. Ainsi, vous vous acquitterez envers votre conscience et votre pays d’une lourde dette.» (7) En effet, bien que qu’il ait été éloigné de la vie politique pendant cinq longues années, Abane n’a rien perdu du sens de l’organisation. Et ce fut dans cette démarche qu’il contacta les responsables des partis nationalistes dits modérés. En tout cas, il eut sa première rencontre avec Ferhat Abbas, président de l’UDMA, le 26 mai 1955. Ce dernier n’hésita pas à apporter l’aide matérielle au front, combien précieuse en ces moments d’indigence. Toutefois, bien qu’ils ne se soient pas revus pendant 8 mois, leur prochaine rencontre aboutit sans ambages à la formule suivante: «Les adhésions doivent se faire à titre individuel et les anciens appareils devront être dissous.» (8)

Les Ouléma, comme les Udmistes, adhérèrent au FLN, sans grands anicroches, à l’issue de leur assemblée générale à Alger, le 7 janvier 1956. Ces adhésions ne furent pas entachées de heurts particuliers dans la mesure où ils ne faisaient pas partie de la même famille politique. En revanche, les centralistes avaient du mal, dans le premier temps, à dissoudre le comité central. Selon Khalfa Mameri: «Au cours de l’une de ces réunions[centralistes] qui se tenaient la plupart du temps chez Bouda au Ruisseau[Hamma] il s’était dégagé, au fil des discussions et des hypothèses , deux tendances: celle défendue par Ben Khedda qui préconisait la dissolution du comité central et celle de Kiouane qui, tout en étant partisan de la lutte armée, estime que par ce principe que le comité central doit être maintenu.» (9) Là aussi, il fallut tout le talent d’Abane, aidé en cela par Ben Khedda, afin que le comité central soit dissous à l’automne de 1955.

Toutefois, les centralistes songèrent, à un moment donné, à créer une formation politique, le RDA (Rassemblement Démocratique Algérien), en vue d’exister à côté du FLN. Trois dirigeants centralistes rencontrèrent à San Remo, en Italie, Ahmed Ben Bella pour lui faire part de leur projet. Gilbert Meynier, dont le travail sur la révolution algérienne est capital, rend compte de cette rencontre en notant à juste titre: «En fait, les dirigeants centralistes –Ben Khedda, Louanchi et Temam- dépêchés à San Remo pour prendre langue avec les extérieurs, se retrouvèrent face à Ben Bella, mandaté par la délégation extérieure. Il est possible que, à San Remo, les trois centralistes aient implicitement joué de l’appui qu’ils avaient pu trouver chez Abbane quant à la réalisation d’une organisation politique légale.» (10) Cette volonté des centralistes d’exister politiquement, ne choqua pas dans le premier temps Abane. Cette attitude fut d’ailleurs reprochée à Abane. Car les centralistes furent taxés d’emblée de tièdes. L’un des adversaires virulents d’Abane, sur ce terrain, fut le membre de la délégation extérieure, Ahmed Ben Bella. Or, plusieurs décennies plus tard, Ben Bella avoue dans une émission sur la télévision qatarie que «Les Français ont pris attache avec nous et étions en négociation quand il y a eu l’affaire de l’arraisonnement de l’avion…Cela fait faisait sept mois qu’on négociait..» (11) Comme quoi, même les nationalistes radicaux n’excluaient pas le recours à la négociation. En tout cas, cet épisode ne freina pas pour autant la volonté d’Abane de réaliser le grand rassemblement de l’ensemble des courants nationalistes au sein du seul FLN. Et la dissolution des partis ne fut qu’une étape. L’adhésion de leurs militants au FLN scella cette union nationale tant convoitée par le passé. Sur le terrain militaire également, il fallait aussi définir une stratégie commune. En effet, avant le congrès de la Soummam, il y avait eu six zones différentes avec des stratégies différentes. Bien que le but poursuivi ait été le même pour ces régions, force est de reconnaître qu’une grande autonomie avait été laissée à chaque chef de zone. Voilà comme résume Khalfa Mameri la ligne politique défendue par Abane: «Dans le cas de la guerre d’Algérie, il était chaque jour plus urgent de l’organiser, de l’encadrer et de la conduire comme une guerre nationale et non plus comme des soulèvements locaux vite étouffés par la réaction de l’adversaire.» (12) Tout compte fait, cette stratégie fut entérinée lors du congrès de la Soummam où les congressistes s’assignèrent comme objectifs deux choses essentielles: Renforcer la lutte armée et donner une direction nationale à la Révolution. Deux principes primordiaux furent aussi adoptés afin d’encadrer l’action des dirigeants. Il s’agissait de la primauté du politique sur le militaire et de la suprématie de l’intérieur sur l’extérieur. Par ailleurs, les critiques qui suivirent l’adoption de ces deux principes furent injustes dans la mesure où ces principes n’étaient pas étrangers au mouvement national. Ainsi, à propos du premier principe cité, Khalfa Mameri écrit ceci: «Ce principe n’est pas nouveau car ses origines lui viennent de l’époque de l’OS où il a été admis, sans controverse apparemment, que ce sont les considérations politiques qui l’emportent sur les considérations militaires ou, si l’on préfère, ce sont les organes dits politiques qui ont la primauté sur les organes militaires au cas où une question importante aurait à être tranchée.» (13) La décision qui mérite d’être citée fut aussi l’interdiction de la condamnation à mort, et ce quel que soit le motif. Il fut décidé en effet que toute peine prononcée devait être examinée au préalable par un tribunal. Du coup, vers la fin de l’année 1956, on peut dire que la Révolution fut encadrée par des principes et unifiée dans son ensemble. Mais pour combien de temps? Hélas! Ces principes ne survécurent pas longtemps.

III) Les désaccords entre les dirigeants
 
Le rejet de la plate-forme de la Soummam, dans le fond et dans la forme, par Ben Bella élargit indubitablement le fossé séparant les antagonistes et les partisans des résolutions de la Soummam. Le colonel Ouamrane fut en effet chargé par le CCE de réduire la contestation de Mahsas, un proche de Ben Bella, en Tunisie. En tout cas, Ben Bella contesta la ligne soummamienne en remettant en cause et le texte et la représentativité des congressistes. Mais est ce que c’est son absence au congrès qui a fait qu’il réagisse comme ça? Une chose est sûre, la délégation extérieure fut informée de l’imminence de l’organisation d’une réunion nationale. La publication du livre de Mabrouk Belhocine lève les derniers doutes sur la soi-disant volonté d’Abane d’écarter la délégation extérieure. La lettre du 13 avril 1956, envoyée par Abane à la délégation extérieure est la preuve irréfutable de la volonté des dirigeants de l’intérieur d’associer les délégués du Caire aux travaux du congrès. L’invitation fut ainsi formulée: «Les deux délégués qui rentreront du Caire devront être choisis parmi le comité des six (Khider, Ait Ahmed, Lamine, Ben Bella, Boudiaf et Ben Mhidi). Envoyez de préférence Ben Bella et Ait Ahmed ou Ben Bella et Khider.» (14) Dans ce fameux comité des six, il est aisé de remarquer que le colonel de la zone V, Larbi Ben Mhidi, se trouva à ce moment-là au Caire. A la Soummam, ce fut lui qui présida les travaux du congrès. Comme quoi, les portes furent ouvertes à tous. Partant, on peut affirmer qu’il n’y avait aucune velléité d’exclure quiconque de la plus importante réunion que la Révolution ait organisée.

Toutefois, la nouvelle direction, le CCE en l’occurrence, rencontra des embûches dés son installation à Alger. La violence des ultras de la colonisation obligea les membres du CCE à opter pour des mesures radicales. La grève des huit jours, défendue notamment par Ben Mhidi, provoqua une répression inouïe sur la population d’Alger. La stratégie de ces promoteurs, selon Khalfa Mameri, fut d’inciter la France à tomber dans le piège de la répression afin que le peuple bascule définitivement du coté du FLN. En effet, en 1956, le basculement n’a pas encore eu lieu. Saad Dahlab, un des membres du CCE issu du congrès de la Soummam, cité par Khalfa Mameri, rendit compte des tergiversations qui existèrent: «Il ne se passait rien à Alger. Il y avait même une certaine collaboration entre Algériens et Français.» (15)

Au printemps 1957, en pleine bataille d’Alger, la répression fut telle que les membres du CCE, moins Ben Mhidi arrêté quelques jours plus tôt par les paras, se trouvaient dans la cruelle alternative de quitter le sol national. Selon Gilbert Meynier, ce repli fut diversement interprété. Il note à ce propos: «Pour Abane, les replis sur Tunis ou le Caire n’étaient que provisoires. Le principe soummamien de la suprématie de l’Intérieur sur l’Extérieur faisait partie d’une vraie ligne politique, puisée dans l’histoire des mouvements de libération dont ses innombrables lectures l’avaient rendu familier.» (16) Ainsi, les quatre survivants du CCE décidèrent de se scinder en deux groupes. L’un emprunta la voie orientale (Krim et Ben Khedda). L’autre passa par le Maroc (Abane et Dahlab) pour rejoindre Tunis. Pour Khalfa Mameri, le sort d’Abane lui joua le détour. Il étaye cette thèse en écrivant: «L’itinéraire emprunté par celui-ci [Abane] contribuera à lui creuser sa tombe car déjà, à l’époque, on ne va pas au Maroc comme on se rend en Tunisie…non pas à cause de l’autorité légale du pays mais plutôt à cause du pouvoir de fait qui s’y est établi parallèlement à elle. Ce pouvoir c’est celui d’Abdelhafid Boussouf qui règne en maître absolu sur sa partie frontalière avec l’Algérie.» (17) En tout cas, le moins que l’on puisse dire c’est qu’Abane, en constatant ce qui se passait en wilaya 5 ou plutôt sur la frontière algéro-marocaine, ne voulut pas avaler sa langue. Il reprocha d’emblée à Boussouf de ne pas être au combat au milieu de ses hommes. Il exigea ensuite, selon Gilbert Meynier, la dégradation de Boumediene, devenu commandant à l’âge de 25 ans. Mais ce qui causa sa mort fut son doute le différend qui l’opposait à Krim Belkacem. La tension fut palpable entre les deux hommes à chaque réunion du CCE. Ces réunions eurent lieu le plus souvent chez Gaid Mouloud, responsable de l’UGTA. La rivalité a été telle que l’élimination de l’un ou de l’autre de la direction fut inéluctable. Le témoignage de Ferhat Abbas, en vue de réconcilier les deux hommes, est à ce titre édifiant: «En dernier ressort, je me suis rendu chez Cheikh El-Bachir El-Ibrahimi prendre conseil. Ta mission est de concilier Krim et Abane, me dit-il. Le reste est sans importance. Quand deux kabyles sont en conflit, il arrive que l’un d’eux meure. C’est cela qu’il faut éviter.» (18)

Toutefois, l’isolement d’Abane commença bien avant la convocation du CNRA, instance suprême, censée aplanir les difficultés. Mais, en Tunisie déjà, bien avant la réunion du CNRA, les colonels tinrent des réunions informelles sans la présence des civils. Selon Gilbert Meynier, «la réunion du CCE fut doublée non loin de là par une autre, informelle, au centre logistique du FLN à Montfleury. Y siégèrent les 3B, les colonels Ouamrane et Mahmoud Cherif, ainsi que les principaux chefs militaires dans la capitale tunisienne… A Montfleury, l’élimination du CCE de Ben Khedda et de Dahlab fut sans doute d’ores déjà programmée. Une motion avait été rédigée à destination du CNRA qui demandait le remplacement de Ben Mhidi par Boussouf, la désignation des historiques emprisonnés au CCE et de Ben Tobbal, Ouamrane, Lamine Debaghine et Abbas. La motion demandait l’élargissement immédiat du CNRA par le CCE qui serait désigné au Caire.» (19) Pendant ce temps là, Abane prépara, avec sérieux et abnégation, son dossier à défendre au CNRA. Le jour J, son rapport fut adopté sans bruit. Quant à la désignation de la nouvelle équipe dirigeante, Abane ignora que les dés avaient été jetés bien avant la réunion. En effet, lors des réunions informelles, les colonels décidèrent de revenir sur les principes arrêtés à la Soummam. Saad Dahlab qualifia la réunion du CNRA du Caire de «premier coup d’Etat». D’ailleurs, il ne suffisait que quelques heures au CNRA pour entériner toutes les décisions dans la journée du 27 aout 1957. Selon Gilbert Meynier, l’allégation selon laquelle il y eut une semaine de travaux du CNRA, du 20 au 27aout 1957, est fausse. Toutefois, bien qu’Abane ait été maintenu au CCE, la tension entre les colonels et Abane alla crescendo. Ils cherchèrent le moment opportun pour l’écarter des organismes dirigeants. Et pour le discréditer, toutes les méthodes furent bonnes à employer.
 
