18 juin 2010 5 18 /06 /juin /2010 14:24
boumediene-militaire.jpgLa reprise du pouvoir par un coup d’Etat militaire, le 19 juin 1965, répondait indubitablement à la conception que se faisait des dirigeants algériens de la politique. En effet, dans leur logique, il ne pouvait être président que celui qui disposait du soutien de l’armée. Et pour l’un des meilleurs spécialistes du mouvement national, Mohammed Harbi, cette confrontation avait au moins pour origine la préparation de la lutte armée. Il note à ce propos : « Le mot d’ordre ‘d’abord l’action’ deviendra ‘d’abord l’armée’. A partir de là s’amorce la privatisation de l’Etat en gestation et sa militarisation.» (1) D’ailleurs, c’est au nom de cette hégémonie de l’armée que Boumediene s’était opposé au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) lors de la ratification des accords d’Evian. Par la suite, en se passant de la majorité du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), le tandem Boumediene-Ben Bella a proclamé le 22 juillet 1962 la création du bureau politique pour succéder au GPRA, certes évanescent. Grâce à la force de feu de l’armée des frontières, les deux hommes ont réussi à évincer les opposants récalcitrants. Mais une fois le pouvoir acquis, chacun des deux hommes cherchait à reprendre les rênes de l’Etat à lui tout seul. Avec ces querelles, le slogan « le peuple, seul héros » a été remisé dans le placard pour n’être utilisé que pour s’imposer à lui.

 

1― Le faux parrainage de l’armée par Ben Bella

La cohésion qui a prévalu pendant la guerre s’est effritée juste après la signature des accords d’Evian. En effet, à la fin de la guerre, seule l’armée des frontières avait une organisation infaillible. Au sein du GPRA, les ex centralistes et les ex udmistes ne s’entendaient plus. Bien qu’ils aient tous contribué à juguler le joug colonial inique, force est de constater que la non délimitation des compétences de chaque entité [CCE, GPRA, CNRA, EMG etc.] a été un frein à la mise en place des institutions du futur Etat indépendant. Pour le pionnier du nationalisme algérien, Ferhat Abbas, la responsabilité incombait à ceux qui ont détourné le combat du peuple algérien, luttant pour sa libération, pour leur imposer une autre domination. Dans « L’autopsie d’une guerre », il étaye son argumentation en écrivant : « Pendant notre guerre de libération, c’était à ce peuple de choisir sa voie. Ceux qui l’ont privé de la parole, qui l’ont empêché d’exercer ses responsabilités, avec l’arrière-pensée de vivre comme des rois et de régner sur l’Algérie, ont commis une faute grave. » (2)

Cette erreur impardonnable a engendré une lutte fratricide pour la maitrise des rouages de l’Etat. Ainsi, de 1962 à 1965, Ben Bella s’est attelé à s’emparer de l’appareil de l’Etat. Il pensait qu’en utilisant son charisme, il allait s’imposer à tous les segments de l’Etat, l’armée y comprise. Mais celle qui faisait et défaisait les hommes ne l’entendait pas de cette oreille. Elle a attendu le moment opportun pour trancher la question du pouvoir. Entre temps, elle a laissé faire. En effet, pendant la période Ben Bella, celui-ci a concentré plusieurs pouvoirs entre ses mains. Il a mis en sourdine la constitution de septembre 1963 pour légiférer par ordonnances. Au conseil des ministres ou au comité central, dont il était le secrétaire général après la démission de Khider, il imposait son point de vue. A la fin de ses exposés, il avait l’habitude de demander si parmi les présents il y aurait eu des contres. Si personne ne leva la main, il proclama alors que le projet a été adopté à l’unanimité. Dans une altercation avec Ahmed Mahsas, ministre de la réforme agraire, il a remis sa démission en lui disant : « Tu as déjà la présidence, l’intérieur, l’information, une partie des Affaires étrangères ; si tu veux un autre ministère, je te donne volontiers le mien. » (3) Selon Jean Daniel, citant Hocine Zehouane, Ben Bella chercha à s’assurer le contrôle total du ministère des Affaires étrangères : « Il veut prendre pour lui le ministère des Affaires étrangères, car Bouteflika est devenu un ennemi à éliminer, ainsi que le ministère de la Défense nationale, car il s’est juré depuis toujours de ne pas tolérer un si dangereux rival. » (4) Dans ce cas de figure, la bataille pour le pouvoir entre les deux hommes ne pouvait pas ne pas avoir lieu.

2― La préparation du coup de force

Les adversaires de Ben Bella ne voulurent pas qu’il préside la conférence afro-asiatique. En le laissant faire, ils auraient eu du mal à le détrôner, surtout s’il parvenait à construire une stature internationale aux côtés de Gamal AbdeNasser ou Chou Enlai. Le risque, pour le groupe qui gravitait autour de Boumediene, était de voir Ben Bella affirmer, devant ses hôtes, sa volonté d’écarter des responsables comme Boumediene ou Bouteflika. Selon Jean Daniel, décrivant l’état d’esprit de Ben Bella, il estime que le Président en exercice n’aurait pas hésité à passer à l’offensive. Car l’occasion ne se serait pas répétée à foison. Il note à juste titre : « Il faut écarter définitivement le spectre des renversements militaires, assurer avant la conférence afro-asiatique la primauté du pouvoir civil et prouver au pays son aptitude à trancher les conflits. » En tout cas, tel était le climat politique en ce mois de juin 1965.

Cependant, sous la houlette de Boumediene, une réunion regroupant, Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Medeghri, Cherif Belkacem, les commandants Chabou et Hoffman, eut lieu à Alger. Et le groupe s’est entendu, in fine, sur la nécessité de renverser Ben Bella avant que la conférence afro-asiatique ait débuté ses travaux. Pour eux, une fois le coup de force perpétré, il faudrait rassurer les participants à la conférence que ce renversement n’était qu’un accident de parcourt. Et que l’Algérie respecterait tous ses engagements internationaux. Suite à cette réunion, Boumediene a convoqué tous les chefs de régions à se rendre à Alger, vers la mi-juin, en vue de peaufiner le plan du coup de force. A partir de ce moment-là, toutes les concessions qu’aurait pu faire Ben Bella étaient irrecevables. Car, le 18 juin au soir, les partisans du coup d’Etat étaient prêts à mettre en exécution le plan préparé trois semaines plus tôt.

Les circonstances de l’arrestation de Ben Bella furent rapportées par Jean Daniel, dans « Alger : histoire d’un complot » écrivant : « Zbiri, tu sais que j’ai toujours eu confiance en toi…

Ecoute, ne perdons pas de temps, habille-toi. Tu es arrêté par le conseil de la Révolution. » Il est 2h25 du matin, dans la nuit du 18 au 19 juin lorsque Ahmed Ben Bella, que l’on vient de réveiller en sursaut, entend cette phrase de celui qu’il a lui-même nommé chef d’état-major de l’armée. Le président algérien ne comprend pas. A côté de Tahar Zbiri, se tient le commandant Draïa, qu’il vient de nommer directeur de la Sûreté et qui fut commandant des compagnies nationales de sécurité, c’est-à-dire de la garde prétorienne de Ben Bella. Il y a aussi Saïd Abid, qui commande la première région militaire du Grand-Alger et avec lequel il a eu quelques jours avant un très amical entretien. Ben Bella les regarde tous les trois comme pour tenter un rappel au loyalisme. En vain. D’ailleurs, il n’est pas en forme. Il ne réalise pas vraiment ce qui se passe. Il s’est couché tard, et lorsqu’un cri de la fidèle servante l’a brusquement réveillé, il a cru qu’on venait lui annoncer une nouvelle importante. Il s’est endormi fort de trois convictions. A la veille de la conférence afro-asiatique, lui, Ben Bella, peut tout se permettre et il va le montrer dès samedi matin. » (5)

En revanche, en cas d’échec, le groupe putschiste a préparé un plan de fuite à l’étranger. En effet, à l’aéroport de Boufarik, un avion, moteur en marche, attendait Boumediene et ses compagnons en cas où le coup de force n’aboutissait pas. Cet aveu n’est pas anodin puisqu’il émanait de l’un des artisans du putsch, le colonel Ahmed Bencherif, ancien commandant en chef de la gendarmerie nationale.

3― Répercussions du putsch sur la société algérienne

Le principal reproche qui fut fait à Ben Bella était celui d’avoir une mainmise quasi-totale sur les institutions de l’Etat. D’ailleurs, dans l’appel au peuple algérien, rédigé au nom du conseil de la révolution, l’un des griefs opposé à la gestion de Ben Bella fut résumé comme suit : « Le pouvoir personnel, aujourd’hui, consacre(sic) toutes les institutions nationales et régionales du parti et de l’Etat se trouvent(sic) à la merci d’un seul homme qui confère les responsabilités à sa guise, fait et défait selon une tactique malsaine et improvisée les organismes dirigeants, impose les options et les hommes selon l’humeur du moment, les caprices et le bon plaisir. » (6) Mais en reprochant une multitude de défauts à l’ancien président Ben Bella, la nouvelle équipe, conduite par Boumediene, allait-elle les corriger ? Hélas, le coup d’Etat n’a pas estompé ces erreurs. Au contraire, les institutions algériennes ont été à la merci d’un seul homme, Boumediene, sans qu’il y ait personne pour le contrarier.

Qu’il n’en déplaise aux nostalgiques de l’époque Boumediene, sa conduite des affaires n’en différait point de celle de Ben Bella. Pour l’auteur de « Grandeur et décadence de l’Etat algérien », la ressemblance fut criante : « En fait, la politique de Boumediene qui avait substitué de facto le fait au droit, la légitimité révolutionnaire à la constitutionnalité des lois, a constitué un préalable à la corruption et à l’autoritarisme néojacobin du régime. De sorte que ses successeurs n’ont fait que reprendre à leur compte ses méthodes de gouvernement et ses procédures de cooptation et de clientélisme en essayant de les dissimuler sous une feinte libérale. » (7) En effet, le putsch étant réalisé avec succès, Boumediene n’a pas tardé à s’assurer le contrôle exclusif des rouages de l’Etat. A la différence de son prédécesseur, il s’est appuyé sur une base solide, en l’occurrence l’armée, qui lui obéissait sans vergogne. D’emblée, il s’est attaqué à la liberté d’expression en éliminant toute velléité d’opposition. D’ailleurs, il est difficile de parler d’un quelconque redressement révolutionnaire dans la mesure où le chef du conseil de la révolution s’est octroyé tous les pouvoirs : gouvernemental, partisan et légiférant.

Par ailleurs, ce qui restera l’un des points répréhensibles de l’époque Boumediene est sans conteste la liquidation physique de plusieurs figures de proues du mouvement national. En effet, en s’appuyant sur la police politique, selon Abdelkader Yafsah, Boumediene a franchi un pas supplémentaire que son prédécesseur n’aurait pas osé faire. Il écrit à ce propos : « Mohamed Khider et Krim Belkacem sont assassinés, Mohemd Boudiaf et Hocine Ait Ahmed organisent des mouvements d’opposition en exil. Le président du conseil de la révolution, ministre de la défense, chef du gouvernement, Boumediene s’était imposé comme chef d’Etat et cumulait de ce fait, comme son prédécesseur, tous les postes importants de décision. A ce titre, il se confondait avec l’Etat, le parti –tout comme Ben Bella- mais avait en plus de ce dernier, et pour lui seul, l’armée. » (8)

En somme, il est évident que le changement à la tète de l’Etat, après le 19 juin 1965, ne profitait pas au peuple sur le plan démocratique. Quoiqu’on ait épilogué sur le rôle international de Boumediene, sur le plan intérieur c’était à peu prés tomber de Charybde en Scylla. En revanche, le pouvoir, après ce coup de force, s’est stabilisé. Le soutien indéfectible de l’armée à Boumediene a annihilé toute velléité de reprendre le pouvoir par la force. Par conséquent, l’emprise sur le pouvoir a privé le peuple de la liberté politique qu’il avait perdue depuis belle lurette.

