25 mai 2014 7 25 /05 /mai /2014 17:06
Les résolutions du 5eme congrès sont toujours d’actualité.

Il y a un an, le FFS a tenu son 5eme congrès ordinaire. Au-delà des résolutions qui sont adoptées ce jour-là, cette date restera gravée dans nos mémoires. En effet, celle-ci est marquée par le retrait du président charismatique, Hocine Ait Ahmed, de la vie politique. Ainsi, après soixante-dix ans de militantisme, le dernier chef historique encore en vie se retire de la présidence du parti. « Mais pour tous, il y a un avant, un pendant et un après », résume-t-il humblement son engagement politique, dans un message lu aux congressistes. Bien que tous les congrès aient la même importance, pour le leader historique, le 5eme congrès revêt un cachet particulier. Il s’agit, pour lui, de passer le flambeau.

Hélas, concède-t-il, cette transmission intervient dans un moment de crise politique. En effet, malgré les richesses dont dispose le pays, la crise de confiance entre gouvernants et gouvernés atteint son paroxysme. Dans ce message, Hocine Ait Ahmed admet surtout que la lutte n’est pas terminée. « Je n’imaginais pas que cinquante ans plus tard nous en serions encore à nous battre pour défendre notre simple droit à exister. Nous militants du FFS et plus généralement, nous Algériens », regrette-t-il les conditions dans lesquelles se retrouve le pays, cinquante ans après l’indépendance.

Cependant, bien que son retrait ne puisse pas être comblé, le FFS doit désormais s’en passer de cet atout qui a fait pendant longtemps sa force. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une année après le retrait de Hocine Ait Ahmed de la présidence du parti, le FFS maintient sa cohésion. Ses principes, qui ont présidé à sa création, sont affirmés avec force à chaque événement. Pour qu’il n’y ait aucune rupture avec les étapes précédentes, les résolutions du 5eme congrès s’inscrivent dans la continuité. Pour les congressistes, « l’enjeu principal, aujourd’hui, pour trouver une issue à la crise nationale et préserver l’avenir pour toutes les Algériennes et tous les Algériens, est la reconstruction d’un consensus national qui pourrait s’organiser autour de la démocratie politique, syndicale, et des libertés fondamentales pour permettre l’autodétermination individuelle de chaque Algérienne te Algérien et l’autodétermination collective du peuple algérien. »

Néanmoins, bien que les positions du parti soient incomprises ou plutôt combattues par le régime et ses acolytes, il n’en reste pas moins que la constance de son combat lui procure un capital de crédit incontestable. Puisant son combat dans le mouvement national –Hocine Ait Ahmed a été membre du comité central du PPA-MTLD, lequel comité est issu du premier congrès du parti en février 1947 –, la création du FFS intervient pour mettre en échec ceux qui voulaient utiliser le patriotisme pour combattre la démocratie. Et même si, dans les années soixante, des fervents militants nationalistes s’accommodaient de la suprématie des appareils partisans, Hocine Ait Ahmed défendait sans ambages le droit du peuple algérien à choisir librement son destin.

Par la suite, toutes les démarches du parti obéissent à cette règle. Ainsi, de l’accord FLN/FFS du 16 juin 1965 à l’initiative du parti pour « la reconstruction du consensus national », ces actions tendent à restituer au peuple algérien sa dignité. Et c’est ce que tente de mettre en place le FFS depuis la tenue de son 5eme congrès. Bien que d’autres formations politiques essayent de se refaire une virginité sur la scène politique en revendiquant la fin du statu quo –ils ont, pendant des années, soutenu les tenants et les aboutissants de la situation de statu quo –, la voie du FFS est indubitablement la plus crédible et la moins risquée pour la stabilité du pays. Du coup, pour y parvenir au changement, il suffit que la société prenne conscience et soutienne la dynamique. Enfin, celle-ci ne devra pas se faire contre une personne ou contre quelque chose, mais pour construire une véritable alternative autour d’un projet consensuel.

En guise de conclusion, il va de soi que l’action du FFS, après la tenue de son 5eme congrès, vise à reconstruire une alternative en impliquant toute la société. « Plus la participation de l’ensemble de la communauté est importante plus les institutions qu’on construit sont fortes », conclut Mohand Amokrane Cherifi sa contribution sur « la journée des transitions démocratiques ». D’ailleurs, pourrait-il y avoir un changement efficace si les citoyens ne s’impliquaient pas ? Pour toutes ces raisons, la balle est aussi dans le camp de la population.

Ait Benali Boubekeur

15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 18:26
Pour que la proposition de consensus national soit largement accompagnée.

Dans quelques jours, on connaîtra le futur chef de l’Etat. Tout porte à croire que A. Bouteflika succédera à lui-même. De toute évidence, bien que son état de santé ne lui permette pas d’assumer la fonction présidentielle, au nom des intérêts occultes, son vœu de mourir au pouvoir sera exaucé. Pour parvenir à ce souhait, le chef de l’Etat-candidat doit encore fournir des efforts colossaux. C’est dans ce sens –c’est-à-dire la violence que se fait Bouteflika à lui-même –qu’il faudrait interpréter les déclarations de son directeur de campagne en louant le sacrifice de leur candidat.

Quant aux Algériens, à qui on demande d’entériner un choix déjà fait, ils n’ont pas, hélas, leur propre candidat. Sinon, pourquoi l’opposition algérienne appelle-t-elle à un consensus national après le 17 avril ? En effet, malgré la mobilisation des fonds de l’Etat, cette élection ne suscite ni adhésion, ni engouement de la part des Algériens. Pire encore, quelques commentateurs vont jusqu’à évoquer des risques qui en découleraient de cette élection. « Certains observent déjà une tendance des Algériens à stocker des vivres dans le cas où… les choses déraperaient », note K. Selim dans un éditorial du 8 avril 2014.

Dans ces conditions, le peuple algérien n’a d’autres choix que de se jeter dans l’arène. Bien qu'il soit trop tard d'imposer son candidat, le peuple algérien doit s'inviter dans l'arène, et ce, afin qu'il contrôle l'action du pouvoir exécutif. Les appels incessants du FFS pour bâtir un consensus politique national constituent une piste sérieuse. En d'autres termes, après la tenue du scrutin présidentiel, il faudra que le peuple algérien œuvre pour créer les conditions d'un consensus national. Ceci devra déboucher inévitablement à la reprise des rênes du pouvoir.

Une bonne fois pour toute, le pouvoir devra passer des mains des usurpateurs vers celui qui incarnera la légitimité populaire. D'ailleurs, si ce n'est pas un abus de pouvoir, de quel droit un groupe de hauts gradés impose-t-il les chefs de l'Etat? Issue du droit du peuple algérien à l'autodétermination, l'Algérie n'aurait jamais dû connaître ce sort si les dirigeants légitimes de la révolution algérienne n'avaient pas été renversés. Aujourd'hui, il est un secret de polichinelle que tous les chefs de l'Etat, depuis 1962 jusqu'à l'actuel chef, sont adoubés par l'armée.

Hélas, ce déballage ne s'inscrit pas dans la logique de tirer les enseignements du passe, mais s'inscrit dans une démarche revancharde. En effet, pour régler des comptes, certains faiseurs de présidents n'hésitent pas, comme c'est le cas des généraux Benhadid et Antar, à faire appel à l'armée pour qu'elle dépose celui qu'elle a ramené.

Quoi qu'il en soit, si les Algériens se sentent concernés par ce qui se trame sur leur dos, après le 17 avril, ils devront intervenir pour que ces clans ne sévissent plus. « L'alternative tout aussi détestable qui nous attend est que les deux clans s'entendent sur un partage du pouvoir et de la rente afin de faire perdurer le système en place depuis 1962 », argue Hocine Malti, dans une interview du 9 avril 2014. De la même façon, les risques seront autant catastrophiques, si les clans se maintiendront en se déchirant. « Car, de mon point de vue, un affrontement entre les deux clans de l'armée représenterait les prémices d'une situation à la libyenne ou à la syrienne », s'inquiète Hocine Malti.

Pour conclure, il va de soi que le scrutin du 17 avril va consacrer la victoire du régime inamovible. En verrouillant le champ politique depuis des lustres, le régime n'a donné aucune chance pour que la société puisse s'organiser. Or, leur gabegie et leur lutte intestine exposent le pays au danger. Cela dit, bien que la marge soit réduite, la crise n'est pas insurmontable. En se mobilisant pour une dynamique nationale pacifique, les Algériens peuvent mettre fin à ce règne inique. Il est inique dans la mesure où il refuse à aller dans le sens de l'histoire. Alors que les pays du monde entier accompagnent l'évolution, les partisans du statu quo « s'installent dans un discours de déni et font mine de croire que les institutions fonctionnent normalement et jouissent du crédit nécessaire pour qu'il ne soit pas besoin de remettre en cause le régime », conclut K. Selim. Et s'il y a lieu de s'appuyer sur une organisation ou un parti, les Algériens pourront se tourner vers la valeur sure, le FFS.

Ait Benali Boubekeur

25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 15:26
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Depuis l’accession du pays à la souveraineté, l’Algérie ne s’est jamais retrouvée dans une situation embarrassante comme celle du 11 janvier 1992. Il s’agit, pour rappel, de l’annulation des élections législatives que le régime a lui-même organisées. En effet, l’armée est intervenue pour mettre fin au processus électoral, dont le premier tour s’est déroulé le 26 décembre 1991, remporté haut la main par le FIS (Front islamique du Salut). Bien que la classe politique se soit divisée sur l’arrêt du processus électoral, force est de constater, 22 ans plus tard, que la libéralisation politique a pris un sérieux coup, avec notamment le lot de restrictions liées à l’état d’urgence. Par ailleurs, lors de ces élections –et c’est le moins que l’on puisse dire –, les Algériens pensaient choisir eux-mêmes leurs représentants. Et c’est là bien sûr le but des élections. En effet, le citoyen met une pression sur le ses gouvernants afin qu’ils réalisent leurs desiderata. Dans le cas contraire, ils auront la possibilité d’élire de nouveaux gouvernants. Quant aux partis, ils doivent ajuster leurs programmes de sorte à rapprocher l’État du citoyen. Et si on se limitait à ces acceptions fondant l’État de droit, on pourrait dire que les élections du 26 décembre 1991 respectent les normes de la démocratie.

