3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 10:44
La Plate-forme de Rome

1. Les partis de l'opposition algérienne, réunis à Rome auprès de la Communauté de San Egidio, déclarent en ce 13 janvier 1995 :

L'Algérie traverse aujourd'hui une épreuve tragique sans précédent.

Plus de trente ans après avoir chèrement payé son indépendance, le peuple n'a pas pu voir se réaliser les principes et tous les objectifs du 1er novembre 1954 et a vu s'éloigner progressivement tous les espoirs nés après octobre 1988.

Aujourd'hui le peuple algérien vit un climat de terreur jamais égalé, aggravé par des conditions sociales et économiques intolérables. Dans cette guerre sans images : séquestrations, disparitions, assassinats, torture systématisée, mutilations et représailles sont devenus le lot quotidien des Algériennes et des Algériens.

Les conséquences des événements de juin 1991 et du coup d'Etat du 11 janvier 1992, l'interruption du processus électoral, la fermeture du champ politique, la dissolution du FIS, l'instauration de l'état d'urgence et les mesures répressives et les réactions qu í elles ont suscitées, ont engendré une logique d'affrontement.

Depuis, la violence n'a cessé de s'amplifier et de s'étendre . Les tentatives du pouvoir de créer des milices au sein de la population marquent une nouvelle étape dans la politique du pire. Les risques de guerre civile sont réels, menaçant l'intégrité physique du peuple, l'unité du pays et la souveraineté nationale.

L'urgence d'une solution globale, politique et équitable s'impose afin d'ouvrir d'autres perspectives à une population qui aspire à la paix et à la légitimité populaire.

Le pouvoir n'a initié que de faux dialogues qui ont servi de paravents à des décisions unilatérales et à la politique du fait accompli.

Une véritable négociation reste l'unique moyen de parvenir à une issue pacifique et démocratique.

A- Cadre : valeurs et principes

Les participants s'engagent sur la base d'un contrat national dont les principes sont les suivants et sans l'acceptation desquels aucune négociation ne serait viable :

  • La déclaration du 1er novembre 1954 : "la restauration de l'Etat algérien souverain démocratique et social dans le cadre des principes de l'islam ( art 1)";

  • le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir ;

  • le rejet de toute dictature quelle que soit sa nature ou sa forme et le droit du peuple à défendre ses institutions élues ;

  • le respect et la promotion des droits de la personne humaine tels qu'énoncés par la Déclaration universelle, les pactes internationaux sur les droits de líhomme, la Convention internationale contre la torture et consacré par les textes légaux ;

  • le respect de l'alternance politique à travers le suffrage universel ;

  • le respect de la légitimité populaire. Les institutions librement élues ne peuvent être remises en cause que par la volonté populaire ;

  • la primauté de la loi légitime ;

  • la garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives quelles que soit la race, le sexe, la confession et la langue;

  • la consécration du multipartisme ;

  • la non implication de l'armée dans les affaires politiques. Le retour à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l'unité et de l'indivisibilité du territoire national ;

  • les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont l'islam, l'arabité et l'amazighité *; la culture et les deux langues concourant au développement de cette personnalité doivent trouver dans ce cadre unificateur leur place et leur promotion institutionnelle, sans exclusion ni marginalisation ;

  • la séparation des pouvoirs législatif exécutif, et judiciaire ;

  • la liberté et le respect des confessions.

B- Mesures devant précéder les négociations

  • La libération effective des responsables du FIS et de tous les détenus politiques. Assurer aux dirigeants du FIS tous les moyens et garanties nécessaires leur permettant de se réunir librement entre eux et avec tous ceux dont il jugent la participation nécessaire à la prise de décisions

  • L'ouverture du champ politique et médiatique. L'annulation de la décision de dissolution de FIS. Le plein rétablissement des activités de tous les partis.

  • La levée des mesures d'interdiction et de suspension des journaux des écrits et des livres, prises en application du dispositif d'exception.

  • La cessation immédiate, effective et vérifiable de la pratique de la torture.

  • L'arrêt des exécutions des peines capitales, des exécutions extrajudiciaires et des représailles contre la population civile.

  • La condamnation et l'appel à la cessation des exactions et des attentats contre les civils, les étrangers et la destruction des biens publics.

  • La constitution d'une commission indépendante pour enquêter sur ces actes de violences et les graves violations des Droits de l'homme.

C- Rétablissement de la paix

Une dynamique nouvelle pour la paix implique un processus graduel, simultané et négocié comprenant :

  • d'une part, des mesures de détente réelle : fermeture des camps de sûreté, levée de l'état d'urgence et abrogation du dispositif d'exception ;

  • et d'autre part, un appel urgent et sans ambiguïté pour l'arrêt des affrontements. Les Algériennes et les Algériens aspirent au retour de la paix civile. Les modalités d'application de cet engagement seront déterminées par les deux parties en conflit avec la participation active des autres partis représentatifs.

Cette dynamique exige la participation pleine et entière des forces politiques représentatives et pacifiques. Celle-ci sont en mesure de contribuer au succès du processus en cours et assure l'adhésion de la population.

D- Le retour à la légalité constitutionnelle

Les partis s'engagent à respecter la Constitution du 23 février 1989. Son amendement ne peut se faire que par les voies constitutionnelles.

E- Le retour à la souveraineté populaire

Les parties prenantes aux négociations doivent définir une légalité transitoire pour la mise en oeuvre et la surveillance des accords. Pour cela, elles doivent mettre en place une Conférence nationale dotée de compétences réelles, composée du pouvoir effectif et des forces politiques représentatives.

Cette Conférence définira :

  • les structures transitoires, les modalités et la durée d'une période de transition, la plus courte possible devant aboutir à des élections libres et pluralistes qui permettent au peuple le plein exercice de sa souveraineté ;

  • la liberté de l'information, le libre accès aux médias et les conditions du libre choix du peuple doivent être assurés ;

  • le respect des résultats de ce choix doit être garanti.

F- Garanties

Toutes les parties prenantes à la négociation sont en droit d'obtenir des garanties mutuelles.

Les partis, tout en gardant leur autonomie de décision :

  • s'opposent à toute ingérence dans les affaires internes de l'Algérie ;

  • dénoncent l'internationalisation de fait qui est le résultat de la politique d'affrontement menée par le pouvoir ;

  • demeurent convaincus que la solution de la crise ne peut être que l'oeuvre exclusive des Algériens et doit concrétiser en Algérie ;

  • s'engagent à mener une campagne d'information auprès de la communauté internationale pour faire connaître l'initiative de cette plate-forme et lui assurer un soutien ;

  • décident de lancer une pétition internationale pour appuyer l'exigence d'une solution politique et pacifique en Algérie ;

  • appellent la communauté internationale à une solidarité agissante avec le peuple algérien ;
    décident de maintenir les contacts entre eux en vue d'une consultation et d'une concertation permanentes.

Pour la LADDH : Abdennour Ali Yahyia
Pour le FLN : Abdelhamid Mehri
Pour le FFS : Hocine Aït Ahmed ; Ahmed Djeddai
Pour le FIS : Rabah Kebir ; Anwar Haddam
Pour le PT : Louisa Hanoune
Pour le MDA : Ahmed Ben Bella ; Khaled Bensmain
Pour Ennahda : Abdallah Jaballah
Pour le JMC : Ahmed Ben Mouhammed

28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 13:44
Texte intégral de la plate-forme de la Soummam

LA PLATEFORME DE LA SOUMMAM

POUR ASSURER LE TRIOMPHE DE LA REVOLUTION ALGERIENNE, DANS LA LUTTE

POUR L’INDEPENDANCE NATIONALE

INTRODUCTION

Les extraits de la présente plate-forme d’action du FRONT DE LIBERATION NATIONALE ont pour objet de définir, d’une façon générale, la position du FLN, à une étape déterminante de la Révolution Algérienne. Elle est divisée en trois parties :

I) La situation politique actuelle.

II) Les perspectives générales.

III) Les moyens d’actions et de propagande.

I) LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLE

A) L’ESSOR IMPETUEUX DE LA REVOLUTION ALGERIENNE

L’Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l’indépendance nationale.

La révolution patriotique et anticolonialiste est en marche.

Elle force l’admiration de l’opinion mondiale.

a. La Résistance armée.

En une période relativement courte, l’Armée de Libération Nationale, localisée dans l’Aurès et la Kabylie, a subi avec succès l’épreuve du feu.

Elle a triomphé de la compagne d’encerclement et d’anéantissement menée par une armée puissante, moderne, au service du régime colonialiste d’un des plus grands Etats du monde.

Malgré la pénurie provisoire d’armement, elle a développé les opérations de guérillas, de harcèlement, de sabotage, s’étendant aujourd’hui à l’ensemble du territoire national.

Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.

Elle a su passer rapidement de la guérilla au niveau de la guerre partielle.

Elle a su combiner harmonieusement les méthodes éprouvées des guerres anti-colonialistes avec les formes les plus classiques en les adoptant intelligemment aux particularités du pays.

Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation militaire est unifiée, qu’elle possède la science de la stratégie d’une guerre englobant l’ensemble de l’Algérie.

L’Armée de Libération Nationale se bat pour une cause juste.

Elle groupe des patriotes, des volontaires, des combattants décidés à lutter avec abnégation jusqu’à la délivrance de la patrie martyre.

Elle s’est renforcée par le sursaut patriotique d’officiers, de sous-officiers et de soldats de carrière ou du contingent, désertant en masse avec armes et bagages les rangs de l’armée française.

Pour la première fois dans les annales militaires, la France ne peut plus compter sur le « loyalisme » des troupes algériennes. Elle est obligée de les transférer en France et en Allemagne.

Les Harkas de goumiers, recrutés parmi les chômeurs souvent trompés sur la nature du « travail » pour lequel ils étaient appelés, disparaissent dans le maquis. Certaines sont désarmées et dissoutes par les autorités mécontentes.

Les réserves humaines de l’ALN sont inépuisables. Elle est souvent obligée de refuser l’enrôlement des Algériens jeunes et vieux, des villes et campagnes, impatients de mériter l’honneur d’être soldats de leur « Armée ».

Elle bénéficie pleinement de l’amour du peuple algérien, de son soutien enthousiaste, de sa solidarité agissante, morale et matérielle, totale et indéfectible.

Les officiers supérieurs, les commandants de zones, les commissaires politiques, les cadres et soldats de l’Armée de Libération Nationale sont honorés comme des héros nationaux, glorifiés dans des chants populaires qui ont déjà pénétré aussi bien dans l’humble gourbi que la misérable Khaïma, la ghorfa des casbahs comme le salon des villas.