Boubekeur Ait Benali, 18 juin 2010, www.hoggar.org, Quotidien d'Algérie

Notes de renvoi :

1) Mohammed Harbi, l’Algérie et son destin, page 93.
2) Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, cité par Larbi Si Hanafi.
3) Jean Daniel, Nouvel Observateur du 24 juin 1965, reproduit par El Watan du 28 décembre 2008.
4) Ibid.
5) Ibid.
6) Ahmed Rouadjia, Grandeur et décadence de l’Etat algérien, page 158.
7) Ibid, page 164.
8) Abdelkader Yafsah, la question du pouvoir en Algérie, dossier El Watan 28 décembre 2008.
9 juin 2010 3 09 /06 /juin /2010 14:20
si-salah.jpgL’affaire si Salah, de son vrai nom Zamoum Mohamed, était la résultante de plusieurs facteurs. Bien que le conseil de la wilaya IV ait été exemplaire jusqu’à la mi-1959, l’asphyxie des maquis, due au manque d’armement, a dissuadé nombre d’entres-eux de poursuivre le combat. Mais il faut signaler aussi que la décision de négocier avec la France n’a pas été unanime. Mis à part les quatre commandants du conseil de la wilaya qui étaient associés à cette aventure, les maquisards de rang inférieur ne savaient rien de ce qui se tramait à ce moment-là. Sur un autre plan, le retour du général de Gaulle au pouvoir a suscité une lueur d’espoir auprès de certains soldats de l’Armée de Libération Nationale (ALN). Et le discours du 16 septembre 1959, où le général avait parlé du principe de l’autodétermination du peuple algérien, a fini par convaincre les chefs de la wilaya IV. Par conséquent, l’opération « Tilsit » ou l’affaire si Salah, concoctée par les officiers du Bureau d’Etudes et des Liaisons (BEL) que dirigeait le capitaine Heux, a failli casser la dynamique enclenchée en novembre 1954. Mais pourquoi les chefs de la wilaya IV ont-ils envisagé de conclure une paix séparée avec le reste des autres wilayas et à l’insu du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) ?

 

L’intérieur soumis à une pression intenable

Les opérations de l’armée françaises, juste après l’offre de la « paix des braves » en octobre 1958, avaient exsangues les maquis. Toutefois, du vivant de si M’hamed, colonel de la wilaya IV jusqu’à mai 1959, aucune velléité de négociation n’était envisagée. Il avait même mis en place une commission d’enquête visant à châtier les défaitistes. Préparés à une guerre de longue durée, les maquisards ont résisté aux multiples opérations, véritables rouleau compresseur ayant mis les maquis en difficulté. Entre septembre et en novembre 1958, la wilaya IV a connu deux opérations militaires (Couronne1 et Couronne2), conduites par le général Massu.

Cependant, la wilaya IV n’a pas pansé ses plaies lorsque le général Challe, chef des armées en Algérie, a lancé son plan. L’opération « Courroie » a causé des pertes colossales en vies humaines. Les effectifs ont chuté de prés de 40% après le balayage des territoires par les parachutistes. Elle a causé également la disparition du colonel Si M’hamed, le 5 mai 1959, dernier rempart à toute compromission. Toutefois, la succession à la tête de la wilaya IV s’est faite sans encombre. Mais la nouvelle direction n’entendait pas le combat comme une obéissance sans vergogne à la direction extérieure de la révolution.

En effet, le manque d’armement dans les maquis a été sévèrement critiqué par le conseil de la wilaya IV. Selon Sadek Sellam, la situation dans l’Algérois s’est exacerbée par le refus de l’extérieur de les pourvoir en armes. Il a écrit à ce propos : « A Tunis, il [Si Salah] a été contrarié par l’indifférence du FLN extérieur aux problèmes croissants de l’ALN de l’intérieur. Pour toute réponse à ses interrogations, les dirigeants du CCE lui ont proposé de faire partie d’une de ses représentations dans une capitale étrangère. Mais Si Salah a préféré rentrer pour reprendre son poste dans le conseil de la wilaya IV. »(1) Du coup, le conseil de la wilaya IV a pris la liberté de s’exprimer sans tenir compte des récriminations de la direction extérieure. Ainsi, le commandant Si Salah a convoqué le premier conseil de la wilaya, 7 mois après la disparition de son prédécesseur, le 14 janvier 1960. Un nouveau conseil de la wilaya a été mis en place. Composé de quatre commandants, Si Salah, Lakhdar Bouchama , Si Mohamed Bounaama et Halim (Yahya Hamdi), le nouveau conseil n’excluait pas une éventuelle rencontre avec les autorités françaises.

Préparation de la visite élyséenne

L’opération « Tilsit » résultait en effet du désaccord entre le chef de la wilaya IV et le chef d’état-major, commandé par le colonel Boumediene. Les échanges de communication entre les deux hommes ont été interceptés par le capitaine Heux, chef du BEL. Celui-ci a transmis illico ces informations à son supérieur hiérarchique, le colonel Jaquin. Ce dernier a aussitôt songé à fomenter un coup contre la révolution. Il a chargé le Cadi de Médéa, Marighi, de nouer les contacts avec les chefs de la wilaya IV.

En effet, quelques jours plus tard, le cadi a eu son premier contact avec le responsable politique de la wilaya, le commandant Lakhdar. Le tableau brossé par ce dernier a été plus qu’alarmant. Il a expliqué que les combattants se sentaient livrés à eux-mêmes. Et qu’ils étaient prêts à discuter, pas avec les militaires insistait-il, sur la base des propositions formulées par le général de Gaulle. Le lendemain, a écrit Yves Courrière, « le Premier Ministre Miche Debré apprenait la possibilité de conversation antre les chefs d’un des principaux foyers de la rébellion en Algérie et des représentants du gouvernement. Aussitôt il en informait brièvement le général de Gaulle. »(2) Les deux responsables de l’Etat français ont chargé, chacun de son côté, leurs hommes de confiance d’aller suivre l’affaire en amont. Pour l’Elysée, le général de Gaulle a choisi Bernard Tricot. Quant à Matignon, Michel Debré a désigné Pierre Racine et le colonel Mathon.

Cependant, l’accord auquel parvenaient l’équipe parisienne et les chefs de la wilaya IV était une reddition qui n’en disait pas son nom, pour reprendre l’expression de l’ex-gouverneur général, Paul Delouvrier. En effet, l’accord stipulait que tous les combattants de la wilaya déposeraient leurs armes dans des endroits fixés mutuellement par les deux belligérants. Le choix des préfectures a été préféré aux casernes pour éviter l’humiliation des maquisards. Finalement, le gouvernement français s’engageait, a écrit Yves Courrière, à n’exercer aucune poursuite contre les anciens rebelles à conditions qu’ils n’aient pas de sang sur les mains(3). Cependant, c’est la ratification de ce document de cessez-le-feu que les chefs de la wilaya IV s’apprêtaient à faire le voyage à Paris. Ainsi, le 10 juin 1960, le général de Gaulle a reçu personnellement les représentants de la wilaya IV à l’Elysée. La délégation a été conduite par son chef Si Salah accompagné de ses adjoints Lakhdar et Si Mohamed. Il ne manquait à cette rencontre que le commandant Halim pour que le conseil soit au complet.

Impossible aboutissement de l’accord

Bien que le général de Gaulle ait compris que la solution au conflit ne pouvait se matérialiser sans l’accord du GPRA, il n’en demeure pas moins que l’initiative de la wilaya IV paraissait, pour lui, autant exploitable que tout autre manœuvre visant à fragiliser la représentativité du gouvernement provisoire. D’ailleurs, le général de Gaulle a autorisé les chefs de la wilaya IV à se rendre aux wilayas limitrophes en toute sécurité. Le but étant bien sûr de rallier ces wilayas au processus de cessez-le-feu, ratifié à l’Elysée. Toutefois, parallèlement à cette démarche, de Gaulle a renouvelé, le 14 juin 1960, l’invitation à la délégation extérieure pour venir en France négocier une sortie de crise. Le discours annonçait en substance que le peuple algérien aurait eu toute la latitude de choisir son avenir. Moins de deux semaines plus tard, le GPRA a désigné une délégation, composé d’Ahmed Boumendjel et Mohamed BenYahia, qui s’est rendue à Melun le 25 juin 1960. Depuis cette date, les rencontres (officielles et officieuses) n’ont jamais cessé jusqu’à la conclusion des accords d’Evian en mars 1962.

Concernant les suites de la rencontre élyséenne, les maquisards de la wilaya IV n’étaient pas tous enclins à les respecter. Vers la mi-juin, selon Sadek Sellam, le lieutenant Lakhdar Bourega cherchait à rencontrer Si Mohammed. En parlant de Si Mohamed, il a écrit : « Croyant que les deux officiers subalternes [Bourega et Bousmaha] étaient au courant des négociations en cours, le commandant militaire leur a raconté l’entretien avec de Gaulle. Voyant la consternation provoquée chez ses auditeurs par ce récit, Si Mohammed éprouve une sorte de mauvaise conscience qui l’amène à se rallier au refus de ses subordonnés d’arrêter le combat. »(4) A partir de là, il y avait une précipitation des événements. Dans la foulée, Si Mohammed s’est proclamé chef de la wilaya. Il a ensuite ordonné l’arrestation et le jugement de ces collègues partisans du cessez-le-feu.

En effet, le commandant Lakhdar a été arrêté à Médéa, le 19 juin 1960. Quelques jours plus tard, Bourega a réussi à arrêter le commandant Abdelatif, chef de zone2, partisan lui aussi d’une paix séparée. Sans jugement, le nouveau chef de la wilaya IV a exécuté le commandant Lakhdar. Ce sort a été réservé à Abdelatif après qu’il a été condamné à la peine capitale le 8 août 1960. Quant aux commandants Halim et Si Salah, ces derniers ont été arrêtés le 16 septembre 1960 de leur retour d’une mission en wilaya III. Le premier a été immédiatement exécuté. Le deuxième a été sauvé par Bourega qui a intervenu en sa faveur en dissuadant Si Mohammed de l’exécuter. Car Si Salah avait fait partie du groupe des maquisards ayant perpétré des attentats à Boufarik, le1er novembre 1954. Toutefois, Si Salah a été tué quelques mois plus tard en se rendant à Tunis. L’embuscade de l’armée française a eu lieu à M’chedellah, prés de Bouira, le 20 juillet 1961. Si Mohamed a été tué, à son tour, le 8 août 1961, dans une maison à Blida. Du coup, avec cette dernière disparition, il ne restait aucun témoin des visiteurs de l’Elysée.

Pour conclure, il parait aller de soi, tout compte fait, que cette initiative a été la conséquence de la suffocation des maquis. A ce propos, la responsabilité des extérieurs ne pouvait pas être exempte. En revanche, cette affaire n’a pas abouti pour deux raisons. D’un côté, le général de Gaulle savait pertinemment que le GPRA était l’instance suprême avec laquelle il faudrait négocier le cessez-le-feu global. De l’autre coté, le concept de paix séparé ne faisait pas consensus au sein de la wilaya IV. D’ailleurs, il a fallu de l’intervention de deux lieutenants (Bourega et Bousmaha) pour mettre un terme à cette aventure.

Boubekeur Ait Benali, 9 juin 2010, www.hoggar.org


Notes de renvoi

1) Sadek Sellam, « La situation de la Wilaya IV au moment de l’affaire Si Salah », page 179.
2) Yves Courrière, « Les feux du désespoir », page 82.
3) Yves Courrière, ibid, page 87.
4) Sadek Sellam, ibid, page 185.
5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 22:18

GD3547506-08-Jun-1967--Sinai--I-4069.jpgLe conflit israélo-arabe a connu son tournant décisif en juin 1967. Bien que la tension ait toujours été vivace, notamment lors de la campagne de Suez en 1956, menée par la coalition israélo-franco-britannique, les visées expansionnistes d’Israël ont constitué indéfiniment le casus belli. Toutefois, les pays arabes ont surestimé leur puissance en pensant anéantir Israël et libérer la Palestine. Du coup, une coalition des pays du Machrek a planifié un plan visant à solder ses comptes avec l’intrus de 1948. Mais, Israël, de son côté, a su profité de l’étau desserré dans les années 1950 pour développer des infrastructures capables d’accueillir les vagues d’immigrations successives. Ainsi, Israël a pu constituer, en exploitant ce temps de répit, l’une des armées les plus puissantes de la région. Dans ces conditions, une épreuve de force ne pouvait être évitée dans la région.

1― La phase de gestation

L’absence d’un traité de paix en 1948 et en 1956 a constitué indubitablement la cause de différents conflits dans la région. Certes, il y avait bien entendu l’intervention de l’ONU, mais elle était plus une intercession. Car la présence des soldats de l’ONU, dans le Sinaï notamment, avantageait plus Israël que ses voisions arabes. En effet, cette force onusienne garantissait la mobilité dans le golfe d’Aqaba, permettant à Israël d’avoir accès sur la mer rouge, et par ricochet vers l’océan indien. Pour cette nouvelle puissance, il lui fallait bien sûr des accès libres et un territoire plus vaste. Toutefois, bien qu’Israël ait pour objectif de dominer la région, selon l’expression du général de gaulle « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » (1), ses voisins arabes pensaient que la menace de le réduire suffisait.