Cependant, tous les pays qui ont accepté l’ouverture démocratique, l’armée a toujours joué un rôle primordial. Dans certains pays, leur rôle était néfaste, comme le résume William Quandt dans « Société et pouvoir en Algérie » en notant à juste titre: « Partout où les régimes ont permis des ouvertures, l’assignation d’un rôle précis aux militaires a constitué un problème de taille : il est extrêmement difficile d’écarter les militaires de la scène politique, comme l’ont montré les cas de la Turquie et du Chili.» Indubitablement, l’Algérie des années quatre-vingt et début des années quatre-vingt-dix ne dérogeait pas à cette règle. L’annulation du second tour des élections législatives corrobore, si besoin est, cette thèse. Quoi qu’il en soit, la confrontation entre les deux acteurs forts du moment, le FIS et l’armée, est due principalement à l’incohérence de l’opposition républicaine, mais aussi à l’incurie du régime à résoudre les problèmes des Algériens. Du coup, l’accès aux responsabilités où leurs conservations ne peuventt intervenir qu’en éliminant l’antagoniste. Mais avant cette confrontation, qui a donné naissance certes au forceps à la démocratie, les Algériens ont accompagné cette période avec effervescence.

  • Vers la libération de la parole

Le deuxième mandat de Chadli, après sa réélection en 1984, a été inauguré par une phase de dégringolade de l’économie nationale. La crise a atteint son paroxysme en 1986. En effet, la chute des prix des hydrocarbures, principale ressource du pays, a fait vaciller le régime, bien que ce dernier ait essayé de mieux gérer le budget, en menant une politique d’austérité. Et les méfaits de cette politique n’ont pas tardé à apparaître. En octobre1988, l’Algérie a connu une révolte généralisée. Les manifestants ont crié leur ras-le-bol en prenant pour cible le président de la République, mais aussi le chef du parti unique, Mohand Cherif Messaadia. Grâce à cette révolte, l’idée d’une ouverture démocratique commençait déjà à germer. Dans le film-documentaire « Algérie(s), un peuple sans voix » de Malek Bensamail, deux acteurs importants de l’époque ont exprimé deux visions différentes à propos de l’ouverture démocratique. Si pour Hocine Ait Ahmed, il s’agissait d’une ouverture par effraction tout en estimant que ce droit devait être octroyé depuis belle lurette aux Algériens ; pour Khaled Nezzar, il s’agissait d’une erreur grave de tenter une telle ouverture dans les conditions de l’époque. D’ailleurs, cette dernière position a déjà été soutenue par des membres influents du parti unique lors du congrès de décembre 1988. A la fin de ses travaux, le congrès a adopté une motion avertissant que « dans les conditions actuelles, le multipartisme représente un danger pour le peuple, pour la nation et pour l’unité nationale. » Cependant, en confiant la rédaction de la troisième constitution algérienne aux réformateurs,  adoptée pour rappel le 23 février 1989, Chadli a voulu se mettre au-dessus des partis. Mais il a créé également beaucoup de mécontents dans son propre camp.  Bien que la nouvelle constitution laisse la liberté de constituer « des associations à caractère politique », les rédacteurs n’ont pas omis d’accroitre les prérogatives du président de la République. Par conséquent, le pouvoir législatif demeurait toujours sous la tutelle du chef de l’État dès lors qu’il pouvait nommer et démettre le chef du gouvernement, dissoudre le parlement comme bon lui semblait. D’ailleurs, le 14 septembre 1989, Chadli a usé de ce droit constitutionnel pour évincer Kasdi Merbah qui ne voulait pas quitter la chefferie du gouvernement en arguant que les députés avaient adopté son programme de politique générale. Néanmoins, avant de partir, Merbah avait pris une décision qui a secoué, deux ans plus tard, les bases de la nation : la légalisation du FIS. Mais si Merbah ne l’avait pas fait, son successeur, Mouloud Hamrouche, l’aurait fait sans réticence.

  • Le FIS, un parti pas comme les autres

Le projet de programme politique du FIS, présenté le 7 mars 1989, pouvait être considéré, si on se limitait juste à la lecture du document, comme un programme modéré. En effet, il était question de « concrétiser des idéaux de justice, de liberté et de démocratie. » Cependant, ces principes ont été vite foulés au sol par les discours enflammés des dirigeants du FIS. Ainsi, Ali Belhadj, vice-président du parti, a déclaré dans les colonnes du journal de son parti que « le peuple n’a pas le droit de choisir son souverain qui gouverne selon la charia. » Mais fallait-il comprendre que ce candidat qui allait appliquer la Charia en Algérie serait choisi une seule fois parmi les dirigeants de son parti, et puis il ne serait plus question de le remettre en cause ? En tout cas, c’est la nonchalance et les divisions au sein du régime qui ont facilité l’entrée sur la scène politique d’un parti extrémiste, et ce, bien que la constitution soit claire à ce sujet : pas de reconnaissance des partis fondés sur des bases exclusivement confessionnelles ou régionales. Du coup, dans les mosquées contrôlées par le FIS, c’est-à-dire la majorité ou peu s’en faut, le discours pouvait aller de la solution islamique à la désobéissance civile. Contre toute attente, son discours contestataire a pu capitaliser les aspirations de changement d’une population désemparée. Ainsi, la population qui tirait à hue et à dia a trouvé en le FIS celui qui allait la sauver de l’incurie d’un pouvoir inamovible depuis 1962.

Cependant, dès lors que la voie démocratique a été ouverte, il était normal de tester la représentation des forces politique à travers l’organisation de joutes électorales. En choisissant la prudence, le régime a opté pour les élections locales. Ainsi, le 12 juin 1990, le FIS a remporté une victoire écrasante. Cela dit, le score ne reflétait pas l’adhésion du peuple pour le programme du FIS. Mais force est de constater que la loi électorale l’a tout bonnement favorisé. En effet, l’un des articles de la loi électorale stipule que : « Si aucun parti n’obtenait pas la majorité absolue, le parti au score le plus large recevait la moitié des sièges plus un, le reste étant réparti proportionnellement entre tous les partis ayant obtenu plus de 7% des voix. » Du coup, avec 34% de voix par rapport au nombre d’inscrits, le FIS a remporté 856 communes sur 1500, soit 57%, et 32 Assemblées de Wilayas sur 48, soit 66%.

Par ailleurs, les retombées de cette victoire n’ont pas tardé à se faire sentir. Et sentant que la base le soutenait indéfectiblement, le FIS a commencé à dévoiler sa véritable identité. Les mesures de restrictions dans les communes régies par le FIS ont été innombrables. Pour Lounis Aggoun et Jean Baptiste Rivoire, les mesures qui ont soulevé un vent de panique étaient : « l’interdiction de jouer aux dominos ou aux cartes durant les soirées de ramadan, tentative d’application de la charia dans certaines communes, interdiction de mixité à Alger et à Constantine, constitution de polices des mœurs à Mostaganem, interdits vestimentaires à Jijel, Tipaza et Dellys, suppression du festival du rai à Oran, musique taxée de péché, installation de tribunaux parallèles à Chlef, interdiction d’alcool à Sétif, Annaba et Alger, interdiction de tabac, fermeture de salles de spectacles… » Dans les Républiques qui se respectent, chacune de ces interdictions pouvait provoquer la dissolution immédiate du parti. En dépit de ces abus, le gouvernement a décidé de convoquer les électeurs pour les premières élections législatives sous l’ère du multipartisme.

  • Les contradictions au sein du régime

Les premières élections législatives ont été prévues initialement pour le 26 juin 1991. Le gouvernement réformateur, dirigé par M. Hamrouche, a proposé, le 1er avril, la loi électorale régissant ces législatives. La loi était injuste dans la mesure où le découpage électoral allait favoriser tacitement la future coalition FLN réformateur-FFS de Hocine Ait Ahmed. Toutefois, à partir du moment où le FIS paraissait infréquentable, logiquement cette démarche aurait dû réjouir le pouvoir dans tous ses segments. Le début de la campagne a été prévu pour le 2 juin. Jusque-là le parti d’Abassi n’a pas encore opté pour le moyen à employer pour perturber la partie. C’est à partir de Tlemcen, le 14 mai 1991, que le leader du FIS a décidé de lancer une grève générale illimitée à partir du 25 mai. Il a averti les dirigeants en usant d’un langage guerrier : « Si l’armée intervient, nous nous battrons. Si une goutte de sang venait à couler, je jure par Dieu que nous nous battrons jusqu’à l’anéantissement. » Cette déclaration valait amplement la dissolution du FIS. Contre toute attente, c’est M. Hamrouche qui a été poussé à quitter le gouvernement, et ce, malgré le bilan calamiteux de la grève, deux jours après son lancement, comme l’a fait remarquer Yves Heller du Monde en notant : « mis à part quelques affiches qui appelaient au mouvement, rien n’indiquait qu’une grève générale ait lieu… Le monde du travail n’a pas répondu à l’appel ; pis, des débrayages prévus de longue date, comme celui des aiguilleurs du ciel, sont suspendus dés que commence la grève du FIS. » Quant au syndicat islamiste, le SIT en l’occurrence, celui-ci a appelé à la grève pour le 1er juin, alors que le parti l’avait lancée le 25 mai. Toutefois, la démission de Hamrouche le 4 juin et la proclamation de l’état de siège le 5 juin ont induit l’annulation systématique des élections législatives.