Telles sont les raisons essentielles du « miracle algérien » : l’ALN tenant en échec la force colossale de l’armée colonialiste française, renforcée par les divisions « atomiques » prélevées sur les forces de l’OTAN.

Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts, jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que les déluges de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien.

Nous devons signaler particulièrement la formation de nombreux maquis urbains qui, d’ores et déjà, constituent une seconde armée sans uniforme.

Les groupes armés dans les villes et villages se sont notamment signalés par des attentats contre les commissariats de police, les postes de gendarmerie, les sabotages de bâtiments publics, les incendies, la suppression de gradés de la police, de mouchards, de traîtres.

Ce qui affaiblit d’une façon considérable l’armature militaire et policière de l’ennemi colonialiste, augmente la dispersion de ses forces sur l’ensemble du sol national, mais aussi accentue la détérioration du moral des troupes, maintenus dans un état d’énervement et de fatigue par la nécessité de rester sur un qui-vive angoissant.

C’est un fait indéniable que l’action de l’ALN a bouleversé le climat politique en Algérie.

Elle a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur de la peur, de son scepticisme.

Elle a permis au peuple algérien une nouvelle prise de conscience de sa dignité nationale.

Elle a également déterminé une union psycho-politique de tous les Algériens, cette unanimité nationale qui féconde la lutte armée et rend inéluctable la victoire de la liberté.

b. Une organisation politique efficace.

Le FRONT DE LIBERATION NATIONALE, malgré son activité clandestine, est devenu aujourd’hui l’unique organisation véritablement nationale. Son influence est incontestable et incontestée sur tout le territoire algérien.

En effet, dans un délai extrêmement court, le FLN a réussi le tour de force de supplanter tous les partis politiques existants depuis des dizaines d’années.

Cela n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de la réunion des conditions indispensables suivantes :

1°) Le bannissement du pouvoir personnel et l’instauration du principe de la direction collective composée d’hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux, insensibles au danger, à la prison ou à la peur de la mort.

2°) La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste.

3°) L’union du peuple est réalisée dans la lutte contre l’ennemi commun, sans sectarisme :

Le FLN affirmait au début de la Révolution que « la libération de l’Algérie sera l’œuvre de TOUS les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelque soit son importance ». C’est pourquoi le FLN tiendra compte dans sa lutte de toutes les forces anti-colonialistes, même si elles échappent à son contrôle.

4°) La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les valets de l’administration, indicateurs ou policiers. D’où la capacité du FLN à déjouer les manœuvres politiques et les traquenards de l’appareil policier français.

Cela ne saurait signifier que toutes les difficultés seraient complètement effacées.

Notre action politique a été handicapée au départ pour les raisons ci-après :

1°) L’insuffisance numérique des cadres et des moyens matériels et financiers.

2°) La nécessité d’un long et dur travail de clarification politique, d’explication patiente et persévérante pour surmonter une grave crise de croissance.

3°) L’impératif stratégique de SUBORDONNER TOUT AU FRONT DE LA LUTTE ARMEE.

Cette faiblesse, normale et inévitable au début, est déjà corrigée, après la période où il se contentait de lancer uniquement des mots d’ordre de résistance à l’impérialisme, on a assisté à une réelle apparition du FLN sur le plan de la lutte politique.

Ce redressement fut marqué par la grève d’anniversaire du 1er novembre 1955, considérée comme l’événement décisif, tant par son aspect spectaculaire et positif que par son caractère profond, preuve de la « prise en main » de toutes les couches de la population.

Jamais, de mémoire d’Algérie, aucune organisation politique n’avait obtenu une grève aussi grandiose dans les villes et villages du pays.

D’autre part, le succès de la non-coopération politique lancée par le FLN est non moins probant. La cascade de démissions des élus patriotes suivie de celles des élus administratifs ont imposé au gouvernement français la non-prorogation du mandat des députés du Palais Bourbon, la dissolution de l’Assemblée Algérienne. Les conseils généraux et municipaux et les djemaa ont disparu, vide accentué et amplifié par la démission de nombreux fonctionnaires et auxiliaires de l’autorité coloniale, caïds, chefs de fraction, gardes champêtres. Faute de candidatures ou de remplaçants, l’administration française est disloquée; son armature considérée comme insuffisante ne trouve aucun appui parmi le peuple; dans presque toutes les régions elle coexiste avec l’autorité du FLN.

Cette lente mais profonde désagrégation de l’administration française a permis la naissance puis le développement d’une dualité de pouvoir. Déjà fonctionne une administration révolutionnaire avec des djemaa clandestines et des organismes s’occupant du ravitaillement, de perception d’impôts, de la justice, du recrutement de moudjahidine, des services de sécurité et de renseignements. L’administration du FLN prendra un nouveau virage avec l’institution des assemblées du peuple qui seront élues par les populations rurales avant le deuxième anniversaire de notre révolution.

Le sens politique du FLN s’est vérifié d’une façon éclatante par l’adhésion massive des paysages pour lesquels la conquête de l’indépendance nationale signifie en même temps la réforme agraire qui leur assurera la possession des terres qu’ils fécondent de leur labeur.

Cela se traduit par l’éclosion d’un climat insurrectionnel qui s’est étendu avec rapidité et une forme variée à tout le pays.

La présence d’éléments citadins, politiquement mûrs et expérimentés, sous la direction lucide du FLN, a permis la politisation des régions retardataires. L’apport des étudiants a été d’une grande utilité, notamment dans les domaines politiques, administratif et sanitaire.

Ce qui est certain, c’est que la Révolution Algérienne vient de dépasser avec honneur une première étape historique.

C’est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruite en quelques mois.

C’est une révolution organisée et non une révolte anarchique.

C’est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le féodalisme.

C’est en fin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues.

c. La faillite des anciennes formations politiques.

La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l’expérience décisive du combat libérateur, l’impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.

La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.

Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le FLN. L’UDMA dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du FLN ; l’UGEMA groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.

Le Comité central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement ex-dirigeants et en tant que tendance politique.

Le Messalisme en déroute

L e M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n’a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l’ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.

C’est de là que partaient les mots d’ordre, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation à la lutte contre l’ennemi exécré des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l’assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.

L’activité sporadique et brève du M.N.A. s’était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contre-révolutionnaire dans des opérations de division (campagne antimozabite), de gangstérisme(racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l’Armée de Libération Nationale).

Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d’âme qui s’étiole chaque jour.

Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l’ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus «les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien ».

La psychologie de Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil ».

Le nationalisme Algérien dont Messali revendique effrontément l’initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d’une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.

Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.

Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d’un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.

C’est la division, arme classique du colonialisme.

Le gouvernement français a tenté en vain d’opposer au FLN des groupements modérés, voire même le groupe des «61». Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d’une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du MNA dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.

Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l’instrument parfait pour la politique impérialiste.

Ce n’est dons pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1956 au professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ».

Le ministre résidant Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le MNA s’efforcer uniquement d’affaiblir le FLN.

L’hebdomadaire socialiste «Demain», dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du FLN à accorder à Messali sa liberté totale, «le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien».

Quand on se rappelle que Messali s’est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d’Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal «Demain».

Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s’étonner de le voir glisser vers la trahison consciente.

Le Communisme Absent

Le P.C.A., malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance Algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé.

La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n’a pas été capable d’analyser correctement la situation révolutionnaire. C’est pourquoi elle a condamné le «terrorisme» et ordonné dès les premiers mois de l’insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.

La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d’un Béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.

Non seulement les communistes algériens n’ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n’ont pas soufflé mot sur l’abandon de l’action concrète contre la guerre d’Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des docks, contre le matériel de guerre.

Le P.C.A. a disparu en tant qu’organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d’éléments européens dont l’ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.

Cette absence d’homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l’impossibilité de la libération nationale de l’Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.

Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O., favorable à la politique d’assimilation passive et opportuniste.

Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la «bourgeoisie arabe», comme si l’indépendance nationale de l’Algérie devait suivre forcément le chemin des Révolutions manquées, voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.

La C.G.T., subissant l’influence communiste, se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d’ordre d’action.

La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l’attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n’est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des bras croisés, les directives de Paris.

Les dockers d’Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1ernovembre 1956.

Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d’action patriotique aurait revêtu un caractère d’unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.

Voila pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l’U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l’expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d’émigration et d’indignité humaine.

Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à niveau qualificatif plus élevé, n’a manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A., déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.

On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l’A.L.N. Il est possible qu’il s’agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.

Il est certain que le P.C.A. essaiera dans l’avenir d’exploiter ces « placements » dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.

B) LA STRATEGIE IMPERIALISTE FRANCAISE.

La Révolution Algérienne, détruisant impitoyablement tous les pronostics colonialistes et faussement optimistes, continue de se développer avec une vigueur exceptionnelle, dans une phase ascendante de longue portée.

Elle ébranle et ruine ce qui reste de l’empire colonial français en déclin.

Les gouvernements successifs de Paris sont en proie à une crise politique sans précédant. Obligés de lâcher les colonies d’Asie, ils croient pouvoir conserver celles d’Afrique. Ne pouvant faire face au « pourrissement » de l’Afrique du Nord, ils ont lâché du lest en Tunisie et au Maroc pour tenter de garder l’Algérie.

a) La leçon des expériences tunisiennes et marocaines.

Cette politique sans perspectives réalistes s’est traduite notamment par la succession rapide de défaites morales dans tous les secteurs :

Mécontentement en France, grèves ouvrières, révoltes de commerçants, agitation chez les paysans, déficit budgétaire, inflation, sous-production, marasme économique, question algérienne à l’ONU, abandon de la Sarre en Allemagne.

La poussée révolutionnaire nord-africaine, malgré l’absence d’une stratégie politique commune en raison de la faiblesse organique de ce qu’a été le Comité de Libération du Maghreb, a acculé le colonialisme français à improviser une tactique défense hâtive, bouleversant tous les plans de la répression esclavagiste traditionnelle.

Les conventions franco-tunisiennes qui devaient jouer le rôle de barrage néo-colonialiste ont été dépassées sous la pression conjuguée du mécontentement populaire et des coups portés à l’impérialisme dans les trois pays frères.

Le rythme de l’évolution de la crise marocaine, l’entrée en lutte armée des montagnards venant renforcer la résistance citadine, et surtout la pression de la révolution algérienne ont été parmi les facteurs les plus déterminants du revirement de l’attitude officielle française et de l’indépendance marocaine.