Cependant, le point de départ a été sans doute les pompages abusifs des Israéliens dans le fleuve du Jourdain. La Syrie a été la première à dénoncer vigoureusement cette opération de déviation des eaux. A son tour, la Syrie a décidé de détourner une partie des eaux à son profit. La riposte israélienne a été violente et démesurée. En effet, le 7 avril 1967, l’aviation de l’Etat hébreu a abattu six avions militaires syriens au dessus du lac de Tibériade (2).

Dans la foulée, le président égyptien, Gamal Abd-en-Nasser, a dénoncé l’agression israélienne. Il a, par la même occasion, exigé le départ des soldats de l’ONU, stationnés dans la région du Sinaï. D’ailleurs, le conseil de sécurité de l’ONU, qui s’est réuni le 24 mai 1967, a donné raison au Président Nasser en évacuant le Sinaï. En revanche, pour Israël, cette décision ne pouvait être acceptable. En se moquant éperdument des résolutions onusiennes, Israël a formé le gouvernement de guerre le 1er juin 1967. De leur côté, les pays arabes (Jordanie, Egypte, Irak, quelques pays du Golfe et du Maghreb) ont scellé une alliance militaire. Dans ces conditions, l’affrontement militaire était tout bonnement inévitable.

2― L’attaque surprise

La nomination du général Dayan au ministère de la défense israélienne augurait déjà de l’imminence de la guerre. En effet, dès l’aube du 5 juin 1967, l’aviation israélienne a détruit la quasi-totalité de l’aviation égyptienne. Ainsi, au soir du 5 juin, Israël était le seul maître du ciel dans la région, bien que l’aviation égyptienne ait tenté de riposter. Deux jours plus tard a eu lieu l’une des plus grandes batailles des blindés au cœur du Sinaï, opposant des milliers de chars de chaque côté (3). Selon Elie Bernavi : « Le même jour [le 7juin NDLR], les Israéliens s’emparent de la bande de Gaza et une unité de la marine prend le contrôle de Charm-el-cheikh. »

Par ailleurs, bien que les armées arabes aient combattu courageusement, car c’est le moins que l’on puisse dire, la faible coordination des fronts arabes a facilité la tâche au Tsahal. Ainsi, après Gaza, la Cisjordanie, sous la tutelle de la Jordanie depuis 1950, a été prise par l’armée israélienne. Après avoir atteint le canal de Suez le 8 juin, le Tsahal s’est emparé de la péninsule du Sinaï au cours d’une bataille de trois jours. Une fois de plus, le matériel égyptien a été quasiment détruit.

En revanche, l’adversaire le plus redoutable pour Israël a été incontestablement la Syrie. Repliée sur ses positions fortifiées du plateau du Golan, la Syrie a rivalisé avec son adversaire. Mais au bout de batailles intenses, l’armée syrienne a été vaincue. Du coup, le 10 juin, al Kuneitra (3) a été occupé par le Tsahal. Le soir de la prise du Golan, un cessez-le-feu global a été proclamé. Ainsi, la chute de tous les fronts arabes a mis fin au conflit des Six-Jours avec Israël.

3― Les retombées de la guerre

Les conséquences découlant de ce conflit ont été désastreuses. Bien que l’Etat hébreu n’ait pas poursuivi, après le 10 juin, sa politique expansionniste, il n’en reste pas moins que les territoires occupés n’ont pas été restitués aux vaincus. Selon Mohamed Charfi, c’est surtout la Palestine qui a payé un lourd tribut(4). Il a écrit, pour corroborer cette thèse, que : « Toute l’ancienne Palestine passe sous le contrôle israélien, tandis que des Israéliens installent des colonies dans les territoires occupés. La cause de la Palestine recule. » Cependant, il faut rappeler que les territoires en questions sont ceux se trouvant au-delà de la ligne verte. Cela a permis la multiplication par quatre du territoire israélien, délimité en 1948.

Par ailleurs, pour laver l’affront, les dirigeants arabes ont tenu, le 1er septembre 1967, un sommet au Soudan. C’est dans cette rencontre qu’a été adoptée la fameuse résolution des trois « non », résumée comme suit : « Non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à la négociation avec Israël. » En revanche, la communauté internationale a mis beaucoup de temps pour réagir. En effet, les alliés occidentaux d’Israël ont bloqué toute résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Celle-ci n’est survenue que prés d’une demi-année plus tard. La résolution 242 du 22 novembre 1967 pouvait donner lieu à deux interprétations différentes, selon que l’on lise la version française ou anglaise du document. Du coup, Israël s’est appuyé sur celle-ci pour garder ses conquêtes. Depuis, 260 000 colons, selon certaines estimations, occupent encore la Cisjordanie dans au moins 150 implantations.

En guise de conclusion, il va de soi que la guerre des Six-Jours a carrément changé la donne au Proche-Orient. La prétendue suprématie arabe dans la région a été vite battue en brèches. Dans l’un de ces textes, Mohamed Charfi a cité un journal koweitien écrivant au lendemain de la défaite : « Nous avons été amenés à croire [par la propagande arabe] que nous pouvions liquider Israël en trois heures, alors que soudainement en trois heures, Israël nous a rendus honteux. » Toutefois, cette victoire ne pouvait être concrète sans le soutien indéfectible des principales puissances occidentales.

Boubekeur Ait Benali, 5 juin 2010, www.hoggar.org


Notes de renvoi

1) Serge Berstein, « De Gaulle, Israël et les Juifs », L’histoire N° 321
2) Elie Bernavi, « 5 juin 1967, Israël attaque », id.
3) Chef lieu du Golan, situé à prés de 60km de Damas.
4) Mohamed Charfi, « Du côté des Arabes : l’insupportable défaite », id.
14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 22:15
greve-etudiant56.jpgLa grève générale du 19 mai 1956, déclenchée à l’initiative de la section d’Alger de l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA), a été une preuve, s’il en fallait encore une, de l’engagement massif des étudiants Algériens pour la cause nationale indépendantiste. Bien qu’il ait existé des réticents parmi eux, il n’en reste pas moins que  beaucoup d’entre eux ont rejoint le Front de Libération Nationale (FLN) et son bras armé, l’Armée de Libération Nationale (ALN). D’ailleurs, la lutte des étudiants, depuis la création du mouvement nationaliste en 1926, s’inscrivait en parfaite symbiose avec les revendications du mouvement national. En effet, dans les années 1920 et 1930, les étudiants Algériens avaient créé respectivement l’Association des Etudiants Musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN) et l’Association des Etudiants Musulmans nord-africains (AEMNA). Toutefois, l’existence de plusieurs partis  a fait que chaque parti nationaliste avait ses militants et sympathisants parmi  les étudiants. D’où l’existence de plusieurs associations estudiantines.

 

Cependant, le combat politique ne pouvant conduire le peuple algérien à son émancipation, les militants nationalistes  avaient opté, deux ans plus tôt,  pour la lutte armée. Et dans ce contexte, toutes les organisations algériennes ont été invitées à rejoindre le front de libération. Sous la houlette d’Abane Ramdane, tous les partis algériens, ayant existé avant 1954, ont accepté de rejoindre individuellement le FLN et l’ALN. Tout compte fait, les dirigeants du front avaient indubitablement besoin des étudiants pour participer à l’organisation et à l’encadrement de la lutte. C’est dans ces conditions qu’a eu lieu, le 8 juillet 1955, le congrès constitutif de l’UGEMA en vue d’unifier les syndicats estudiantins. D’ailleurs, la présidence est revenue à Ahmed Taleb El Ibrahimi, de l’association des Ulémas. Ainsi, tout en gardant un lien étroit avec le FLN, l’UGEMA a mené un combat sans discontinu, aux cotés des syndicats internationaux, pour que le peuple algérien recouvre son indépendance.

Itinéraire des étudiants et de leur syndicat pendant la guerre

Dix mois après la création de l’UGEMA, les dirigeants ont invité leurs camarades, inscrits à l’université d’Alger et ailleurs, à boycotter les cours et les examens. Ainsi, les universitaires algériens, mais aussi les lycéens, rejoignaient sans réticence les maquis pour lutter contre le joug colonial, imposé injustement au peuple algérien. D’emblée, l’appel du 19 mai a souligné qu’ « avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! » A quoi serviraient-ils, a-t-on argué, ces diplômes qu’on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement. En outre, l’appel a suggéré la voie à suivre en notant à juste titre : « Nous observons, tous, la grève immédiate des cours et des examens et pour une durée illimitée. Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis. »

Par ailleurs, une semaine plus tard, le comité directeur de l’UGEMA, dont le siège se trouvait à Paris,  a exhorté, à son tour,  les étudiants algériens en France, au Maroc et en Tunisie à adhérer au mouvement lancé par la section d’Alger. Au même moment, les étudiants, établis en Algérie, ont pris le chemin du maquis. Pour ces derniers, le rôle qui leur a été assigné  était celui de renforcer l’organisme politique, le FLN. Cet apport a été, bien entendu,  bien accueilli par les dirigeants du FLN. En revanche, la puissance coloniale qui tablait sur la compréhension des universitaires algériens en vue d’une éventuelle coopération a été vite déçue. C’était en effet un pari insensé dans la mesure où les étudiants étaient pour la plupart acquis, depuis au moins les événements de mai 1945, au combat nationaliste. Bien que la scolarisation, dans les années de colonisation, ait été réservée à certaines familles préconisant l’assimilation, il en reste pas moins que leur progéniture avait une conscience nationaliste précoce. D’ailleurs, plusieurs étudiants et lycéens avaient quitté, suite aux événements de Sétif et de Guelma, les bancs de l’école pour militer au sein du principal parti nationaliste le Parti du Peuple Algérien (PPA) et ensuite le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD).  Ainsi, anticolonialiste, l’étudiant se trouvait du coup comme un poisson dans l’eau aux cotés des maquisards de l’ALN. Et l’organisation à laquelle elle appartenait, l’UGEMA en l’occurrence,  s’est assigné quelques objectifs dont :

― La proclamation de l’indépendance du peuple algérien ;
― La libération de tous les patriotes emprisonnés ;
― Des négociations avec le Front de Libération Nationale.

Toutefois, l’engagement de l’UGEMA a été aperçu positivement par les congressistes de la Soummam, le 20 août 1956. En effet, dans le texte soummamien, le rôle des universitaires a été mis en exergue et souligné en notant que « Le FLN devra assigner aux étudiants et étudiantes, d’une manière rationnelle, des taches précises dans les domaines où ils peuvent rendre le mieux service : politique, administratif, culturel, économique, etc. »  Et en signe de reconnaissance, l’étudiant Brahim Chargui a été nommé à la direction de la Zone Autonome d’Alger (ZAA), créée à l’issu du congrès.

Cependant, bien que la mission ait été périlleuse, les étudiants en France ont été chargés d’expliquer au milieu ouvrier, désorienté par le Mouvement National Algérien (MNA), mouvement concurrent créé par Messali Hadj, que le FLN se battait pour la libération nationale sans qu’il y ait la moindre compromission avec la France. Sur le sol hexagonal, le président de l’UGEMA a rejoint la direction de la fédération de France. Cependant, sur le plan international, l’UGEMA devait mener le combat sur trois fronts : l’anticolonialisme, l’indépendance et l’action. Pour ce faire, l’UGEMA a défini sa politique en clarifiant sa politique : « Notre but était clair : informer, expliquer la tragique réalité algérienne, démystifier le monde étudiant qui distingue mal la France culturelle de la France colonialiste, gagner les sympathies à notre juste cause, obtenir l’engagement concret de la communauté étudiante mondiale dans la lutte que nous menons. » Cet engagement a été chèrement payé. Du côté colonial, les étudiants subissaient, durant toute la période de la guerre, les arrestations, les procès voire les liquidations physiques. Mais grâce à la mobilisation, ces abus ont été sus par la communauté internationale du fait de la campagne menée par l’UGEMA auprès de l’Union Internationale des Etudiants (UIE). Du côté algérien, l’intoxication des maquis par les services psychologiques ont semé le doute chez certains maquisards. Le capitaine Paul Alain Léger et le colonel Godard ont inventé l’infiltration et la manipulation dans le but de déstabiliser l’ALN. Cette tactique,  qui a déclenché la terrible vague de « bleuite »,  a causé la disparition d’un nombre considérable des étudiants.