IV) Floraison d’accusation contre Abane
 
Il est difficile d’expliquer comment un homme qui a réussi à rassembler toutes les forces vives de la nation puisse tomber en disgrâce aussi rapidement. Pour y parvenir à leur fin, les colonels proférèrent des accusations, mensongères il faut le dire, afin de le discréditer. Et ces accusations furent légion. La plupart des accusations furent sans fondement car colportées par des personnes souhaitant sa chute. Cependant, tant que l’accusation ne se transforme pas en peine, on peut dire que chacun a le droit d’avoir une opinion, négative soit-elle, sur une autre personne. Or, dans le cas d’Abane, ces accusateurs ne tardèrent pas à se placer en juges afin de châtier un patriote ayant consacré sa vie à la libération de son pays. Les interrogations de Khalfa Mameri méritent d’être posées et reposées jusqu’à ce que la vérité soit admise par tous: «Quel est au juste le verdict? Au nom de quoi et de qui a-t-il été prononcé? Est-il fondé sur des règles établies, des exigences morales ou tout simplement sur impératifs du moment?» (20)

Toutefois, quoi qu’on ait pu épiloguer sur cette tragédie, il va de soi que le mis en cause n’a pas bénéficié d’un procès équitable, disant même d’un procès tout court, et ce bien qu’à la Soummam les tribunaux à l’échelle de secteur et zone aient été chargés de juger les civils et les militaires. Plus grave encore, les colonels ne saisirent ni le CNRA ni le CCE d’un danger qui guetta la révolution, nommé Abane. Dans une lettre écrite par Krim Belkacem, citée par Khalfa Mameri, le chef des forces armées du CCE avoua que «ce sont les cinq colonels membres du CCE [qui ont eu] à se constituer en tribunal de salut public. Etrange manière d’écarter les autres membres du CCE, commente Khalfa Mameri, «ceux qu’on appelle habituellement les civils (Abbas, Debaghine et Mehri) par opposition aux militaires.» (21) Plus tard, en 1959, les colonels dissident, Mohamed Amouri, bénéficia de la directive de la Soummam enjoignant aux dirigeants de juger les fautifs dans un tribunal. Ce dernier a eu l’occasion de se défendre et même d’avoir un avocat, le colonel Slimane Dehiles.

Cependant, cet aréopage de militaires accusa notamment Abane de dictateur. Quelle contre vérité. En effet, pour qu’un homme politique parvienne à instaurer la dictature, il faudrait qu’il contrôle des effectifs militaires importants en vue d’affermir son pouvoir et de pouvoir aussi anéantir les forces de l’opposition, si besoin s’en faisait sentir. Par ailleurs, bien qu’il ait été respecté par les maquisards, Abane n’a pas exercé de pouvoir direct sur les soldats de l’ALN. Dans ce cas là, comment peut-on croire les colonels qui accusèrent Abane de vouloir marcher sur Tunis dans le but de détrôner l’équipe dirigeante. D’ailleurs, même les éventuelles forces sur lesquelles il se serait appuyé furent imaginaires. Toutefois, le nom d’un officier fut avancé. Il s’agissait du commandant Hadj Ali. Or ce dernier, selon des versions concordantes, ne fut pas un homme de terrain. En effet, en 1956, le commandant Hadj Ali avait été chargé d’une mission de ravitaillement de la wilaya I. En aucun cas, il ne disposa de troupes susceptibles de renverser le CCE. Par ailleurs, les colonels ne se contentèrent pas d’isoler Abane. Ils décidèrent de le mettre en quarantaine. Le témoignage d’Allal Taalbi est hallucinant. En effet, Boussouf lui demanda carrément de ne plus adresser la parole à Abane. Quelques jours plus tard, son responsable hiérarchique, Krim Belkacem, lui tint le même discours. Dans les derniers mois de sa vie, Abane ne fut même pas invité aux réunions du CCE bien qu’il ait été membre à part entière. Selon Khalfa Mameri, «Il est vrai qu’au sein de cet organe se dessine déjà un pouvoir de fait qui sera monopolisé par trois de ses membres, tous anciens chefs de wilaya.» (22) Tout compte fait, cet isolement ne put en rester là car Abane ne se laissa pas faire.
 
V) La déchéance
 
Le rubican fut franchi lorsque la décision d’emprisonner Abane fut prise sans qu’il ait eu la possibilité de se défendre. Pire encore, il ignorait tout de la sentence. A partir de là, on peut affirmer que ses adversaires pouvaient se permettre tout, y compris la liquidation physique. Pour Khalfa Mameri, «Le scénario imaginé pour sa fin prochaine est largement connu et n’a jamais été, si peu que ce soit, démenti. Abane fut attiré dans un traquenard. Sa présence au Maroc avait été déclarée nécessaire pour régler avec Mohamed V un litige qui aurait opposé les forces du Royaume à celle de l’ALN.» (23) En agissant de la sorte, le premier président du GPRA, Ferhat Abbas, qualifia le comportement des colonels, responsables de la mort d’Abane, de dignes héritiers des Beni Hillal pour qui la légitimité se fonde sur la raison du plus fort.
Cependant, en dépit de son isolement, Abane continua à critiquer à outrance ces adversaires. Sa cible fut Krim Belkacem. Selon Khalfa Mameri: « Abane, qui ne peut se contrôler dans une situation qui ne cesse de se détériorer et qui est propice aux surenchères, ne perd rien de son esprit caustique. Il redit à qui veut l’entendre que si la France avait fait de Krim un garde champêtre, il n’aurait jamais pris les armes et qu’il serait même prêt à les abandonner si jamais elle lui offrait à présent d’être Caïd.» (24) Cet excès de langage ne fut pas de nature à apaiser les tensions. Son langage direct le mena du coup droit à la tombe. Et celle-ci allait être arrivée à plusieurs reprises. Lors de la rencontre de la Soummam, écrit Khalfa Mameri, ce langage franc et direct allait lui être fatal en 1956: «Amirouche, pas encore chef de la wilaya III mais déjà sous la ferme autorité de Krim, aurait envisagé de liquider l’organisateur du congrès de la Soummam au moment où la rencontre se tenait dans sa zone, excédé qu’il était par l’expansionnisme et les injonctions de Abane qui voulait s’occuper de tout et de tout le monde.» (25)

Cependant, bien que l’ambassade du royaume chérifien ait démenti l’information selon laquelle il y aurait eu les accrochages sur le territoire marocaine, Abane, après une hésitation, décida de se rendre au Maroc. De cette journée maudite, Khalfa Mameri écrit: «Ce jour-là, 25 décembre 1957, il est plus nerveux que d’ordinaire. Pressentiment d’un drame qui allait le faucher ou nervosité extrême, il hésitera à répondre à un appel qui le trouble, lui pourtant qui n’a jamais timoré. Il se fait accompagner par Gaid Mouloud dans la propre voiture de celui-ci, un service insignifiant lorsqu’on sait qu’Abane loge chez lui depuis prés de huit mois. La conversation roule sur les ambiguïtés de la mission et sur ses possibles dangers. Il se laisse convaincre sans résistance à rebrousser chemin. A peine revenu au domicile du responsable de l’UGTA, il éclate en colère. La pression est très forte sur ses nerfs et il ne cesse de répéter: «Je ne veux pas être considéré comme un dégonflé. Qui peut toucher à Abane? Je ne veux pas être détourné de mon devoir.» (26) La suite fut extrêmement violente et douloureuse. Abane fut ccompagné de Krim et de Mahmoud Cherif. Ils arrivèrent à Tétouan le 27 décembre 1957. Ils furent accueillis à l’aéroport par Boussouf et quelques uns de ses subalternes. D’emblée, Boussouf s’assura que ses hôtes n’avaient pas d’armes. D’après Khalfa Mameri, «Arrivés sur place, deux villas attendaient les trois voyageurs de Tunis. Abane est conduit dans une villa alors que Krim et Mahmoud Cherif sont déposés dans une deuxième, apparemment mitoyennes ou proches l’une de l’autre. Boussouf et un certain Abdeljalil ont fait quelques va-et-vient entre les deux villas. Jusqu’au moment où Boussouf est venu dire à Krim et à Mahmoud Cherif: «Venez constater Abane est mort.» Il avait été ceinturé dés son entrée dans la première villa par les deux accompagnateurs de Boussouf, puis étranglé à l’aide d’une corde.» (27) Ainsi, avec la mort d’Abane, la révolution algérienne opta pour le camouflage patriotique du meurtre, explique Gilbert Meynier.
 
En guise de conclusion, il va de soi que cet épisode fut en quelque sorte la plus grave dérive pendant la Révolution algérienne. D’où l’interrogation de Khalfa Mameri: «Où sont-elles cette noblesse, cette souplesse, cette générosité, cette magnanimité des premiers chefs de la Révolution…?» (28) En effet, au début de la révolution, la préoccupation des responsables fut la réalisation de l’unité nationale. Avec le temps, les appétits pour le pouvoir firent que des dirigeants pensaient à l’après guerre et au pouvoir. Abane ne voulut pas être témoin de cette déviation. Ce refus lui couta la vie. En tout cas, un assassinat ne servant pas la révolution, pourrait-on dire. Car aucune preuve sérieuse ne fut présentée par les colonels pour justifier son assassinat. En effet, Abane était un pur qui «est entré dans la révolution algérienne comme on entre en religion», écrit Khalfa Mameri. Et s’il y avait un procès digne d’une grande Révolution, il y aurait, avant le jugement, la confrontation. Mais, comme le souligne Khalfa Mameri, «Le CNRA ignoré, CCE réduit à 5 membres tous détenteurs de forces militaires, alors qu’il en comptait 9, absence de l’accusé, absence d’un défenseur, même commis d’office, élasticité incompréhensible et jamais vue nulle part de la peine: prison ou exécution, blanc seing donné au geôlier, libre de décider (seul?) De la peine finale.» (29) On peut dire in fine que l’histoire retiendra surtout d’Abane qu’il fut un homme ne fuyant jamais ses responsabilités ni son devoir envers sa patrie.

Boubekeur Ait Benali, 9 janvier 2011, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie


Notes de renvoi:

1) Khalfa Mameri, "Le faux procès", page 70,
2) Khalfa Mameri, "Abane Ramdane, héros de la guerre d'Algérie", page 133,
3) Id, page 155,
4) Id, page 95,
5) Id, page 100,
6) Id, page 139,
7) Id, page 112,
8) Id, page 165,
9) Id, page 168,
10) Id, page 185,
11) Khalfa Mameri, "Le faux procès", page 45,
12) Khalfa Mameri, "Abane Ramdane, héros de la guerre d'Algérie", page 197,
13) Id, page 213,
14) Khalfa Mameri, "Le faux procès", page15,
15) Khalfa Mameri, "Abane Ramdane, héros de la guerre d'Algérie", page 255,
16) Gilbert Meynier, "Histoire intérieure du FLN", page345,
17) Khalfa Mameri, "Abane Ramdane, héros de la guerre d'Algérie", page 273,
18) Ferhat Abbas, "Autopsie d'une guerre", page 212,
19) Gilbert Meynier, id, pages 341, 342,
20) Khalfa Mameri, "Abane Ramdane, héros de la guerre d'Algérie", page 292,
21) Id, page 293,
22) Id, page 289,
23) Id, page 297,
24) Id, page 289,
25) Id, page 272,
26) Id, page 297,
27) Khalfa Mameri, "Le faux procès", page 87,
28) Khalfa Mameri, " Abane Ramdane. héros de la guerre d'Algérie", page 297,
29 Khalfa Mameri, " Le faux procès", page 75.
31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 16:57
AFNlegion.jpgIl y a cinquante six ans, un groupe d’activistes, issus du parti indépendantiste le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), décida de l’action armée contre le système colonial. Bien que le principal parti indépendantiste ait toujours prôné l’action armée comme moyen d’y parvenir à la souveraineté, il n’en reste pas moins que la participation aux joutes politiques retarda ce projet. En fait, il fallait attendre le 23 mars 1954 pour qu’un organisme, le Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action (CRUA), puisse se prononcer sur l’imminence de l’action directe. Bien sûr, il y avait  eu bien avant le CRUA une organisation spéciale (OS), mais cette dernière avait été confondue avec le parti. D’ailleurs, cette organisation fut marginalisée, à partir de 1951, par le parti. L’un de ses animateurs dans le Constantinois, Mohamed Boudiaf, se souvint de cette mise à l’écart par le parti. Du coup, en devenant l’un des animateurs du CRUA, il voulut procéder différemment. Selon Gilbert Meynier dans « Histoire intérieure du FLN » : « Pour Boudiaf, l’objectif était de convoquer un congrès unitaire où toutes les tendances seraient représentées, y compris les anciens de l’OS, écartés depuis 1951 et interdits de congrès en 1953… » (1)

 

Ainsi, le 1er novembre 1954 fut une occasion pour les activistes de l’OS de réaliser les desideratas du parti indépendantiste, empêtré jusque-là dans les luttes de leadership. D’ailleurs c’est ce que fit le nouveau parti, le FLN (Front de Libération Nationale), inaugurant sa présence sur la scène  nationale. Selon un tract cité par Mahfoud Kaddache dans « Et l’Algérie se libera », la nouvelle direction clarifia la stratégie de son mouvement en notant à juste titre : « Nous attirons l’attention des militants sur le point suivant : le FLN n’est pas la reconstitution du MTLD. Le FLN est le rassemblement de toutes les énergies saines du peuple algérien. Le MTLD pensait que la libération de l’Algérie serait l’œuvre du parti. C’est faux. Le FLN, lui, affirme que la libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelle que soit son importance. » (2) L’explication dura encore quelque temps avant que l’ensemble des tendances, hormis le MNA de Messali Lhadj, comprenne  l’utilité de conjuguer les forces en vue d’un éventuel recouvrement de l’indépendance nationale. Du coup, au lendemain de la trentaine d’actions de la Toussaint, les réactions divergèrent sur l’appréciation des événements. Quelle fut d’abord la préparation de ces actions ?   