Le brusque changement de méthode du gouvernement colonialiste abandonnant l’immobilisme pour s’engager dans la recherche d’une solution rapide était dicté d’abord par des raisons de caractère stratégique.

Il s’agissait :

1°) D’empêcher la constitution d’un véritable second front, en mettant fin à l’unification de la lutte armée au RIFF et en ALGERIE.

2°) D’achever de briser l’unité de combat des trois pays d’Afrique du Nord.

3°) D’isoler la Révolution Algérienne dont le caractère populaire la rendait nettement plus dangereuse.

Tous les calculs ont été voués à l’échec. Les négociations menées séparément avaient pour but de tenter de duper ou de corrompre certains dirigeants des pays frères en les poussant à abandonner consciemment ou inconsciemment le terrain réel de la lutte révolutionnaire jusqu’au bout.

La situation politique nord-africaine est caractérisée par le fait que le problème algérien se trouve encastré dans les problèmes marocain et tunisien pour n’en faire qu’un seul.

En effet, sans l’indépendance de l’Algérie, celle du Maroc et de la Tunisie est un leurre.

Les Tunisiens et les Marocains n’ont pas oublié que la conquête de leurs pays respectifs par la France a suivi la conquête de l’ALGERIE.

Les peuples du MAGHREB sont aujourd’hui convaincus par l’expérience que la lutte en ordre dispersé contre l’ennemi commun n’a pas d’autre issue que la défaite pour tous, chacun pouvant être écrasé séparément.

C’est une aberration de l’esprit que de croire que le Maroc et la Tunisie pouvaient jouir d’une indépendance réelle alors que l’Algérie restera sous le joug colonial.

Les gouvernants colonialistes, experts en hypocrisie diplomatique, reprenant d’une main ce qu’ils cèdent de l’autre, ne ma, queront pas de songer à la reconquête de ces pays dès la conjoncture internationale leur semblera favorable.

D’ailleurs, il est important de souligner que les leaders marocains et tunisiens formulent dans des déclarations récentes et renouvelées des points de vue rejoignant l’appréciation du FLN.

b) La politique algérienne du gouvernement.

Le gouvernement à direction socialiste dès le 6 février, après la manifestation ultra colonialiste d’Alger, a abandonné les promesses électorales du Front républicain : Ramener la paix en Algérie par la négociation, renvoyer dans leurs foyers les soldats du contingent, briser les « féodalités » administratives et financières, libérer les prisonniers politiques, fermer les camps de concentration.

Si, avant la démission de Mendès-France, celui-ci représentait au gouvernement la tendance à la négociation face à la tendance opposée, animée furieusement par Bourgès-Maunoury et Lacoste, aujourd’hui, c’est la politique Lacoste qui fait l’unanimité. C’est la guerre à outrance qui a pour but chimérique de tenter d’isoler le maquis du peuple par l’extermination.

Devant cet objectif accepté par l’unanimité du gouvernement et la presque totalité du parlement français, il ne peut exister aucune divergence, sauf quand cette politique d’extermination dite «de pacification » aura échouée. Il est clair que les buts politiques déclarés à nouveau par Guy Mollet ne servent qu’à camoufler l’entreprise réelle qui veut être le nettoyage, par le vide, de toutes nos forces vives.

L’offensive militaire est doublée d’une offensive politique condamnée, d’avance, à un échec.

La «reconnaissance de la personnalité algérienne» reste une formule vague sans contenu réel, concret, précis. La solution politique exprimée d’une façon schématique n’avait au début d’autres supports que deux idées-forces : celle de la consultation des Algériens par des élections libres et celle du cessez-le-feu. Les réformes fragmentaires et dérisoires étaient proclamées dans l’indifférence générale : provisoirement pas de représentation parlementaire au Palais Bourbon, dissolution de l’Assemblée algérienne, épuration timide de la police, remplacement de «trois» hauts fonctionnaires, augmentation des salaires agricoles, accès des musulmans à la fonction publique et à certains postes de directions, réforme agraire, élections au collège unique. Aujourd’hui le gouvernement Guy Mollet annonce l’existence de 6 ou 7 projets de statuts pour l’Algérie, dont la ligne générale serait la création de deux assemblées, la première législative, la seconde économique, avec un gouvernement composé de ministres ou de commissaires et présidé d’office par un ministre du gouvernement français.

Cela démontre d’une part l’évolution, grâce à notre combat, de l’opinion publique en France, et d’autre part le rêve insensé des gouvernants français de croire que nous accepterions un compromis honteux de ce genre.

La tentative d’isoler les maquis de la solidarité du peuple algérien, préconisée par Naegelen sur le plan intérieur, devait être complétée par la tentative d’isoler la Révolution Algérienne de la solidarité des peuples anti-colonialistes, engagée par Pineau sur le plan extérieur.

Le FLN déjouera comme par le passé les plans futurs de l’adversaire.

Nous mentionnerons l’appréciation sur la situation internationale dans la troisième partie.

II) LES PERSPECTIVES POLITIQUES

La preuve est faite que la Révolution Algérienne n’est pas une révolte de caractère anarchique, localisée, sans coordination, sans direction politique, vouée à l’échec.

La preuve est faite qu’il s’agit au contraire d’une véritable révolution organisée nationale et populaire, centralisée, guidée par un état-major capable de la conduire jusqu’à la victoire finale.

La preuve est faite que le gouvernement français, convaincu de l’impossibilité d’une solution militaire, est obligé de rechercher une solution politique.

Voilà pourquoi le FLN, inversement, doit se pénétrer de ce principe :

La négociation suit la lutte à outrance contre un ennemi impitoyable, elle ne la précède jamais.

Notre position à cet égard est fonction de trois considérations essentielles pour bénéficier du rapport des forces :

1°) Avoir une doctrine politique claire ;

2°) Développer la lutte armée d’une façon incessante jusqu’à l’insurrection générale ;

3°) Engager une action politique d’une grande envergure.

A) POURQUOI NOUS COMBATTONS !

La Révolution Algérienne a la mission historique de détruire de façon définitive et sans retour le régime colonial odieux, décadent, obstacle au progrès et à la paix.

I. Les buts de guerre ;

II. Le cessez-le-feu ;

III. Négociations pour la paix.

I. Les buts de guerre

Les buts de guerre, c’est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c’est la situation à laquelle on accule l’ennemi pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut être la victoire militaire ou bien la recherche d’un cessez-le-feu ou d’un Armistice en vue de négociations. Il ressort que, vu notre situation, nos buts de guerre sont politico-militaires. Ce sont :

1°) L’affaiblissement total de l’Armée française, pour lui rendre impossible une victoire par les armes ;

2°) La détérioration sur une grande échelle de l’économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l’administration normale du pays ;

3°) La perturbation au maximum de la situation en France sur le plan économique et social, pour rendre impossible la continuation de la guerre;

4°) L’isolement politique(de la France) en Algérie et dans le monde ;

5°) Donner à l’insurrection un développement tel qu’il la rend conforme au droit international(personnalisation de l’armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale de zones libérées par l’ALN) ;

6°) Soutenir constamment le peuple devant les efforts d’extermination des Français.

II. Cessez- le-feu

Conditions

a) Politiques :

1°) Reconnaissance de la Nation Algérienne indivisible.

Cette clause est destinée à faire disparaître la fiction colonialiste de « Algérie française ».

2°) Reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la diplomatie.

3°) Libération de tous les Algériens et Algériennes emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique avant et après l’insurrection nationale du 1er novembre 1954.

4°) Reconnaissance du FLN comme une seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En contre-partie, le FLN est garant et responsable du cessez-le-feu au nom du peuple algérien.

b) Militaires

Les conditions militaires seront précisées ultérieurement.

III. Négociations pour la paix

1°) Les conditions sur le cessez- le- feu étant remplies, l’interlocuteur valable et exclusif pour l’Algérie demeure le FLN. Toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc….). Aucune ingérence de ce fait de la part du gouvernement français n’est admise.

2°) Les négociations se font sur la base de l’indépendance (diplomatie et défense nationale incluses).

3°) Fixation des points de discussions :

- Limites du territoire algérien(limites actuelles y compris le Sahara algérien) ;

- Minorité française(sur la base de l’option entre : citoyenneté algérienne ou étrangère – pas de régime préférentiel – pas de double citoyenneté algérienne et française) ;

- Biens français: de l’Etat français, des citoyens français ;

- Transfert des compétences(administration) ;

- Formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économiques, monétaire, social, culturel, etc.…. ;

- Autres points.

Dans une deuxième phase, les négociations sont menées par un gouvernement chargé de préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce gouvernement est issu d’une assemblée constituante, elle-même issue d’élections générales.

La Fédération Nord-africaine

L’Algérie libre et indépendante, brisant le colonialisme racial fondé sur l’arbitraire colonial, développera sur des bases nouvelles l’unité et la fraternité de la Nation Algérienne dont la renaissance fera rayonner sa resplendissante originalité.

Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.

C’est pourquoi ils sont en même temps des Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb.

L’Afrique du Nord est un TOUT par : La géographie, l’histoire, la langue, la civilisation, le devenir.

Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d’une Fédération des trois Etats nord-africains.

Les trois peuples frères ont intérêt pour le commencement à organiser une défense commune, une orientation et une action diplomatique communes, la liberté des échanges, un plan commun et rational d’équipement et d’industrialisation, une politique monétaire, l’enseignement et l’échange concerté des cadres techniques, les échanges culturels, l’exploitation en commun de nos sous-sols et de nos régions sahariennes respectives.

Les tâches nouvelles du FLN pour préparer l’insurrection générale.

L’éventualité de l’ouverture des négociations pour la Paix ne doit en aucun cas donner naissance à une griserie du succès, entraînant inévitablement un dangereux relâchement de la vigilance et la démobilisation des énergies qui pourrait ébranler la cohésion politique du peuple.

Au contraire, le stade actuel de la révolution algérienne exige la poursuite acharnée de la lutte armée, la consolidation des positions, le développement des forces militaires et politiques de la Résistance.

L’ouverture des négociations et leur conduite à bonne fin sont conditionnées d’abord par le rapport des forces en présence.

C’est pourquoi, sans désemparer, il faut travailler avec ensemble et précision pour transformer l’Algérie en un camp retranché, inexpugnable. Telle est la tâche que doivent remplir avec honneur et sans délai le FLN et son Armée de Libération Nationale.