Pour conclure, on peut dire que les étudiants algériens ont été à la hauteur des attentes placées en eux. Bien qu’ils aient rompu la grève,  pour la rentrée 1957-1958, les étudiants ont poursuivi leur combat de mobilisation de l’opinion internationale. Toutefois, l’indépendance apparaissant inéluctable, les responsables du FLN ont envoyé nombre d’entre eux vers des facultés européennes et maghrébines pour former les cadres susceptibles d’assumer  des responsabilités dans l’Algérie indépendante. D’ailleurs, dans son message au IV congrès de l’UGEMA, Ferhat Abbas, président du GPRA, a admis ceci : « En six ans, la Révolution algérienne a formé parmi vous plus de techniciens que le régime colonial n’en a formé en 130 ans d’occupation. »  En somme, lors des négociations franco-algériennes, plusieurs militants de l’UGEMA ont représenté le peuple algérien lors des pourparlers ayant abouti le 18 mars 1962 au cessez-le-feu.

Boubekeur Ait Benali,14 mai 2010, www.hoggar.org
3 mai 2010 1 03 /05 /mai /2010 22:05
PUTSCH-1.JPGLe putsch des généraux factieux, le 21 avril 1961, consistait indubitablement à saborder l’initiative du général de Gaulle de négocier avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). En effet, dés le 15 mars 1961, le processus de la négociation paraissait irréversible. Pour ce faire, le gouvernement français a décidé de mettre un terme à la répression militaire aveugle et au mutisme officiel ayant prévalu jusque-là. Le communiqué rédigé à l’issue du conseil des ministres a manifesté « son désir de voir s’engager, par l’organe d’une délégation officielle, les pourparlers concernant les conditions de l’autodétermination des populations algériennes. » Si du côté algérien, pour peu que la France n’ait que le GPRA comme seul représentant du peuple algérien, les chefs du FLN (Front de Libération Nationale) étaient prêts à trouver une solution au conflit vieux déjà de six ans ; du côté français, les tenants de l’Algérie française, parmi eux plusieurs généraux, s’inscrivaient en opposition radicale avec la politique gaullienne. Et afin d’inciter le général de gaulle à revenir sur l’offre de l’autodétermination, plusieurs réunions, regroupant les colonels Lacheroy, Argoud, Broizat et le général Faure, ont eu lieu à Paris en vue de préparer un éventuel Putsch. En Algérie, les militaires séditieux ont désigné le général Jouhaud, natif de Bou-Sfer, de convaincre le général Challe de prendre la tête de la révolte. Toutefois, le renversement du régime gaullien nécessitait une adhésion massive. En effet, il fallait reprendre le contrôle des grandes villes d’Algérie. Et puis, converger les forces armées sur Paris.

 

1― La difficile ouverture de la négociation

Le dernier président de la quatrième République, Pierre Pflimlin, avait été forcé à la démission pour avoir annoncé qu’il était possible de discuter avec les responsables du FLN. Résultat des courses : les ultras de l’Algérie française avaient provoqué son départ et avaient imposé, dans le même temps, le général de gaulle, bien qu’il ait été aussi investi par le parlement le 1 juin 1958. Par conséquent, le général de Gaulle avait mené une guerre sans pitié aux Algériens pendant les deux premières années de son retour au pouvoir. Mais une fois son pouvoir consolidé, à travers notamment son élection à la présidence de la République en décembre 1958, de Gaulle a décidé de mener la politique qu’il estimait adéquate. Et le tournant de la guerre a eu lieu en septembre 1959 lorsque de Gaulle a évoqué pour la première fois « le droit des Algériens à l’autodétermination ». Respectueux des principes démocratiques en métropole, il convoqué le corps électoral français, le 8 janvier 1961, pour se prononcer sur le principe de l’autodétermination des Algériens. Le résultat des urnes a été sans appel. Bien que ce référendum ait été caractérisé par l’appel de onze généraux demandant aux Français de voter non, plus de 75% d’entres-eux ont approuvé le principe de l’autodétermination.

Cependant, en réaction au communiqué du conseil des ministres du 15 mars 1961 confirmant la volonté du général de Gaulle de négocier avec le FLN, plusieurs réunions des officiers supérieurs se sont multipliées. Présidées par le général Faure, elles se tenaient souvent au domicile du colonel Lacheroy. Ces officiers, pour saboter le processus de paix, discutaient des moyens à déployer afin de renverser la cinquième République naissante. En écrivant sur la capacité et la détermination des insurgés à renverser le régime gaullien, l’historien Yves Courrière a rendu compte en ces termes : « Outre le 1er REP dont chaque commandant de compagnie était favorable au putsch et dont le chef par intérim, Elie Denoix de Saint Marc, marcherait si Challe le lui commandait. Il pouvait compter dés le premier jour sur le 27e dragon du colonel Puga, sur le 1er REC du colonel de la Chapelle, sur le 18e RCP du colonel Masselot, sur le 14eme RCP du colonel Lecomte, sur le 2e REC du colonel Coetgorden. »

Par ailleurs, en apprenant l’ajournement des préliminaires d’Evian, le 31 mars 1961, le général Challe a saisi ce temps de répit pour qu’il réunisse les conditions idoines au putsch. La conférence de presse du général de Gaulle du 11 avril 1961 a coupé court à toute discussion entre partisans de l’Algérie française et de Gaulle. Et la phrase qui a mis le feu aux poudres a été prononcée par de Gaulle, depuis Brazzaville, disant : « Je n’ai jamais cessé d’affirmer que les populations qui dépendaient de nous devaient pouvoir disposer d’elles-mêmes. » A partir de là l’épreuve de force ne pouvait pas ne pas avoir lieu.

2― L’arbitrage de l’armée

Prévue initialement dans la nuit du 20 au 21 avril 1961, la tentative du putsch a été reportée à l’ultime moment de 24 heures. Bien que l’armée n’ait pas basculé totalement, les insurgés tablaient d’emblée sur la chute de tous les points névralgiques d’Alger. De la délégation générale aux domiciles des hauts fonctionnaires en passant par le palais d’été, Radiodiffusion et Télévision, Alger devait tomber instamment entre les mains des rebelles. Cela dit, le plan élaboré par le patron du putsch, le général Challe, prenait en compte toutes les questions. Il a veillé lui-même à la répartition des tâches. Le général Zeller avait pour mission de convaincre le général Gouraud, chef du corps d’armée du Constantinois, de rallier l’insurrection militaire. Il devait ensuite s’occuper de toutes les questions administratives et logistiques. Quant à Jouhaud, épaulé par Salan à partir du 23 avril, il devait se charger des relations avec la population pied-noir.

Cependant, à deux heures quarante-cinq, le samedi 22 avril 1961, les généraux séditieux ont réalisé, point par point, le plan préalablement fixé. Désormais, tous les sièges, nécessaires au fonctionnement de la colonie, ont été accaparés par les paras. D’ailleurs, il n’y avait aucune résistance notable pour leur barrer la voie. Quant aux personnalités, celles-ci ont accepté de se faire arrêter à l’instar de Jean Morin, délégué général ou de Robert Buron, ministre des transports ou du général Gambiez, chef des armées en Algérie. Elles ont été envoyées illico en résidence surveillée à In Sallah.

Toutefois, si Alger a été prise facilement, dans l’ouest algérien l’équation était alambiquée. Le général de Pouilly, commandant du corps d’armée à Oran, voulait rester fidèle au gouvernement. La marine ne voulait pas non plus suivre la sédition. L’amiral Querville, chef de la base de Mers-el kebir, a refusé catégoriquement de se mettre sous les ordres de Challe contre le gouvernement. Pour pallier ces défections, le général Challe a nommé le général Gardy pour prendre le commandement armé (CA) de la zone territoriale. Arrivé à Sidi-Bel-Abbès, Gardy a souhaité rencontrer le général de Pouilly. Selon François Milles, dans « coups de poing dans un édredon » : « L’accueil est froid. Le général de Pouilly reçoit alors Gardy, en présence de Perrotat. Tous les efforts pour convaincre le commandant du CA d’Oran sont vains. » Par ailleurs, le 23 avril au soir, les généraux factieux ont constaté que la situation dans l’ouest était précaire. Pour soumettre l’ouest algérien, Gardy a lancé une opération contre de Pouilly qui s’était réfugié à Tlemcen la veille. En collectionnant tant d’échec, Challe a demandé à Gardy de rentrer à Alger avec les régiments Masselot et de Lecomte, restés fidèles au putsch.

3― De Gaulle en sauveur

Dés que de Gaulle a pris connaissance du putsch, il a tout de suite chargé son premier ministre, Michel Debré, de gérer lui-même l’affaire. Il s’agissait bien sûr d’une stratégie réfléchie. Car il ne fallait pas, selon lui, céder à l’intimidation, mais d’un autre côté il ne fallait pas prendre de décisions hâtives. Le lendemain, une équipe restreinte, composée de Louis Joxe et du général Olié, a été envoyée en Algérie. Au ministre des affaires algériennes, de Gaulle lui a confié les pouvoirs de la République à exercer sur place. Quant au général Olié , il l’a nommé commandant en chef en Algérie en remplacement du général Gambiez arrêté par les insurgés.

Cependant, le premier conseil des ministres, tenu le 23 avril à 17 heures, a été consacré à la question de la rébellion en Algérie. Par conséquent, l’Etat d’urgence a été décrété pour une période de six mois. Le lendemain, le général de Gaulle a mis en œuvre l’article 16 de la constitution. Selon Yves Courrière, cet article « permet non seulement à la police de garder à vue pendant 15 jours les suspects de subversion avant de les remettre à l’autorité judiciaire mais encore au préfet de les interner par simple décision sans en référer à la justice. » D’ailleurs, l’arrestation du général Faure, chevet ouvrière du putsch, et quelques-uns de ses proches collaborateurs a été possible grâce au recours à cet article.

Toutefois, bien que le risque de se faire arrêter ait été énorme, Louis Joxe a pu constater sur le terrain quelques réticences chez les officiers supérieurs. De son retour à Paris, ce dernier a dressé un tableau critique sur la situation en Algérie. Mais il a rapporté au général de Gaulle que la partie n’était pas perdue. Pour convaincre de Gaulle de s’adresser à la nation, louis Joxe a en effet argué que « le gros du corps d’officiers est hésitant et l’armée risque de basculer d’un moment à l’autre du coté de Challe », a écrit Philippe Masson, dans « A Paris : Un zeus tonnant ».

Par ailleurs, vers 20 heures ce 23 avril, des millions de Français se sont massés devant leurs télévisions. Pour la circonstance, le général de Gaulle a vêtu sa tenue de général de brigade. Selon Philippe Masson : « le ton est dur, dramatique ; on retrouve toute la mythologie gaulliste. » D’emblée, le général n’est pas allé par mille chemins pour incriminer les putschistes. Un pouvoir insurrectionnel, a-t-il dit, s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. Il a poursuivi en disant : « les coupable de l’usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités… Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques. » Après ce discours, le général Challe ne pouvait espérer gagner la partie. Du coup, à midi, le 25 avril, Challe a pris sa décision d’abandonner son combat. Il a mis fin au soulèvement et a décidé de se livrer à l’autorité légale.

Boubekeur Ait Benali, 3 mai 2010, www.hoggar.org
 

 

28 janvier 2010 4 28 /01 /janvier /2010 18:50
barricades_jan60-19672.jpg« Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que ce recours à  l’autodétermination soit, dés aujourd’hui, proclamé », extrait du discours du général de Gaulle du 16 septembre 1959.

 

Dans ce fameux discours, le général a proposé trois solutions possibles. Il pouvait y avoir, selon lui, ou la sécession ou la francisation complète ou le gouvernement des Algériens par des Algériens, appuyés sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense et les relations extérieures. En tout cas, le choix du président français penchait sans ambages pour la troisième alternative. Mais, en sachant que le peuple algérien allait rejeter tout  maintien  sous tutelle, la bataille politique, dirigé substantiellement par les ultras, a commencé. D’ailleurs,  la controverse sur l’autodétermination a touché même le parti gaulliste, l’UNR (Union pour la Nouvelle République).  Benjamin Stora, auteur de « Le mystère de Gaulle : son choix pour l’Algérie », a écrit à ce propos : « Neuf députés gaullistes quittent la formation en octobre 1959. Quelques jours auparavant, le 19 septembre, Georges Bidault et Roger Duchet ont créé le Rassemblement pour l’Algérie française. » En Algérie, l’effervescence a été manifestée par les organisations des ultras de l’Algérie française. Ainsi, dés le 17 septembre, le MP13 (Mouvement populaire du 13 mai) a vilipendé la politique gaullienne en criant au complot. Par conséquent, de conciliabules en conciliabules, les activistes, à leurs têtes certains colonels, ont songé à rééditer les manifestations du 13 mai 1958, ayant permis le retour du général de Gaulle aux responsabilités, afin de contraindre l’Elysée à revenir sur l’autodétermination. Tous les moyens, estimaient-ils, étaient bons pour y parvenir. Le rendez-vous a été pris pour le 24 janvier 1960. Pendant une semaine, Alger et Oran ont été le théâtre de manifestations, connue sous le nom de la « semaine des barricades ».