I) Le déclenchement de la lutte armée

Le soulèvement fut d’abord une occasion pour les activistes, ne croyant pas à un règlement pacifique de la crise algérienne, d’en découdre avec le régime colonial. Pour qu’il n’y ait pas d’amalgame, écrit Mahfoud Kaddache, le FLN a donné l’ordre de s’attaquer aux symboles du colonialisme : casernes, commissariats, fermes de colons, agents de l’administration. (3) Toutefois, bien que les dirigeants aient été fermes dans leur volonté de poser le problème militairement, ils savaient également qu’en s’attaquant aux intérêts de la colonisation, les autorités coloniales allaient enclencher une répression inouïe. Mais de l’autre côté, en créant un climat d’insécurité, les autorités coloniales seraient obligées de négocier. Car l’offre de la négociation exista effectivement dans la fameuse déclaration du 1er novembre 1954. En effet, dans la partie consacrée aux moyens de lutte, il a été implicitement mentionné: «afin d'éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plateforme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent, une fois pour toutes, aux peuples qu'elles subjuguent le droit de disposer d'eux-mêmes». (4) Mais avant que cette négociation ne soit effective, les dirigeants du FLN ont programmé une batterie d’action à l’échelle nationale. Voici quelques exemples :

A Alger, cinq objectifs furent désignés. Il y eut le siège de la radio, l’usine à gaz, le central téléphonique, un dépôt de pétrole et un entrepôt de liège. Bien que les maquisards aient peaufiné leur plan, tous les objectifs ne furent pas atteints à l’instar de l’usine à gaz ou du central téléphonique. Dans la Mitidja, la défection des militants, persuadés par les dirigeants centralistes de reporter l’action, chamboula le programme. Il fallait l’intervention de Rabah Bitat, responsable de la zone IV, auprès d’Amar Ouamrane, adjoint de Krim Belkacem, chef  de la zone III, pour que ce dernier vienne avec ses hommes commettre des attentas à Boufarik. Il dépêcha 200 hommes selon Mahfoud Kaddache. Ce groupe attaqua en effet la caserne de Boufarik.

En Kabylie, la consigne de Krim Belkacem fut l’attaque contre les casernes de la région afin de récupérer les armes et les munitions. L’heure de l’attaque, comme sur tout le territoire national d’ailleurs, fut fixée à minuit. Le lendemain, le sous préfet de Tizi Ouzou constata les dégâts et adressa un télégramme, au gouverneur général, énumérant les sabotages : « A Bordj Menaiel, camp du Maréchal, Azazga, Dra-El mizan, des dépots de liège et de tabac ont été incendiés. Des coups de feu ont été tirés contre les casernes et gendarmerie de Tighzirt, Azazga et bien d’autres centres. » (5) Pour le sous-préfet les dégâts s’élevaient à plus de 200 millions.

Dans les Aurès, le plan élaboré par Mustapha Ben Boulaid visa plusieurs localités : Biskra, Batna, Fou Toub, Khenchela, Barika, Arris et Teghanimine. L’attaque qui resta vive dans les annales fut celle orchestrée par Chihani Bachir. Le groupe a en effet dressé une embuscade dés 3 heures du matin aux gorges de Tighanimine, entre Biskra et Arris. A 7 heures du matin, un car conduit par Djamel Hachemi, un ami de Ben Boulaid, a été arrêté par les hommes de Chihani. A l’intérieur du car il y avait le caïd Hadj Sadok et le couple Monnerot. Il a été demandé ensuite aux trois personnes de descendre du car. Selon le texte du FLN les deux instituteurs n’étaient en aucun cas concernés par le conflit. Du coup,  le mieux aurait été de ne pas les faire descendre du car. Lorsque Chihani a demandé au caïd s’il avait reçu la proclamation, celui-ci aurait répondu avec mépris. En sachant que les rôles allaient être inversés, c’est-à-dire le caïd n’était plus le maitre du moment, celui-ci a provoqué le drame. Selon Yves  Courrière : « Tout alors vas très vite. En une fraction de seconde. Hadj sadok... qui commence à avoir peur pour sa peau, a avancé la main vers le magnifique baudrier rouge. A l’intérieur il y cache un 6,35 automatique. Très vite la main plonge, ressort armée. Chihani lève alors la tête, voit le geste du caïd qui l’ajuste… Sbaihi n’a pas perdu un mouvement. Une rafale est partie… Le début de la rafale l’a atteint en plein ventre. Guy Monnerot a pris la suite dans la poitrine. Sa femme est atteinte à la hanche gauche. » (6)

En Oranie, les chefs du FLN (Ben M’hidi et Ramdane Abdelmalek) dressèrent des embuscades bien avant minuit. Le manque cruel d’armement incita les deux chefs à attaquer la gendarmerie  de Cassaigne. Selon Mahfoud Kaddache : « Dans l’Oranie, des hommes conduits par Ben M’hidi et Abdelmalek Ramdane subirent l’attaque des gendarmes de Benabdelmalek Caseigne avertis par un automobiliste que les partisans avaient blessés auparavant. Abdelmalek y trouva la mort, ce fut le premier responsable  FLN chahid. » (7)

Le Constantinois fut également embrasé. Les hommes conduits par Didouche étaient au rendez-vous de l’histoire. Ainsi, la gendarmerie de Condé Smendou, sur la route de Skikda, fut attaquée. A Kroubs prés de Constantine, des sentinelles essuyèrent des coups de feu. Toutefois, la présence des centralistes a quelque peu atténué l’ardeur des militants à se lancer dans cette action révolutionnaire.

II) Les réactions

Côté algérien :

Dans l’ensemble, les initiateurs furent peu ou prou satisfaits de l’action révolutionnaire. Les réticences vinrent principalement des dirigeants modérés. Car, comme l’écrivit Mohamed Boudiaf  en 1974, les partis modérés algériens avaient une ligne politique contraire à ce genre d’action. Voila ce qu’il pense de ces formations modérées : « Abbas et ses amis fondèrent l’U.D.M.A (Union Démocratique du Manifeste Algérien) qui rassemblait des notables issus des professions libérales, de la grosse bourgeoisie, des élus, etc. Tout en se prononçant pour l’autonomie de l’Algérie, l’U.D.M.A se situait à l’intérieur du système colonial, plus proche des courants assimilationnistes d’avant guerre que des nationalistes proprement dits… Les Oulémas qui, bien qu’étant une organisation à caractère religieux et culturel, ne pouvait s’empêcher de jouer un rôle politique. Leur attitude était ambiguë. Défenseurs acharnés se la personnalité musulmane en Algérie, ils étaient beaucoup moins chauds lorsqu’il s’agissait de se prononcer sur l’indépendance totale. Selon eux celle-ci ne pouvait être envisagée dans l’immédiat tant que les grandes masses restaient plongées dans l’ignorance. » (8)

Au lendemain des actions du 1er novembre 1954, ces partis furent surpris par l’ampleur de l’action. Hormis les messalistes qui envisagèrent l’action armée, mais uniquement  sous la houlette d’un seul homme, Messali Lhadj, les autres formations, selon Mahfoud Kaddache, furent dépassées par les événements. Il écrit plus loin : « Les responsables [centralistes] étaient convaincus de la non préparation sérieuse de l’action armée et d’un contexte politique défavorable résultant de la crise du parti nationaliste, de l’absence d’unité des forces nationales et de l’aide internationale qu’on pouvaient attendre, du moins des pays arabes. » (9) En France, les militants MTLD furent également surpris par les événements. La plupart des Kasmat restèrent, selon Kaddache, fidèles à Messali, hormis celle de Sochaux qui opta pour la neutralité. De leur côté, les Oulémas jugèrent que les autorités coloniale étaient seules responsables de cette explosion tout en excluant le recours à l’action armée. Militants associatifs modérés, les Oulémas préconisèrent l’ouverture du dialogue comme solution au conflit. Pour étayer cette thèse, voila ce qu’écrit Mahfoud Kaddache : «  Au Caire, Cheikh Bachir El Ibrahimi resta à l’écart du FLN, et chercha à constituer avec les représentants de l’UDMA et des messalistes un rassemblement national populaire où chaque organisation garderait son autonomie. » (10)

Côté colonial :

La condamnation des événements du 1er novembre 1954 fut unanime en colonie et en métropole. Le président du conseil de l’époque, Pierre-Mendès France, réputé pour ses idées libérales, condamna fermement l’action des nationalistes algériens. Il annonça devant les députés à la chambre : « Il n’y a pas de sécession possible…Ici c’est la France ! Et par conséquent aucun gouvernement ne cédera pas sur ces points. » La déclaration péremptoire fut celle du ministre de l’intérieur, François Mitterrand : «  Je n’admets pas de négociation de négociation avec les ennemis de la patrie, la seule négociation c’est la guerre. » (11)

Cependant, la noria répressive ne tarda pas à s’enclencher. La première mesure fut la dissolution, le 5 novembre 1954, du MTLD. Quelques jours plus tard, fut déclenchée l’opération « Orange Amère », écrit Kaddache, contre les militants nationalistes, et ce sans distinction de courant auquel il appartint. Il poursuit en soulignant : «  On arrête des dirigeants, des élus, des militants, ceux qui n’ont pas participé aux attentats comme Moulay Merbah [messaliste], Ben Khedda, Kiouane [ tous les deux centralsites], et aussi ceux qui en ont été les responsables et donc une partie de l’équipe de Zoubir Bouadjadj. » (12) Afin de justifier aux métropolitains et rassurer les colonialistes, le gouvernement français engagea une propagande visant à discréditer les nationalistes du FLN.  Le but sous jacent fut de tromper l’opinion internationale en présentant les événements comme étant éphémères.  La suite a donné tort aux promoteurs de cette propagande.

Finalement, il apparait nettement que l’insurrection lancée en novembre 1954 n’était nullement une entreprise hasardeuse. En effet, il n’y a pas pire pour un citoyen que d’être exclu de la vie politique de son pays. D’ailleurs, l’Algérien a été tout au long de l’histoire quelqu’un de contestataire, que ce soit sous le joug de l’étranger ou sous le régime autoritaire de son pays. Du coup, il est facile de mobiliser les hommes sur les sujets inhérents à son avenir, comme l’a explicité l’appel de l’ALN : « comme tu le constates, avec le colonialisme, la justice, la Démocratie, l’Egalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tromper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop. »  La base a été in fine prête et elle n’attendait que le signal des activistes au sein du plus important parti nationaliste, le MTLD.