Dans ce but, reste valable plus que jamais le mot d’ordre fondamental :

Tout pour le Front de la Lutte Armée.

Tout pour obtenir une victoire décisive.

L’indépendance de l’Algérie n’est plus la revendication politique, le rêve qui a longtemps bercé le peuple algérien courbé sous le joug de la domination française.

C’est aujourd’hui un but immédiat qui se rapproche à une allure vertigineuse pour devenir, très bientôt, une lumineuse réalité.

Le FLN marche à pas de géants pour dominer la situation sur le plan militaire, politique et diplomatique.

Objets nouveaux : préparer dès maintenant, d’une façon systématique, l’insurrection générale, inséparable de la libération nationale.

a) Affaiblir l’armature militaire, policière, administrative et politique du colonialisme ;

b) Porter une grande attention, et d’une manière ininterrompue, aux cotés techniques de la question, notamment l’acheminement du maximum de moyens matériels ;

c) Consolider et élever la synchronisation de l’action politico-militaire.

Faire face aux inévitables manœuvres de division, de divergence ou d’isolement lancé par l’ennemi, par une contre-offensive intelligente et vigoureuse basée sur l’amélioration et le renforcement de la Révolution populaire libératrice.

a) Cimenter l’union nationale anti-impérialiste ;

b) S’appuyer d’une façon plus particulière sur les couches sociales les plus nombreuses, les plus pauvres, les plus révolutionnaires, fellahs, ouvriers agricoles ;

c) Convaincre avec patiente et persévérance les éléments retardataires, encourager les hésitants, les faibles, les modérés, éclairer les inconscients ;

d) Isoler les ultra-colonialistes en recherchant l’alliance des éléments libéraux, d’origine européenne ou juive, même si leur action est encore timide ou neutraliste.

Sur le plan extérieur, rechercher le maximum de soutien matériel, moral et psychologique.

a) Augmenter le soutien de l’opinion publique ;

b) Développer l’aide diplomatique en gagnant à la cause algérienne les gouvernements des pays neutralisés par la France ou insuffisamment informés sur le caractère national de la guerre d’Algérie.

III) MOYENS D’ACTION ET DE PROPAGANDE

Les perspectives politiques générales tracées précédemment mettent en relief la valeur et la variété des moyens d’action que le FLN doit engager pour assurer la victoire complète du noble combat pour l’indépendance de la patrie martyre.

Nous allons en préciser les grandes lignes sur le plan algérien, nord-africain, français et étranger.

1°) Comment organiser et diriger des millions d’hommes dans un gigantesque combat .

L’union psyco-politique du peuple algérien forgée et consolidée dans la lutte armée est aujourd’hui une réalité historique.

Cette union nationale, patriotique, anticolonialiste, constitue la base fondamentale de la principale force politique et militaire de la Résistance.

Il convient de la maintenir intacte, inentamée, dynamique, en évitant parfois les fautes impardonnables de sectarisme ou d’opportunisme, pouvant favoriser les manœuvres diaboliques de l’ennemi.

Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de maintenir le FLN comme guide unique de la Révolution Algérienne ; cette condition ne doit pas être interpréter comme un sentiment de vanité égoïste ou un esprit de suffisance aussi dangereux que méprisable.

C’est l’expression d’un principe révolutionnaire : réaliser l’unité de commandement dans un état-major qui a déjà donné les preuves de sa capacité, de sa clairvoyance, de sa fidélité à la cause du peuple algérien.

Il ne faut jamais oublier que, jusqu’au déclenchement de la Révolution, la force de l’impérialisme français ne résidait pas seulement dans sa puissance militaire et policière, mais aussi dans la faiblesse du pays dominé, divisé, mal préparé à la lutte organisée, et surtout, pendant une longue période, de l‘insuffisance politique des dirigeants des diverses fractions du mouvement anti-colonialiste.

L’existence d’un FLN puissant, prolongeant ses racines profondes dans toutes les couches du peuple, est une des garanties indispensables.

a) Installer organiquement le FLN dans tout le pays, dans chaque ville, village, mechta, quartier, entreprise, ferme, université, collège, etc.. ;

b) Politiser le maquis ;

c) Avoir une politique de cadres formés politiquement, éprouvés, veillant au respect de la structure de l’organisation, vigilants, capables d’initiatives ;

d) Répondre avec rapidité et clarté à tous les mensonges, dénoncer les provocations, populariser les mots d’ordre du FLN en éditant une littérature abondante, variée touchant les secteurs même les plus restreints.

Multiplier les centres de propagande avec machines à écrire, papier, ronéo(reproduction des documents nationaux et édition de bulletins ou tracts locaux).

Editer brochure sur la Révolution et bulletin intérieur pour directives et conseils aux cadres.

Bien se pénétrer de ce principe : La propagande n’est pas l’agitation qui se caractérise par la violence verbale, souvent stérile et sans lendemain. En ce moment ou le peuple algérien est mûr pour l’action armée positive et féconde, le langage du FLN doit traduire sa maturité en prenant la forme sérieusement, mesurée et nuancée sans manquer pour cela de la fermeté, de la franchise et de la flamme révolutionnaire.

Chaque tract, déclaration, interview ou proclamation du FLN a aujourd’hui une résonance internationale. C’est pourquoi nous devons agir avec un réel esprit de responsabilité qui fasse honneur au prestige mondial de l’Algérie en marche vers la liberté et l’indépendance.

2°) Clarifier le climat politique

Pour conserver juste l’orientation de la Résistance toute entière, dressée pour détruire l’ennemi séculaire, nous devons balayer tous les obstacles et tous les écrans sur notre chemin par les éléments conscients ou inconscients d’une action néfaste, condamnés par l’expérience.

3°) Transformer le torrent populaire en énergie créatrice

Le FLN doit être capable de canaliser les immenses vagues qui soulèvent l’enthousiasme patriotique de la nation. La puissance irrésistible de la colère populaire ne doit pas se perdre comme la force extraordinaire du torrent qui s’évanouit dans les sables.

Pour la transformer en énergie créatrice le FLN a entrepris un colossal travail de brassage de millions d’hommes.

Il s’agit d’être présent partout.

Il faut organiser sous des formes multiples, souvent complexes, toutes les branches de l’activité humaine.

A) Le Mouvement Paysan

La participation massive de la population des fellahs, khammès et ouvriers agricoles à la Révolution, la proportion dominante qu’elle représente dans les moudjahidine ou moussebiline de l’Armée de Libération Nationale ont profondément marqué le caractère de la Résistance algérienne.

Pour en mesurer l’importance exceptionnelle, il suffit d’examiner le revirement spectaculaire de la politique agraire colonialiste.

Alors que cette politique était basée essentiellement sur le vol des terres (habous, arch, melk) les expropriations s’étant poursuivies jusqu’en 1945-46, le gouvernement français préconise aujourd’hui la réforme agraire. Il ne recule pas devant la promesse de distribuer une partie des terres d’irrigation, en mettant en application la loi Martin restée lettre morte à la suite du veto personnel d’un haut fonctionnaire au service de la grosse colonisation. Lacoste lui-même ose envisager, dans ce cas, une mesure révolutionnaire : l’expropriation d’une partie des grands domaines.

Par souci d’équilibre, pour apaiser la furieuse opposition des gros colons, le gouvernement français a décidé la réforme du Khammessat. C’est là une mesure trompeuse tendant à faire croire à l’existence d’une rivalité intestine entre fellahs et Khammés, alors que le métayage a déjà évolué naturellement vers un processus plus équitable, sans l’intervention officielle, pour se transformer généralement en « chourka benés » ou l’association par moitié.

Ce changement de tactique traduit le profond désarroi du colonialisme voulant tenter de tromper la paysannerie pour la détacher de la Révolution.

Cette manœuvre grossière de dernière heure ne dupera pas les fellahs qui ont déjà mis en échec la vielle chimère des «affaires indigènes» séparant artificiellement les Algériens en Berbères et Arabes hostiles.

Car la population paysanne est profondément convaincue que sa soif de terre ne pourra être satisfaite que par la victoire de l’indépendance nationale.

La véritable réforme patriotique de la misère des campagnes, est inséparable de la destruction totale du régime colonial.

Le FLN doit s’engager dans cette politique juste, légitime et sociale. Elle aura pour conséquence :

a) La haine irréductible à l’endroit du colonialisme français, de son administration, de son armée, de sa police et des traîtres collaborateurs.

b) La constitution de réserves humaines inépuisables pour l’ALN et la Résistance ;

c) L’extension de l’insécurité dans les campagnes(sabotages, incendies de fermes, destruction des tabacoops et des vinicoops, symboles de la présence colonialiste) ;

d) La création des conditions pour la consolidation et l’organisation de nouvelles zones libérées.

B) Le Mouvement Ouvrier

La classe ouvrière peut et doit apporter une contribution plus dynamique pouvant conditionner l’évolution rapide de la Révolution, sa puissance et son succès final.

Le FLN salue la création de l’U.G.T.A. comme l’expression d’une saine réaction des travailleurs contre l’influence paralysante des dirigeants de la C.G.T., de F.O. et de la C.F.T.C..

L’U.G.T.A. aide la population salariée à sortir du brouillard de la confusion et de l’attentisme.

Le gouvernement socialiste français et la direction néo-colonialiste de F.O. sont inquiets de l’affiliation internationale de l’U.G.T.A. à la C.I.S.L., dont l’aide à l’U.G.T.A. et à la Centrale marocaine a été positive dans divers domaines nationaux et extérieurs.

La naissance et le développement de l’U.G.T.A. ont eu en effet un profond retentissement. Son existence a provoqué immédiatement un violent remous au sein de la C.G.T, abandonnée en masse par les travailleurs. Les dirigeants communistes ont essayé vainement de retenir les cadres les plus conscients en essayant de retrouver sous les cendres l’esprit de l’ancienne C.G.T.U. dont le mot d’ordre de l’indépendance de l’Algérie fut enterré au lendemain de l’unité syndicale en 1935.

Mais pour devenir une centrale nationale, il ne suffit pas à la filiale de la C.G.T. parisienne de modifier le titre, ni de changer la couleur de la carte, ni même de couper un cordon ombilical atrophié.

Pour s’adapter aux fonctions nouvelles du mouvement ouvrier ayant déjà atteint l’âge adulte, il ne suffisait pas à l’U.G.S.A. de changer de forme ou d’aspect extérieur. Quiconque observe les velléités communistes, ne peut manquer de retrouver le rythme et la méthode colonialistes, qui ont présidé à la transformation des délégations financières en la bâtarde Assemblée Algérienne.