Cependant, dans cette bataille franco-française, l’engagement des colonels aux côtés des insurgés a compliqué la tâche au général de Gaulle. En effet, certains colonels, comme Gardes et Argoud, ont été intiment convaincus que, pour sauver l’Algérie française, il fallait faire revenir de Gaulle sur sa décision d’autodétermination. Selon Yves Courrière : « Ces colonels sont persuadés que le 13 mai est revenu. Et qu’ils vont gagner. » Car, le retour du général de Gaulle au pouvoir n’avait été possible que grâce aux manifestations du 13 mai où les colonels avaient joué un rôle prépondérant. En effet, le comité de vigilance, présidé à ce moment-là par le Général Massu, avait exigé la formation d’un gouvernement de salut public dirigé par le général de Gaulle. Et sans ces durs de l’Algérie française, le général ne serait jamais revenu aux affaires. Pour preuve, voila ce qu’a écrit l’historien, Christophe Nick, dans son livre intitulé  Résurrection: « Au soir du 2 janvier 1956, date du deuxième tour des législatives, les gaullistes disparaissaient du paysage politique français. Les républicains sociaux ne recueillent que 585764voix, soit 2,7% de suffrages exprimés. » 

Par ailleurs, bien que le général de Gaulle ait mené une politique militaire répressive en Algérie depuis son retour au pouvoir, les colonialistes en demandaient davantage. Au début de l’année 1960, la question qui taraudait les politiques, à leur tête de Gaulle, était de savoir si l’armée dans tous ses segments allait basculer, comme en 1958, du côté des insurgés ?  Les données ont bien sûr changé depuis. En effet, si les généraux étaient réservés voire opposés, les colonels étaient prolixes. Le ton employé, par certains d’entres-eux, frôlait la menace de pronunciamiento. Du coup, l’inquiétude commençait à peser sur la haute hiérarchie militaire. En effet, le général Gracieux, successeur du général Massu, a informé personnellement le délégué général, Paul Delouvrier, de son désarroi : « Que de Gaulle fasse vite savoir qu’il renonce à l’autodétermination. Autrement, les troupes sous mes ordres risquent de m’échapper. »  Dans le même ordre d’idée,  Pierre-Albert Lambert a expliqué cette collusion entre la population « pied-noir » et les paras de la 10eme DP en reprenant les propos du général Gracieux au général Challe, chef des armées en Algérie : « Les hommes de Broizat, de Dufour, de Bonnigal ne marcheront pas. Ils refuseront de se lancer à l’assaut du réduit d’Ortiz et de Lagaillarde. » Du coup, le scénario du 13 mai apparaissait,  pour beaucoup,  plausible. Et les pieds-noirs se rendaient par milliers aux barricades pour soutenir leurs héros.  

Dans l’ouest algérien, à Oran, la mobilisation battait aussi son plein. La manifestation a été organisée par l’animateur du MP13, Villeneuve, conseiller général. Dans leur premier tract, les initiateurs du mouvement des barricades à Oran ont appelé la population « pied-noir » à se solidariser avec les Algérois qui venaient de dresser leurs premières barricades. Une grève générale illimitée a été décidée pour le 25 janvier 1960. Le rendez-vous a été également pris pour se retrouver, dés 7heures du matin,  au Forum. Ce jour-là, les badauds pouvaient lire, à la place des Victoires, des inscriptions du genre : « De Gaulle ASSASSIN ». Et plusieurs animateurs du 13 mai ont adhéré rapidement au mouvement. Sous la direction du docteur Laborde, conseiller général lui aussi, un comité de vigilance a été créé. A la différence du 13 mai, cette fois-ci les éléments gaullistes ont été tout bonnement exclus. Selon le journaliste, Léo Palacio, cet organisme « va prendre la situation en main et créer sur le Forum, une « zone insurrectionnelle » où, pendant une semaine, prés de deux cent mille Oranais viendront régulièrement entendre, pendant douze heures d’affilée, des orateurs plus au moins habiles. » Toutefois, ces insurgés ont eu plus d’assurance après qu’ils ont reçu le soutien indéfectible à leur cause du colonel Bigeard, en poste à Mécheria, dans le Sud oranais.

Cependant, face à cette violence, il était difficile au pouvoir politique de poser sereinement le problème de l’autodétermination face à des activistes sans scrupules. Car l’histoire de la colonisation avait toujours une seule orientation, la domination par la violence. Et celui qui essayait d’améliorer, ne serait ce que d’un iota,  la situation des Algériens était considéré comme un ennemi à neutraliser. Cette vision des colonialistes n’a pas évolué, hélas,  durant toute la présence française en Algérie. Car, pour eux, Il ne fallait pas  qu’il y ait une autre solution en Algérie que celle de la violence et de l’affrontement permanent. Ainsi, lorsque  l’Elysée envisageait une solution politique au conflit, les paras et les insurgés se coalisaient pour se payer la tête du chef de l’Etat français. Par ailleurs, c’est dans ce climat insurrectionnel que de Gaulle s’apprêtait  à prononcer son discours du 29 janvier 1960. Et malgré le compte rendu alarmant de Michel Debré, premier ministre, après son retour d’un voyage de 48 heures à Alger, le général de Gaulle a décidé de  maintenir le cap de sa politique. Ce jour-là, à 20 heures, il a insisté sur la nécessité d’organiser ultérieurement un référendum d’autodétermination en Algérie. Il a ensuite rappelé aux militaires, sans doute aux colonels d’Algérie, que leur devoir était de servir leur pays sous s’immiscer des affaires politiques.

Pour conclure, il va de soi que l’épreuve de force, enclenchée à Alger et à Oran, n’a pas forcé de Gaulle à se résigner. En effet, la semaine des barricades s’est terminée le 1 février 1960 sans que les insurgés aient pu imposer leur choix. Ainsi, Joseph Ortiz a abandonné les barricades au lever du jour, conseillé par le député de l’extrême droite, Jean Maurice Demarquet, de quitter le réduit des facultés. Quant à Lagaillarde, il s’est certes rendu, mais il a été autorisé à marcher avec ses troupes jusqu’au centre ville. A Oran, la révolte s’est terminée par une marche réunissant les pieds-noirs et les militaires. Pour Léo Palacio : « cette manifestation devait se dérouler dans la plus grande dignité en présence de toutes les troupes de la garnison. Les unités territoriales étaient présentes, en tenue de treillis, autour de leur chef, le commandant Carlin. » Ainsi, dans la résolution de la crise,  le discours du général de Gaulle a été décisif. Quarante-huit après son allocution, la crise a été dénouée. Toutefois, cette première grave crise, surmontée avec brio, a été le début d’une série de coups assénés au général de Gaulle. De la tentative de son assassinat en décembre 1960 à l’attaque des Colombey-les-deux-Eglises en passant par le putsch du 21 avril 1961, chacun des ces coups a été perpétré contre sa politique et sa personne.

Boubekeur Ait Benali, 28 janvier 2010, www.hoggar.org
12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 16:34

bluff01.jpgLa dernière visite du général de Gaulle en Algérie, en décembre 1960, a été une occasion, s’il en fallait encore une, aux Algériens de montrer leur attachement indéfectible à leur patrie. Ils estimaient, en fait, qu’il était hors de question de se départir de ce sentiment, bien que les forces coloniales ne guettent que la moindre faille pour les massacrer en toute impunité. Toutefois, à la différence des précédents discours, cette fois-ci le général de Gaulle a parlé d’une future Algérie algérienne qui serait étroitement liée à la France. Ainsi, tout l’enjeu se trouvait dans la formule qui serait choisie le moment venu. Si pour les ultras, l’Algérie devait être française tout en excluant les Algériens, de Gaulle a voulu les associer à la construction de leur pays, mais en liant leur sort à la France. Quant au peuple algérien, il ne voulait adhérer ni à l’une ni à l’autre, bien que leur sympathie penchait indubitablement du côté de la deuxième alternative. Ainsi,  deux ans et demi après son retour aux responsabilités, le général a oscillé entre plusieurs positions avant d’en décider de se rendre lui-même en Algérie pour jauger les réactions des deux groupes hostiles, du moins sur la définition de la future Algérie, habitant la rive sud de la méditerranée,  les pieds noirs et les Algériens.

Accueil répulsif des pieds noirs.

Le voyage présidentiel a commencé le 9 décembre à Ain Temouchent. L’accueil des pieds-noirs a été à l’image du climat pluvieux de ce jour-là. Accompagné de ses ministres, Louis Joxe, Louis Terrenoire  et des généraux Olié et Ely, le général n’a pas eu peur d’affronter des excités opposés à sa politique. Il a même décidé de défendre crânement le projet qu’il voulait soumettre aux français de métropole, le 8 janvier 1961, sur l’autodétermination de l’Algérie. D’emblée, et avant même son arrivée en Algérie, les pieds-noirs avaient affiché leur opposition à sa visite. Par conséquent, la surveillance des aéro-clubs et des routes a été poussée à son seuil maximal. En tout cas, pour les proches du général, les activistes n’auraient jamais raté une telle opportunité pour porter un coup fatal à celui qu’ils considéraient comme le « bradeur de l’Empire ».

D’ailleurs, des personnalités hautes placées savaient pertinemment que des militants du FAF (Front de l’Algérie française) et FNAF (Front national pour l’Algérie française) dont faisait partie Jean marie Le Pen et le colonel Thomazo, étaient prêts pour le grand coup.  Voila comment Pierre Albert Lambert a relaté la préparation de ces militants et la vigilance des pros gaullistes : « Des perquisitions viennent d’être opérées à Alger après que la police eut intercepté un convoi de trois voitures qui, venant d’Oran bourrées d’armes, se dirigeaient sur Alger. Plusieurs dizaines de jeunes activistes ont disparu de leur domicile, a-t-on appris. » Toutefois, selon le même auteur, des colonels aussi étaient prêts à se mouiller. Ainsi, certains militaires, ultras et certains fonctionnaires ont scellé un accord tacite entre eux pour contrer la politique gaullienne. Car il est un secret de polichinelle que  les tracts du FAF,  pour appeler les pieds-noirs à manifester, ont été imprimés sur les ronéos du gouvernement général.

Cependant, d’Ain Temouchent le 9 décembre à Batna le 13 décembre, des slogans hostiles à de Gaulle ont été proférés par les ultras. Pour rappel, le général a écourté son voyage de 24 heures. Toutefois, lors de ce voyage, bien que le général ait toujours été ponctuel à ses rendez-vous, à  Béjaia il n’a pu commencer son discours qu’avec une heure de retard. La raison à cela était qu’à la sortie d’Akbou, les activistes ont répandu des clous dans la chaussée. Le cortège à été par conséquent contraint de s’arrêter pour réparer les roues crevées. Sur la place aussi, les militants ne cessaient pas de chanter la marseillaise pour couvrir la voix du général.

Toutefois, le général de Gaulle a tiré les enseignements en ce sens que les ultras ne cherchaient qu’à casser toute dynamique pouvant aider les Algériens à s’émanciper. Mais cette fois-ci ces ultras  ne pouvaient plus compter sur un poids de taille : la hiérarchie militaire penchait plutôt vers la politique gaullienne, bien qu’un nombre de colonels ait été prêt à croiser le fer avec le général. Pour ce dernier, Il lui restait  une oreille attentive, celle des Algériens, pour peu qu’il entende lui aussi leur envie de sortir du joug colonial.

Accueil mitigé des Algériens.

En effet, du coté algérien, la détermination du peuple à recouvrer l’indépendance du pays n’a pas fluctué tellement. Car, sur ce sujet précis, la position du peuple et celle de ses dirigeants était en parfaite symbiose, et ce depuis le début de la guerre. A Alger, les dirigeants avaient souhaité que les cellules FLN soient mises en sourdine après la répression de la « bataille d’Alger », afin d’épargner les pertes superflues en vies humaines. En revanche, au CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne) de décembre 1959-janvier 1960, le GPRA avait donné l’ordre au conseil de la wilaya 4 de recréer l’organisation FLN à Alger centre. Car le moment était opportun à la reprise des activités. Incontestablement, l’année 1960 a connu la résurgence effective de l’action du FLN. Le point culminant a été atteint en décembre 1960.