Boubekeur Ait Benali, 31 octobre 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie


Notes de renvoi :

1) www.algéria-watch.org, 23 mars 2008.
2) Mahfoud Kaddache, « Et l’Algérie se libéra », page 22.
3) Ibid, page 12.
4) Déclaration du FLN du 1er novembre 1954.
5) www.algeria-watch.org, 1 novembre 2008.
6) Ibid.
7) Mahfoud Kaddache, ibid, page 13.
8) Mohamed Boudiaf, El Djarida, Nov-Dec 1974.
9) Mahoud Kaddache, ibid, page 14.
10) Id, page 16.
11) Ibid, page 17.
12) Ibid.
28 octobre 2010 4 28 /10 /octobre /2010 15:26
dominationL’étude du phénomène colonial montre, au jour d’aujourd’hui, que les motifs de la colonisation furent avant tout économiques. Bien que les colonisateurs aient claironné que leur mission fut essentiellement culturelle, il n’en demeure pas moins que la situation de l’ « indigène », après plus d’un siècle d’occupation, fut misérable et surtout réduit à néant. Ainsi, après une guerre de pacification effrénée, les colons, avec une morgue qui les caractérisaient, avouaient que la conquête du territoire occupé fut légitime dans la mesure où ce fut la nature qui les prédisposait, tandis que les colonisés y étaient condamnés. Mais à force de pousser l’injustice à l’extrême, le colonisateur contribua, sans le savoir, à la fin de sa domination. L’auteur du « portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur », Albert Memmi, explique comment ce système pourrit les âmes : « La colonisation ne pouvait que défigurer le colonisateur. Elle le plaçait devant une alternative aux issues également désastreuses : entre l’injustice quotidienne acceptée à son profit ou le sacrifice de son nécessaire et jamais consommé. Telle est la situation du colonisateur que, s’il accepte, il en pourrit, s’il refuse, il se nie. » (1)

 

Du coup, les contradictions, pendant la longue nuit coloniale, n’en finirent pas. En effet, l’exploitation économico-politique nécessitait l’apport de l’ « indigène ». Mais sur tous les autres plans, le système fit tout pour l’ignorer. Ainsi, entre une métropole démocratique et un système colonial fasciste, l’évolution du statut de l’autochtone demeurait suspendue. Car l’évolution du colonialisme vers un régime démocratique impliquait de fait la disparition du colonisé, colonisateur compris. C’est la thèse que défend Albert Memmi en soutenant que si l’on supprimait le colonisé, la colonie deviendrait un pays quelconque. Et toutes ces vicissitudes ont créé un imbroglio nécessitant énormément d’effort pour l’étudier. En effet, il y avait la première phase consistant à la l’occupation militaire. Ensuite, le système colonial essaya d’imposer sa domination. Enfin, il y avait une période où il atteignit, en termes de puissance, son apogée. Et c’est à ce moment-là qu’il connut une multitude de contradiction le conduisant vers une phase d’évanescence. En Algérie, cette dernière phase fut close en 1962.

I) Les raisons de la conquête

La crise politique interne en 1830, en France, était telle que le pays se dirigea vers un affrontement sanglant entre partisans et antagonistes du roi Charles X. Le ministre de la guerre de l’époque, le comte Clermont de Tonnerre, estima, selon Charles Robert Ageron, qu’une intervention militaire réussie contre la Régence d’Alger aurait fait une utile diversion à la fermentation politique de l’intérieur. Afin de ne pas paraître comme des agresseurs, les concepteurs du projet de conquête assignèrent à cette mission une dimension culturelle qu’elle n’en avait pas. Mais pour l’auteur des « Mythes fondateurs de l’Algérie française », Jean François Guillaume, les premiers colons ne furent pas plus civilisés que les autochtones, a-t-il écrit. Il étaye son argumentation en soulignant : « Il ne faut pas croire qu’il y avait une grande distance au point de vue de la civilisation entre les paysans et les ouvriers français, qui ont formé la presque totalité des colons officiels à l’époque de la conquête, et les paysans arabes. » (2)

Toutefois, sur le plan militaire, eu égard à la volonté des autochtone de s’y opposer à la prise de leur terre, la victoire fut à la Pyrrhus. Bien que le pays soit pacifié, quatre décennies plus tard, la répression fut de mise, car l’exploitation des « indigènes » exigeait que soit maintenue cette violence indescriptible. Et la force ayant assuré ce climat de violence fut l’armée des Bugeaud, St Arnaud et Lamoricière, etc. Celle-ci avait pour but de déstructurer l’organisation sur laquelle s’appuyaient les autochtones. La répression de 1871 en Kabylie fut l’exemple corroborant cette stratégie machiavélique. Et cette règle fut systématiquement mise en œuvre pour toutes les révoltes qui vinrent après elle. Selon Albert MEMMI, le but inavoué de cette répression consistait à maintenir l’ « indigène » au niveau de la bête. Il poursuit : « On ne leur donne aucun droit, pas même celui de vivre, et les conditions empirent chaque jour. » (3) Car une minorité de colons, véritables prédateurs, firent tout pour rendre la situation invivable aux « indigènes ». La majorité des colons vit bien entendu dans des conditions humbles. Et ils furent, eux aussi, victimes des abus des maîtres de la colonisation. Ainsi, d’après l’auteur du « portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur », cette majorité fut exploitée économiquement, politiquement utilisée, en vue de défendre des intérêts qui ne coïncidaient pas avec les leurs. Mais le hic c’est qu’au moindre problème avec les autochtones, ils se rangèrent du coté des grands colons.

II) Les fondements de la colonisation

L’exploitation des « indigènes » a été tout le temps justifiée par des discours. Or on le sait désormais qu’en dehors de l’asservissement des autochtones, il n’y eut aucune autre voie explorée par les impérialistes coloniaux. Mais comment cette minorité avait-elle fondé le système d’usurpation consistant à exploiter sans vergogne les « indigènes », s’interroge Albert MEMMI, qualifiant celle-là de minorité d’élite d’usurpateurs conscients de leur médiocrité. L’auteur apporte une réponse laconique résumant l’état d’âme des colonialistes : « Abaisser le colonisé pour se grandir. » (4)

Par ailleurs, bien qu’il y ait des disparités de niveau de vie des colons, il n’en reste pas moins qu’il y eut un principe sur lequel tout monde s’accordait : la solidarité du semblable avec le semblable. Mais pourquoi le petit colon se retrouva-t-il dans l’obligation de soutenir et de cautionner un système qui l’écrasait lui aussi ? La réponse, à mon humble avis, ne souffre d’aucune équivoque : le colon ne voulut jamais la fin de la colonisation, fut-elle injuste. Car la colonisation fut conçue et perçue comme étant une relation de peuple à peuple. Du coup, le plus gentil des colons continua à soutenir indéfectiblement les grands seigneurs de la colonisation. En effet, le modeste colon pouvait compter sur ses compatriotes pour l’obtention d’un poste correspondant à ses compétences quand cette perspective était illusoire pour un « indigène ». Cette motivation est résumée par Albert Memmi en écrivant : « A tout hasard il [le colon] justifie tout, les gens en place et le système. Faisant mine obstinément de n’avoir rien vu de la misère et de l’injustice qui lui crèvent les yeux ; attentif seulement à se faire une place, à obtenir sa part. » (5)

Cependant, cette situation a été créée par la concomitance de plusieurs facteurs. Le plus apparent fut incontestablement le racisme. Ce phénomène fut bien sûr généralisé. Et il constitua un pilier dans la relation colonisateur-colonisé. Dans l’analyse du comportement du colonisateur à l’égard du colonisé, Albert Memmi dégage trois éléments définissant cette relation :

« 1) Découvrir et mettre en évidence des différences entre colonisateur et colonisé ;
2) Valoriser ces différences, au profit du colonisateur et au détriment du colonisé ;
3) Porte ces différences à l’absolu en affirmant qu’elles sont définitives et en agissant pour qu’elles le deviennent. » (6)

III) Les contradictions du système colonial

L’une des contradictions les plus répandues fut l’attitude de l’homme de gauche par rapport au système colonial. Bien qu’il ait été plus sensible, par rapport à l’homme de droite, à la souffrance de l’« indigène », il n’en reste pas moins qu’il n’osa pas défendre ces positions auxquelles il adhérait en métropole. Albert MEMMI argue dans son livre déjà cité le comportement d’un colonisateur de gauche en colonie : « Je suis plus à l’aise avec des Européens colonialistes, m’a avoué un colonisateur de gauche au-delà de tout soupçon, qu’avec n’importe lequel des colonisés. » (7)

Cependant, se trouvant dans une situation ambivalente, le colonisateur de « bonne volonté » s’il y eut vraiment parmi les colonialistes, qui dénonça les conditions de vie des « indigènes », serait combattu par les siens. D’ailleurs, le colonialiste ne fut-il pas le colonisateur qui s’acceptait en tant que tel, explique Albert Memmi. Ensuite, il s’évertua ou s’ingénia à légitimer sa situation en tentant des explications hasardeuses. Selon Albert Memmi, la situation coloniale « impose à tout colonisateur des données économiques, politiques et affectives, contre lesquelles il peut s’insurger, sans réussir jamais à quitter, car elles forment l’essence même du fait colonial. » (8) Cette situation créa, chez les colonialistes, des réactions violentes. Dans la longue Période d’occupation, le colonialiste fut plus radical que le métropolitain du même bord politique. Dans ces conditions, les autochtones, qui auraient voulu s’intégrer, trouvèrent toute sorte d’entraves pour qu’ils ne soient pas leurs égaux. Bien entendu, il ne s’agissait pas de caïds et autres bachaghas qui ont vendu leurs âmes.

IV) Le déclin du système colonial

Tout système qui atteint son faîte de puissance devrait connaître, tôt ou tard, une phase d’évanescence. Ce fut en partie l’histoire de la colonisation. En effet, après avoir connu une phase ascendante vers la fin du XIXème et début du XXème siècle, la colonisation entama une phase descendante. Cette dernière coïncida avec la période correspondant à l’éveil des colonisés. En fait, devant la persistance de la répression, il ne restait au colonisé que le recours à la violence pour se libérer. C’est la thèse que soutient Albert Memmi lorsqu’il écrit : « la révolte est la seule issue à la situation coloniale qui ne soit pas un trompe-l’œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis. » (9)

Cependant, bien que le rapport de force ait été inégal, le combat libérateur galvanisa les nationalistes. Ils furent prêts à payer un lourd tribut pour y parvenir à cette indépendance tant rêvée. Ceci exigea évidemment d’énormes sacrifices. Et en agissant ainsi, le colonisé combattit pour recouvrir sa liberté, et par ricochet, quitter cette situation de mouise sempiternelle que lui infligeait le système colonial. Ce rapport est décrit de la façon la plus nette par Albert Memmi : « Il [le système colonial] détruit et recrée les deux partenaires de la colonisation en colonisateur et colonisé : l’un est défiguré en oppresseur, en être partiel, incivique, tricheur, préoccupé uniquement de ses privilèges, de leur défense à tout prix ; l’autre en opprimé, brisé dans son développement, composant avec son écrasement. » (10)

Par ailleurs, lors d’une révolte, et il y en avait plusieurs, l’engagement fut toujours chèrement payé par les autochtones. L’auteur du portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur estime, pour sa part, que pour un colon tué, des centaines d’ « indigènes » seraient assassinés. Cette situation fut récurrente tant que la soumission des autochtones ne fut pas totale. Et pourtant, la domination fut illégitime dés le début de la colonisation. Car, de par sa place d’étranger, le colon réussit, en un temps record, à se faire une place de choix voire prendre celle de l’authentique habitant en accaparant tous ces biens. Toute l’efficacité, tout le dynamisme, écrit A. Memmi, semblent accaparés par les institutions du colonisateur. Il poursuit : « Le colonisé a-t-il besoin d’aide? C’est à elles qu’il s’adresse. Est-il en faute ? C’est d’elles qu’il reçoit la sanction. » (11) Mais jusqu’à quel point ce système inique pouvait-il encore sévir. En tout cas, dans les années cinquante, les « indigènes » furent amplement conscients pour ne pas tolérer de telles injustices. Et ils furent prêts à défendre leur liberté au grand péril de leur vie. En ne voulant pas comprendre cela, la colonisation fut contrainte à la disparition ou l’extermination des autochtones jusqu’au dernier.

En guise de conclusion, il va de soi que tout système de domination ne peut pas survivre éternellement. La colonisation a privilégié dés son avènement le recours systématique à la violence. Cette dernière a survécu pendant des décennies. Toutefois, bien que le colonisé se soit plié à la loi du plus fort, cette faiblesse ne fut qu’une manœuvre visant à éviter une éventuelle extermination. Mais, dans les années cinquante, des pays furent unanimes à critiquer les méthodes employées en colonie. Dés lors, cette exploitation politico-économique du colonisé n’avait pas un grand avenir. Du coup, le système colonial n’avait d’autre alternative que de laisser les autochtones reprendre leur liberté.