L’accession de certains militants à des postes de direction syndicale rappelle singulièrement la promotion symbolique de certains élus-administratifs.

Dans les deux cas, il aurait fallu changer le but, la nature et le contenu du Foyer civique et du Palais Carnot.

L’incapacité de la direction du P.C.A. sur le plan politique ne pouvait que se traduire sur le plan syndical et entraîner la même faillite.

L’U.G.T.A. est le reflet de la profonde transformation qui s’est produite dans le mouvement ouvrier, à la suite d’une longue évolution et surtout après le bouleversement révolutionnaire provoqué par la lutte pour l’indépendance nationale.

La nouvelle centrale algérienne diffère des autres organisations C.G.T.F.O. et C.F.T.C. dans tous les domaines, notamment par l’absence de tutelle, le choix de l’état-major, la structure rationnelle, l’orientation juste et la solidarité fraternelle en Algérie, en Afrique du Nord et dans le monde entier.

1°) Le caractère national se traduit non seulement par une indépendance organique, détruisant les contradictions inhérentes à une tutelle étrangère, mais aussi par une liberté totale dans la défense des travailleurs dont les intérêts vitaux se confondent avec ceux de toute la nation algérienne.

2°) La direction est formée non par des éléments issus d’une minorité ethnique n’ayant jamais subi l’oppression coloniale, toujours enclins au paternalisme, mais par des patriotes dont la conscience nationale aiguise la combativité contre la double pression de l’exploitation sociale et de la haine raciale.

3°) La « colonne vertébrale » est constituée non par une aristocratie ouvrière(fonctionnaires et cheminots) mais par les couches les plus nombreuses et les plus exploitées(dockers, mineurs, ouvriers agricoles, véritables parias jusqu’ici abandonnés honteusement à la merci des seigneurs de la vigne.

4°) Le souffle révolutionnaire purifie le climat syndical non seulement en chassant l’esprit néo-colonialiste et le chauvinisme national qu’il engendre, mais en créant les conditions pour l’épanouissement d’une fraternité ouvrière, imperméable au racisme.

5°) L’action syndicale, maintenue longtemps dans le cadre étroit des revendications économiques et sociales, isolée de la perspective générale, est devenue non un frein dans la lutte anti-colonialiste mais un accélérateur dans le combat pour la liberté et la justice sociale ;

6°) La population laborieuse algérienne, jugée jusqu’ici comme mineure ne méritant pas l’émancipation, est appelée, non à occuper un rang subalterne dans le mouvement social français, mais à coopérer brillamment avec le mouvement ouvrier nord-africain et international ;

7°) L’U.G.S.A. -C.G.T-, se verra inévitablement contrainte de se dissoudre à l’exemple des organisations similaires de Tunisie et du Maroc pour céder entièrement la place à l’U.G.T.A., centrale nationale authentique et unique, groupant tous les travailleurs algériens sans distinction.

Le FLN ne doit pas négliger le rôle politique qu’il peut jouer pour aider et compléter l’action syndicale indépendante de l’U.G.T.A. en vue de sa consolidation et de son renforcement.

Les militants FLN doivent être parmi les plus dévoués, les plus actifs, toujours soucieux de respecter les règles démocratiques selon la tradition en honneur dans le mouvement ouvrier libre.

Pas de schématisme: tenir compte de chaque situation concrète et adapter les formes d’actions aux conditions particulières, objectives de chaque corporation.

- Développer l’esprit de combativité en organisant sans retard l’action revendicative sous une forme souple et variée selon les conditions concrètes du moment(arrêt de travail limité, grèves locales, corporatives, de solidarité) ;

- Entraîner dans l’action, les travailleurs européens ;

- Concrétiser la sympathie pour l’ALN en transformant en action de soutien la résistance : souscriptions, fournitures aux combattants, actes de sabotage, grèves de solidarité, grèves politiques.

C) Le Mouvement des Jeunes

La jeunesse algérienne a les qualités naturelles de dynamisme, de dévouement et d’héroïsme.

De plus, elle se caractérise par un fait rare. Très nombreuse, elle représente près de la moitié de la population totale, en raison d’un développement démographique exceptionnel.

En outre, elle possède une qualité originale ; la maturité précoce. En raison de la misère, de l’oppression coloniale, elle passe rapidement de l’enfance à l’âge adulte ; la période de l’adolescence est singulièrement réduite.

Elle suit avec passion, avec le mépris de la peur et la mort, l’organisation révolutionnaire qui peut la conduire à la conquête de son pur idéal de liberté.

La Révolution Algérienne, les exploits de l’ALN et l’action clandestine du FLN répondent à sa témérité que nourrit le plus noble sentiment patriotique.

C’est donc pour le FLN un levier inflexible d’une puissance et d’une résistance formidables.

D) Intellectuels et Professions Libérales

Le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que la «francisation » n’a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes individualistes ou réformistes, sont les preuves d’une saine orientation politique.

1°) Former des comités d’action des intellectuels patriotiques :

a) Propagande : indépendance de l’Algérie ;

b) Contacts avec les libéraux français ;

c) Souscriptions.

Le FLN devra assigner aux étudiants et étudiantes, d’une manière rationnelle, des tâches précises dans les domaines ou ils peuvent rendre le mieux : politique, administratif, culturel, sanitaire, économique, etc…

2°) Organiser des services de santé :

a) Chirurgiens, médecins, pharmaciens en liaison avec les hospitaliers(internes et infirmiers) ;

b) Soins, médicaments, pansements ;

c) Infirmiers de campagne, traitement des malades et convalescents.

E) Commerçants et Artisans

A côté du syndicat commercial algérien, dominé par le monopoleur Schiaffino, maître des chambres de commerce et le mouvement Poujade raciste et colonial-fasciste, se trouvait le vide constitué par l’absence d’une véritable Centrale commerciale et artisanale, dirigée par des patriotes pour assurer la défense de l’économie algérienne.

L’U.G.C.A. prendra donc une place importante à côté de l’organisation ouvrière sœur, l’U.G.T.A.

Le FLN doit l’aider à se dévelloper rapidement en créant les conditions politiques les plus favorables :

1°)Lutte contre les impôts.

2°)Boycott des grossistes colonialistes, poujadistes, apportant un soutien actif à la guerre impérialiste.

F) Mouvement des Femmes

D’immenses possibilités existent et sont de plus en plus nombreuses dans ce domaine.

Nous saluons avec émotion, avec admiration, l’exaltant courage révolutionnaire des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères ; de toutes nos sœurs « moudjahidates » qui participent activement, et parfois les armes à la main, à la lutte sacrée pour la libération de la Patrie.

Chacun sait que les Algériens ont chaque fois participé activement aux insurrections nombreuses et renouvelées qui ont dressé, depuis 1830, l’Algérie contre l’occupation française.

Les explosions principales de 1864 des Ouled Sidi Cheikh du Sud Oranais, de 1871 en Kabylie, de 1916 dans les Aurès et la région de Mascara ont illustré à jamais l’ardent patriotisme, allant jusqu’au sacrifice suprême, de la femme algérienne.

Celle-ci est aujourd’hui convaincue que la Révolution actuelle aboutira inexorablement à la conquête de l’indépendance.

L’exemple récent de la jeune fille kabyle qui repousse une demande en mariage, parce que n’émanant pas d’un maquisard illustre d’une façon magnifique le moral sublime qui anime les Algériennes.

Il est donc possible d’organiser dans ce domaine, avec des méthodes originales propres aux mœurs du pays, un redoutable et efficace moyen de combat.

a) Soutien moral des combattants et des résistants ;

b) Renseignements, liaisons, ravitaillement, refuges ;

c) Aide aux familles et enfants de maquisards, de prisonniers ou d’internés.

4°) L a recherche des alliances.

Pour libérer leur patrie enchaînée, les Algériens comptent d’abord sur eux-mêmes.

L’action politique, comme la science militaire, enseignement qu’il ne faut négliger aucun facteur, même apparemment peu important, pour assurer la victoire.

L’action politique le FLN a entrepris avec succès la mobilisation de toutes les énergies nationales. Mais il ne laissera pas l’ennemi colonialiste s’appuyer sur la totalité de la minorité ethnique en Algérie, dresser contre nous l’opinion en France et nous priver de la solidarité internationale.

A) Les Libéraux Algériens

A la différence de la Tunisie et du Maroc la minorité ethnique d’origine européenne a une importance numérique dont il faut tenir compte. Elle est renforcée par une immigration permanente jouissant d’une aide officielle et fournissant au régime colonial une fraction importante de ses soutiens les plus farouches, les plus obstinés, les plus racistes.

Mais en raison de ses privilèges inégaux, du rôle qu’elle joue dans la hiérarchie économique, administrative et politique du système colonialiste, la population d’origine européenne ne constitue pas un bloc indissoluble autour de la grosse colonisation dirigeante.

L’esprit de race supérieure est général. Mais il se manifeste sous des aspects nuancés, allant de la frénésie du type « sudiste » à l’hypocrisie paternaliste.

Le colonialisme français, maître tout-puissant de l’administration algérienne, de la police, du monopole de la presse, de la radio, s’est montré souvent capable d’exercer une pression psychologique pouvant cristalliser l’opinion publique autour d’une idée-force réactionnaire.

Le départ de Soustelle et la manifestation du 6 février ont été les preuves d’une grande habilité dans l’art de la provocation et du complot.

Le résultat fut la capitulation du chef du gouvernement français.

Pour atteindre son but, le colonialisme organisa la panique. Il accusa le gouvernement d’abandonner la minorité ethnique non-musulman à la « barbarie arabe », à la « guerre sainte », à un Saint-Barthélemy plus immonde.

Le slogan fabriqué par le maître chanteur Reygasse et diffusé par le bourreau Benquet-Crevaux, l’odieuse image « la valise ou le cercueil » semblent aujourd’hui anodins.

Les anciens partis nationalistes n’ont pas toujours accordé à cette question l’importance qu’elle mérite. Ne prêtant d’attention que pour l’opinion musulmane, ils ont négligé souvent de relever comme il convient des déclarations maladroites de certains charlatans ignorés, apportant en fait de l’eau au moulin de l’ennemi principal.

Actuellement, la contre-offensive est encore faible. La presse libérale de France ne put enrayer totalement le poison colonialiste. Les moyens d’expression du FLN sont insuffisants.

