
Depuis le recouvrement de la souveraineté nationale, la vie politique algérienne est dominée par un régime militaire. À vrai dire, avant même que le cessez-le-feu ne soit décrété, un groupe d’officiers, installés aux frontières, a décidé d’imposer sa volonté à un peuple exsangue par plus de 7 ans de guerre.
Toutefois, les Algériens n’ont pas attendu le 20 avril 1980 pour s’opposer à l’un des pires régimes politiques au monde. Ainsi, dès le 20 septembre 1962, le premier parti d’opposition a été créé par Mohamed Boudiaf. Bien que d’autres opposants aient donné la chance aux nouvelles institutions, le non-respect des règles élémentaires de la démocratie –le point de rupture étant la rédaction de la première constitution du pays dans une salle de cinéma –les a poussés à rentrer dans une opposition radicale. C’est le cas du FFS à partir du 29 septembre 1963.
Cependant, malgré la victoire au forceps du régime sur ces mouvements d’opposition –il faut attendre février 2019 pour que les Algériens conjuguent leurs efforts au sein du même mouvement –, les activités politiques n’ont pas disparu. Bien qu’elles connaissent des hauts et des bas, depuis 1978, le bras droit de Hocine Aït Ahmed, maitre Ali Mécili, a fait adopter, dans un séminaire tenu dans la région grenobloise, une plateforme où les revendications politiques et culturelles devaient être portées sur le terrain par la nouvelle génération.
De retour en Algérie, ces militants ont suivi minutieusement le plan. Pour la plupart de ces jeunes universitaires, il fallait mener ce combat, en priorité, à l’université. Du coup, dès la rentrée 1979/1980, les partis d’oppositions, en l’occurrence le FFS et le PRS, étaient largement représentatifs au sein de l’université de Tizi Ouzou. D’où la création des comités autonomes pour contrecarrer les syndicats du régime et son fidèle allié, le PAGS.
Quoi qu’il en soit, sans la stupide interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri sur « la poésie kabyle ancienne », à l’université de Tizi Ouzou, le 10 mars 1980, les événements ne se seraient peut-être pas précipités. Bien entendu, il ne s’agit nullement d’enlever quoi que ce soit au mérite des animateurs du 20 avril 1980. Car, quoi qu’en puisse épiloguer sur la portée de ce mouvement, cette date représente une réelle fissure dans l’édifice du parti unique.
Et pour cause ! Après deux décennies du règne chaotique du parti unique, les Algériens n’attendaient que le moment idoine pour se débarrasser de la dictature. D’ailleurs, ce mouvement pour le changement démocratique a été imité par les autres régions du pays, à l’instar d’Oran et Saida en 1982, Annaba en 1983, Casbah en 1985, Constantine et Sétif en 1986, etc. L’addition de ces mouvements a conduit incontestablement au premier printemps algérien en octobre 1988. Hélas, le régime a su déjouer tous ces mouvements. En usant de la répression sauvage, beaucoup de compatriotes ont renoncé à la lutte…jusqu’à une date qui restera mémorable, le 22 février 2019.
Pour conclure, il va de soi que le printemps berbère est le prolongement du mouvement national. Les principaux acteurs y demeurent attachés à ce récit national. Bien qu’une brebis galeuse ait voulu privatiser cette grande date, force est de reconnaître que la portée de ce mouvement dépasse largement ses calculs absurdes.
Dans le fond, toute démarche qui ne s’inscrit pas dans le renforcement de l’union nationale est une pure trahison du 20 avril 1980. C’est ce que rappelait magistralement Mouloud Mammeri dans sa réponse au journal El Moujahid en juin 1980 : « Nous sommes cependant quelques-uns à penser que la poésie kabyle est tout simplement une poésie algérienne, dont les Kabyles n’ont pas la propriété exclusive, qu’elle appartient à tous les Algériens. » Depuis le 22 février 2019, cette citation se vérifie partout dans le territoire national. Et c’est ce qui fait la force du hirak, contrairement à tous les mouvements antérieurs.