Boubekeur Ait Benali, 28 octobre 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie


Notes de renvoi :

1) Albert Memmi, « Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur », page 157
2) Quotidien d’Oran du 4 août 2008
3) Albert Memmi, ibid., page 26
4) Ibid., page 24
5) Ibid., page 68
6) Ibid., page 90
7) Ibid., page 62
8) Ibid., page 72
9) Ibid., page 143
10) Ibid., page 108
11) Ibid., page 102
19 septembre 2010 7 19 /09 /septembre /2010 15:22
abbas2.jpgLa proclamation du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 19 septembre 1958, fut incontestablement l’acte fondateur de la naissance de l’Etat algérien. Toutefois, la guerre d’Algérie fut dés le déclenchement encadrée par des textes fondateurs (Déclaration du 1er novembre 1954 et les résolutions du congrès de la Soummam du 20 août 1956) et des dirigeants de valeur. Mais dans le contexte de l’époque, les difficultés furent multiformes et allaient crescendo. A la répression féroce de l’armée française, les dirigeants algériens avaient un autre souci : la désignation des chefs aux postes clés. Car on le sait désormais que l’idée de la création du gouvernement fut émise début 1957. En effet, dans un rapport au comité de coordination et d’exécution (CCE), Hocine Ait Ahmed avait prôné, de la prison de la santé où il se trouva, la création d’un gouvernement en guise de réponse au rapt aérien du 22 octobre 1956. Surtout, s’il y avait cette proclamation, cela aurait probablement atténué le conflit issu de la Soummam entre Abane Ramdane et Ahmed Ben Bella. Celui-ci fut partisan du contrat moral entre les neufs chefs historiques, alors que celui-là essaya d’intégrer toutes les forces politiques nationales au sein du FLN. En tout cas, sa création aurait mis les nationalistes dans une position de force vis-à-vis du colonisateur et les aurait incités à plus de solidarité gouvernementale. En effet, selon le professeur André Mandouze, l’acception du gouvernement renvoie à celle de l’Etat. Il écrit dans « La révolution algérienne par les textes » : « il faut bien comprendre que, si un organisme révolutionnaire comme l’était le CCE pouvait, à bon droit, exiger une reconnaissance de l’indépendance algérienne avant d’entamer les négociations, il n’en est plus de même pour un gouvernement qui, par son existence même, consacre juridiquement celle de l’Etat qu’il représente. »

 

Cependant, le rapport de Hocine Ait Ahmed cerna les contours du débat sur les avantages à tirer de la naissance du gouvernement provisoire. Quelques mois plus tard, le colonel Ouamrane, aidé par son conseiller Mebrouk Belhocine, soumit un rapport détaillé à ces collègues du CCE. Il s’agissait, pour lui, d’en finir avec les tergiversations. Le succès de la révolution devait passer, de façon inéluctable, par la création d’un gouvernement, le rejet de toute exclusive contre les pays de l’est et étendre l’action armée en France. Selon Mohamed Harbi, trois autres rapports furent soumis au CCE. Ils furent l’œuvre de Ferhat Abbas, Lakhdar Ben Tobbal et Krim Belkacem. Et leurs opinions se rejoignirent quant à la nécessité de créer un gouvernement provisoire. Toutefois, entre ces suggestions et la proclamation du gouvernement algérien, le 19 septembre 1958, plusieurs événements les séparèrent. Il y eut d’abord l’affaire Abane Ramdane qui entrava pour quelques mois les activités du CCE. Et à peine les membres du CCE reprirent leurs activités, il y avait l’explosion du 13 mai 1958. Bien qu’il soit porté à la tète de l’Etat français grâce un coup de force militaire, plusieurs observateurs, et non des moindres, voyaient en de Gaulle quelqu’un qui allait trouver une solution négociée au problème algérien et ce, à court terme. L’histoire a montré que le général n’était pas disposé, dans les deux premières années de son retour aux responsabilités, ni à trouver une solution politique, ni à lésiner sur les moyens militaires en vue d’étouffer la révolution algérienne. A la demande des Algériens de vivre sans carcans dans leur propre pays, le général de Gaulle répondit par des mesures inadéquates. La première fut la paix des braves. Elle préconisa ni plus ni moins la reddition pure et simple des maquisards. La seconde eut trait à l’amélioration des conditions de vie des Algériens. Ce fut le fameux plan de Constantine du 3 octobre 1958. Il promit aux Algériens que « Le plan prévoyait d’atteindre en l’espace de cinq ans le niveau d’industrialisation visé par les perspectives décennales en dix ans ».

Cependant, les dirigeants algériens, réunis en commission, ont rendu, le 6 septembre 1958, une réponse positive à la création d’un gouvernement provisoire. Pour ces derniers, cette naissance du gouvernement allait avoir au moins deux impacts. L’un sur le plan algérien : « A l’approche du référendum (sur la constitution de la cinquième république française), c’est un encouragement utile qui convaincra le peuple à faire échec à la politique d’intégration prônée par de Gaulle. », et l’autre sur le plan international : « nous nous trouverons dans une meilleure position qui acculerait peut-être l’ennemi à des actes d’humeur profitables internationalement à notre cause et le potentiel matériel et financier de la révolution se renforcerait. » Ainsi, la veille de la proclamation officielle de la naissance du GPRA, soit le 18 septembre 1958, plusieurs délégations du FLN sont allées rencontrer les chefs de gouvernements de tous les pays arabes. Selon Yves Courrière : « A Tunis, c’est Krim Belkacem et Mahmoud Chérif qui rencontrèrent le président Bourguiba dans sa villa d’été. » En Egypte, la mission d’annoncer la création du GPRA a été confiée à Toufik El Madani. Le lendemain, vendredi 19 septembre 1958, le GPRA a pris officiellement ses fonctions. L’annonce de sa création a été faite simultanément à Tunis et au Caire. Quatre pays ont reconnu ipso facto le GPRA. Il s’agissait de la Tunisie, du Maroc, de la Syrie et du Liban. Vingt quatre heures plus tard, c’était autour de l’Egypte de reconnaitre le GPRA. Dans la foulée, l’Irak a suivi l’exemple égyptien. Désormais, chaque reconnaissance qui s’ajoutait à la liste était une victoire pour la diplomatie algérienne. Le GPRA sut mener le pays à la victoire finale. Mais la question qui demeure ouverte est sa mise à mort après la signature des accords d’Evian ? Car il aurait pu gérer la période de transition -- 3 juillet 1962 - 2 septembre 1962 -- sans ambages et assurer la réelle représentation du peuple algérien à l’assemblée constituante.

Boubekeur Ait Benali,19 septembre 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie
19 août 2010 4 19 /08 /août /2010 15:10
abane-ben-mhidi.jpgLa guerre d’Algérie, née principalement de la scission du principal parti nationaliste le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), fut déclenchée pour dépasser les palabres superflus des politiciens. L’objectif fut du coup de réaliser un large rassemblement possible des Algériens, condition sine qua none pour juguler le joug colonial. En effet, dans la déclaration du 1er novembre 1954, le but assigné à la résurrection fut la restauration de l’Etat algérien « démocratique et social », et ce dans le cadre des principes de l’Islam. Bien que la revendication fut pendant un temps non négociable, celle-ci fut mûrie et enrichie par l’apport de nouvelles figures de proues à l’instar d’Abane Ramdane, sorti de prison en janvier 1955. D’ailleurs, sa libération coïncida avec la programmation de la réunion nationale de bilan et d’évaluation des premiers mois. Celle-ci n’eut pas lieu à cause de l’absence du coordinateur national, Mohamed Boudiaf, en Algérie. Ce dernier se trouva en effet au Caire à la recherche des armes pour alimenter les maquis intérieurs.

 

Cependant, pour les dirigeants intérieurs, des organismes suprêmes devaient être mis en place afin d’organiser et de diriger l’insurrection à l’échelle nationale. Dans une contribution au journal El Watan, Belaid Abane écrit, à propos de cette impérieuse nécessité d’une réunion nationale, ceci : « La proclamation du 1er Novembre, maigre viatique politique des « premiers hommes », n’énonce rien de plus que le principe de mettre fin au colonialisme. Sur le contenu de cette révolution qui prend forme, ses principes, ses objectifs, sa direction, rien. » (1) Par conséquent, une équipe de militants œuvra pour doter la révolution d’une charte politique définissant le rôle de chaque organisme dirigeant. Ainsi, en compagnie de Ben Mhidi, Youcef Lebjaoui, Abderazak Chentouf, Abdelmalek Temmam, Amar Ouzzegane, Abane travailla d’arrache-pied afin d’homogénéiser la lutte au niveau national. Mais avant de tenir un congrès national, l’équipe pilotée par Abane, connue sous le nom de « groupe d’Alger », s’attela d’abord à réaliser l’union de tous les courants nationalistes sous l’égide du Front de Libération nationale (FLN).

I- Le rassemblement national

Les initiateurs de la révolution algérienne – le groupe des 9 – savaient d’emblée que sans une large participation populaire, l’insurrection avait une infime chance d’aboutir. Du coup, le maître mot fut l’appel au peuple algérien de rejoindre massivement le front. Ainsi, l’addition de petits apports aurait créé une force pouvant contrebalancer l’ordre colonial établi. Pour le groupe d’Alger, l’action militaire devait être conjuguée concomitamment à l’action militaire. Et la tâche ne fut pas une sinécure. En effet, les formations politiques – dites modérées telles que l’UDMA de Ferhat Abbas, le MTLD centraliste ou les Oulémas – rêvèrent encore d’un possible règlement pacifique de la crise. Selon Mohamed Harbi, le parti de Ferhat Abbas ne cessa pas, avant d’intégrer le FLN en avril 1956, de rencontrer les représentants de la colonisation, à l’instar de Jacques Soustelle, en vue de trouver une solution au conflit. De son ralliement, Harbi écrit : « C’est le truquage des élections cantonales d’avril 1955 qui tire Abbas de ses rêveries et le convainc, qu’incapable de faire accepter des changements par les Européens, le gouverneur Jacques Soustelle manipule les Algériens dans le but d’isoler le FLN.» (2) Ceci dit, Ferhat Abbas demeura, toute sa vie, un authentique nationaliste. Il privilégia toutefois les solutions négociées aux solutions violentes. Quant aux autres tendances, jalouses de leur autonomie, elles ne voulaient pas sacrifier leurs partis, tels le MNA ou le PCA, pour l’intérêt national.

Cependant, le groupe d’Alger, rejoint par Ben Mhidi depuis son voyage cairote, s’est attelé à doter la révolution d’une direction nationale englobant l’ensemble des tendances nationalistes. Bien qu’il y ait des réticences de la part de quelques partis, la dynamique d’union nationale fut aboutie grâce aux efforts de persuasion des Abane, des Ben Mhidi, etc. Cette mission fut accomplie lorsque les militants nationalistes modérés acceptèrent de dissoudre leurs partis et de rejoindre individuellement le front. L’union étant concrète, il ne restait qu’à redéfinir les rôles au sein du FLN en présence des nouveaux courants. Les forces vives de l’intérieur étant d’accord pour l’organisation d’un congrès national, il ne restait qu’à choisir le lieu et la date. Celle-ci a été fixée préalablement pour le 30 juillet 1956 dans les Bibans dans le Constantinois. Le 22 juillet, le groupe d’Alger, escorté par une unité de l’Armée de Libération Nationale (ALN), fut accrochée par une compagnie de l’armée française. D’où le changement du lieu de la rencontre. Le choix se porta sur une zone plus sécurisée, Ifri Ouzellaguene en l’occurrence. Cette zone eut à sa tête le valeureux combattant, Amirouche Ait Hamouda, commandant un effectif de prés de 1500 soldats.

II- Les objectifs du congrès

Le dimanche 20 août 1956 les travaux du congrès furent ouverts. Deux absences de grande importance furent tout de même constatées. Il y eut d’abord l’absence de Ben Boulaid, chef de la zone 1 (Aurès-Nemmenchas). Ensuite, il y eut celle de la délégation extérieure. Dans son rapport au Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), Abane expliqua les raisons de la défection des responsables intérieurs : « Trois sur cinq des responsables qui étaient à l'intérieur devaient tomber soit entre les mains de l'ennemi soit au champ d'honneur (Bitat, Ben Boulaïd Mustapha et Didouche). » Mais l’absence qui constitua une embûche de taille à l’application des résolutions du congrès de la Soummam fut celle de la délégation extérieure. Dans « Le temps des Léopards », Yves Courrière relata les craintes de Zighout Youcef, chef de la zone 2, quant à l’absence des représentants du FLN au Caire : « Si l’extérieur n’est pas là, on contestera le congrès et notre réunion ne servira à rien », a-t-il prévenu. Toutefois, la nécessité impérieuse de doter la révolution d’une stratégie nationale commune fut plus que primordiale. Et les éventuelles contestations ne furent pas dissuasives bien qu’elles aient été réelles. Car l’urgence fut l’organisation de toutes les forces vives se trouvant à l’intérieur ainsi que l’homogénéisation de l’armée. D’ailleurs, Mohamed Harbi n’écrit-il pas à ce propos : « Il était possible d’avoir six politiques différents, six stratégies différentes et aussi six peuples différents comme il existait six wilayas différents. » (3)

Cependant, bien que la France ait exercé continûment une pression médiatique afin de priver l’Algérie d’un soutien international ; sur le plan interne, le congrès de la Soummam a su rendre populaire le combat du FLN en réussissant une grande réunion au centre du pays. Avec cette mobilisation, le mythe de l’ « Algérie française » s’amenuisait considérablement. Dans son rapport au CNRA d’août 1957, Abane mit en exergue cet engouement populaire en écrivant : « L’esprit FLN qui avait banni le sectarisme des anciens partis politiques a été pour beaucoup dans cette union du peuple algérien.» A cette union incontestable, la révolution se dota désormais de deux organismes suprêmes, le Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) et le CNRA. Celui-là joua le rôle de l’exécutif et celui-ci le rôle législatif. En outre, un principe universel sur lequel repose toutes les démocraties fut également adopté. C’est le principe de la primauté du politique sur le militaire. Quant au principe de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, ce principe signifiait ni plus ni moins que la révolution devait être dirigée sur le sol national. Il fut aussi décidé la codirection de la révolution. A vrai dire, une concession à la délégation extérieure.