Heureusement la Résistance Algérienne n’a pas fait de faute majeure pouvant justifier les calomnies de la presse colonialiste du service psychologique de l’armée colonialiste, convaincu de mensonges flagrants par les témoignages de journalistes français et étrangers.

Voilà pourquoi le bloc colonialiste et raciste, sans fissure le 6 février, commence à se désagréger. La panique a cédé la place peu à peu à un sentiment plus réaliste. La solution militaire devant rétablir le statu-quo est un mirage évident. La question dominante aujourd’hui, c’est le retour à une paix négociée : quelle est la place qui sera faite à ceux qui considèrent l’Algérie comme patrie toujours généreuse même après la disparition du règne de Borgeaud ?.

Des tendances diverses apparaissent.

1°) Le neutralisme est le courant le plus important. Il exprime le souhait de laisser les ultra-colonialistes défendre leurs privilèges menacés par les nationalistes « extrémistes ».

2°) Les partisans d’une solution « intermédiaire » : la négociation pour « une communauté algérienne à égale distance entre le colonialisme français et le rétrograde impérialiste arabe » par la création d’une double nationalité ;

3°) La tendance la plus audacieuse accepte l’indépendance de l’Algérie et la nationalité algérienne, à la condition de s’opposer à l’ingérence américaine, anglaise et égyptienne.

Cette analyse est sommaire. Elle n’a d’autre but que de souligner la différenciation qui s’opère dans le large éventuel de l’opinion publique européenne.

Ce serait donc une erreur impardonnable que de mettre dans le « même sac » tous les Algériens d’origine européenne ou juive.

Comme il serait impardonnable de nourrir l’illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale.

L’objectif à atteindre, c’est l’isolement de l’ennemi colonialiste qui opprime le peuple algérien.

Le FLN doit donc s’efforcer d’accentuer l’évolution de ce phénomène psychologique en neutralisant une fraction importante de la population européenne.

La Révolution Algérienne n’a pas pour but de « jeter à la mer » les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain.

La Révolution Algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion.

La Révolution Algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination.

B) La Minorité Juive

Ce principe fondamental, admis par la morale universelle, favorise la naissance dans l’opinion israélite d’un espoir dans le maintien d’une cohabitation pacifique millénaire.

D’abord, la minorité juive a été particulièrement sensible à la campagne de démoralisation du colonialisme. Des représentants de leur communauté ont proclamé au congrès mondial juif de Londres leur attachement à la citoyenneté française, les mettant au-dessus de leurs compatriotes musulmans.

Mais le déchaînement de la haine antisémite qui a suivi les manifestations colonialo-fascistes ont provoqué un trouble profond qui fait place à une saine réaction d’auto-défense.

Le premier réflexe fut de se préserver, du danger d’être pris entre deux feux. Il se manifeste par la condamnation des Juifs, membres du « 8 novembre » et du mouvement poujadiste, dont l’activité trop voyante pouvait engendrer le mécontentement vindicatif contre toute la communauté.

La correction inflexible de la Résistance Algérienne, réservant tous ses coups au colonialisme, apparut aux plus inquiets comme une qualité chevaleresque d’une noble colère des faibles contre les tyrans.

Des intellectuels, des étudiants, des commerçants prirent l’initiative de susciter un mouvement d’opinion pour se désolidariser des gros colons et des anti-juifs.

Ceux-là n’avaient pas la mémoire courte. Ils n’ont pas oublié l’infâme souvenir du régime de Vichy. Pendant quatre ans, 185 lois, décrets ou ordonnances les ont privés de leurs droits, chassés des administrations et des universités, spoliés de leurs immeubles et de leurs fonds de commerce, dépouillés de leurs bijoux.

Leurs coreligionnaires de France étaient frappés d’une amende collective d’un millard. Ils étaient traqués, arrêtés, internés au camp de Drancy et envoyés par wagons plombés en Pologne ou beaucoup périrent dans les fours crématoires.

Au lendemain de la libération de la France, la communauté juive algérienne retrouva rapidement ses droits et ses biens grâce à l’appui des élus musulmans, malgré l’hostilité de l’administration pétainiste.

Aura-t-elle la naïveté de croire que la victoire des ultra-colonialistes, qui sont précisément les mêmes qui l’ont persécuté, naguère, ne ramènera pas le même malheur ?

Les Algériens d’origine juive n’ont pas encore surmonté leur trouble de conscience, ni choisi de quel côté se diriger.

Espérons qu’ils suivront en grand nombre le chemin de ceux qui ont répondu à l’appel de la patrie généreuse, donné leur amitié à la Révolution en revendiquant déjà avec fierté, leur nationalité algérienne.

Cette option est basée sur l’expérience, le bon sens et la clairvoyance.

En dépit du silence du Grand Rabbin d’Alger, contrastant avec l’attitude réconfortante de l’Archevêque se dressant courageusement et publiquement contre le courant et condamnant l’injustice coloniale, l’immense majorité des Algériens s’est gardée de considérer la communauté juive, comme passée définitivement dans le champ ennemi.

Le FLN a étouffé dans l’œuf des provocations nombreuses préparées par les spécialistes du gouvernement général. En dehors du châtiment individuel infligé aux policiers et contre-terroristes responsables de crimes contre la population innocente, l’Algérie a été préservée de tout progrom. Le boycottage des commerçants juifs, devant suivre le boycottage des Mozabites a été enrayé même d’exploser.

Voilà pourquoi, le conflit arabo-israélien n’a pas eu, en Algérie, de répercussions graves, ce qui aurait comblé le vœu des ennemis du peuple algérien.

Sans puiser dans l’histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de collaboration dans les plus hauts postes de l’Etat, de cohabitation sincère, la Révolution Algérienne a montré par les actes, qu’elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui garantir sa part de bonheur dans l’Algérie indépendante.

En effet, la disparition du régime colonial, qui s’est servi de la minorité juive comme tampon pour atténuer les chocs anti-impérialistes, ne signifie pas forcément sa paupérisation.

C’est une hypothèse absurde que de s’imaginer que« l’Algérie ne serait rien sans la France ».

La prospérité économique des peuples affranchie est évidente.

Le revenu national, plus important, assurera à tous les Algériens une vie plus confortable.

Tenant compte de ce qui précède, le FLN recommande :

1°) Encourager et aider à la formation de comités et mouvements de libéraux algériens, même ceux ayant au départ des objectifs limités :

a) Comité d’action contre la guerre d’Algérie ;

b) Comité pour la négociation et la paix ;

c) Comité pour la nationalité algérienne ;

d) Comité de soutien des victimes de la répression ;

e) Comité d’études du problème algérien ;

f) Comité pour la défense des libertés démocratiques ;

g) Comité pour le désarmement des milices civiles ;

h) Comité d’aide aux ouvriers agricoles(parrainage des syndicats, soutien des grèves, défense des enfants et des femmes exploités).

2°) Intensifier la propagande auprès des rappelés et des soldats du contingent :

a) Envoi de livres, revues, journaux, tracts anti-colonialistes ;

b) Comité d’accueil des permissionnaires ;

c) Théâtre : pièces exaltant la lutte patriotique pour l’indépendance.

3°) Multiplier les comités de femmes de mobilisés pour exiger le rappel de leurs maris.

C) L’Action du FLN en France

1°) Développer l’appui de l’opinion libérale

L’analyse de l’éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l’opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.

Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la justice cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.

Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique, pour éviter une effusion de sang inutile.

La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste.

1°) Contacts politiques avec les organisations, mouvements et comités contre la guerre coloniale.

- Presse, meetings, manifestations et grèves contre le départ des soldats, la manutention et le transport du matériel de guerre.

2°) Soutien financier par la solidarité aux résistants et aux combattants pour la liberté.

2°) Organiser l’émigration algérienne

La population algérienne émigrée en France est un capital précieux en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combatif, de son potentiel politique.

La tâche du FLN est d’autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu’elle nécessite, en même temps, la lutte à outrance contre les tentatives de survivance du messalisme.

1°) Eclairer l’opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles de journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.

2°) Dénoncer d’une façon infatigable et patiente la faillite du messalisme comme courant politique, sa compromission avec les milieux proches du gouvernement français ce qui explique l’orientation dirigée non contre le colonialisme, mais contre le FLN et l’ALN.

D) La Solidarité Nord-Africaine

L’intransigeance révolutionnaire du FLN, la poursuite farouche de la lutte armée par l’ALN, l’unanimité nationale du peuple algérien soudée par l’idéal d’indépendance nationale, ont mis en échec les plans colonialistes.

Les gouvernements tunisien et marocain ont en particulier(sous la pression des peuples frères), pris nettement position sur ce problème qui conditionne l’équilibre nord-africain.

Le FLN doit encourager :

1°) La coordination de l’action gouvernementale des deux pays du Maghreb, dans le but de faire pression sur le gouvernement français : action diplomatique ;

2°) L’unification de l’action politique par la création d’un comité de coordination des partis frères nationaux avec le FLN ;

a) Création de comités populaires de soutien de la Résistance Algérienne ;

b) Intervention multiforme dans tous les secteurs ;

3°) La liaison permanente avec les Algériens résidant au Maroc et en Tunisie(action concrète auprès de l’opinion publique, de la presse et du gouvernement) ;

4°) La solidarité des Centrales Ouvrières U.G.T.T, U.M.T.,U.G.T.A.;

5°) L’entraide des trois unions estudiantines.

6°) La coordination de l’action des trois centrales économiques.

4°) L’Algérie devant le monde.

La diplomatie française a entrepris sur le plan international un travail interne pour obtenir partout oÙ c’est possible, ne serait-ce que très provisoirement, une aide morale et matérielle ou une neutralité bienveillante et passive. Les seuls résultats plus ou moins positifs sont les déclarations gênées, arrachées aux représentants des Etats–Unis, de l’Angleterre et de l’O.T.A.N.

Mais la presse mondiale, notamment la presse américaine, condamne impitoyablement les crimes de guerre, plus particulièrement la légion et les paras, le génocide des vieillards, des femmes, des enfants, le massacre des intellectuels et des civils innocents, la torture des emprisonnés politiques, la multiplication des camps de concentration, l’exécution d’otages.

Elle exige du colonialisme français, la reconnaissance solennelle du droit du peuple algérien à disposer librement de son sort.

La lutte gigantesque engagée par l’Armée de Libération Nationale, son invincibilité garantie par l’adhésion unanime de la nation algérienne à l’idéal de liberté, ont sorti le problème algérien du cadre français dans lequel l’impérialisme l’a tenu jusqu’alors prisonnier.