 

Ainsi, depuis le début du périple du général ayant commencé le 9 décembre à Ain Temouchent, les Algériens ont brandi les drapeaux vert et blanc à chacune des villes où il a prononcé un discours. Bien que le général ait évité de visiter les deux principales villes, Alger et Oran, les Algériens ont investi la rue pour prouver aux ultras qu’ils défendraient à fond l’indépendance du pays quitte à y mourir. Dans ces deux grandes villes, il y avait même des filles qui ont bravé le risque de périr. Cet état d’esprit des Algériens a été résumé par un ancien maquisard,  Chabane Nordine en écrivant : « En cet après-midi du vendredi 9 décembre 1960, brusquement, à la surprise de tous et à l’étonnement du général et de son entourage, ministres et chefs de l’armée, gaullistes ou non, un événement imprévu sans précédent et qui va avoir des conséquences immenses éclate sans crier gare…La sortie en masse dans les rues d’Alger, d’Oran, de Constantine et d’autres villes, faisant front contre les ultras de l’Algérie française et contre l’armée soutenant et exécutant le plan de De Gaulle, ni pour l’Algérie française, ni pour l’Algérie algérienne de De Gaulle, le peuple s’était réveillé pour trancher et dire le mot de la fin : le peuple manifestait pour l’indépendance totale, pour l’ouverture de négociations avec le GPRA. »

 

Toutefois, bien que le général ait souhaité une nouvelle Algérie étroitement liée à la France, en cette fin de l’année 1960, force est de reconnaitre que sa politique était plus proche des Algériens que des pieds-noirs. En effet, depuis son premier discours du 9 décembre où il a appelé les Algériens « à prendre des responsabilités algériennes qui correspondent à son importance, à sa valeur », les Algériens de Cherchell, Blida, Tizi Ouzou, Béjaia, Telerghma et Batna ont accueilli le général avec des slogans tels que « Vive de Gaulle, Vive Ferhat Abbas, Négociation, Algérie indépendante, etc. » Ces manifestations revêtaient une importance capitale dans la mesure où leurs représentants ont été désormais considérés comme les dignes porte-drapeau du peuple algérien.

 

En somme, de ces journées de décembre, deux conclusions peuvent être tirées. La première consiste à décrire le bilan des pertes en vie humaine. En effet, en se limitant aux sources françaises, celles-ci ont avancé les chiffres de 112 Algériens tués dont 84 à Alger. Quant aux blessés, ces derniers se comptaient par centaines. Il faut juste rappeler que lors de ces manifestations, les farouches opposants à la politique du général étaient bien sur les pieds-noirs. Pour Gilbert Meynier : «  A s’en tenir aux seules évaluations françaises, plus de neuf dixièmes des cadavres étaient Algériens alors même que c’était les ultras qui défiaient la politique gaullienne. » Ainsi, a-t-il poursuivi, jusqu’au bout, la discrimination coloniale continuait à régner dans le sang. La seconde conclusion consiste à définir le poids de chaque tendance. Ces manifestations ont conforté de Gaulle quant à la représentativité du FLN à travers les villes qu’il a visitées. Peu de temps après, il a renoncé à son intention de créer une troisième force en s’appuyant sur des personnalités compromises avec le colonialisme. Ces manifestations ont donné à coup sur un soutien populaire conduisant in fine aux accords d’Evian du 18 mars 1962.  

 

 Par Ait Benali Boubekeur, 12 décembre 2009, Le Quotidien d'Oran   

        

3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 18:41

palestine.jpgLe drame du Palestinien a commencé indubitablement le 29 novembre 1947 lorsque l’assemblée des Nations unies a adopté le plan de partage de son territoire. Bien que les sionistes aient toujours lorgné vers cette terre sainte, le soutien des occidentaux pour leur installation a été décisif. Il a permis ni plus ni moins l’implantation de la diaspora juive et la dépossession des Palestiniens de leur terre. En effet, depuis que la colonisation sioniste a pris ses quartiers en Palestine, la population autochtone a été forcée de quitter ses terres. L’exode palestinien, euphémisme pour ne pas parler de la spoliation des terres palestiniennes, a été soigneusement planifié par la milice sioniste dans le premier temps et le Tsahal dans la phase suivante. Cela dit, cette situation ne pouvait être effective sans le concours des puissances occidentales. Ainsi, pourrait-on se demander, pourquoi ces puissances européennes cherchaient-elles à rassembler la diaspora juive sur la terre d’un Etat déjà existant ? En tout cas, les raisons sont multiples. En effet, l’échec de la mission européenne au Proche-Orient et l’antisémitisme en Europe ont créé une situation explosive et en même temps alambiquée. La solution d’après eux devait à peu prés être la suivante : Pour éloigner les Juifs de l’Europe, il fallait leur fabriquer une nation. Cette situation a favorisé le mouvement sioniste qui commençait sérieusement à avoir de l’importance. Et ce grâce à l’appui indéfectible des puissances occidentales comme le démontre si bien Edward Said dans « The question of Palestine » en notant à juste titre : « Les quatre puissances [Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Russie] ont pris des engagements vis à vis du sionisme – à tort ou à raison, qu’il soit bon ou mauvais, le sionisme puise ses racines dans une tradition ancestrale – pour satisfaire ses besoins présents et ses espoirs futurs, plus importants que les désirs ou les préjugés des 700.000 Arabes vivant aujourd’hui sur cette très vieille terre. » Ainsi, décision de créer l’Etat d’Israël en Palestine a été imposée par une puissance européenne sur un territoire non européen et sans tenir compte des souffrances des habitants de cette terre. Cependant, la montée du nazisme dans les années trente ainsi que la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, qui a montré la facette antisémite de l’Europe, ont rendu la création de l’Etat hébreu inéluctable. Par conséquent, de l’avènement du sionisme jusqu’à son installation en Palestine, dû principalement à la pusillanimité de l’Europe à résoudre le problème chez elle, le combat a duré presque un demi siècle. La naissance du sionisme A la fin du XIXème siècle, peu de gens pouvait parier sur l’éclosion d’un mouvement raciste, le sionisme. Et pour cause. En 1891, sous la férule ottomane, a écrit Xavier Baron, « Juifs et Arabes coulent encore de jours heureux en Palestine, ou plutôt dans la province ottomane de Syrie. Juifs, Chrétiens et Musulmans sont égaux au sein de l’Empire ottoman. Certains juifs ont de l’influence à Constantinople et peuvent prétendre aux plus hautes fonctions. » En revanche, à l’ouest de la capitale ottomane, l’antisémitisme battait son plein. Il a commencé à se manifester notamment en Autriche et en Allemagne avant qu’il gangrène toute l’Europe. Le monde a ainsi assisté aux premiers pogroms russes et à des persécutions des juifs en Pologne et en Roumanie. Petit à petit l’Europe a été contaminée par ce sentiment. Cependant, bien que le mouvement sioniste naissant ait convoité la Palestine, à la fin du XIXème siècle la Palestine était encore paisible. Sauf qu’en Europe un homme, Theodor Herzl, s’affairait à préparer un projet qui allait bouleverser la donne au Proche-Orient. Autour de lui, le premier congrès sioniste s’était tenu à Bâle les 29 et 30 août 1897. L’objectif assigné à son mouvement était la création d’un foyer juif en Palestine, seule solution au problème incurable de l’antisémitisme en Europe. Toutefois, ce mouvement n’a pas bénéficié, au départ, de l’adhésion générale des juifs. Par ailleurs, l’avènement d’Hitler a changé littéralement la donne. En effet, seule une infime minorité des juifs était prête à abandonner l’Europe, en dépit de l’antisémitisme, pour partir en Palestine. Selon Dominique Bourel, directeur de recherche au CNRS « on ne comptera pas plus de 2000 juifs allemands en Palestine avant 1933. » Cependant, la création du fonds National Juif a aidé énormément le mouvement sioniste à s’épanouir. Celui-là avait pour mission d’acheter les terres palestiniennes grâce aux moyens dont il disposait. Tout compte fait, il s’agissait de déposséder la population palestinienne native de la quasi-totalité de sa terre en agissant par divers procédés. En somme, le sionisme s’est appuyé sur une vision colonialiste. Cette politique colonialiste est encore d’actualité sans que l’opinion occidentale s’en émeuve. D’ailleurs, leur installation ne s’est –elle pas réalisée grâce à l’appui des Européens ? Le rôle néfaste de l’Europe Au milieu du XIXème siècle, l’Europe industrialisée lorgnait déjà sur les régions sous tutelles ottomanes. Ainsi, des émissaires européens ont été envoyés continuellement en Palestine. Bien que l’Empire ottomane ait été jaloux de sa souveraineté, à cause de l’immixtion de l’Europe dans ses affaires internes en utilisant la force, plusieurs provinces ont échappé à son contrôle. En 1917, les forces britanniques ont envahi Jérusalem, capitale de la Palestine. La prise de la Palestine a été considérée plus que vitale par les Anglais afin de mieux asseoir leur emprise sur la région. Ainsi, le dépeçage de l’Empire ottoman avait ouvert la voie aux Français et aux Anglais. Un accord, connu sous le nom Sykes-Picot en 1916, avait permis de diviser le Proche-Orient en zone d’influence de la France et de la Grande Bretagne. Cette situation a stagné jusqu’à la conférence de San Rémo d’avril 1920. Certes, il y avait eu la conférence de paix à Versailles en 1919, mais celle-ci avait abouti à une impasse. Toutefois, l’accord auquel ont parvenu les congressistes a été conclu contre le peuple palestinien. Le mandat délivré par la Société des Nations a partagé le Proche-Orient entre deux puissances européennes, la France et la Grande Bretagne. Cependant, à la fin la Seconde Guerre mondiale, l’équation proche orientale était plus complexe que ne l’avait été auparavant. Il fallait rajouter l’influence réelle que le sionisme continuait à engranger. Car, selon X. Baron « à la même époque, les sionistes de Grande Bretagne qui ont les yeux tournés vers la Palestine dans l’attente de l’effondrement de l’Empire ottoman, accroissent leur pression sur le gouvernement anglais. Ils sont aidés en cela par la nomination de Sir Arthur James Balfour, sympathisant de la cause juive, au Foreign Office. » Peu de temps après sa prise de fonction, le ministre a envisagé l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les juif. Il était prêt à employer tous les moyens dont il disposait pour y parvenir. Finalement, le conseil de la Société des Nations a scellé définitivement le sort de la Palestine en confiant aux Britanniques le mandat sur cette terre tant convoitée. Ainsi, le 24 juillet 1924, le document en question a précisé dans son préambule : « Le mandataire sera responsable de la mise en exécution de la déclaration originairement faite le 2 novembre 1917 par le gouvernement britannique et adopté par les puissances alliées, en faveur de l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif… » A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Empire britannique se trouvait au faîte de sa puissance. Et au mépris de tous les droits, une commission royale a suggéré en juillet 1937 le transfert des Palestiniens hors de la zone destinée au Juifs. Néanmoins, la Seconde Guerre mondiale a retardé la création de l’Etat hébreu de quelques années. Mais une fois la guerre terminée, le plan de partage injuste a été derechef agité. Le partage injuste La difficulté du partage résidait, et continue de l’être, dans l’acception que se faisait le mouvement sioniste de son droit ancestral sur toute la terre de la Palestine. Ainsi, pour l’agence juive pour la Palestine « la terre doit être acquise en tant que propriété juive et les titres de propriété doivent être établis au nom du Fonds National Juif, aux fins d’être détenus en tant que propriétés inaliénables du peuple juif. » En gros, il s’agissait de mobiliser des sommes colossales afin d’exercer une pression sans discontinu sur les paysans palestiniens afin qu’ils abandonnent leurs terres. Bien que le peuple palestinien ait résisté autant que faire ce pouvait, mais face au forcing britannique, les puissances occidentales ont réussi à imposer leur plan de partage, et par ricochet le plan machiavélique consistant à exproprier les Palestiniens. En effet, en février 1947, Londres a décidé de soumettre le dossier de partage de la Palestine à l’ONU. L’organisation qui avait, trois plus tôt, adopté le fameux principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes a été saisie pour qu’elle installe un peuple sur la terre déjà occupée. Il y a 62 ans, jour pour jour, le 29 novembre 1947, l’ONU a voté le plan de partage sans tenir compte de l’avis des autochtones. Ainsi, par 33 voix favorables contre 10 et 13 abstentions, la Palestine a été divisée en deux. Par conséquent, les Palestiniens se retrouvaient désormais dans la cruelle alternative de céder leurs terres ou de mourir sous les balles des miliciens israéliens et du Tsahal. Toutefois, le problème de ces refugiés avait vu le jour avant même la naissance de l’Etat hébreu. Ainsi, entre décembre 1947 et juillet 1949, plus de 700.000 Palestiniens sont partis en exil, en fuite ou expulsés, a écrit Elie Barnavi, professeur émérite à l’université de Tel aviv. Toutefois, après le départ de ces refugiés, Israël a hermétiquement fermée les voies pour qu’ils ne reviennent plus chez eux. Car les terres vacantes ont été allouées entre temps à la masse d’immigrants juifs. Cette politique a été poursuivie sans relâche par l’Etat hébreu après sa naissance officielle le 14 mai 1948. Israël a pu ainsi contrôler le territoire qui lui a été accordé et même les zones situées à Jaffa et en Galilée occidentale qui revenaient à la Palestine. Du coup, un an après sa création, Israël a étendu son territoire de prés de 6000 km². Et le pire s’est produit une année plus tard. En effet, dés 1950, la Palestine n’a pas existé pendant un intervalle de temps en tant que telle. En effet, la Cisjordanie a été intégrée au royaume de Jordanie tandis que Ghaza a été placée sous le contrôle égyptien. Pour conclure, le drame palestinien s’est produit à cause de l’intervention abusive des puissances occidentales dans la région. Force est de reconnaitre que le mandat britannique n’a apporté que des malheurs. La prise en charge du dossier par l’ONU n’a pas non plus amélioré d’un iota la situation à partir de 1947. Bien qu’elle se soit engagée à respecter les droits de la population palestinienne, force est de constater que ces engagement n’ont jamais étaient imposés à l’autre belligérant pour cesser la tuerie dans les territoires occupés. En revanche, et c’est un fait indéniable, ce mandat a créé les conditions favorables à la spoliation des palestiniens. Car si les engagements, pris par les principales puissances, avaient été tenus, les Palestiniens auraient pu retrouver la paix depuis des lustres. Mais tel n’est pas le cas. Car, selon X. Baron, « l’arrivée au pouvoir du Likoud, parti de droite, en 1977, donnera lieu à une utilisation obsessionnelle de la shoah pour asseoir la politique belliqueuse d’Israël. » Bien que l’Etat palestinien soit désormais un fait incontournable, la réalité sur le terrain est désolante. Cet Etat est encerclé par des colonies et les patrouilles militaires incessantes. Mais quelle serait la réaction des occidentaux si les données étaient inversées ? Boubekeur Ait Benali 29 novembre 2009 < Précédent Commentaires 0 # La recommandation 181 II — Odile 21-11-2010 21:29 « Le 29 novembre 1947, ne respectant pas leur Charte, sous l’influence conjuguée aux objectifs contradictoires de Truman, Staline, celle aussi de « la France » et, évidemment sous l’influence des sionistes de droite et de gauche de la planète (pas seulement futurs Israéliens) partisans d’un état exclusivement habité par des Juifs ou se croyant de vieille ascendance trimillénaire telle, trente trois pays membres de l’assemblée générale de l’ONU sur cinquante-sept (alors que d’autres auraient dû légitimement en faire partie) votèrent officiellement « Oui » pour la recommandation (seulement et pas la prescription contraignante), d’un plan de partage de la Palestine (sans consultation par referendum des autochtones). Une partition en trois territoires (et, en fait géographiquement, huit unités territoriales), dont celui à statut international des Lieux saints, clause absolument essentielle pour l’obtention de plusieurs votes et clause que les sionistes n’avaient pas plus l’intention de respecter que les trois autres, un état juif, une état dit arabe et une union économique. Sachant que la majorité requise pour valider les votes de l’assemblée géénrale de l’ONU était des deux tiers (mais paradoxalement) des seuls votants « Oui » ou « Non », et que trois voix indispensables furent extorquées par chantage, alors que celles de quatre pays étaient, de fait, mues par le grand frère soviétique, et également qu’au moins deux autres voix de l’Amérique centrale (Costa-Rica et Guatemala) furent achetées comme en attestent des archives de l’anomalie étatique sioniste. Soit donc, en réalité, moins de 25 « Oui » sur 56 possibles.» Evidemment ça n’est pas très court par rapport à l’ultra-désinformant : « Novembre 1947 : l’ONU décide le partage de la Palestine en un état juif et un état arabe » ! Mais plus de brièveté entraîne automatiquement une conceptualisation erronée aux graves dépens des Palestiniens patriotes, parce que les sionistes invoquent constamment hypocritement leur légitimité sur la base de ce vote faussé.