III- L’après congrès

L’absence de la délégation extérieure au congrès de la Soummam causa d’énormes problèmes. Mais les représentants du FLN au Caire avaient-ils l’intention de se rendre en Algérie ? En tout cas, depuis l’apparition du livre de Mebrouk Belhocine, « Le courrier Alger-le Caire », on peut affirmer au jour d’aujourd’hui que ces délégués furent régulièrement informés de la préparation d’un congrès national. Il y eut au moins quatre correspondances entre le groupe d’Alger et la délégation extérieure sur ce sujet. En plus de cela, leur absence ne signifia pas, de façon tangible ou sous jacente, leur exclusion de la direction. En effet, les congressistes retardèrent autant que faire se put la publication des décisions de la Soummam afin qu’elles soient transmises et commentées par les absents au congrès. Dans le rapport d’Abane déjà cité, celui-ci argua la volonté d’associer les délégués extérieurs en écrivant : « Les décisions du Congrès furent d'une part remises aux frères Zirout et Amirouche chargés de les communiquer respectivement aux Nemmenchas et aux Aurès et d'autre part, envoyées au Caire par un agent de liaison spécial. Ce dernier rencontra Ben Bella à Tripoli et les lui a remises en mains propre en lui demandant de les communiquer aux frères de l'extérieur. » 

Cependant, il est un secret de polichinelle que lors de l’arraisonnement de l’avion transportant la délégation extérieure de Rabat vers Tunis, le document dont parla Abane en août 1957 avait été saisi, le 22 octobre 1956, par des miliaires français. Cette piraterie aérienne incita par ricochet les membres du CCE de publier les décisions de la Soummam avant que la France l’ait fait avant eux. Depuis la prison de la santé, Ben Bella, soutenu notamment par Boudiaf et Bitat, reprocha aux congressistes la non-mention du caractère islamique de la révolution et l’omission du rôle de l’Egypte. Cet argument ne fut utilisé que pour « rejeter dans le fond et dans la forme » les résolutions soummamiennes. D’ailleurs, plus d’un demi-siècle plus tard, Ben Bella ne pardonne pas à Abane le travail accompli en 1956. Lors de son passage à la chaine El-Jazeera, il y a quelques années, il déclara : « La révolution algérienne était d'essence islamique et arabe, elle avait surtout eu lieu grâce au soutien des Egyptiens et le congrès de la Soummam était une trahison puisqu'il a rayé de sa charte ces origines. Ce congrès a fait dévier la révolution des objectifs tracés le 1er novembre 1954. » Or les congressistes ne furent ni contre l’Islam- dont la plupart furent de véritables pratiquants-, ni anti-Egyptiens. Sur ce dernier point, ils voulurent seulement organiser la révolution en dehors de toute mainmise extérieure, décisive soit-elle. En revanche, bien qu’il ait été en prison, Ben Bella sut exercer une pression permanente sur les organismes issus de la Soummam. Peu à peu, les colonels des wilayas lâchèrent du lest en abandonnant la ligne soummamienne. De la délégation extérieure, selon Harbi, seul Ait Ahmed continua à soutenir les décisions adoptées le 5 septembre 1956. Sa seule réserve concerna la nomination de Lamine Debaghine, chef de la délégation extérieure.

En guise de conclusion, il parait aller de soi que le congrès de la Soummam, en dehors de toute polémique, affina la stratégie et les objectifs de la guerre. Les attributions de chaque organisme furent ainsi définies. Le mérite revint bien sûr à tous les militants ayant œuvré pour doter la révolution d’une véritable plate-forme politique. Dans l’« Autopsie d’une guerre », Ferhat Abbas rendit un grand hommage à celui qui a mené cette mission avec brio : « Abane Ramdane a eu le grand mérite d’organiser rationnellement notre insurrection en lui donnant l’homogénéité, la coordination et les assises populaires qui lui étaient nécessaires et qui ont assuré la victoire.» (4) En tout cas, qu’il en déplaise aux adversaires des décisions de la Soummam, ce congrès fut l’une des grandes victoires sur l’ennemi colonial en ce sens qu’elles ont défini les bases de la nouvelle République. En revanche, sur le plan interne, la recherche d’un modus vivendi à l’intérieur du pays pour ne pas mécontenter les colonels et la concession de codirection accordée à la délégation extérieure ont affaibli considérablement la direction politique du front. Les deux principes chers à Abane et Ben M’hidi ont duré à peine une année. En effet, lors du CNRA réuni au Caire, le 26 août 1957, les deux principes ont été réécrits. Ils ont donné ceci : La non-différence entre l’intérieur et l’extérieur et la non-distinction entre militaire et politique. Surtout, avec la disparition de Ben Mhidi et Abane, les résolutions du congrès ont perdu leur esprit sauf à des fins de propagandes.

Boubekeur Ait Benali,19 août 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie 


Notes de renvoi :

1) Belaid Abane, El Watan, 21 août 2009.
2) Mohamed Harbi, FLN, mirage et réalité, page 132.
3) Ibid, page 172.
4) Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, page 198.
1 août 2010 7 01 /08 /août /2010 14:59
qotb« Voila que l’ère coloniale s’achève. Par quel ordre va-t-elle être remplacée ? Ne perdons pas de vue que l’Europe a marqué de son empreinte ses colonies. L’héritage laissé par elle est multiple. Il ne s‘effacera pas en un jour, même dans ce qu’il a de pire. » Ferhat Abbas (1).

 

En effet, la colonisation joua, aux XIXème et XXème siècles, un rôle néfaste. Les pays occupés subirent alors les pires brimades. Bien que l’« indigène » ait été obligé de recourir à la violence pour juguler le joug colonial, le maintien de la violence après l’indépendance demeure sans explication. Par ailleurs, dans les deux périodes, que ce soit pendant la période coloniale ou après, toute opposition fut durement réprimée. Parmi les oppositions les plus déterminées, on retrouve celle s’inspirant de la parole divine. Toutefois, depuis son avènement, sa stratégie a été accommodée à la situation du moment. Ainsi, pour tenter de définir la mouvance islamiste, il faudrait que l’on tienne compte de la diversité des courants qui l’anime. Car, en période coloniale ou postindépendance, les stratégies des mouvements islamistes furent variables, notamment sur la question électorale ou sur l’utilisation de la violence. Bien que l’acception de l’islamisme ne soit pas associé à la violence au XXème siècle, force est de constater que dans les dernières années, l’évocation même mesurée de l’islam, en occident notamment, est assimilée à la violence. Cette façon de procéder consistait à discréditer toute opposition à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs pays. Certes, ces mouvements ne sont pas les adeptes de la démocratie. Car leur radicalisation au fil des années engendra par ricochet des exactions. Ce constat est celui de l’échec de ces mouvements islamistes dans les pays où ils ont accédé au pouvoir. L’auteur de « l’islamisme politique », Aberrahim Lamchichi, le formule ainsi : « L’islamisme désigne un ensemble de courants et de mouvements qui expriment en terme éminemment idéologique la volonté de réforme des sociétés musulmanes ; en réalité, leur lecture politique radicale de l’islam ne conduit qu’à la production d’un discours de refus, de ressentiment et de contestation sans projet viable de rechange. » (2) Pour comprendre l’évolution de cette mouvance, il faudrait revenir à la genèse de ce courant pour tenter quelques explications.

L’éclosion de l’islamisme

L’essor de ce mouvement eut pour point de départ l’Egypte dans les années trente. Son essence fut bien entendu anticolonialiste. Ce fut aussi l’inauguration, dans le monde musulman, d’une nouvelle ère de revendication et de combat. Ces mouvements s’appuyèrent désormais sur l’islam pour formuler des revendications politiques. En Orient comme au Maghreb, ces mouvements menèrent concomitamment une opposition au colonialiste, d’une part, et au dirigeant nationaliste ne s’inspirant pas de l’islam, d’autre part. Lamchichi note à ce propos : « Ce courant fondamentaliste et réformiste va se transformer progressivement passant d’une simple critique des dirigeants- lorsque les fondamentalistes estimaient qu’ils [les dirigeants nationalistes] ne défendaient pas suffisamment les intérêts de l’islam- à une contestation ouverte et radicale et à une dénonciation du caractère corrompu et non islamique des sociétés et des Etats en terre d’islam. » (3)

En effet, les doctrinaires, à leur tête Hassan el Banna et Sayed Qotb, incitèrent leurs disciples à l’action afin, pensaient-ils, de pallier les carences des dirigeants sensés les représenter. Ils poussèrent, par ailleurs, le radicalisme plus loin en préconisant la rupture, dans certains cas, avec leurs coreligionnaires. Ainsi, le refus d’accommoder leur vision à l’évolution de la société les rendit naturellement intransigeants. Et par la même occasion, ils se recroquevillèrent sur eux-mêmes. Cette conception les éloignait des grandes écoles théologiques –le sunnisme, le shiisme et le kharijisme – qui firent beaucoup d’effort d’exégèse. Du coup, selon certains spécialistes, l’islam idéologisé ne fut mis en œuvre que pour régenter la société. En effet, les concepteurs de l’islam politique eurent des méthodes contraignantes.

Toutefois, ce mouvement varie selon son appartenance à une aire géographique. Selon Lamchichi « Il convient de nuancer l’islamisme selon la situation politique de chaque pays. Ainsi, dans les Etats où le système politique leur est fermé, les islamistes n’hésitent pas à transgresser les règles de la légalité et du combat pacifique pour pratiquer la violence insurrectionnelle ou le terrorisme. » (4) Mais tous les mouvements d’obédience islamiste ne recourent pas systématiquement à ces procédures.

Diversités de courants

La radicalisation du mouvement islamiste est inhérente à plusieurs facteurs. Au delà de la contestation des régimes en place, tous les courants ne sont pas identiques. Ils se définissent d’abord par leur ancrage social. Ce qui détermine l’ambition du dirigeant. Mais ceci est valable même pour les mouvements laïques. Inversement, l’itinéraire du dirigeant imprime une certaine forme à son mouvement. Dans quelques cas, un parti islamiste peut utiliser la violence pour imposer son programme comme le dit si bien Lamchichi : « Ce rapport à la violence change également en fonction du profil et des trajectoires des dirigeants ainsi que leurs objectifs prioritaires ; ce rapport à la violence dépend, enfin, de l’évolution des institutions et du contexte socioculturel et politique du pays concerné, ainsi que du contexte géopolitique régional et international. » (5)

Cependant, l’exemple qui élucida ces fluctuations fut donné par le plus ancien parti islamiste, le mouvement des frères musulmans égyptiens. Ce mouvement connut une radicalisation inextricable sous le régime de Gamal AbdeNasser. Plus tard, avec la disparition de celui-ci, le mouvement accepta de participer aux élections. Il eut maintes fois constitué des listes communes avec des mouvements laïques afin de participer à la gestion des affaires publiques. Toutefois, la campagne électorale fut souvent exploitée pour dénoncer la politique répressive des gouvernants. Bien que le but, sous jacent ou avoué, des mouvements islamistes soit l’instauration d’un Etat islamique, les nouvelles donnes mondiales ont contraints ces derniers à changer de cap.

En effet, les mouvements islamistes des années cinquante, en terme de radicalisme, n’ont rien à voir avec les néo fondamentalistes des années quatre-vingt-dix. Pour l’auteur de l «’islamisme politique » : « Alors que l’islamisme classique a intériorisé une culture politique nationale et veut, avant tout, s’intégrer, grâce à la constitution d’un véritable politique moderne, dans un espace régulé d’action politique, le néo fondamentaliste, lui, se démarque de cet islamo-nationalisme. Il refuse d’inscrire son action dans une stratégie strictement stato-nationale, les Etats-nations n’ont, à ses yeux, aucune véritable légitimité. » (6) Ils refusèrent également le nationalisme arabe, incarné notamment par le nassérisme et les baathistes, représentant, selon eux, le laïcisme autoritaire. Ces évolutions n’ont épargné aucun pays musulman. L’Algérie en fait bien sûr partie intégrante.