Cependant, la vacance du poste de chef de gouvernement a été aussitôt palliée. Ainsi, Sid Ahmed Ghozali, qui se trouvait au Nigéria pour représenter Chadli, a été appelé d’urgence. Voila comment a-t-il raconté cet épisode : « Quand l’état de siège a été décrété, le président de la République m’a envoyé un avion spécial pour me faire rentrer à Alger et c’est là qu’il m’a proposé je dirai presque imposé  d’accepter la mission de chef de gouvernement. » Par ailleurs, dés le 7 juin 1991, le nouveau chef du gouvernement a annoncé la tenue des élections législatives, propres et honnêtes, avant la fin de l’année, et ce, après avoir rencontré les deux leaders du FIS. Selon W.Quandt : « Madani était toujours décidé à présenter cette victoire comme une victoire, et déclara que l’état de siège n’était pas dirigé contre le FIS. En fait, il semblait se satisfaire du départ de Hamrouche. » D’ailleurs, comment il ne pourrait pas l’être, puisque Ghozali a décidé de revoir la loi électorale en portant le nombre de députés à 430 au lieu des 295 proposés par Hamrouche.

  • Vers la tenue des élections

La démission de Hamrouche signifie, par ricochet, que Chadli avait perdu un allié de taille. Bien qu’il se soit maintenu, dans le second semestre de 1991, les véritables forces du pays étaient désormais l’armée et le FIS. Quant au nouveau chef du gouvernement, sa mission se limite à l’organisation des élections législatives. Toutefois, bien que les leaders du FIS soient emprisonnés le 30 juin, le FIS a l’occasion de se restructurer autour de son nouveau leader, Abdelkader Hachani. Le 12 octobre, Sid Ahmed Ghozali  propose aux députés d’adopter la nouvelle loi électorale. Pour  W. Quandt,  « le nouveau premier ministre Sid Ahmed Ghozali avait promis l’organisation d’élections libres et honnêtes, avec une nouvelle loi électorale, ce qui pouvait ressembler aussi à une victoire du FIS. » Dans la foulée, Chadli  annonce également la tenue des législatives pour le 26 décembre 1991. Avant d’ajouter que « le second tour pourrait se tenir le 16 janvier 1992. »

Par ailleurs, à un mois des élections, un fait grave s’est produit à la frontière algéro-tunisienne. En effet, le 28 novembre, un groupe armé a pris d’assaut la caserne de Guemmar. Le ministre de la Défense, Khaled Nezzar, se rend tout de suite sur les lieux. Il affirme, sans qu’il y ait la moindre enquête  que « les auteurs de cette attaque sont indirectement liés au FIS. » Hélas, cette énième occasion de dissoudre le FIS n’a pas été non plus saisie. Toutefois, les walis ont été chargés, dés le 6 décembre, par une nouvelle loi, de faire appel à l’armée pour les aider dans leur mission. Ce qui pouurait être interprété comme un moyen de contourner la volonté du président si jamais il refusait de décréter l’état de siège au moment idoine. À douze jours du scrutin, le FIS décide enfin de participer aux élections. Pendant la campagne électorale, les responsables des partis sillonnent le pays pour expliquer leurs programmes. Enfin, Chadli clôture la campagne par un discours où il dit qu’il serait prêt à gouverner avec le parti vainqueur, quel qu’il soit, et ce, dans le respect de la constitution du 23 février 1989. Malgré les tensions tous azimuts, les premières élections majeures et pluralistes ont bien lieu, le 26 décembre 1991. Comme en juin 1990, la victoire du FIS est écrasante. Le mode de scrutin et la nouvelle loi électorale sont déterminants dans cette victoire, car les Algériens n’ont pas voté, encore une fois, massivement pour le FIS. Ainsi, sur 13,3 millions d’inscrits, 3260359 électeurs ont voté pour le FIS. Ce résultat le place naturellement  à la première position derrière le FLN avec 1613507 voix et le FFS avec 510661 voix. Or le nombre de sièges remportés ne reflétait pas le poids électoral de chaque parti. Le FIS est arrivé en tête avec 188 sièges suivi du FFS avec 25 sièges et enfin du FLN avec 15 sièges. Ainsi, en analysant les chiffres, il fallait en moyenne 17340 voix pour élire un député FIS, 22426 pour élire un député FFS et 107633 voix pour élire un député FLN. Et si la représentation proportionnelle avait été choisie, le FIS n’aurait en aucun cas remporté la majorité de sièges. Son score se serait situé aux alentours de 30%. Et la coalition des autres partis aurait même privé le FIS de diriger le gouvernement.

Cette victoire, au goût amer, va diviser la classe politique quant à la poursuite ou non du processus électoral. Au sein du gouvernement, on pense déjà la manière d’arrêter le processus électoral. Une commission composée de deux civils et deux militaires désigne le général  Nezzar pour rencontrer Chadli. Résultat des tractations : le président  accepte de démissionner. Il accepte également de dissoudre le parlement. Au journal télévisé de 2Oheures, ce 11 janvier 1992, Chadli a remis sa démission au président du conseil constitutionnel, Abdelmalek Benhabyles. Devant ce vide juridique, le HCS (Le Haut Conseil de Sécurité) met un terme au processus électoral. Cet organe consultatif, réuni normalement à l’initiative du président de la République, décide alors de siéger sans discontinuer. La parenthèse démocratique sera refermée après plus de deux ans de pluralisme. En effet, bien que des hommes sincères aient occupé des responsabilités [je pense notamment à Liamine Zeroual], force est de constater que tous ont reconduit l’état de siège sine die. L’abrogation de cette loi après les révoltes nord-africaines ne change rien à la donne.

Boubekeur Ait Benali

 

5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 07:07

octobreL’Algérie a connu, du 4 au 10 octobre 1988, une semaine des plus agitées de son histoire post-indépendance. Le mouvement, qui a commencé à Alger, s’est vite propagé de façon fulgurante. Bien que les manifestants soient, pour la plupart, très jeunes, il n’en demeure pas moins que le malaise était  ressenti pas l’ensemble de la population. Par ailleurs, ce qui a été visé par ces manifestations n’était ni plus ni moins qu’une remise en question de la politique mise en œuvre par le pouvoir en place. En effet, après vingt-six ans de règne du parti unique, le FLN, les Algériens ont senti que la situation de leur pays se détériorait sans vergogne. A cette situation déjà alambiquée, le régime n’hésitait pas à recourir à la trique à la moindre contestation de sa politique. Patrick Eveno a résumé, dans l’un de ces articles, la situation politique qui prévalait en Algérie à la fin des années quatre-vingts. Il a  noté à juste titre que : «  La crise vient d’une accumulation de facteurs explosifs. Corruption, mauvais fonctionnement d’une économie trop centralisée, trop rigide, tout entière entre les mains d’une nomenklatura dépassée, réformes imprudentes mal acceptées, mal appliquées car incomplètes, qui ont exacerbé craintes et rancœurs  sans relancer la machine, tout s’est mêlé depuis des années pour nourrir, avec la crise pétrolière, le ras-le-bol algérien. » Ainsi, en plus de la faillite du système qui n’arrivait point à subvenir aux besoins alimentaires de la population, à cause des choix précédents ayant conduit à la faillite, le verrouillage du champ politique a éloigné le citoyen de ce qui se faisait en son nom. Et  la crise pétrolière de 1986 a démontré, si besoin est, que le pays était  dépendant de facto des seules recettes des hydrocarbures. La chute des prix des hydrocarbures a été indubitablement la cause la plus proche de ces  événements. D’autres sont lointaines. Pour les trouver, il faudrait fouiner dans le passé.

1)      La faillite de l’agriculture conjuguée à la démographie galopante.

Depuis l’indépendance, l’agriculture algérienne a connu au moins quatre changements de statut. D’emblée, il y avait la nationalisation des terres, légalement récupérées à la fin de l’occupation française, connue sous le nom « le secteur autogéré ». Ce dernier couvrait à peu prés 2,5 millions d’hectares. Sous Boumediene, l’Etat a récupéré 1,2 millions d’hectares des bien communaux et ceux appartenant à des absentéistes. Le tout a donné naissance, par la suite, à prés de 3500 domaines agricoles socialistes. Le morcellement du secteur, dans les années 1980, en petites unités a créé une anarchie incommensurable. Bien que ces réformes aient pu être mises en œuvre en pensant que c’étaient les meilleures solutions, force est de constater que, quelques années  plus tard,  le pays se trouvait en quasi-totale dépendance de l’étranger pour se nourrir. En effet, la couverture de la consommation par la production nationale, selon Benjamin Stora, dans « Algérie : histoire contemporaine 1830-1988 », s’est effondrée, passant de 73% en 1969 à 40% en 1980 et à 30% en 1990. Cette chute vertigineuse de la production nationale a eu des effets dramatiques sur le bien être des Algériens. Mais le régime, soucieux de sa pérennité,  ne songeait qu’à tromper le citoyen en dépensant des sommes colossales pour sa propagande. Ainsi, lors de la 4eme conférence nationale sur le développement, tenue le 22 décembre 1986, le président Chadli a constaté que,  face à la pénurie « Il est inconcevable que  nous fournissions des efforts et dépensions des sommes colossales dans le seul but de prôner des slogans auxquels le citoyen algérien n’accorde aucun crédit et qui ne profitent jamais à notre société. » Cet aveu, en tout cas, était en contradiction avec l’article 33 de la constitution en vigueur qui stipulait que: « L’Etat est responsable des conditions d’existence de chaque citoyen. Il assure la satisfaction de ses besoins matériels et moraux… »

Par ailleurs, ces difficultés ont été ressenties à cause surtout du poids démographique qui pesait sur le pays. Cette croissance galopante a commencé à inquiéter notamment les dirigeants à partir des années 1980. En effet, lors de la réunion du comité central du FLN, en décembre 1980, les responsables du parti ont adopté un programme permettant l’espacement des naissances. Bien qu’il soit tabou, dans notre société,  d’évoquer de tels sujets, la pente sur laquelle se trouvait notre pays a poussé le président Chadli à l’aborder en 1983 lors du 5eme congrès du FLN. Le taux de croissance démographique actuel, a-t-il dit, compromet toute possibilité d’amélioration quotidienne dont notre développement devrait être porteur. Le poids de la tradition étant plus prépondérant, la reproduction est restée à son seuil initial. Résultat des courses : en 1986 et 1987, à deux reprises, la croissance démographique, estimée à 3,2, a dépassé la croissance économique. Prés de 900000 enfants étaient nés chaque année. Selon Patrick Eveno : « Autant de bouches supplémentaires à nourrir, alors que le pays dépend encore à 60% de l’étranger pour couvrir ses besoins alimentaires. »

2)      La double crise politique et économique.