La conférence de Bandoeng et surtout la 10ème session de l’O.N.U. ont en particulièrement le mérite historique de détruire la fiction juridique de « l’Algérie française ».

L’invasion et l’occupation d’un pays par une armée étrangère ne sauraient en aucun cas modifier la nationalité de ses habitants. Les Algériens n’ont jamais accepté la « francisation », d’autant plus que cette « étiquette » ne les a jamais empêchés d’être dans leur patrie moins libres et moins considérés que les étrangers.

La langue arabe, langue nationale de l’immense majorité, a été systématiquement étouffée. Son enseignement supérieur a disparu dès la conquête par la dispersion des maîtres et des élèves, la fermeture des universités, la destruction des bibliothèques, le vol des donations pieuses.

La religion islamique est bafouée, son personnel est domestiqué, choisi et payé par l’administration colonialiste.

L’impérialisme français a combattu le mouvement progressiste des Oulémas pour donner son appui total au maraboutisme, domestiqué par la corruption de certains chefs de confréries.

Combien apparaît dégradante le malhonnêteté des Bidault, Lacoste, Soustelle et du Cardinal Feltin lorsqu’ils tentent de tromper l’opinion publique française et étrangère en définissant la Résistance Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du panislamisme.

La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l’Algérie, mais entre d’une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d’autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale.

La meilleure des preuves n’est-elle pas le châtiment suprême infligé à des traîtres officiants du culte, dans l’enceinte même des mosquées.

Par contre, grâce à la maturité politique du peuple algérien et à la sage et lucide direction du Front de Libération Nationale, les provocations traditionnelles et renouvelées du colonialisme : pogroms, troubles anti-chrétiens, xénophobie, ont été déjouées et étouffées dans l’œuf.

La Révolution Algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social.

Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington.

Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité qui n’admet plus l’existence de nations captives.

Voilà pourquoi l’indépendance de l’Algérie martyre est devenue une affaire internationale et le problème-clé de l’Afrique du Nord.

De nouveau, l’affaire algérienne sera posée devant l’O.N.U. par les pays afro-asiatiques.

Si, lors de la dernière session de l’Assemblée Générale de l’O.N.U., on constata chez ces pays amis le souci tactique exagérément conciliateur, allant jusqu’à retirer de l’ordre du jour la discussion de l’affaire algérienne, il n’en est pas de même aujourd’hui car les promesses de la France n’ont nullement été tenues.

Ce manque de hardiesse était déterminé par l’attitude des pays arabes en général et de l’Egypte en particulier. Leur soutien à la lutte du peuple algérien demeurait limité ; il était assujetti aux fluctuations de leur diplomatie. La France exerçait une pression particulière sur lr Moyen-Orient en monnayant son aide économique et militaire et son opposition au Pacte de Bagdad. Elle avait notamment essayé de peser de toutes ses forces pour paralyser les armes psychologiques et morales dont le FLN dispose.

L’attitude des pays non arabes du bloc afro-asiatique était conditionnée, semble-t-il, par le souci d’une part de ne jamais dépasser celle des pays arabes, par le désir d’autre part de jouer un rôle déterminant dans des problèmes tels que ceux désarmement et de la coexistence pacifique.

Ainsi l’internationalisation du problème algérien dans sa phase actuelle a renforcé la prise de conscience universelle sur l’urgence du règlement d’un conflit armé pouvant affecter le bassin méditerranéen et l’Afrique, le Moyen-Orient et le monde entier.

Comment Diriger Notre Activité internationale ?

Nos contacts avec les dirigeants des pays frères n’ont jamais été autre chose que des contacts d’alliés et non d’instruments.

Nous devons veiller d’une façon systématique à conserver intacte l’indépendance de la Révolution Algérienne. Il convient de réduire à néant la calomnie lancée par le gouvernement français, sa diplomatie, sa grande presse pour nous présenter, n’ayant pas de racines dans la Nation Algérienne captive.

1°) Provoquer chez les gouvernements du Congrès de Bandoeng, en plus de l’intervention à l’O.N.U., des pressions diplomatiques, voire économiques directes sur la France ;

2°) Rechercher l’appui des peuples d’Europe, y compris les pays nordiques et les démocraties populaires ainsi que les pays d’Amérique Latine ;

3°) S’appuyer sur l’émigration arabe dans les pays de l’Amérique Latine.

Dans ce but, le FLN a renforcé la Délégation algérienne en mission à l’extérieur. Il devra avoir :

a) Bureau permanent auprès de l’ONU et aux USA ;

b) Délégation dans les pays d’Asie ;

c) Délégations itinérantes pour la visite des capitales et la participation aux rassemblements mondiaux culturels, estudiantins, syndicaux, etc ;

d) Propagande écrite crée par nos propres moyens ; bureau de presse, éditions de rapports, documents par la photo et le film.

CONCLUSION

Il y a dix an, au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale, une formidable explosion a ébranlé l’impérialisme.

L’irrésistible mouvement de libération nationale, longtemps comprimé, secoua les peuples captifs. Une réaction en chaîne entraîna les pays colonisés, l’un après l’autre, dans la conquête d’un avenir flamboyant de liberté et de bonheur..

En cette courte période, dis huit nations sont sorties des ténèbres de l’esclavage colonial et ont pris place au soleil de l’indépendance nationale.

Les peuples de Syrie et du Liban, du Viet-Nam et du Fezzan ont brisé les barreaux de leurs cellules et réussi à quitter l’immense prison du colonialisme français.

Les trois peuples du Maghreb ont manifesté à leur tour leur volonté et leur capacité de prendre leur place dans le concert des nations libres.

La révolution Algérienne du 1er Novembre 1954 est sur la bonne voie.

La lutte sera encore difficile, âpre, cruelle.

Mais sous la ferme direction du FRONT DE LIBERATION NATIONALE, la victoire couronnera la longue lutte armée menée par le peuple algérien indompté.

La date humiliante du 5 juillet 1830 sera effacée avec la disparition de l’odieux régime colonial.

Le moment est proche où le peuple algérien recueillera les doux fruits de son douloureux sacrifice et de son courage sublime.

L’INDEPENDANCE DE LA PATRIE SUR LAQUELLE FLOTTERA SOUVERAINEMENT LE DRAPEAU NATIONAL ALGERIEN.

27 décembre 2013 5 27 /12 /décembre /2013 12:19
Le rôle d’Abane Ramadane pendant la guerre d’Algérie (3)

Troisième partie : la fin tragique d’un héros.

Avec la réalisation du rassemblement national, une mission que seuls les hommes d’État sont capables d’accomplir, la révolution rentre dans une période périlleuse. En cette fin de l’année 1956, deux événements freinent considérablement son élan. Le premier est inhérent à la contestation, par Ben Bella et ses amis, des résolutions du congrès de la Soummam et le second est relatif aux prolongements de la « grève des huit jours », la première action à laquelle a appelé le CCE (comité de coordination et d’exécution). De toute évidence, s’il est prévisible que celle-ci attire les foudres des paras [les autorités coloniales ne pouvant rester bras croisés], il n’en est pas de même des coups portés par les contradicteurs de la ligne soummamienne. Intervention divine ou pur hasard, l’arrestation des membres de la délégation extérieure sauve la révolution d’une implosion certaine. Cela dit, en parlant de la délégation extérieure dans son ensemble, une clarification s’impose sur les positions individuelles. En effet, des prisonniers de la santé [Khider, Ben Bella, Bitat, Boudiaf et Ait Ahmed], seul ce dernier soutient sans ambages les décisions de la Soummam.

Cependant, bien l’acte de piraterie aérienne du 22 octobre 1956 réduise le travail de sape de Ben Bella, ses affidés n’en démordent pas. Pour déstabiliser le CCE, les partisans de Ben Bella, sous la houlette d’Ahmed Mahsas, se regroupent en Tunisie. Il faudrait le concours du président Bourguiba et la détermination du colonel Ouamrane, dépêché par le CCE sur place, pour maitriser la situation. Néanmoins, malgré les manœuvres de déstabilisation, les organisateurs du congrès de la Soummam, Abane Ramdane et Larbi Ben Mhidi, poursuivent leur mission. Saisissant l’occasion de la programmation de la question algérienne pour la session de janvier à l’ONU, les membres du CCE –d’après les témoignages concordants, la proposition est venue de Larbi Ben Mhidi –appellent à une grève nationale du 28 janvier au 4 février 1957. Peut-on, par ailleurs, réussir une action politique face à une armée dirigée par des sanguinaires, tels que le général Massu ou le commandant Aussaresses ? S’il est plus facile de dire aujourd’hui qu’il valait mieux préserver la capitale, ces valeureux militants ne pensaient qu’à attirer l’attention des dirigeants du monde lors du débat onusien. Hélas, face aux paras, dirigés par le général Massu, les Algériens payent un lourd tribut en adhérant à l’appel du CCE. Dotés de pouvoirs illimités, les paras se ruent, dès le 28 janvier, sur les quartiers algériens. Le futur chef du FN (front national), Jean-Marie Le Pen, le leader de l’extrême droite française, se distingue en recevant une décoration militaire, des mains du général Massu, pour la sale besogne effectuée.

Quant aux conséquences sur la révolution, celle-ci reçoit en effet un coup terrible. Face au rouleau compresseur de l’armée coloniale, les membres du CCE décident un repli sur la Tunisie. Après avoir énoncé quatre mois plus tôt la primauté de l’Intérieur sur l’Extérieur, voilà que le CCE enfreint sa propre décision. Cela dit, les membres du CCE donnent-ils tous la même signification à ce départ ? D’après Gilbert Meynier, « pour Abane, les replis sur Tunis ou Le Caire n’étaient que provisoires. Le principe soummamien de la suprématie de l’Intérieur sur l’extérieur faisait partie d’une vraie ligne politique, puisée dans l’histoire des mouvements de libération dont ses innombrables lectures l’avaient rendu familier. »

Quoi qu’il en soit, l’acharnement du sort ne s’arrête pas là. À la veille de leur départ, la révolution algérienne perd l’un de ses meilleurs fils, Larbi Ben Mhidi. Comme vont le montrer les événements ultérieurs, sa neutralisation va faciliter la mise à l’écart et puis la liquidation d’Abane Ramdane. « La demi-défaite qu’a représentée la « Bataille d’Alger », le retrait forcé du CCE de la ville, aggravent considérablement les dissensions qui avaient surgi lors du congrès de la Soummam… Ben Mhidi disparu, Krim est le seul fondateur du FLN actif au CCE. Il change son fusil d’épaule, réaffirme l’importance des chefs « historiques », relance la lutte contre les « centralistes » [Dahlab et Ben Khedda], alliés d’Abane », résume Benjamin Stora l’atmosphère régnant au CCE après le départ à l’extérieur, dans « Dossiers secrets du Maghreb et du Moyen-Orient ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à partir de mars 1957 la dissension va crescendo. À un moment donné, le conflit devient si grave que des dirigeants, tels que Ferhat Abbas ou Chikh El Ibrahimi, en font une priorité. Prenant conseil auprès du Chikh, celui-ci demande à Ferhat Abbas de les concilier. « Quand deux Kabyles sont en conflit, il arrive que l’un d’eux meure », lui dit-il.