L’islamisme en Algérie

Depuis l’occupation du pays, en 1830, tous les mouvements nationalistes prirent l’islam comme leur porte drapeau. Les premières résistances furent l’œuvre des confréries religieuses. L’éminent historien, Mohamed Harbi, écrit à ce propos : « la composante religieuse fut une donnée fondamentale du combat de l’émir Abdelkader (1807-1883) pour mobiliser derrière lui les Algériens, tout comme elle sera centrale dans le combat nationaliste de l’association des Oulémas (1931-1956), du mouvement messaliste (1927-1962) et du FLN, qui lance la guerre de libération en 1954. » (7) L’attachement des Algériens à leur religion fut prouvé en proclamant certains chefs, comme l’Emir Abdelkader, Imam. Ainsi, dés son investiture, l’émir proclama, dans le combat qui l’opposa à la France, le jihad. Car, de son point de vue, la condition sine qua none pour unir les Algériens devait se faire sur la base de la foi. D’ailleurs, il s’agit d’un dénominateur commun qui résista à toutes les vicissitudes de l’histoire algérienne. Bien que la France ait vaincu l’armée de l’émir Abdelkader, les Algériens, en restant fideles à la foi, considéraient cette défaite comme temporaire en attendant le combat final.

Par ailleurs, dans le débat des années trente qui opposa Ferhat Abbas au cheikh Abdelhamid Ben Badis à propos de la nation, ce dernier lui en donna une qui tint compte de la véritable prégnance de l’islam. Il écrivit dans son journal el Shihab : « Cette nation algérienne musulmane, ce n’est pas la France, il n’est pas possible qu’elle soit la France; elle ne veut pas devenir la France, et même si elle voulait, elle ne le pourrait pas. » Toutefois, bien que la politique des Oulémas ait pour but de sauvegarder la religion, leur programme indiquait sans ambages l’utilité de séparer le culte de la politique. Ce mouvement qui s’est épanoui dans les années trente, –hélas sous le régime colonial-, a prôné nettement la prise en charge des problèmes politiques en dehors des officines religieuses. Ce qui permet à Mohamed Harbi d’écrire : « Après treize siècles d’Islam, naît pourtant la possibilité d’une religion personnelle, plus intériorisée, comme nous le montre l’itinéraire de nombre d’Algériens dans les années 1930. À la lumière de leur évolution, l’Islam n’apparaît plus comme un invariant historique. Son devenir dépend des choix des musulmans. Ils peuvent adopter des principes dégagés de toute influence religieuse, sans pour autant renoncer à la religion de leurs pères. » (8)

Cependant, après l’indépendance, les nouveaux dirigeants ont opté pour un système de gouvernement autoritaire. Dans ce cas, les opposants au régime ne purent exister qu’en prônant une rupture empreinte de radicalisme. Ainsi, la succession de crises secouant l’Algérie vint de la politique de coercition du régime. Bien que ce dernier se proclame des valeurs islamiques, les résultats de la gestion des deniers publics ne plaidèrent guère en sa faveur. En effet, tous les fléaux prohibés par la religion, tels que la corruption, les détournements d’argent et la prévarication, connurent leur essor pendant le règne du parti unique. Du coup, l’utopie islamiste a puisé sa force dans la déchéance et la perte des idéaux d’un Etat-nation fort et moderne. Les émeutes d’octobre 1988 permirent finalement aux Algériens de rêver d’un autre projet que celui suggéré, voire imposé, par le parti unique. Par conséquent, l’autorisation de créer des associations politique –selon l’article 40 de la constitution du 23 février 1989- fit entrer l’Algérie dans une nouvelle ère. Et sur la cinquantaine de partis autorisés, quinze furent d’obédience islamiste. Plus tard, les résultats des différentes joutes électorales ont prouvé que la religion, même exploitée à des fins purement politiciennes, occupe une place prépondérante en Algérie.

Pour conclure, il va sans dire que les mouvements islamistes ont connu une évolution comme ce fut le cas pour toutes les idéologies. Le recours à la violence fut utilisé d’abord contre les forces d’occupation étrangères. Plusieurs courants, telle que l’association des Oulémas, peuvent être considéré aujourd’hui comme un modèle de pacifisme. En effet, en Algérie, la conception politique chez Ben Badis ou plus tard chez Ali Belhadj n’est pas comparable si ce n’est antinomique. Mais cet islamisme politique se manifesta là où les régimes autoritaires furent incapables de répondre aux aspirations sociales de leurs populations. Généralement, l’argent tiré des richesses terriennes fut utilisé par ces régimes dans le but de se pérenniser. Ce maintien, en politique, a un cout pour la population à payer: la répression. Mais, dans les pays verrouillés, quand l’opposition accède au pouvoir, cela n’arrange point les nouveaux opposants qui furent un moment aux responsabilités. D’ailleurs, la critique que l’on peut faire à l’égard des militants islamistes est de dénoncer la persécution dont ils sont victimes en étant dans l’opposition, mais ils pratiquent les mêmes méthodes dans les pays où ils ont parvenu aux responsabilités.

Boubekeur Ait Benali, 1er août 2010, www.hoggar.org


Notes de renvoi :

1) Ferhat Abbas, « L’Autopsie d’une guerre », page 329
2) Abderrahim Lamchichi, «L’islamisme politique », page 11
3) Ibid, page 35
4) Ibid, page 37
5) Ibid, page 131
6) Ibid, page 37
7) Mohemed Harbi, « L’islam dans le mouvement national avant l’indépendance », page 2
8) Ibid, page 11
4 juillet 2010 7 04 /07 /juillet /2010 14:41
guerre-civile.jpgLa signature des accords d’Evain, le 18 mars 1962, ne marqua pas la fin effective de la guerre d’Algérie. Cette fois-ci la lutte pour le pouvoir, entre les militants de la même cause, s’est mêlée au conflit déjà alambiqué avec la France. D’ailleurs, même le terrorisme de l’Organisation Armée Secrète (OAS) n’a pas pu ressouder les rangs des nationalistes. En revanche, bien que le conflit ait touché le sommet de la direction, la base, quant à elle, a reçu avec soulagement la fin du joug colonial. Et par la même occasion, elle a supporté la furie des ultras. Ces derniers, en désavouant le pouvoir parisien, décidèrent de mener une seconde guerre au peuple algérien. En effet, les carnages n’ont cessé que le  5juillet à Oran où les manifestants fêtèrent l’indépendance du pays. Mais auparavant, plusieurs événements eurent lieu. Et chaque journée apporta son lot de souffrance.

 

Les divisions au sommet de la direction

Avant la conclusion des pourparlers d’Evian, le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) et l’Etat Major Général (EMG) se regardaient déjà en chien de faïence. Celui-là a dissimulé le conflit afin de paraître comme un interlocuteur crédible au gouvernement français. Il faut dire aussi que dans le même temps, le pouvoir gaullien n’arrivait pas non plus à faire avancer ses pions comme il le souhaitait. Toutefois, pour le GPRA, la tâche primordiale fut la conclusion d’un accord de paix avec la France. D’ailleurs, quelques ministres du GPRA espérèrent que le conflit avec l’EMG allait être surmonté avec l’arrêt des hostilités avec la France. Tout compte fait, ils attendaient énormément la libération des chefs historiques, emprisonnés dans les geôles française depuis octobre 1956, pour ressouder les rangs. Hélas, bien que la libération, le 20 mars 1962, des cinq détenus d'Aulnoy, Ben Bella, Ait Ahmed, Boudiaf, Khider et Bitat, ait suscité beaucoup d'espoir pour apaiser la tension entre le GPRA et l'EMG, leur division en prison n'a fait qu'attiser la crise (1). La division atteignit son paroxysme lorsque chaque ministre prit position pour les deux entités de la révolution, en l’occurrence le GPRA et l’EMG.

Par ailleurs, à mesure que la perspective d’un consensus s’éloignait, chaque clan voulut imposer sa voie. Pour le GPRA, selon Mohammed Harbi, la priorité résida dans sa capacité à faire respecter, à tous les acteurs, les accords d’Evian. Pour ce faire, il s’opposa à la convocation du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA) pour ne pas qu’il y ait leur remise en cause. Par contre, selon l’auteur du « FLN, mirage et réalité », la primauté du militaire sur le politique fut la ligne de conduite de Boumediene. Dans ce conflit opposant le GPRA à l’EMG, un soutien, celui de Ben Bella à celui-ci, fut décisif. Néanmoins, il était prêt à faire des concessions et même à partager le pouvoir avec son principal opposant, Boudiaf. Qu’il prenne le parti et moi le gouvernement ou l’inverse, a-t-il suggéré. (2)

Cependant, bien que le colonialisme vive ses derniers instants, l’opposition des dirigeants algériens augmentait à mesure que le transfert de souveraineté approchait. A partir du 16 avril 1962, le conflit fut porté à la connaissance de la base. Et chacun se recroquevilla sur ses positions. La lueur d’espoir fut apparue vers la mi-mai quand le GPRA a décidé de convoquer le CNRA pour le 27 mai 1962 à Tripoli. Hélas, ce jour-là les dirigeants se livrèrent à une bataille sans pitié pour le contrôle exclusif des organismes dirigeants de la révolution. Mohammed Harbi écrit alors : « L’idée que les dirigeants s’affrontent à visage découverts, programme contre programme, est une chimère comme l’est également celle qui veut faire du FLN une sorte de parti guidé par une idéologie commune. » (3) Du coup, les ultras, ennemis de l’émancipation des Algériens, avait le champ libre ou peu s’en faut.

Le chantage des ultras

Malgré toutes les garanties contenues dans le texte des accords d’Evian, les Français d’Algérie n’admirent pas, selon une conception purement colonialiste, le lâchage de l’Algérie par la France. Aux difficultés des dirigeants algériens à s’entendre entre eux, le gouvernement français avait exigé lors de la conférence d’Evian la création d’un exécutif provisoire. Il fut confié à Abderrahmane Farès, plusieurs fois approché par les gaullistes pour constituer la fameuse troisième force susceptible de préserver les intérêts français en Algérie. Mohammed Harbi décrit sans ambages cette désignation en notant à juste titre : « Imposé à la tête d’un Exécutif provisoire, composé de 12 membres (3 Européens et 9 Algériens, dont 5 militants du FLN), Abderrahmane Farès est boudé par le GPRA, qui décide de ne pas l’intégrer au groupe FLN à l’exécutif provisoire. » (4)

Dans ce climat d’incohérence, les chefs de l’OAS exhortèrent leurs partisans à saborder les accords du 18 mars 1962. Les ultras s’attaquèrent sans distinction aux Algériens et gaullistes. Les démonstrations de force commencèrent le 26 mars 1962 à la rue d’Isly et finirent le 5 juillet 1962 à Oran. Le peuple algérien paya un lourd tribut en vies humaines. Selon Réda Malek dans « L’Algérie à Evian », les pertes furent colossales. Il note à ce propos : « Le mois de mai marque l’apogée des crimes de l’OAS. La capture de ses têtes de file les plus connues l’accule à la politique de terre brûlée. Désespérant d’instituer une république de type sudiste, qui consacrerait la partition du territoire, l’ultime carré d’irréductible conçoit le projet fou de ramener l’Algérie à sa situation d’avant 1830. » (5)

Fallait-il dialoguer avec les ultras

L’installation de l’Exécutif provisoire à Rocher-Noir (Boumerdès) intervint dés les premiers jours du mois d’avril 1962. Face aux exactions de l’OAS, l’exécutif provisoire resta au début dans l’expectative. Bien que les accords d’Evian aient prévu de mettre à sa disposition une force locale [L’accord stipule un effectif oscillant entre 40000 et 50000 hommes], cette dernière fut fortement infiltrée par les ultras de l’Algérie française. Toutefois, le groupe FLN au sein de l’exécutif, à sa tête le docteur Chawki Mostefai, décida de faire de son mieux pour gérer cette scabreuse période de transition. Et pour parvenir à contenir les visées criminelles de l’OAS, les délégués FLN furent prêts à engager un dialogue avec l’OAS par l’entremise de Jacques Chevalier, ex maire d’Alger.