De 1962 à nos jours, tous les présidents de la république ont essayé de concentrer, entre leurs mains, le maximum de pouvoir. Bien que leur influence n’ait pas été la même, la concentration des pouvoirs en leur bénéfice pouvait être confirmée par les postes accumulés. Lors du congrès extraordinaire du FLN, tenu le 15 juin 1980, les congressistes ont accordé les pleins pouvoirs à Chadli. En plus de la présidence de la république, il a été désigné ministre de la défense et secrétaire général du parti unique. Toutefois, à partir de 1986, le consensus tant escompté n’a pas été au rendez vous lors de l’adoption de la nouvelle charte nationale. Pour P.Eveno : « Le parti unique est monolithique, même si plusieurs tendances s’expriment en son sein, et l’armée, omniprésente, a son mot à dire. Rien d’important dans la gestion de l’Etat n’intervient sans son aval. » Le plus influent d’entre eux, Khaled Nezzar, l’a avoué dans le film documentaire  « Algérie 1988-1992 : chronique d’une guerre annoncé » en disant que tous les présidents étaient issus de l’armée ou désignés par elle.  Ainsi, l’armée algérienne n’était pas – et qui sait ce qui est advenu aujourd’hui— seulement le bras de la nation, mais elle était aussi sa tête.

Cependant, à l’approche du 6 congrès du FLN, prévu en décembre 1988, le consensus, entretenu depuis longtemps par le régime, ne serait-ce que pour tromper l’opinion, s’est fendillé. La reconduction de Chadli aux responsabilités suprêmes n’était pas, à priori, acquise. Et pour cause. Les caisses de l’Etat étant  vides, les dirigeants pouvaient-ils bénéficier de crédibilité suffisante pour mener à bien les réformes envisagées ? En tout cas, cette façon dont était géré le pays a provoqué une crise abyssale. En effet, la chute des prix des hydrocarbures,  à partir de 1986, qui représentait à cette époque-là 97% des rentrées en devises du pays, a privé l’Algérie de prés de moitié de ses recettes extérieures. Le baril qui coûtait entre 30 et 40$ en 1980 est descendu à presque 15 dollars. Pour comprendre l’importance de cette rente, il faudrait  l’illustrer par des exemples précis. Selon B.Stora : « Ce secteur [ Les Hydrocarbures] représente 32% de la PIB (Produit Intérieur Brut) dans les années 1976-1979, et 37,5% en 1980… Les exportations d’hydrocarbures comptent pour 92% du total de la valeur des exportations dans la période 1975-1982 (88% en 1972. »

Par ailleurs, bien que la situation ait été compliquée, le régime de l’époque devait rembourser ses créances, qui s’élevaient à 6 M$ par an, et importer tout ce qui était inhérent à la consommation, avec des quantités bien sur spartiates. Ce qui obligeait le régime à réduire les dépenses de l’Etat. Et l’unique solution trouvée par le régime était de mener une politique d’austérité. Ainsi, depuis 1982, grâce au monopole de l’Etat sur le commerce extérieur, le régime a limité, de façon draconienne, les importations au strict minimum. Elles étaient évaluées à 7,5 M$ en 1982, dont un tiers pour les produits alimentaires. A partir de 1986, c’était au budget de l’Etat que le régime s’est attaqué. Il a été amputé d’un quart par rapport aux budgets précédents. Cette politique a conduit inéluctablement à l’alourdissement du nombre de chômeurs. Cette masse, avant cette politique d’austérité, a été embauchée bien que sa rentabilité n’ait pas été exigée. Car en garantissant des salaires, sans que l’entreprise soit bénéficiaire, le régime a acheté le prix politique pour se faire accepter, a écrit Lahouari Addi dans « L’impasse du populisme ». Quant au déficit de l’entreprise d’Etat, a-t-il poursuivi, ce dernier « n’est pas  un accident de la comptabilité, il est l’expression de l’incapacité de l’Etat rentier à obtenir un taux de rendement satisfaisant dans le système productif permettant de couvrir les dépenses. »  En revanche, quand le citoyen manque de tout et que les dirigeants refusent le dialogue, la rue devient le terreau favorable pour dénoncer la gabegie.

3)      La culture de l’émeute.

L’absence de débat politique en Algérie a conduit inévitablement, à moult reprises, à des affrontements de la rue. En octobre 1988, plusieurs éléments sont réunis pour qu’il y ait cette explosion. En effet, à la conjoncture économique défavorable, le blocage des salaires et le chômage grandissant ont été fertiles pour les revendications sociales. Le régime, qui se croyait invincible, ne tolérait aucune remise en question de ces choix. Par conséquent, il ne restait au peuple algérien que la rue pour crier haut et fort son mécontentement. Pour P.Eveno : «  En tout cas, c’est à partir de ce moment-là que les événements se sont précipités. Le travail a repris progressivement dans les usines au début du mois d’octobre, en même temps que les grèves entraient dans la capitale, sous la pression syndicale, par l’entremise des services publics, PTT en tête, et qu’un mot d’ordre de grève générale était lancé pour mercredi 5 octobre 1988. » Ainsi, à défaut de privilégier une discussion sereine, le régime avait l’habitude de réprimer toutes les contestations émanant du peuple. Ce qui a amené certains intellectuels algérien, à l’instar de Mohamed Harbi et Lahouari Addi, à parler de la culture de l’émeute. Pour ce dernier, son jugement est sans ambages : « Le système politique algérien fonctionne désormais à l’émeute parce que les institutions façonnées sur le moule du parti unique ont pour fonction de boucher tous les pores et interstices par lesquels respire le corps social. » Quant au premier cité, il estime que «  les petits soulèvements locaux à Ain Beida, Ain Mlila, Tizi Ouzou, Skikda, Bordj-Bou-Arreridj, Oran, Constantine, ont peu à peu créé une culture de l’émeute face à la culture de l’arbitraire. »

Cependant, face à ce régime sourd, les jeunes ne pouvaient pas rester bras croisés à l’absence de toute perspective d’avenir dans leur pays. Il faut rappeler que dans les années quatre vingt, bien que le temps de scolarisation ait été élevé, plus de trois cent mille jeunes sortaient du système éducatif sans diplômes. En 1986, par exemple, les centres de formations n’ont offert que 81000 places. Ainsi, plus de deux cents milles n’avaient pas la chance de poursuivre aucune formation. D’ailleurs, c’est cette jeunesse inquiète de son avenir qui a investi les rues, de la capitale d’abord et des autres villes ensuite, les 4 et 5 octobre 1988. Et l’inimaginable se produisait alors. Ces milliers de jeunes ont occupé la ville sans qu’il y ait la moindre intervention des forces de l’ordre. Le lendemain, soit le 6 octobre, le président a appelé l’armée à rétablir l’ordre. Entre temps, le mouvement s’est propagé telle une traînée de poudre dans la quasi-totalité des villes algériennes. Sous l’état de siège, l’armée algérienne s’est acquittée de sa mission. Mais à quel prix ?  Les pertes en vie humaine et les dégâts matériels sont lourds si on se limite juste au bilan officiel. Celui-ci fait état de 176 morts, 9000 arrestations et des milliards de dollars partis en fumée. Les chiffres sont plus exorbitants si l’on tient compte des estimations officieuses. Du coup, pour ramener le calme, Chadli a promis, dans son discours du 10 octobre, des changements profonds du système politique algérien. C’est ainsi qu’a commencé la nouvelle ère. Celle de l’ouverture.

En somme, après vingt-six ans de règne du parti unique, où le système était hermétiquement fermé à tout évolution, le régime a enfin toléré le droit de créer des association à caractère politique, le droit de se présenter aux élections sans prouver son appartenance au FLN, la pluralité de la presse, etc. la question qui se pose aujourd’hui est la suivante : les dirigeants qui sont arrivés aux responsabilités, après 1988, ont-ils amélioré, ou du moins œuvrer à sauvegarder, ces acquis ? L’Algérie a en effet payé un lourd tribut lors de la décennie noire. Plus de cent cinquante mille morts. Des milliards de dollars de dégâts matériels. Mais a-t-on tiré les leçons de ces erreurs du passé ? Il est difficile de répondre par l’affirmative.

Par Ait Benali Boubekeur

17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 09:36

az.jpgLorsque le peuple algérien s’est libéré du joug colonial, un système de domination inhumain, tout le monde s’attendait à ce que les libertés soient inscrites en lettres d’or dans les futures institutions de l’État algérien. Hélas, au moment où le pays a accédé à l’indépendance, les troupes stationnées aux frontières, sous l’égide de Boumediene, ont décidé de replonger le peuple algérien dans une autre ère de sujétion. Ainsi, malgré le progrès observé dans le monde, le même système prévaut, cinquante ans plus tard, en Algérie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que dans cet intervalle de temps, entre les hommes stoïques de novembre 1954 et ceux d’aujourd’hui,  on dirait qu’on a affaire à deux peuples distincts.

Incontestablement, si cette différence n’existait pas entre les deux générations, on aurait du mal à comprendre pourquoi le peuple algérien accepte en ce moment d’être assujetti. Cela dit, bien que la violence vienne principalement du pouvoir, le peuple algérien n’est pas pour autant exempt. Et c’est sa soumission qui fait la puissance de ce régime. D’ailleurs, comment peut-il assister impuissant à la destruction de son pays sans qu’il manifeste son marasme, pourrait-on se demander. Car les vrais hommes, épris de justice, ont eu le courage d’affronter un système colonial au faîte de sa puissance. Bien que ce système colonial recoure à tout bout de champ à la violence, cela n’a pas empêché les hommes de novembre de lui tenir tête. Hélas, l’enlisement de la guerre a fait disparaitre les justes et a fait émerger les assoiffés de pouvoir.