Par Ait Benali Boubekeur,3 décembre 2009, Le Quotidien d'Oran

1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 16:10

32061_vignette_Ben_fln_aln_page_accueil.jpgLe déclenchement de l’action armée, le 1er novembre 1954, a été indubitablement, pour les Algériens, le point de départ d’une nouvelle ère. En effet, la révolution naissante s’inscrivait en totale rupture avec l’ancien régime, la domination coloniale. Bien que l’occupation du pays ait été longue et douloureuse, les Algériens de leur côté ont refusé d’entériner le fait accompli : la soumission pure et simple aux lois du conquérant.  Ainsi, les Algériens avaient résisté militairement, jusqu’au début du XXème siècle, à la conquête de leur pays, et ce de façon ininterrompue. A partir du milieu des années vingt, une nouvelle forme de combat a été envisagée par les nationalistes. C’était l’avènement du combat politique. Néanmoins, une partie de la population était réticente à cette forme de lutte. Et même au sein du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD (le Parti du Peuple Algérien – le Mouvement de triomphe des Libertés démocratiques), ceux qu’on appelait alors les durs étaient opposés à la moindre compromission avec le colonisateur. Cette catégorie, pour imposer sa vision, avait du pain sur la planche, aurait-on dit en hexagone. Car, il y avait le système colonial répressif, d’un côté, et il y  avait certains militants nationalistes disposés à jouer le jeu politique, de l’autre côté. Mais aussi, il fallait organiser une société meurtrie par la domination effrénée des plus réactionnaires des Français, les colons. L’historien, Mohamed Harbi, a décrit la situation des Algériens avant le déclenchement de la guerre de libération en notant à juste titre : « A la fin du siècle [Il entend le XIXème siècle] la destruction de la société est achevée. Sous les coups des expropriations de terre et des effets de la distribution la société algérienne s’effondre.»

 Cependant, la question qui se posait à ce moment-là était de savoir à quel parti fallait-il faire confiance pour recouvrer l’indépendance nationale ? En effet, plusieurs partis ont fait leur apparition sur la scène politique. Mais un seul d’entre eux, le PPA-MTLD, revendiquait sans ambages l’indépendance nationale et la lutte armée comme moyen d’y parvenir. Mais lorsque ce parti a connu sa plus grave crise, à partir de 1953,  opposant le président Messali aux membres du comité central, les activistes ont réussi à rassembler le peuple sous l’égide d’un seul parti, le FLN (Front de Libération Nationale). Ce parti a su transcender les difficultés en tirant sa force dans en moins deux aberrations de l’époque : les injustices de l’occupant et les limites du combat politique.

1-    Echec de la politique coloniale

Le système colonial n’était pas philanthropique comme le supposaient ses concepteurs. Son action était dirigée dans le sens de l’exploitation des diverses ressources, humaine et matérielle, dont disposait le pays conquis. Du coup, on peut l’affirmer sans avoir le moindre  doute que la colonisation française  n’avait pas pour objectif d’assurer l’épanouissement de la nation algérienne. En effet, pour aider un pays à se développer, il faudrait que l’effort de scolarisation et de formation soient tout de même importants. Or, et c’est là que le bât blesse, le résultat sur ce point a été  plus que décevant. Bien qu’il ait eu des écoles pour les « indigènes », 94% chez les hommes et 98% chez les femmes étaient illettrés en français, la majorité des colons était contre cet effort de scolarisation. Certains colons étaient moins opposés à la scolarisation des Algériens à condition qu’il puisse tirer un avantage de cette entreprise. Dans «  Algérie : histoire contemporaine », Benjamin Stora a noté à ce propos : « Certains représentants des colons considèrent que l’instruction des indigènes fait courir à l’Algérie un véritable péril. Ils suggèrent, en 1884, que l’enseignement doit avoir pour but de procurer aux colons des valets de ferme, des maçons et cordonniers adroits. » Par conséquent, poursuit-il, en 1954, sur 1250000 enfants d’âge scolaire chez les Algériens musulmans, plus de 100000 reçoivent l’instruction primaire dans 699 écoles. Chez les Européens, 200000 enfants se rendent dans 1400 écoles.

Par ailleurs, depuis que l’Algérie a été proclamée « terre française », les Algériens ont perdu leurs terres arables au profit des colons. Les chiffres auxquels faisaient allusion Charles Robert Ageron sont hallucinants. Dans son livre « histoire de l’Algérie contemporaine », il a avancé des chiffres qui étayent, si besoin est, la domination colonialiste : « En 1954, la colonisation possédait 2726000ha, répartis entre 22037 exploitations…6385 exploitants possédaient à eux seuls 2381900ha soit 87% des terres de la colonisation et obtenait 70% des revenus bruts. Au total, l’agriculture européenne qui intéressait moins de 10% de la population européenne percevait 55% de la valeur de la production algérienne totale (production animale et végétale), et 60% de la production végétale seule. » Ainsi, avec d’autres bourgeois dans l’industrie, ces derniers ont pu constituer un lobby très puissant. A mainte fois, ils ont réussi à influencer la décision de Paris sur de nombreux sujets.

De l’autre côté, une population neuf fois supérieure nageait  dans des difficultés multiformes. A l’accaparement de ses terres par une minorité colonialiste, il s’y ajoutait l’absence totale des investissements dans les régions où il n’y avait pas de colons. En un mot, il n’y avait aucune perspective politique d’avenir. Et le risque de ne pas voir la naissance de leur Etat compromise, quand ces représentants n’arrivaient pas à dépasser les querelles partisanes, a découragé la base.

2-    L’impossible aboutissement politique

La France a célébré, en 1930, le centenaire de la colonisation en grande pompe. Cette manière humiliante a provoqué une onde de choc ayant heurté véritablement la sensibilité des Algériens. Ainsi, en étant exclus de la cité française (pour reprendre l’expression de Harbi), les Algériens n’avaient d’autres alternatives que de construire leur propre Etat garantissant à  tous ses enfants les droits élémentaires. Et surtout, ils devaient le construire en mettant en avant leur propre identité. Car les différents statuts qui ont régi la colonie jusque-là étaient tous impartiaux, y compris celui de 1947. Celui-ci a été élaboré pour récompenser l’effort de guerre des Algériens à la libération de la France lors de la seconde guerre mondiale. Malheureusement, le statut a sauvegardé, de façon substantielle, les intérêts de la colonisation. A la découverte de son contenu, les Algériens l’ont jugé injuste et inacceptable. Cette hostilité a boosté les électeurs à offrir leurs voies aux partis nationalistes en leur donnant une victoire écrasante aux élections locales d’octobre 1947.

Par ailleurs, la période qui a suivi ces élections n’était pas de nature a encouragé la poursuite du combat politique. En effet, le gouverneur de l’époque, Yves Chataigneau, jugé trop libéral par les colons, a été remplacé par le socialiste Edmond Naegelen. Son nom est désormais associé au trucage des élections. En tout cas, il a permis la victoire aux élections du second collège à 41 des 60 candidats de l’administration. Il faut rappeler que le parlement, selon le statut de 1947, comprenait deux collèges. Le premier collège regroupait 522000 personnes de statut civil français et le second comprenait, quant à lui, plus de 1500000 Algériens âgés de 21 ans au plus. Le jour du vote, Naegelen a faussé le jeu électoral en procédant au bourrage, sans vergogne, des urnes. Dans les grandes villes comme Blida, Cherchell, ce sont des urnes déjà pleines, a écrit Y.Courrière, que l’on a apporté au matin du 4 avril. A  Ain El Hammam,  l’administration n’a pas jugé opportun de convoquer les électeurs. Le paroxysme a été atteint lorsque 36 des 59 candidats du PPA-MTLD ont été arrêtés. Ainsi, si le statut quo arrangeait les colons, les nationalistes ont été submergés par le désespoir abyssal. Toutefois, la tergiversation des dirigeants a retardé moult fois  l’échéance.