Toutefois, cette décision fut difficile à prendre. Aucun militant du FLN n’osa assumer ce dialogue avant que la situation ne soit envenimée. D’ailleurs, selon le témoignage de Belaid Abdeslam, membre du FLN au sein de l’exécutif, les premiers contacts eurent lieu à l’insu même des délégués FLN. Il écrit sur son site internet: « Aucun des membres du FLN de cet exécutif n’avait connaissance du moindre indice sur l’existence de ces pourparlers. Seul le Président, Abderrahmane Farès, se plaisait à dire, de temps en temps : je m’attends à une prise de contact de la part de l’OAS à travers telle ou telle personne. » (6)

Cependant, avant d’engager un quelconque processus de dialogue, le docteur Mostefai décida de se rendre en Tunisie et en Lybie afin de s’entretenir avec les ministres du GPRA. Il rencontra le 9juin Ahmed Ben Bella à Tripoli. En guise d’assurance, selon Réda Malek, Ben Bella signifia à Mostefai : « Nous sommes solidaires au sein du gouvernement. Quand la majorité prend position, cela engage l’ensemble du gouvernement. »(7) A Tunis, Mostefai eut le même soutien de Ben Khedda, Ben Tobbal et Krim Belkacem. Mais après l’entretien Mostefai-Susini, le 17 juin 1962, les dirigeants, pour des raisons stratégiques, n’osèrent plus assumer publiquement ces accords Exécutif provisoire-OAS. Se trouvant au Caire depuis le 15 juin, Ben Khedda ne soutint pas cet accord. Aucun autre ministre n’afficha publiquement son soutien au docteur Mostefai. Ce qui amena ce dernier à donner sa démission le 27 juin. Mais elle fut bien entendu refusée par le GPRA. En gros, il a été demandé au docteur Mostefai de résoudre le conflit mais sans engager ni le FLN ni le GPRA.

La célébration de l’indépendance

Le GPRA a décidé de célébrer la fin du joug colonial, dans tout le territoire algérien, le 5 juillet 1962. Cette date a été choisie effectivement de façon symbolique pour boucler 132 ans de domination française. Et pourtant le vote s'est déroulé le 1er juillet 1962 où la participation a été remarquablement élevée. En effet, pour sortir définitivement du giron colonial, les Algériens ont voté oui à 91,23% par rapport aux inscrits et 99,72% par rapport aux votants. Le général De Gaulle a reconnu officiellement l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet. Le 5 juillet, comme prévu, la fête s'est déroulée dans l'allégresse partout en Algérie hormis la ville d'Oran. Ce qui a terni, en effet, cette journée ce furent les événements survenus à Oran où l'organisation de l'OAS a décidé de marquer cette journée par une ultime fusillade. Par conséquent les Oranais ont assisté à une journée cauchemardesque contrairement à leurs concitoyens qui ont manifesté leur exaltation pour la fin de l'occupation dans l'hilarité, et ce, à travers les quatre coins du pays. (8)

Dans la capitale de l’ouest algérien, le responsable de la sécurité de la ville, le général Katz, admet que les bévues des ultras allaient crescendo du cessez-le-feu jusqu'à l'indépendance de l'Algérie. Il affirme que : « d'innocentes victimes continuent à tomber dans la proportion d'un Européen pour cent Arabes ; parmi les victimes nombre de femmes et d'enfants ». Néanmoins, ce chiffre n'est apparemment pas partagé par d'autres historiens à l'instar de B.Stora qui affirme qu'au mois de mai, à Oran, « quotidiennement, de 10 à 50 Algériens sont abattus par l’OAS. Certains musulmans quittent Oran pour rejoindre leurs familles dans les villages ou villes n'ayant pas une forte population européenne.» Quant à ceux qui étaient contraints de rester, la violence à laquelle ils étaient exposés n'épargnait ni femme, ni enfant.

En revanche, le jour de l’indépendance, les Algériens ont sublimé leur crainte. Il ne fut pas question de ne pas être au rendez-vous avec l’histoire. Ainsi, dès les premières heures de la matinée du 5 juillet, les Algériens se sont donné rendez-vous pour manifester dans l'allégresse l'indépendance durement acquise. Aux environs de midi, des coups de feu sont tirés sur des Algériens qui voulaient hisser le drapeau algérien à la place d'armes. Cette fusillade a été sans doute celle de trop car la riposte ne s'est pas fait attendre non plus. Le bilan de la journée fut lourd en vie humaine. En effet, pour brève qu'ait été la riposte( environ 30 minutes d'après le général Katz) à laquelle ont participé des ATO (auxiliaires temporaires occasionnels) et même des civils algériens, le nombre de morts était tout de même important. Il y avait 25 morts parmi les Français (46 selon Fouad Soufi) et plus de 80 Algériens. Ainsi la colonisation s'est achevée comme elle avait commencé en 1830, c'est-à-dire dans le sang.

Boubekeur Ait Benali, 4 juillet 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie

Notes de renvoi :

1) Quotidien d’Oran, La crise de l’été 1962 était-elle inévitable ?, 29 juillet 2009.
2) Mohammed Harbi, « FLN, mirage et réalité », page 325.
3) Ibid, page 336.
4) Ibid, page 322.
5) Réda Malek, « L’Algérie à Evian », page 249.
6) www.belaidabdesselam.com
7) Réda Malek, id, page 256.
8) Quotidien d’Oran, 5 juillet 1962 : ultime combat de l’OAS, 5 juillet 2007.
28 juin 2010 1 28 /06 /juin /2010 14:38
germedelaguerrealgerie.gif« Quand un peuple n’a d’autres ressource que de choisir son genre de mort, quand il n’a reçu de ses oppresseurs qu’un seul cadeau, le désespoir, qu’est ce qui lui reste à perdre ? C’est son malheur qui deviendra son courage ; cet eternel refus que la colonisation lui oppose, il en fera le refus absolu de la colonisation » Préface de Jean Paul Sartre du livre d’Albert Memmi « Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur ».

 

Cette violence a connu son apogée en mai 1945 à Sétif et Guelma. Pour les réprimés, une révolution fut inéluctable. Ainsi, les germes de la guerre remontaient incontestablement aux événements de mai 1945 dans l’est algérien. Plusieurs historiens considèrent, en effet, que 1945 a été le signal avant coureur. Et pourtant, il n’y avait pas une animosité particulière de tous les Algériens si l’on se référait à la déclaration du président des Amis du Manifeste et de la Liberté, Ferhat Abbas, du 8 mai 1945, qui s’apprêtait à exprimer le soulagement de la population algérienne suite à la capitulation des nazis. Le texte commence ainsi : « Le rassemblement des AML, qui groupe tous les Musulmans sans distinction d’opinion, fidèle interprète des masses musulmanes, s’associe, en ce jour solennel de la victoire et de la démocratie, à la joie et à la fierté des armées alliées et des peuples libres.» En revanche, au même moment, à Sétif, les Algériens tombaient nombreux sous les balles des policiers. Pour l’historien français, J.L Planche, la responsabilité de la police coloniale était indéniable. Il écrit à juste titre: « tout dérape quand un inspecteur tire, tue le porte drapeau et deux coups de feu en soutien partent du café de France ». Cependant, de leur retour des différentes campagnes, les Algériens ayant participé à la libération de la France ont trouvé leurs proches massacrés. En effet, ils ont beau agir avec loyauté, au retour ils étaient reçus par la sentence du général Duval, commandant la zone constantinoise signifiant leur neutralisation pour au moins une décennie : « Je vous ai apporté la paix pour dix ans », a-t-il promis aux colons. Contrairement à la prédiction du général, les Algériens ont commencé à s’engager davantage dans le mouvement national. Désormais, l’espoir d’un changement émanant des français devenaient tout bonnement chimérique. L’écrivain éminent, Kateb Yacine, en parlant des événements de Sétif dit : « Là se cimenta mon nationalisme. J’avais seize ans ».

Toutefois, après les massacres, les autorités coloniales promirent quelques réformes émancipatrices. Mais il fallait attendre plus de deux ans pour que renaisse un infime espoir d’évolution du statut des Algériens. Hélas, malgré la velléité de Paris de lancer quelques réformes anodines afin que l’Algérien sorte de la mouise, les grands colons ont tout fait pour les saborder. Ainsi, le pied-noir, Georges Apap, dans « ennemi intime » de Patrick Rotman, a admis qu’à l’époque, l’égalité entre les deux communautés était loin d’être effective. Il a étayé son propos en disant : « J’ai constaté que le statut de 47 n’a pas pu entrer en application à cause de l’opposition des Français d’Algérie. Ça, c’est des choses qu’il faut dire.» Toutefois, pour que le lecteur ne se perde pas, le statut de 47, était une loi, en fait, sur le statut de l’Algérie votée en 1947, au palais Bourbon. Dans son article 2, par exemple, il est écrit : « L’égalité effective est proclamée entre les citoyens français ». Il y aurait eu 63194 Français musulmans qui auraient été concernés par cette généreuse loi. Quant à ceux qui ne voulaient pas abandonner leur statut personnel, ils n’étaient que des sujets régis par le code de l’indigénat. Et c’était la quasi-totalité du peuple algérien. Bien que le statut ne remette pas en cause l’occupation de l’Algérie, il n’en demeure pas moins que ce statut qui a créé l’assemblée algérienne était unanimement condamné par les colons, selon Mohamed Harbi.

Dans une lettre ouverte, a poursuivi Harbi, adressée à Yves Chataigneau, publiée par l’Écho d’Alger, dirigé par Alain de Serigny, se résumait à la phrase suivante : « Allez-vous-en ! »

Par ailleurs, pour entériner le statut de 1947, des élections ont été programmées pour le 4 et 11 avril 1948. Sous la houlette du gouverneur socialiste Naegelen, les urnes étaient outrageusement bourrées, a commenté P. Rotman dans son film-documentaire « Les ennemis intimes ». Plus tard, le futur président du conseil, Guy Mollet, a expliqué ainsi le bourrage des urnes : « Il est évident que ce qui est sorti des urnes, ce n’est pas ce qui y avait été mis ». En outre, Il y avait pire que ce que pensait Guy Mollet. Dans les grandes villes comme Blida, Cherchell, ce sont des urnes déjà pleines, écrit Y. Courrière, que l’on apporte au matin du 4 avril. A Ain El Hammam, l’administration n’avait pas jugé opportun de convoquer les électeurs. Le paroxysme a été atteint avec l’arrestation de 36 des 59 candidats du parti nationaliste.

Dans ces conditions, quelle alternative restait-elle aux militants nationalistes face à une politique répressive coloniale? Pour Harbi : « Le nationalisme algérien se trouve dans une impasse: l’administration coloniale jugule ses progrès par la violence ».

Lorsque la guerre a éclaté en 1954, ses principaux dirigeants avaient à leur actif plusieurs années de militantisme, mais aussi une conviction que ce combat politique ne mènerait jamais au recouvrement de la liberté. Pour que cet objectif soit atteint, plusieurs moyens d’actions ont été mis en œuvre. Ainsi, dans la déclaration du 1er Novembre 1954, dans la partie consacrée aux moyens de lutte, il a été clairement mentionné: « afin d’éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi … ». A paris, Mendès France, président du conseil, a annoncé ce qu’allait être la guerre d’Algérie : « Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle ». Le ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand, ne disait-il pas que : « La seule négociation, c’est la guerre ».

L’effectif de l’armée passa alors de 80000 au début de la guerre à plus de 400000 à la fin des combats.

Cependant ces militaires, contrairement à la façon dont on voulait les présenter, avaient commis des crimes horribles. L’historien, P. Rotman, a recueilli plusieurs témoignages de ces acteurs de l’une des tragédies du vingtième siècle. La guerre d’Algérie a été injuste selon le capitaine pierre-Alban Thomas, ancien résistant dans la France occupée. Il a relaté sans hypocrisie ni langue de bois son passage en Algérie. Selon ce soldat : « Le plus souvent, les fellagas, passent au travers du filet. Les fellahs, eux, écopent. Car pour s’attaquer au FLN, les forces de l’ordre doivent s’en prendre à la population qu’elles sont censées protéger des rebelles. Dés le début, l’armée est prise dans une contradiction qui ne cessera de s’approfondir: comment pacifier et maintenir l’ordre en même temps! ». Jean Denis Bennet abondait dans le même sens : « Pour essayer de tuer un ou deux rebelles, a-t-il dit, l’armée massacrait tout un village ». Quant au capitaine Thomas, il raconta comment le colonel Bigeard avait monté une opération dans son secteur. Il disait ceci : « Lui, il a monté une opération sans tenir compte de nous. Il avait abattu 24 fellagas, disait-il, dans ses communiqués. En fait, nous avons su que ce n’était pas 24 fellagas, mais 24 fellahs, c’est-à-dire 24 paysans ».

Certains responsables pensaient qu’en utilisant la manière forte ils pourraient éloigner la population de ses représentants. Le capitaine Thomas ne voyait pas les choses sous cet angle. Au contraire, a-t-il conclu : « Plus la répression est forte, et plus le FLN recrute ».

Boubekeur Ait Benali,28 juin 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie


Sources :

1) Mohammed Harbi, 1954, la guerre commence en Algérie.
2) Patrick Rotman, L’ennemi intime.
3) Jean Louis Planche, Sétif 1945, chronique d’un massacre annoncé.

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