D’une façon générale, bien que les nouveaux seigneurs aient détourné la révolution algérienne de son objectif initial, les Algériens ont cru, dans le premier temps, que cette période d’instabilité allait se terminer rapidement. Mais, la manière dont est pris le pouvoir à l’été 1962 éloigne très vite la perspective d’un retour à la légalité. En tout cas, cette période, censée être transitoire, dure malheureusement jusqu’à nos jours. Déployant ses forces contre le gouvernement provisoire évanescent et les maquis intérieurs exsangues, le duo Houari Boumediene-Ahmed Ben Bella impose au pays une direction illégale, car non choisie par le peuple algérien et non prévue par les statuts de la révolution. Bien qu’ils disposent, à eux deux, de pouvoirs incommensurables, Ben Bella et Boumediene transgressent les lois qu’ils ont imposées au peuple algérien. Ainsi, privant l’Assemblée nationale constituante d’accomplir sa mission, dans un style digne du régime stalinien, ils dotent le pays de la première constitution en septembre 1963. Celle-ci, pour rappel, a été concoctée en dehors de l’hémicycle. En tout cas, cette entorse devient une règle. Leurs successeurs suivent à la lettre leur modèle.

Du coup, chaque président promulgue sa propre constitution sans tenir compte des attentes du peuple algérien. Et en dépit du renouvèlement des générations [70% de la population algérienne a moins de 30 ans, mais gouvernée par des grabataires], le régime refuse de lâcher du lest. Hélas, pensant faire tomber le régime en recourant au même modèle de violence, l’opposition islamiste radicale a hypothéqué les espoirs d’un changement pacifique dans les années 1990. Là aussi, le peuple algérien a une responsabilité devant l’histoire. Au lieu de choisir une voie pouvant déboucher sur une alternative démocratique, la majorité des électeurs en décembre 1991 ont fait un choix par dépit. C’est comme si entre les deux tendances nuisibles à l’épanouissement de l’Algérie, il n’y avait pas une voie médiane, une voie consistant à bâtir une Algérie libre, juste et égalitaire.

Quoi qu’il en soit, ce radicalisme religieux va donner l’occasion au haut commandement militaire [et non pas à l’ANP en général] de revenir sur les acquis d’octobre 1988. Bien que commandement  nourrisse une aversion maladive envers la démocratie, certains généraux, dont le maintien au pouvoir procure des intérêts financiers colossaux, s’autoproclament porte-parole de la démocratie. Et c’est dans cette atmosphère que Bouteflika arrive au pouvoir. Grand tribun dans le style des années 70, Bouteflika, pour se faire une petite place, développe un discours trompeur. De toute façon, cette agitation stérile n’améliore en rien le statut des Algériens. Méprisant le peuple, Bouteflika ne se considère pas comme le représentant élu du peuple algérien, mais celui qui doit être craint et respecté comme au temps colonial. En 2008, bien qu’il soit diminué physiquement, il annule la seule loi, restée encore en vigueur depuis la moitié des années 1990, faisant apparenter le système algérien à une démocratie. Réunissant des parlementaires, dont leurs intérêts sont placés au dessus de ceux de l’Algérie [en témoigne l’augmentation de leur salaire avant le vote de la loi], Bouteflika abroge le fameux article 74 limitant le nombre de mandats présidentiels à deux.

Par ailleurs, malgré la fin des dictatures en Afrique du Nord, le régime algérien use de subterfuge en vue de court-circuiter les velléités de changement en Algérie. Alors que les conditions qui ont présidé à la chute de Benali, Moubarak et Kadhafi sont les mêmes qu’en Algérie [à la différence que le pouvoir réel en Algérie n’est pas incarné uniquement par Bouteflika], grâce à la rente pétrolière, le pouvoir a élargi sa clientèle en vue de se pérenniser. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le peuple, là aussi, ne s’est pas montré à la hauteur des enjeux. Et pour cause ! Malgré la gestion catastrophique du pays depuis l’indépendance, le régime s’est maintenu sans ambages lors des élections du 10 mai 2012.

Certes, le régime a promis plus de transparence et plus de liberté en mettant fin à l’État d’urgence, mais, sur le terrain, le champ politique reste bridé, voire hermétiquement fermé. « En 2012, les autorités ont inculpé plusieurs militants des droits humains et dirigeants syndicaux de diverses infractions pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté de réunion ou avoir témoigné leur soutien à des grèves ou des manifestations », peut-on lire dans le dernier rapport annuel de « Human Rights Watch » sur la situation des droits de l’homme en Algérie.

En somme, à 13 mois de l’élection présidentielle, la situation demeure toujours ambigüe. Bien que le bilan de Bouteflika à la tête de l’État soit catastrophique [il se contente de gérer la rente pétrolière et de modifier la loi fondamentale en vue de se maintenir au pouvoir], on ne peut émettre, pour l’heure, la moindre hypothèse sur l’issue de cette joute électorale. En fait, dans les pays où le pouvoir émane du peuple, les candidats affichent leurs intentions le plus tôt possible. Et leurs propositions tiennent évidemment compte des doléances de leurs concitoyens. En Algérie, un demi-siècle après le recouvrement de l’indépendance, le président est choisi de sorte que le groupe au pouvoir se maintienne indéfiniment. Et si l’Algérie continue à être gérée dans le style Bouteflika, son avenir sera sérieusement compromis. Enfin, en dépit des promesses de réformes politiques, deux ans après les révolutions nord-africaines, l’Algérie est soumise à un verrouillage tous azimuts. Et là où le bât blesse, c’est que le peuple algérien s’accommode de cette situation. Quel avenir pour un peuple docile ? L’histoire a montré que « les peuples faibles » sont asservis sans scrupule. Et pourtant, c’est ce même peuple qui a enfanté la génération de novembre 1954, celle qui a affronté le pire système que l’humanité ait connu. Mais, parait-il, les bons gènes ne se transmettent pas.

Ait Benali Boubekeur     

    

19 décembre 2012 3 19 /12 /décembre /2012 19:18

imagesCATYPWX8.jpgLe recours sans cesse à la révision de la constitution renseigne immanquablement sur la fragilité du système politique algérien. En règle générale, notamment dans les pays où le pouvoir réel est détenu par le peuple, les éventuelles modifications du texte fondamental conduisent à renforcer davantage le contrôle du peuple sur les institutions. Hélas, en Algérie, depuis l’indépendance, le pouvoir s’exerce en dehors du peuple. Du coup, l’annonce de la nouvelle révision constitutionnelle ne suscite pas d’engouement particulier dans la société. Et pour cause ! Bien qu’on puisse épiloguer sur les motivations de chaque président, depuis l’élaboration de la constitution en 1963 [un texte rédigé, pour rappel, en dehors de l’hémicycle] à celle de novembre 2008, ces textes ne visent qu’à renforcer, de façon considérable, les prérogatives du chef de l’État au détriment des contre-pouvoirs.

Néanmoins, bien qu’une telle emprise ne puisse être en aucun cas justifiée, la subsistance concomitante de tels régimes en Afrique du Nord ne fut pas de nature à encourager le développement de la démocratie en l’Algérie. Or, suite aux changements intervenus dans la région à partir de 2011, l’Algérie reste le seul pays à la traîne. Bien que le statu quo soit idoine les profiteurs, le peuple algérien, après avoir arraché sa liberté au prix du sacrifice de ses meilleurs fils, mérite, cinquante ans après l’indépendance, de reprendre ses droits fondamentaux, dont il a été spolié par les tenants de la ligne exclusive. Cette période a dure près de trois décennies.

De toute évidence, bien que les événements d’octobre 1988 soient une machination d’un clan du pouvoir en vue de déstabiliser un autre clan, la jeunesse algérienne, en payant un lourd tribut, parvient à arracher quelques réformes rudimentaires. À ce titre, la constitution de 1989, dont la naissance est survenue au forceps, garantit un minimum de libertés politiques. Ainsi, en peu de temps, la société va s’emparer des sujets inhérents à l’avenir du pays. Les élections de 1990 et 1991 corroborent la thèse de l’adhésion populaire. Hélas, le commandement militaire qui s’était retiré de comité central du FLN en mars 1989 ne veut pas voir les islamistes à la tête de l’État.

En effet, la victoire du FIS avait de quoi faire peur. Mais peut-on se dire chantre de la démocratie et ne pas accepter le verdict des urnes. En tout cas, opposé à toute évolution du système, comme le décrit si bien Ahmed Dahmani, dans son livre « l’Algérie à l’épreuve », le commandement militaire met fin au processus démocratique. Croyant que l’annulation des élections donnerait lieu à une agitation maitrisable, ce calcul est faussé par l’intransigeance des islamistes radicaux. Résultat des courses : le pays est plongé dans une crise abyssale. Tout compte fait, c’est dans ce contexte que le général Zeroual, désigné chef de l’État en 1994 et puis élu en novembre 1995, révise la constitution en 1996. Bien qu’il renforce considérablement ses pouvoirs, il inscrit également une clause limitant le nombre de mandats présidentiels à deux seulement. Quoique les gens dissertent sur l’ère Zeroual, il n’en demeure pas moins que cette clause limitative allait faire rentrer l’Algérie dans le concert des nations où l’alternance, même restreinte à l’intérieur du système, pouvait être effective.