En revanche, depuis le premier congrès du PPA-MTLD (février 1947), une partie des militants ne croyait plus à la politique de replâtrage. Regroupés au sein de l’OS (organisation spéciale), ces durs ne pensaient qu’à en découdre avec le système colonial. Ce moment est survenu lorsque le comité central a décidé de participer à la gestion des municipalités avec des représentants modérés de la colonisation tel que Jacques Chevalier, maire d’Alger. En septembre 1953, Messali, président du parti, a exigé les pleins pouvoirs pour redresser le parti. A partir de décembre, la base s’est saisie du sujet. Comment ressouder les rangs du parti était la question qui préoccupait la base ? Entre messalistes et centralistes, les activistes ont proposé une voie qui répondait plus à leurs desiderata : la lutte pour l’indépendance. 

 

3-    L’action armée pour surmonter la crise

 

L’échec du combat politique a donné raison plus tard aux tenants de la troisième voie. Bien qu’ils aient été militants du parti, les politiques essayaient, autant que faire se pouvait, de les éloigner de la vie du parti. Ils ont même été interdits de participer au congrès du PPA-MTLD en 1953. De 1947 à 1954, faute de ligne claire, le PPA-MTL vivait en état de crise, a estimé Mohamed Harbi.

Cependant, bien que l’organisation spéciale ait été dissoute en 1950 pour protéger le parti, après son démantèlement par la police française, le conflit opposant Messali au comité central a permis le retour sur scène des ossistes.  En effet, le 23 mars 1954, une réunion à l’école al Rachad a donné naissance au CRUA (Comité Révolutionnaire pour l’Unite et l’Action). Selon Gilbert Meynier, dans «  histoire intérieure du FLN », l’orientation du CRUA avait pour mission de réunir toutes les tendances du mouvement national en vue de préparer le passage à l’action armée. Leur dénominateur commun était la lutte armée pour parvenir à l’indépendance du pays. En revanche, sur les responsables du déchirement du mouvement national, les activistes ne désignaient pas un seul responsable. Si la plupart des activistes n’estimaient pas opportun d’accorder les pleins pouvoirs à Messali, les maquisards du Djurdjura, à leur tête Krim Belkacem et Ouamrane, étaient plus proche de ce dernier. Ce qui expliquerait leur absence à la réunion des 22, tenue le 25 juin 1954 à Alger, bien que, dés mai, la liaison ait été établie avec eux.

Cependant, une fois les derniers détails ont été peaufinés, l’Algérie s’est réveillée le matin du 1er novembre 1954 avec une série d’actes visant les intérêts de la colonisation. Ainsi, de l’est à l’ouest, une trentaine d’attaques ont été perpétrés concomitamment sur le territoire national. La coordination des actes ne pouvait pas ne pas renseigner les responsables coloniaux sur l’étendue de l’organisation. C’était en fait l’empreinte du parti qui a permis au peuple algérien de se libérer du carcan colonial. En revanche, cela ne pouvait pas se réaliser sans la grande participation du peuple qui n’attendait que le moment propice. Car, selon Harbi, le terrain était favorable. Pour lui : « la base ne pensait qu’à l’action. Pour cette raison, toute entreprise qui pourrait rompre avec le byzantinisme où s’enfonçait les discours avait des chances de succès ». Finalement, malgré la division tant douloureuse des politiques algériens au sein du principal parti nationalistes, l’histoire ne retiendra que l’immense œuvre de ses meilleurs fils : la libération du pays.

                                           Par Ait Benali Boubekeur, 1 novembre 2009

20 août 2009 4 20 /08 /août /2009 15:05

20-08.jpgDés le début de la guerre d’Algérie, il apparaissait nettement que toute solution modérée était renvoyée aux calendes grecques. D’ailleurs, la déclaration du ministre de l’intérieur français  de l’époque, François Mitterrand, était péremptoire: « la seule négociation, c’est la guerre. » Quelques mois plus tard, une instruction ministérielle de Bourges-Maunoury ne laissait-elle pas les coudées franches aux militaires pour étouffer la révolution algérienne dans l’œuf ? Cette instruction du 1 juillet 1955 se terminait ainsi : « l’apparition d’une bande doit provoquer le feu de tout l’armement disponible…. Enfin, le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir. »   Ainsi, hormis les suppôts de la colonisation, ces deux mesures signifiaient,  grosso modo,  que le peuple algérien  et son armée de libération nationale(ALN) étaient  désormais  soumis aux mêmes lois de la guerre. Par conséquent,  face aux événements en cours, il était  clair, pour les combattants,  que leur salut ne pouvait survenir qu’en constituant un rapport de force supérieur à celui du colonisateur.  Pour ce faire, il fallait développer une violence supérieure à celle de l’ennemi pour l’amener à des concessions. Frantz Fanon l'a définie en ces termes : « C’est l’intuition qu’ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire, que par la force. »

Cette mobilisation générale s’est concrétisée dans le Constantinois, le 20 août 1955. Cette adhésion massive  a marqué de son empreinte la naissance de la « révolution populaire ». Depuis ce jour-là,  la coupure entre les deux communautés, pied-noire et algérenne, qui était déjà béante,  devenait alors irréversible. Fidèles à leurs réflexes de dominants, les colons ont exigé des autorités coloniales  une répression aveugle. De leur coté, les Algériens, en bravant la mort,  ont rejoint en masse le mouvement pour l’indépendance nationale. Pour  Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN », le peuple était conscient des sacrifices faits en son nom : « Désormais, le peuple était solidaire d’une ALN qui avait gagné en prestige. »  Cependant, les événements de la zone2 –le terme Wilaya est apparu un an plus tard- ont eu lieu selon l’acception que se faisait son chef, Zighout Youcef, de la « révolution populaire ». Un témoin de l’époque, Salah Boubnider, en parlant de la stratégie à adopter, préconisée par Zighout Youcef,  a raconté ceci : « Ce n’est pas à nous de libérer le peuple, nous ne faisons que l’organiser et l’encadrer, la responsabilité lui revient de se libérer lui-même.» 

Par ailleurs, depuis  la mort de Didouche le 18 janvier 1955, les nouveaux dirigeants du constantinois avaient entrepris  un travail de réorganisation de leur zone. Et l’un des contacts  qui restait à Zighout, après la mort de son chef hiérarchique, avec Alger,  était Rabah Bitat, colonel de la zone4. Après l’arrestation de celui-ci, en mars 1955, Zighout Youcef se trouvait dans la cruelle obligation de se passer des directives d’Alger. Il n’avait pas, en revanche,  de difficulté à choisir son adjoint,  Ben Tobbal. Cet ancien de l’OS (organisation spéciale) avait pris le maquis dés 1950. A deux, ils avaient sérieusement  du pain sur la planche. Pour leur première tâche, ils ont décidé d’effectuer un travail de recrutement jusqu’au 1er  mai 1955 sans qu’aucune  action d’envergure ne soit lancée. Le but était d’être  fin prêt pour les manifestations historiques des 1ers et 8 mai. Malheureusement, la  célébration du dixième anniversaire, comme en 1945, a donné lieu à une répression inouïe des manifestations. Bien que celles-ci se soient limitées aux centres urbains, le constantinois, en général,  a été passé au peigne fin par l’armée française.  Les paras n’ont pas dérogé, comme à l’accoutumée,  à leur vocation répressive. Cela étant, la répression aveugle a décidé les plus réticents à rejoindre le FLN. Désormais, pour les chefs constantinois, la guerre devait être faite à tout ce qui symbolisait la colonisation. Les colons et leurs acolytes n’étaient pas épargnés. Il fallait s’attaquer de front à l’oppression,  a écrit Albert Memmi, puisqu’il était impossible de la contourner : « Après avoir été si longtemps refusé par le colonisateur, le jour est venu où c’est le colonisé qui refuse le colonisateur. »  Toutefois, de ces journées de mai 1955, il y avait au moins une satisfaction pour les chefs Constantinois : le début du ralliement des autres formations politiques au FLN.

Ainsi, à la veille des événements du 20 août 1955, le travail de recrutement et de réorganisation de la zone2, accompli par Zighout, a porté ses fruits. Les effectifs ont presque triplé et chaque combattant avait en sa possession une arme. Désormais, les conditions d’une action d’envergure étaient  réunies. La date de la manifestation populaire  a été fixée pour le 20 août à midi. Les cibles étaient à la fois militaires et civiles. En somme, il fallait s’attaquer à tout ce qui avait un lien direct ou indirect avec la colonisation. Voila comment G.Meynier a décrit la stratégie de Zighout : « il fallait se débarrasser de tout ce qui risquait de pérenniser un statu quo où, d’une manière ou d’une autre, le colonisateur continuerait à exister et à dominer, même par une bienveillance et un paternalisme, qui étaient d’autant plus dangereux. »  Cependant, le 20 aout 1955, en fin de matinée,  sur une trentaine de points du constantinois, plusieurs milliers de paysans, accompagnés de femmes et d’enfants ont lancé des attaques simultanées contre des objectifs civils et militaires. C’était le cas à El Kharoub où des Algériens ont attaqué un poste militaire. Cinquante trois (53) d’entre eux  ont laissé leur vie. Contre les objectifs civils, les attaques des villages d’Abdi et d’El Halia étaient les plus meurtriers  pour les Français. Les pertes en vie humaine étaient respectivement de 71 et 34 personnes. En revanche, la contre attaque a été terriblement plus violente que celle effectuée par des paysans encadrés par  l’ALN. Ainsi, policiers et paras ouvraient le feu sur tout Algérien rentrant dans leur ligne de mire. Le soir du 20 aout, selon Y.Courrière, il y avait 1273 morts algériens et plus de mille prisonniers. Il a ajouté plus loin : « le premier instant de panique passé, les Européens sont armés. On tire sur tout ce qui est bronzé, porte un chèche ou un voile. » Dans cette mascarade, Skikda (ex Philippeville) a enregistré  le plus lourd tribut  avec au moins 2000 morts. Le chef de file de la répression  n’était autre que le maire de la ville Banquet-Crevaux. En haranguant la foule déchainée, le maire ne disait-il pas : « Tuez-les tous. Dieu ou Allah reconnaitra les siens ! » Un ordre similaire a été donné par le commandant de la région d’El Halia, Paul Aussaresses. Interrogé par l’historien Patrick Rotman sur les événements du 20 aout, il a répondu: « j’ai fait aligner les prisonniers, aussi bien les fells que les ouvriers musulmans qui les avaient aidés. J’ai passé les ordres moi-même.  J’étais indifférent : il fallait les tuer, c’est tout, et je l’ai fait. » Au total, il y avait en moyenne 100 Algériens tués pour un Français assassiné. Pour Albert Memmi, la répression du  colonisateur contre le colonisé a toujours été la même, que ce soit en temps de guerre ou pendant la domination tout court: « Pour un colonisateur tué, des centaines, des milliers de colonisés ont été, ou seront exterminés. L’expérience a été assez souvent renouvelée – peut-être provoquée – pour avoir convaincu le colonisé de l’inévitable et terrible sanction », a-t-il écrit dans  « Portrait du colonisé précédé de portrait du colonisateur ».  

En guise de conclusion, les cibles de ce mouvement étaient  tout ce qui symbolisait le système honni. Bien qu’ils aient attendu une contre attaque plus terrible, les Algériens ont su qu’il ne restait plus rien à espérer d’un système colonial obsolète.  Mais aussi pouvaient-ils procéder autrement ? Pas vraiment si on lit ce qu’a écrit Jean Paul Sartre, dans la préface du livre d’Albert Memmi : « Quand un peuple n’a pas d’autre ressource que de choisir son genre de mort, quand il n’a reçu de ses oppresseurs qu’un seul cadeau, le désespoir, qu’est-ce qui lui reste à perdre ? C’est son malheur qui deviendra son courage ; cet éternel refus que la colonisation lui oppose, il en fera le refus absolu de la colonisation. »

                                  Par Ait Benali Boubekeur, 20 aout 2009, Le Quotidien d'Oran

Contactez-Moi

  • : Blog AIT BENALI Boubekeur
  • : L’école algérienne ne s’est pas attelée, en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, à la transmission du savoir. L’idéologisation de l’école l’a emporté sur les impératifs de la formation. Or, les concepteurs de ces programmes préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles occidentales. Du coup, la connaissance de l'histoire ne passe pas par l'école.
  • Contact

  • Ait Benali Boubekeur
  • Il est du devoir de chaque citoyen de s’intéresser à ce qui se passe dans son pays. C'est ce que je fais modestement.

Recherche

Catégories