3 mai 2011 2 03 /05 /mai /2011 21:56

Hocine Aït Ahmed est président du Front des forces socialistes (FFS), parti à la base populaire affirmée en Kabylie. Membre fondateur du Front de libération nationale (FLN), il défend le multipartisme dès 1962 et devient le symbole d'une opposition démocratique sans faille. Agé de soixante-quatorzeans, il poursuit aujourd'hui son combat politique depuis son exil en Suisse.

"Alors que la tension semblait retomber un peu en Algérie, vous avez lancé, mercredi, un avertissement à la communauté internationale, évoquant un possible bain de sang. Y a-t-il des éléments nouveaux qui expliquent cette inquiétude grandissante?

 – Nous ne cessons, depuis des années, de mettre en garde sur les risques d'explosion en Algérie et en Kabylie. On a trop voulu se fier aux apparences età l'image que veulent donner d'eux le pouvoir et Bouteflika, en négligeant la souffrance des Algériens. On a trop voulu croire qu'ils pourraient indéfiniment accepter de ne pas être considérés comme des hommes dans leur propre pays, de mourir de faim, quand des fortunes immenses s'étalent avec arrogance. On n'a même pas voulu donner un sens aux suicides qui se multiplient dans le pays et qui sont le signe d'une immense détresse sociale.

Sous prétexte des atrocités commises par les islamistes, on a fermé les yeux sur les exactions commises par les forces de sécurité sur une population désarmée, sur l'humiliation, la "hogra" (l'abus de pouvoir), sur les résultats frauduleux des élections. Il ne faut pas s'étonner que le meurtre d'un innocent dans une gendarmerie soit la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Cette révolte s'est exprimée d'autant plus violemment que les provocations – celles des gendarmes notamment – n'ont pas cessé. Tout ce à quoi on refuse la libre expression publique ne disparaît pas pour autant. Il y a la ruse de l'histoire, les peuples procèdent à leur propre maturation à l'abri des dictateurs.

 – Le pouvoir vous semble-t-il avoir pris la mesure de l'avertissement que vient de lui lancer la population?

 – Ce qui manque le plus à la réflexion et à l'action du pouvoir algérien, c'est le sens des responsabilités. Ceux qui sont à la tête de l'Etat sont irresponsables car ils n'ont jamais rendu de comptes à qui que ce soit. Prenez le discours de Bouteflika, en essayant de passer sur le dérisoire, voire l'insultant, qu'il y a à annoncer, après douze jours de silence, des dizaines de morts et des centaines de blessés, la constitution d'une commission, classique des pratiques staliniennes. Le chef de l'Etat ne pouvait pas mieux démontrer la rupture totale, éclatante, du pouvoir d'avec la population. Comment peut-il s'adresser aux Algériens sans rien avoirà leur proposer?

– S'agit-il d'une question d'âge, de génération, comme le dit Saïd Saadi, du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD)?

 – Je pense qu'en effet, la majorité écrasante des jeunes sont marginalisés, frappés de plein fouet par les tueries, la guerre et la misère galopante. Pour toutes ces raisons, ils se fichent de la révolution et du passé. Ils veulent leur présent, ainsi que leur avenir. On leur a d'abord volé leur passé. Quand ils ont vu que la mémoire était truquée, ils ont préféré provisoirement y renoncer. On leur a rendu la vie impossible: rafles, exécutions extrajudiciaires, assassinats de la part des groupes armés, mais aussi confiscation de la parole.

Quand on prive un individu de tout moyen et lieu d'expression, comment peut-il exprimer autrement son ras-le-bol que par la violence? D'autant plus qu'il a le sentiment que seule, la violence est payante. Certains éléments de l'Armée islamique de salut (AIS) ont été amnistiés, alors que la loi sur la concorde civile était supposée refuser l'impunité aux auteurs de crimes de sang, de viols, etc.

La responsabilité du pouvoir est totale : dès l'indépendance, il a confisqué le droit à l'autodétermination des Algériens. La Constitution, en 1963, n'a pas été élaborée par l'Assemblée constituante comme prévu, mais par une petite nomenklatura potentielle. Et depuis lors, l'Algérie n'a eu que des constitutions faites sur mesure, au gré des intérêts des présidents successifs.

 Et voilà qu'aujourd'hui, Bouteflika essaie de faire passer l'idée d'une nouvelle constitution! Eh bien, nous nous battrons pour que les Algériens ne se voient pas confisquer, une fois encore, le droit d'avoir des droits.

 – Quelles sont les premières mesures qu'il faudrait prendre, à votre avis, pour désamorcer durablement la tension en Kabylie?

– La première d'entre elles, ce serait le retrait de la gendarmerie. Depuis longtemps, les gendarmes se livrent à des opérations de racket auprès des gens, selon leur libre arbitre. Ils appliquent une politique destinée à exacerber le mécontentement et à inciter à la violence.

– Quelles seraient les autres priorités?

 – Il n'y a pas d'autre perspective que d'annoncer un retour à la transition démocratique. Toutes les guerres finissent par une discussion. Nous voulons que celle-ci soit transparente. Il faut s'asseoir autour d'une table, tous ensemble, y compris avec l'armée. Nous n'avons jamais été contre elle, au contraire: nous avons toujours voulu associer le pouvoir réel à une solution politique. C'était le but du contrat national de Rome.

– Que pensez-vous du retrait du RCD de la coalition gouvernementale?

– Il n'est sans doute jamais trop tard pour s'apercevoir que le soutien inconditionnel à un pouvoir totalement coupé du peuple ne mène pas loin. En revanche, une surenchère quelconque pour récupérer le ras-le-bol risque d'aggraver un peu plus la situation.

– Vous avez appelé mercredi plusieurs personnalités, dont le secrétaire général des Nations unies et le président du Parlement européen, à intervenir pour "empêcher l'irréparable" en Algérie. Qu'attendez-vous de leur part?

– J'ai lancé cet appel pour prévenir tout dérapage, et pour que les autorités algériennes se sentent mises au pied du mur. Qu'elles assurent l'ordre et la sécurité intelligemment, en particulier pendant les deux manifestations de jeudi après-midi. Cela dit, je persiste à penser que le problème algérien se réglera entre Algériens, et en Algérie. Le but n'est pas, je le souligne avec force, de réclamer quelque intervention extérieure que ce soit. Mais qu'on n'abandonne pas éternellement les Algériens à leur sort. Il s'agit simplement de ne pas prolonger la guerre en assurant l'impunité absolue aux généraux."

 Propos recueillis par Florence Beaugé

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