D’une façon générale, bien que chaque président veuille sa propre constitution, l’actuel chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, fait fort en recourant à deux reprises à la révision constitutionnelle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ignore, pour le moment, tout de ses intentions. En revanche, malgré des résultats mitigés correspondant aux 13 ans de son règne, et ce, par rapport aux ressources dont dispose le pays, les différents clans du pouvoir, écrit le doyen des droits de l’homme, maitre Ali Yahia Abdenour, se démènent à présenter Bouteflika comme le seul recours possible. « Le pouvoir a démontré son inefficacité non seulement dans le domaine des libertés, mais aussi dans celui de l’économie et du social, où tous les indicateurs sont à la hausse, au rouge. »

En fait, si les quelques projets avaient été réalisés sans s’appuyer totalement sur les recettes des hydrocarbures, tout le monde devrait applaudir la prouesse. En plus, quelle que soit l’immensité de l’œuvre, le peuple algérien a besoin de tous les droits fondamentaux et non pas ceux relatifs aux besoins élémentaires. Il a besoin, comme c’est le cas à présent de ses voisins maghrébins, d’avoir des représentants qu’il a lui-même choisis et non des représentants imposés en vue de satisfaire des intérêts occultes. À ce titre, la période Bouteflika –et c’est le moins que l’on puisse dire –ne diffère en rien des précédentes où la mainmise sur le pouvoir est l’apanage d’un cercle restreint.

Par ailleurs, l’annonce de la révision de la constitution intervient au moment où la rumeur [il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on] de la représentation de Bouteflika pour un quatrième mandat commence à faire débat. Après avoir abrogé, en novembre 2008, l’article 74 limitant le nombre de mandats présidentiels dans la constitution de 1996, en 2012, y’a-t-il d’autres verrous à sauter pour qu’il s’octroie encore plus de prérogatives ou va-t-il rectifier les abus de pouvoir pratiqués jusque-là ? Est-ce que le pouvoir va être restitué enfin au peuple, comme c’est le cas chez nos voisins ? Enfin, les Algériens vont-ils être de simples spectateurs en adoptant la loi du silence? Ce sont là des questions qui taraudent les observateurs de la scène politique.

Pour conclure, il va de soi que l’évolution de la situation chez nos voisins doit impérativement favoriser le changement de la donne en Algérie. De façon pacifique, le peuple algérien doit revendiquer ce qui lui revient de droit, à savoir le choix de ses représentants et le droit de réclamer des comptes à celui qui a la charge des affaires. Il faut que les Algériens aient en tête que ces gouvernants ne peuvent pas exister sans eux. Quant aux dirigeants, il est temps qu’ils cessent de traiter le peuple comme un éternel mineur. Certes, le peuple algérien a une marge de progression dans l’apprentissage de la démocratie, mais il faut un début à tout. La leçon égyptienne prouve, si besoin est, la maturité de ce peuple.

8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 10:39

imagesCAFEIDZK.jpgDepuis l’avènement des premières révolutions jusqu’à celles de Tunisie, d’Égypte et même de Lybie, le personnel politique se retrouve, à chaque fois, renouvelé soit totalement soit en partie. En Algérie, en dépit du lourd tribut payé par les Algériens en 1988, les dirigeants, qui ont mené le pays à la banqueroute, se sont maintenus sans ambages à la tête de l’État. À ce titre, bien que les dirigeants actuels s’ingénient à trouver des formules de comparaison entre les événements d’octobre 1988 et « les printemps arabes », force est de reconnaitre que les différentes situations sont loin d’être semblables.

En tout état de cause, les manœuvres au sommet de l’État, durant l’été 1988, n’ont débouché qu’à une simple redistribution des cartes. Bien que le clan de Chadli sorte vainqueur de l’épreuve, le peuple algérien n’en tire malheureusement aucun bénéfice. Cela dit, la pression de la rue va inciter les vainqueurs à lâcher du lest, à travers notamment l’octroi de quelques droits politiques rudimentaires. « Chadli élimine ses adversaires directs et consent à une ouverture relative du système politique : le multipartisme est adopté et le rôle de l’État réaménagé », écrit Ahmed Dahmani dans « L’Algérie à l’épreuve ».

Dans la foulée, après la reprise du contrôle sur les organismes du pouvoir, en éliminant le responsable du FLN, Mohamed Cherif Messaadia, et le chef des services secrets, Lakhal Ayat, Chadli organise un référendum en vue de réviser la constitution de 1976. Bien que l’équipe réformatrice proche de Chadli, composée de Mouloud Hamrouche, Ghazi Hidouci, Smail Goumeziane, veuille mener les véritables réformes nécessaires pour le pays, certains caciques du régime  n’entendent  pas –et c’est le moins que l’on puisse dire –sacrifier leurs intérêts pour que l’Algérie soit heureuse et apaisée.

Quoi qu’il en soit, pour ne pas mécontenter les hommes aux grosses bedaines, un compromis est conclu entre les protagonistes, à savoir la nomination de Kasdi Merbah comme premier ministre. Selon Ahmed Dahmani, « les déclarations et rapports du congrès [le sixième congrès du FLN de fin novembre 1988] n’ont pas grand effet. Les questions essentielles sont toujours de l’ordre politique, du pouvoir. Chadli obtient une nouvelle cooptation pour un troisième mandat présidentiel, mais l’armée lui impose un premier ministre en la personne de K. Merbah. » Faisant partie des hommes qui ont fait de la vie des Algériens un enfer dans les années 1970, Kasdi Merbah jouit toujours d’une bonne image au sein de l’armée, et ce, malgré son éviction à la tête des services secrets en 1980.

De toute évidence, après les événements d’octobre 1988, l’ambition de Merbah ne peut être satisfaite qu’en acceptant, dans le premier temps, de jouer un rôle secondaire. Le temps où il tirait les ficelles, notamment en 1979 lors de la désignation du successeur de Boumediene, est fini. S’il veut gouverner désormais, il faudra qu’il soit propulsé par d’autres personnes. Or, ceux qui l’ont imposé comme premier ministre ne l’ont fait que pour sauver leurs avantages. « En fait, le pouvoir d’État, l’armée en particulier, n’a jamais été favorable à des réformes économiques profondes qui remettraient en cause le consensus sociopolitique sur lequel s’est bâti le système économique en Algérie », pointe Ahmed Dahmani le manque de volonté animant les hommes au sommet de l’État.

À vrai dire, la mission de Kasdi Merbah consiste à calmer l’ardeur des réformateurs en donnant un second souffle à la machine déjà rouillée. Car, dans les faits, affirme encore Ahmed Dahmani, « la référence aux réformes économiques n’est que langue de bois. Le chef du gouvernement n’y adhère pas plus que son prédécesseur A. Brahimi.  Le passage à l’autonomie de nombreuses entreprises est purement formel. » Du coup, la mission du gouvernement Merbah se limite à relancer quelques activités, notamment celles qui génèrent de l’emploi, afin d’atténuer la grogne sociale.

Par ailleurs, cela n’est possible que grâce à l’augmentation des prix du pétrole. En effet, depuis l’indépendance, aucun gouvernement ne peut proposer un quelconque projet sans lorgner du côté des cours du pétrole. Tout compte fait, après les différentes ponctions sur la recette pétrolière, le reste est investi de façon généralement inéquitable. En 2012 encore, la pratique reste la même. Et les méthodes sont perfectionnées, pourrait-on dire. Ainsi, pour un projet devant couter x milliards de dollars, à l’arrivée, le coup final est multiplié par deux, comme c’est le cas pour le projet de l’autoroute Est-Ouest.

Pour revenir au gouvernement Merbah, le consensus n’a pas duré longtemps. « Durant l’été 1989, la contestation sociale atteint son paroxysme. K. Merbah est ouvertement critiqué dans la presse officielle et même à la télévision… L’opinion est méthodiquement préparée à son éviction », note l’économiste. Le départ des militaires du comité central du FLN en mars 1989 pourrait-il expliquer la fin du consensus autour de K. Merbah ? En partie, oui. Néanmoins, faisant semblant de respecter les règles démocratiques, le commandement militaire ne s’immisce plus officiellement dans les affaires politiques, mais il garde quand même un œil sur tout ce qui se passe.

De la même façon, le clan de Chadli, dans le différend l’opposant à Merbah, n’est pas mu par le sort des Algériens. D’une façon générale, bien que Merbah ne soit pas un fervent des réformes, son implication dans la gestion des affaires commence à gêner les hommes forts du clan Chadli. « Depuis sa nomination au poste de premier ministre, K. Merbah, dans un style emprunté à Boumediene, multiplient les sorties sur le terrain, les rencontres avec les responsables ou avec de simples travailleurs sur les chantiers ou dans les unités de production », note Ahmed Dahmani.

Cependant, dans l’entourage du président, la méfiance à l’égard de Merbah est de plus en plus latente. Plaçant leurs intérêts au dessus de l’Algérie, les proches de Chadli se démènent en vue d’obtenir son départ. En fait, dans un pays où le pouvoir est détenu en dehors du peuple, le pouvoir revient au plus fort. Commentant son éviction, dans une interview du 19 juillet 1990, Merbah déclare : « Ou bien j’ai été utilisé dés le départ pour passer une situation difficile et au bout de cette période mettre quelqu’un d’autre, ou bien, comme d’autres analystes l’affirment, j’étais quelqu’un qui a une certaine personnalité, un certain poids et qui risquait de prendre davantage de poids et de poser problème. »

En somme, en dépit de la soi-disant ouverture, le régime algérien ne veut rien changer sur le fond. Tenant systématiquement le peuple algérien à l’écart, les hommes du sérail se livrent constamment à des luttes implacables en vue de détenir une position privilégiée au sommet de la hiérarchie. Hormis la période Hamrouche 1989-1991, caractérisée par un train de réformes, les autres gouvernements ne tiennent nullement compte du peuple algérien. D’ailleurs, la réaction des vrais décideurs  aux réformes de Hamrouche ne se fait pas trop attendre. Dès que l’occasion s’est présentée en juin 1991, le gouvernement réformateur est renversé. Pire encore, prétextant un danger islamiste, le haut commandement militaire referme définitivement la parenthèse démocratique en Algérie.

