Par Amar Cheballah
Finalement le général de Gaulle qui répondait ainsi à son ami Bernard Tricot qui déplorait les Accords d’Evian : « T’en fais
pas. Ce qu’on leur a donné de la main gauche aujourd’hui, nous le récupérerons de la main droite d’ici un demi siècle au plus tard », n’est pas loin de la vérité. Mais bon dieu sur quel critère
s’est donc basé l’homme du 18 juin pour tenir des propos qui allaient s’avérer un demi-siecle plus tard plus que vrai ?
Nous sommes redevenus des indigènes. Nos richesses sont pillées contre de petits boniments lancés par la France officielle à
l’endroit de ce qui semble être encore une autorité algérienne. Tenez, par exemple ce matin, dans leurs rapports, les services secrets français qui exhortent leurs ressortissants à quitter au
plus vite la Libye, la Tunisie et la Somalie, félicitent l’Etat algérien pour les efforts qu’il a consentis dans la lutte contre le terrorisme. Et qui sont donc ces terroristes qui font trembler
les grandes puissances qui s’apprêtent à gagner la conquête de l’espace pour assurer la survie de leurs peuples ? Un borgne, Ya Ali ! Un borgne qui fait trembler le monde. Mais ne dit-on pas
qu’un borgne est roi au pays des aveugles ! Ne trouves tu pas étrange tout cela ? Des puissances qui ne peuvent rien devant un borgne, c’est tout de même étrange tout cela !
Je ne sais pas, tu as beaucoup de chance. Tu es parti au bon moment. La providence t’a épargné le supplice d’être le témoin
désabusé d’une sale époque. Vraiment, le sort t’a gâté, comme il a gâté Yacine, Mammeri , Baya, Dib, Belounes, Debaghine, Daniel, le lieutenant irakien… Vous êtes tous partis au bon moment. Je
sais que tu n’aimes pas Feraoun, mais il avait raison de dire que « nos amis d’aujourd’hui seront pire que nos ennemis d’hier ». D’ailleurs, je plains Mehsas et Ait Ahmed. Ils vont voir l’œuvre
du 1er novembre tomber en décrépitude sans pouvoir faire quoi que ce soit. Les pauvres !
Lors de ton procès devant les généraux français qui t’ont condamné à mort avec Abdellah Fadhel, Laichaoui Med, Zabana et Yves
Ton, tu as dit « nous sommes des révolutionnaires qui militent pour la liberté et la démocratie et non des terroristes comme vous le prétendez ». Et tu as refusé de demander pardon à la France.
Tu avais à peine vingt ans lors de ce procès. Aujourd’hui, on ne sait plus qui on est et que veut dire le mot révolutionnaire. Quand on n’est pas prédateur et imposteur, on est forcement dans le
camp des aliénés qui n’ont plus le droit d’écrire, de réfléchir ou de penser. Si par malheur il t’arrive de penser, tu seras vite catalogué de terroriste et accusé de travailler pour un clan
occulte. La suspicion et la trahison règnent partout. L’Algérie n’a plus rien, ni partis politiques, ni élites intellectuelles, ni élites artistiques, ni école, ni justice. Nous ne savons à qui
nous appartenons tellement nous n’avons aucun repère et aucune identité. Quand on ne sait plus qui on est, on devient indigène.
Je ne veux pas te faire mal. Mais tu me connais bien : j’ai une grande gueule. Je ne sais pas retenir mes sentiments et mes
émotions. Quand je ne dis pas ce que je pense je deviens malade à en mourir. Pour te protéger- je sais que tu vas me haïr plus que jamais de ta tombe- et protéger toutes les femmes, tous les
hommes et tous les enfants du 1er novembre, je dis toujours à mes filles que le 1er novembre n’a jamais existé. Ait Ahmed, Khider, Boudiaf , Diddouche, Abane, Laghrour, Chihani, Krim, Ouamrane,
Mellah, Zighout, Benboulaid, Hassiba, Baya, Kateb, Fanon, Haddad, Issiakhem, Dib, Djebbar, Mammeri…n’étaient qu’un rêve qui a bercé pendant quelques instants notre imaginaire collectif. Mais oui,
lorsqu’on est un révolutionnaire, on n’a pas le droit d’exister dans une patrie de cochons. J’ai raison Ya Ali.