En fait, bien que le projet du FIS ne puisse pas apporter le moindre épanouissement au peuple algérien, le commandement militaire n’a pas seulement cherché à anéantir l’influence des islamistes, mais a saisi l’occasion pour revenir sur les réformes précédentes.  Pour parvenir à leur fin, ils ont tout fait et continue de faire tout pour décourager le citoyen de s’intéresser à la chose publique. Enfin, bien que le contexte régional soit favorable au changement, le régime algérien ne montre aucun signe d’ouverture. Se contentant d’entretenir une clientèle à coup de milliards de dollars, ils s’assurent des victoires avec des taux de participation dérisoires. En plus, ils claironnent que l’Algérie n’a pas besoin de printemps.  

Par Ait Benali Boubekeur

3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 10:46

FERHAT_ABBAS-2-ccd9b.jpg« À vouloir agir en dehors du peuple, on arrive à des résultats diamétralement opposés aux véritables objectifs socialistes et égalitaires », extrait de la lettre de démission de Ferhat Abbas, le 12 aout 1963.

Après avoir apporté son soutien, quasiment indéfectible, à la coalition Ben Bella-Boumediene en 1962, Ferhat Abbas jette l’éponge. D’ailleurs, ce choix, il le regrettera amèrement plus tard. Quoi qu’il en soit, son engagement avec le bureau politique, créé à Tlemcen le 22 juillet 1962, ne peut être assimilé à celui des opportunistes de tout poil. En tout cas, bien que le bureau politique, après avoir écarté illégalement le GPRA, ait concocté des listes dans le seul souci d’avoir une emprise sur l’Assemblée nationale constituante, il n’en demeure pas moins que certains élus, à l’instar de Ferhat Abbas ou de Hocine Ait Ahmed, tiennent à accomplir leur mission convenablement.

Pour Ferhat Abbas, le but assigné à l’Assemblée constituante est incontestablement de doter le pays d’une constitution juste. Or, le nouveau pouvoir ne l’entend pas de cette oreille. Du coup, le peuple algérien, s’il voulait vivre libre, devrait mener derechef le combat pour sa libération de la dictature. Et en dépit des souffrances dues à la brutalité coloniale, les Algériens, selon Ferhat Abbas, doivent reconquérir, au prix d’autres sacrifices, leur émancipation. « Avant d’engager l’avenir, celui du pays, celui de nos femmes et de nos enfants, chacun de nous doit prendre conscience de ses responsabilités pour mieux les assumer. Sinon, il renonce, par un lâche opportunisme, au devoir élémentaire de tout citoyen », fait-il remarquer.

Par ailleurs, nonobstant le soutien de Ferhat Abbas à la coalition Ben Bella-Boumediene lors de la crise de l’été 1962, son respect au peuple algérien le détache rapidement de ces assoiffés de pouvoir, dont la satisfaction de leur égo relègue l’avenir de l’Algérie au second plan. Tout compte fait, ces pratiques antidémocratiques, selon lui, conduisent indubitablement à l’instauration d’une République bananière. En effet, à défaut que les chefs soient l’émanation du peuple, les vainqueurs de la crise de l’été 1962 recourent sans vergogne à la cooptation.  Celle-ci, fait remarquer Ferhat Abbas, aboutit à la formation de la «  République des Camarades », contre laquelle tout Algérien a le devoir de s’élever. Hélas ! Quarante-neuf ans après la dénonciation des dérives personnelles, la situation en Algérie reste inchangée. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le peuple algérien aura du pain sur la planche s’il veut recouvrer la liberté effective.

D’une façon générale, cette liberté ne représente pas un luxe par rapport aux sacrifices des ainés pour que cette terre ne soit pas entre les mains de n’importe quel maitre. Plus que ça, le peuple algérien a le droit et le devoir de réclamer cette liberté. D’ailleurs, de quel droit un responsable engage-t-il l’avenir du pays sans tenir compte des citoyens ? Le slogan de la révolution algérienne n’est-il pas, « La révolution se fait par le peuple et pour le peuple »? Cela dit, bien que les Algériens soient fatigués de lutter, à chaque joute électorale, ils doivent donner une claque électorale à ce régime. En tout état de cause, le boycott des élections ne sert pas la cause démocratique, notamment après les révolutions nord-africaines où des mutations réelles se sont produites. En effet, sans que le peuple recoure à la force, il faut qu’il exerce une pression telle que le pouvoir lui revienne. Ainsi, l’action du dirigeant sera soumise à son contrôle. Et celui qui ne fait pas ses preuves, il n’aura plus la chance d’exercer de nouvelles responsabilités. Et comme le dit Ait Ahmed, c’est au dirigeant de plaire à son peuple et non l’inverse.

En somme, le constat des cinquante ans d’indépendance est décevant sur le plan des libertés. En effet, depuis l’accès de l’Algérie à sa souveraineté, le peuple algérien est systématiquement marginalisé. Au meilleur des cas, il n’est consulté que pour avaliser des décisions déjà arrêtées. Enfin, sans être un grand clerc, la solution réside dans la prise de conscience du peuple algérien. En principe, c’est à lui de prendre les initiatives. « Et même s’il se trompait cette erreur serait moins grave de conséquence que le fait de le museler, et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure », conclut Ferhat Abbas sa missive.   

Par Ait Benali Boubekeur

24 septembre 2012 1 24 /09 /septembre /2012 13:09

index-copie-6.jpgLa question du pouvoir en Algérie aurait pu être réglée sans violence si la propension de certains dirigeants à ériger un pouvoir personnel avait été mise de côté. En plus, la découverte du pétrole, dans la deuxième moitié des années cinquante, aurait pu faciliter la réalisation des desiderata du peuple algérien. Néanmoins, bien que la France ait retardé l’indépendance du pays de six ans, après la découverte du pétrole à Edjeleh et à Hassi Messaoud en 1956, il n’en demeure pas moins que l’action des maquis intérieurs et les efforts accomplis par la diplomatie algérienne finiront par apporter leur fruit en 1962.

D’une façon générale, cette source d’énergie, depuis son avènement, n’apporte pas que du bonheur au peuple algérien. Au contraire, elle est, dans le premier temps, à l’origine de la furie coloniale et, ensuite, le facteur de l’instabilité politique après l’indépendance. En tout état de cause, bien qu’on ne puisse pas affirmer que cette cupidité animait tous les dirigeants de la révolution algérienne, force est de reconnaitre qu’à l’indépendance, les dirigeants successifs n’ont utilisé cette ressource que pour renforcer leur pouvoir, et ce, sans se soucier des préoccupations du peuple algérien. Remontant jusqu’à la guerre d’Algérie, Hocine Malti, dans « Histoire secrète du pétrole algérien », décrit comment le pouvoir personnel, celui des 3B notamment, est survenu en pleine guerre d’Algérie. « Ils ont été suivis plus tard par un quatrième B (Houari Boumediene), qui a instauré un régime dictatorial –qui prévaut jusqu’à ce jour –, avant que Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika n’entament l’œuvre de destruction du pays », poursuit-il.

Tout compte fait, malgré les tiraillements internes, la fin du joug colonial est célébrée dans la plus grande hilarité. Bien que les nouveaux maitres aient préparé, avant le cessez-le-feu, un projet les remettant à la case de départ, c’est-à-dire à un statut de sujétion, il n’en reste pas moins que le peuple a cru à un retour rapide à la normale. Mais, l’histoire a prouvé que cette domination sauvage n’est pas prête de cesser. Et pourtant, tous les ingrédients, pour réussir le pari de construire une grande nation, sont réunis. En plus de l’unité effective du peuple algérien en 1962, l’Algérie dispose aussi de grandes ressources énergétiques, notamment le pétrole et le gaz. « On ne peut que constater, plus d’un demi-siècle plus tard, que le bonheur de ce peuple lui a été volé par ses dirigeants, que le pays est devenu enfer, tandis que le sort de millions d’Algériens n’est que mal vie et souffrances, voire sang et larmes », note à juste titre Hocine Malti.   

De toute évidence, sans que ce jugement soit entaché de la moindre animosité, le malheur du peuple algérien vient de la cupidité de ses dirigeants. En effet, bien que le peuple algérien se soit prononcé sans ambages au referendum d’autodétermination, les nouveaux dirigeants lui dénient par la suite le droit de choisir librement son destin. « Ces dirigeants despotiques se sont emparés du pouvoir par la force des armes au lendemain de l’indépendance, un pouvoir que des successeurs corrompus ne veulent toujours pas remettre, à la fin de la première décennie du XXIème siècle, entre les mains de son propriétaire légitime, le peuple, et qui ont fait des hydrocarbures leur bien personnel », affirme Hocine Malti.

Toutefois, bien que les Algériens tentent de s’organiser, à chaque fois, la victoire revient au régime dont la force de frappe est incommensurable. Résultat des courses : la perspective de l’instauration d’une République juste et démocratique est renvoyée aux calendes grecques. Et pourtant, à les écouter, on dirait que l’Algérie se porte à merveille. Constitué sur la base clanique, ce pouvoir décrète que sans lui, l’Algérie tomberait en panne. Or, comme l’affirme le spécialiste algérien du pétrole, « la véritable malédiction est dans le système de gouvernance instauré par ces dirigeants, qui attribue tout le pouvoir à un homme et à un quarteron de généraux. Elle est dans le mode de transmission de ce pouvoir au sein d’un seul et unique clan qui prétend être une « famille révolutionnaire ». Elle est également dans la façon sont gérés les hydrocarbures au profit de cette seule caste ».

Immanquablement, si la manne pétrolière avait été utilisée à bon escient, au lieu d’être utilisée à affermir un système, l’Algérie aurait surement atteint un niveau de développement comparable à celui des grandes nations. Hélas, un demi-siècle après le recouvrement de l’indépendance, la survie du peuple algérien dépend littéralement de la vente des hydrocarbures. En tout cas, il est un secret de polichinelle que le pays évolue au rythme du marché de l’or noir. À titre d’exemple, en 1986, quand le prix du baril a atteint son plus bas niveau, les Algériens ne trouvaient rien à acheter dans les magasins.

Par ailleurs, après les événements d’octobre 1988, qui ont donné naissance au forceps à la démocratie, le régime s’est enfin ouvert à la compétition. Et dès les premières élections où les Algériens pouvaient s’exprimer, ces derniers  ont sanctionné le régime en votant en faveur d’un parti extrémiste, le FIS en l’occurrence. Cela dit, la prise du pouvoir par celui-ci aurait plongé le pays dans une crise encore plus abyssale. Toujours est-il, en démocratie, on doit accepter le choix majoritaire, sinon ça ne servira à rien de lutter pour la démocratie si elle exclut la victoire des uns ou des autres.

Cela dit, la perspective de perdre le pouvoir a fait sortir les vrais décideurs de leur gond. Vingt ans après le coup d’État de janvier 1992, on peut dire que les architectes du coup de force ont pensé à leurs intérêts qu’à celui de l’Algérie. Sinon comment expliquer que l’Algérie soit gouvernée par des personnes dont la moyenne d’âge dépasse les 70 ans, alors que la majorité écrasante de la population ne dépasse pas la trentaine. En tout cas, dans les pays où le dirigeant sert l’intérêt de son pays, il ne trouve aucun inconvénient à céder la place. L’exercice des hautes responsabilités –et c’est le moins que l’on puisse dire, est harassant. Or, en Algérie, les postes clés sont occupés par des dirigeants dont l’âge avoisine les 80 ans. C’est intrigant quand même !  

Par Ait Benali Boubekeur

14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 10:15

images-copie-17.jpgVers la fin de la guerre d’Algérie, le citoyen lambda se dit, dans son for intérieur, que son statut subalterne ne sera qu’un mauvais souvenir. Se contentant de faire face aux dangers qui le guettent journellement, il ne sait pas qu’un groupe de militaires a scellé le sort de l’Algérie avant le cessez-le-feu. Cela dit, bien qu’il accueille la fin de la colonisation avec la grande hilarité, il n’en reste pas moins que cette euphorie ne s’est pas prolongé longtemps. Désormais, il assiste impuissant à la lutte fratricide pour le pouvoir. Quoi qu’il en soit, bien qu’un mouvement révolutionnaire puisse envisager l’emploi de la violence contre un système colonial ne choque pas, mais dès lors qu’il la retourne ensuite contre son peuple, cela laisse sans voix.

En tout cas, les effets de la prise du pouvoir par la force, juste après le référendum pour l’autodétermination des Algériens, n’ont pas tardé à se manifester.  En effet, quand un pays fait des mauvais choix, les erreurs se payent cash. Dans le cas algérien, la propension de certains dirigeants à asseoir un pouvoir personnel va engendrer une crise insoluble dont les futures générations payeront le prix fort, comme le souligne Ferhat Abbas : « Ceux qui l’ont [le peuple] privé de la parole, qui l’ont empêché d’exercer ses responsabilités, avec l’arrière-pensée de vivre comme des rois et de régner sur l’Algérie, ont commis une faute grave. Une faute dont nos enfants supporteront les conséquences. »

Et le moins que l’on puisse dire c’est que les dirigeants algériens, dans leur abus perpétuel de pouvoir,  ont foulé au sol les principes pour lesquels ce peuple a supporté l’une des guerres les plus terribles. D’une façon générale, la préparation de l’armée, sous l’égide de Boumediene, à assumer le pouvoir politique sans l’aval des Algériens a abouti naturellement à la dépossession du peuple de son droit de bâtir librement les institutions de son pays. Néanmoins, bien que ce régime ait cru à l’éducation du peuple par la trique, le pouvoir algérien n’a réussi, en fin de compte, qu’à déboussoler le peuple. Ainsi, pour Boumediene et ses acolytes, le peuple est assimilé à un troupeau devant le suivre sans rechigner. Afin qu’il ne lui arrive pas un malheur, il doit obéir sans vergogne à ses chefs. Quant à ceux qui refusent d’abdiquer, le pouvoir algérien dispose des moyens colossaux en vue de les neutraliser. Ainsi, vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, le régime algérien passe tout bonnement à la vitesse supérieure en matière de répression. Cette fois-ci, il recourt uniment à l’assassinat politique.

Cependant, bien que les exemples se multiplient à foison, on peut retenir, pour illustrer la gravité de la politique répressive, deux exemples : l’assassinat de Mohamed Khidder et celui de Krim Belkacem. De toute évidence, bien que Mohamed Khidder ne menace pas directement le pouvoir de Boumediene, le fait qu’il envisage de « constituer un gouvernement en exil » le condamne à une fin terrible. « Il avait consulté à cet effet Mohamed Lebjaoui et Krim Belkacem. Il ne s’en était pas ouvert à Mohamed Boudiaf ni à moi-même. Mais la perspective d’un regroupement même partiel de l’opposition pouvait être interprétée comme une menace sérieuse par un Boumediene qui n’était au pouvoir que depuis moins de deux ans et éprouvait impérieusement le besoin de consolider son régime », révèle Hocine Ait Ahmed ce qu’il sait de l’affaire Khidder à Hamid Barrada.

En tout état de cause, bien que certaines mauvaises langues aient lié, depuis des années, ce meurtre à une affaire d’argent, Ait Ahmed balaye cette hypothèse et considère que ce motif n’est pas convaincant. Car, à l’arrivée de Boumediene au pouvoir, Khidder, qui contrôle toujours le trésor du FLN estimé à quatre milliards de francs anciens, manifeste son intention de le remettre au nouveau pouvoir. Cette profession de foi de Khidder ne dissuade pas apparemment Boumediene. En tout cas, le pouvoir issu du coup d’État du 19 juin 1965 ne compte pas rester dans l’expectative. Bien que les opposants à son régime soient les meilleurs fils de l’Algérie ayant consenti des sacrifices pour que l’Algérie vive en liberté, Boumediene n’hésite pas à les mettre soit en résidence surveillée, soit en prison, soit à les liquider physiquement.

Ainsi, en considérant Khidder comme un élément déstabilisateur à son régime, les services algériens se sont occupés de son cas. Pour ce faire, ils ont recruté un certain Youcef Dakhmouche. Selon Ait Ahmed, ce dernier « appartient à la pègre et était téléguidé par les services secrets algériens. Cette liaison, on ne cherchait même pas à la dissimuler, puisque Dakhmouche était en rapport constant avec un certain Boukhalfa, l’honorable correspondant de la SM à Madrid et attaché culturel à l’ambassade d’Algérie. » Tout compte fait, se moquant de toutes les lois, la police politique algérienne commet son forfait en plein centre de Madrid, le 4 janvier 1967.

Cependant, ce crime politique, pour un régime politique ne tolérant aucune voix discordante, devient un recours idoine. Placé sur la liste des personnalités à éliminer, Ait Ahmed n’en échappe que grâce à sa méfiance héritée de ses années de clandestinité des années durant. En tout cas, en 1969, la SM charge Ait Mesbah, un agent rusé, de se rapprocher de Hocine Ait Ahmed en vue de le liquider. Sa mission consiste à piéger le fondateur du FFS pour qu’il marche avec son soi-disant groupe de dissidents œuvrant pour le renversement de Boumediene. « En clair, il m’offrait le pouvoir sur un plateau d’argent. J’ai décliné son offre en disant que j’étais par principe hostile aux putschs », relate Ait Ahmed.  

Quoi qu’il en soit, cet échec ne décourage pas le commandant de la SM. Un an plus tard, Ait Mesbah renouvèlera sa mission. Cette fois-ci, la cible est le lion des djebels, Krim Belkacem. Condamné à mort par contumace, en 1969, par le tribunal d’Oran, le signataire des accords d’Evian s’exile en Europe. Pour le piéger, la sécurité militaire déploie alors tous ses moyens. Selon Ait Ahmed, « La SM avait mis au point un scénario de coup d’État et lui avait proposé d’en prendre la tête. Pour les besoins de la cause, Ait Mesbah, qui connaissait bien Krim du temps de la guerre, se disait passé à l’opposition. Tout était fin prêt pour la prise du pouvoir. La proclamation annonçant la chute du régime de Boumediene était même enregistrée. Un gouvernement était constitué : Krim, président de la République ; Ait Mesbah à l’intérieur…»

Cependant, bien qu’Ait Ahmed mette au courant Krim Belkacem de l’expérience qu’il a vécue l’année précédente, ce dernier accepte de marcher dans le jeu de ses assassins. D’ailleurs, sur la question du pouvoir, les historiens s’accordent à dire que Krim Belkacem avait toujours cette ambition de devenir président de la République. Empêché par Ben Tobbal et Boussouf d’accéder à la présidence du GPRA et à l’indépendance par un Boumediene épris de cette fonction, Krim Belkacem ne désespérait pas de voir son tour arrivé.

Donc, c’est en jouant sur ce point faible que le pouvoir algérien parvient à trouver la faille. Le 20 octobre 1970, trois agents de la sécurité militaire mettent fin aux jours de l’un des plus prestigieux guerriers de l’Algérie. « Vous n’ignorez pas que c’est dans sa chambre d’hôtel de Francfort qu’il fut étranglé avec sa propre cravate… La police allemande a fait son travail, les tueurs lui avaient facilité la tâche en abandonnant des documents compromettants dans une serviette déposée à l’aéroport. On a su ainsi qu’ils étaient au nombre de trois dont le commandant H’mida Ait Mesbah », précise Ait Ahmed.

Enfin, il va de soi que le verrouillage de la vie politique, dès l’indépendance, a débouché sur des diverses dérives. Le choix du système politique, basé essentiellement sur l’exclusion du peuple, est indubitablement à l’origine de ces exactions. Tout compte fait, à partir du moment où les Algériens n’élisent pas leurs représentants politiques, le pouvoir revient du coup à celui qui dispose de la plus grande force. Ainsi, jusqu’à sa mort, en décembre 1978, Boumediene  règne en maitre absolu sur l’Algérie. Quant aux acteurs politiques refusant de se fondre dans le moule, il ne leur reste que deux choix : se taire ou s’exiler. Et tous les opposants qui n’obéissent pas à ce schéma risquent, à un moment ou à un autre,  de recevoir les foudres du régime.   

Par Ait Benali Boubekeur

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