Tout compte fait, puisque l’épreuve de force est inéluctable, la victoire revient naturellement au plus fort, et ce, bien qu’Abane Ramdane ne se laisse pas marcher sur les pieds. En tout cas, sa conciliation avec Ben Bella et son rapprochement avec les deux colonels, Boussouf et Ben Tobbal, sont incontestablement des atouts qui font pencher la balance en faveur de Krim Belkacem. Ainsi, bien avant la première réunion du CNRA (conseil national de la révolution algérienne) du Caire, tenue du 20 au 27 aout 1957 [à vrai dire, il y avait une seule réunion de deux heures, le 27 aout 1957, selon Gilbert Meynier], la réorganisation du CCE s’est faite sans Abane Ramdane. À Montfleury, en Tunisie, note Gilbert Meynier, « l’élimination du CCE de Ben Khedda et Dahlab fut sans doute d’ores déjà programmée. Une motion avait été rédigée à destination du CNRA qui demandait le remplacement de Ben Mhidi par Boussouf, la désignation des historiques emprisonnés au CCE et de Ben Tobbal, Ouamrane, Lamine Debaghine et Abbas. » Le jour J, c’est-à-dire le 27 août 1957, ces propositions passent comme une lettre à la poste. De la même façon, les colonels, notamment les 3B (Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf), annulent sans peine les deux principes de la Soummam. Désormais, il n’y a plus de différence entre l’Intérieur et l’Extérieur et il n’y a plus de primauté du politique sur le militaire. Enfin, lors de la répartition des tâches, Abane se voit confier la rédaction du journal « El Moudjahid ».

D’une façon générale, après l’accomplissement d’un travail colossal en vue de redresser la situation, les nouveaux hommes forts du moment assènent à la révolution un coup dur. À partir de cette réunion, le repli momentané vers l’extérieur, auquel croit profondément Abane, n’est qu’une chimère. Ne mâchant pas ses mots, Saad Dahlab qualifiera plus tard la réunion du CNRA du Caire de « premier coup d’État ». Toutefois, si les politiques au sein du CCE, anciens aux nouveaux, se taisent, il n’en est pas de même d’Abane Ramdane. Sermonnant les colonels lors de la dernière réunion du CCE à laquelle il a assisté, Abane Ramdane leur dit ceci : « Vous ne pensez plus combat, mais pouvoir. Vous êtes devenus ces révolutionnaires de palace que nous critiquions tant quand on était à l'intérieur. Quand on faisait vraiment la révolution. Moi j’en ai assez. Je vais regagner le maquis et à ces hommes que vous prétendez représenter, sur lesquels vous vous appuyez sans cesse pour faire régner votre dictature au nom des combattants, je raconterai ce qui se passe à Tunis et ailleurs. »

Cependant, peut-on s’opposer à des dirigeants pensant que la puissance d’un chef se mesure au nombre d’étoiles sur ses épaules ? À ce jeu, il est clair qu’Abane part avec un handicap insurmontable. En tout cas, une confrontation d’idée pouvant tourner en faveur d’Abane [Krim voulait opposer son prestige de maquisard à la puissance intellectuelle d’Abane pour peser sur les débats, d’après Yves Courrière], les colonels optent pour la méthode médiévale. Il commence alors une phase où les intrigues prennent le dessus sur l’impératif de la conduite de la révolution. De l’accusation de vouloir faire du journal « El Moudjahid » sa propriété privée à celle de représenter un danger pour la révolution en passant par sa tentative de perpétrer un putsch contre le CCE, les colonels déploient toute leur énergie en vue de discréditer l’architecte du rassemblement national. Or, si ces accusations sont vraies, pourquoi ils ne soumettent pas cette affaire au tribunal de la révolution, créé depuis août 1956 ? Dans le cas Abane, il est seulement constitué un tribunal de salut public, selon les propres mots de Krim Belkacem, en vue de traiter le cas Abane. Mais sans que ce dernier n’ait la chance de se défendre. Et à en croire le témoignage d’Amar Ouamrane, dans une lettre du 15 août 1957, la sentence, bien qu’elle soit illégale, concerne uniquement l’emprisonnement. Mais que vaut cette peine quand l’on sait que l’accusé sera remis entre les mains du sanguinaire, Abdelhafid Boussouf. Pour le piéger, les colonels inventent un litige avec l’armée marocaine. On demande alors à Abane d’aller voir le roi Mohammed V pour aplanir le différend. Accompagnés de Krim Belkacem et de Mahmoud Cherif le 25 décembre 1957, ils arrivent à Tétouan, après un passage furtif en Espagne, le 27 décembre 1957. Prétextant un risque de ne pas pouvoir maîtriser les râlements d’Abane, en cas où la peine d’emprisonnement est retenue, Boussouf décide de le liquider. « Abane passera et il y en aura d’autres qui passeront », déclare-t-il à Krim à l’aéroport de Tétouan, selon le témoignage d’Ouamrane.

Pour conclure, il va de soi que cette liquidation injuste va peser très lourd sur la suite de la révolution. À travers l’assassinat d’Abane Ramdane, ce n’est pas seulement l’homme que l’on tue, mais l’orientation démocratique de la révolution algérienne. Désormais, tous les conflits politiques se règlent par l’élimination de l’adversaire. Mais en faisant de la force le seul moyen de graver les échelons, les 3B vont être bientôt dépassés à ce jeu par un loup, Houari Boumediene. Enfin, malgré les 56 qui nous séparent de cet assassinat, force est de reconnaître que cette malédiction suit toujours l’Algérie. Jusqu’à nos jours, les questions politiques se mesurent à l’aune du rapport de force des acteurs. La préparation de la succession du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, prouve, si besoin est, la dérive révolutionnaire, héritée des règlements de compte pendant la guerre de libération.

Ait Benali Boubekeur

25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 14:01
Rapport de Abane Ramdane au CNRA (1956)

Les frères qui prirent la décision de déclencher l'insurrection du Ier Novembre 1954 se séparèrent en se donnant rendez-vous dans trois mois. Ce rendez-vous devait leur permettre de faire le point de la situation, d'étudier ensemble les besoins de la Révolution et de désigner une direction.

A. La situation avant le Congrès du 20 Août 1956
La rencontre n'eut pas lieu. Trois sur cinq des responsables qui étaient à l'intérieur devaient tomber soit entre les mains de l'ennemi soit au champ d'honneur (Bitat, Ben Boulaïd Mustapha et Didouche). Les responsables qui étaient à l'extérieur n'ont pas pu se rencontrer à l'intérieur à cause du danger que présentait à l'époque un tel déplacement. La liaison inter-zonale 2 n'existait pas. Les 2/3 du territoire national n'avaient pas bougé, ce qui rendait impossible la jonction des groupes armés existants. La Révolution faute de cette rencontre restera donc sans autorité nationale reconnue. A cela il y a lieu d'ajouter un vide politique effrayant. Le FLN en tant qu'organisation n'était pas encore né. Les quelques responsables qui avaient échappé à la mort et à l'arrestation hésitaient dans leur isolement à prendre des décisions sur les grands problèmes.

Cette situation terrible ne devait heureusement durer que quelques mois.

Petit à petit la Révolution progressait dans tous les domaines. Difficilement la liaison se rétablissait entre les zones Alger-Kabylie, Alger-Oranie, Alger-Paris, Alger-extérieur, et plus tard Alger-Nord constantinois, Cependant la répression interrompait fréquemment cette liaison. Par ailleurs, le FLN commençait à se populariser, d'abord à Alger et ensuite dans le reste du pays. Le mythe de «I'Algérie française» était démoli. Les maquis prenaient de l'ampleur et s'implantaient solidement chaque jour davantage. Le problème algérien était enfin clairement posé.

Devant la poussée insurrectionnelle, les anciennes formations politiques classiques (MTLD, Oulémas, UDMA) s'intégrèrent dans le FLN. Le PCA s'obstina à suivre mais n'ayant aucune base populaire solide, il ne tarda pas à être emporté par la tourmente.

Le rassemblement au sein du FLN de toutes les énergies vives du pays devait faciliter l'union dans le feu de la lutte de tout le peuple algérien.

L'esprit FLN qui avait banni le sectarisme des anciens partis politiques a été pour beaucoup dans cette union du peuple algérien. A ce stade de la lutte, il était indispensable que tous les responsables de l'insurrection se rencontrassent pour confronter les points de vue et se définir dans tous les domaines.

La rencontre eut lieu le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam.

B. Le Congrès du 20 Août 1956
On a beaucoup parlé et encore plus écrit sur le Congrès du 20 Août 1956. Certes le Congrès du 20 Août n'a jamais eu la prétention d'être une panacée à tous nos maux, cependant, tout homme de bonne foi est obligé de reconnaître que le Congrès du 20 Août a été la plus belle victoire remportée sur l'ennemi depuis le ler Novembre 1954. Au milieu de difficultés sans nombre (alertes, ratissages, embuscades, accrochages), la plupart des responsables de l'Oranais, de l'Algérois et Constantinois ont délibéré 15 jours durant. De ces délibérations devaient sortir :

a. Les organismes dirigeants de la Révolution CNRA et CCE.
On a critiqué la composition du CNRA, pourtant cet organisme reflète l'union nationale réalisée au sein du peuple. Le CNRA, qu'on le veuille ou non, est un organisme représentatif pouvant valablement engager l'avenir du pays.

b. Le principe de la primauté du politique sur le militaire
Ce principe que d'aucuns ont aussi contesté est un principe universel valable dans tous les pays et dans toutes les révolutions car il affirme le caractère essentiellement politique de notre lutte à savoir : l'indépendance nationale.

c. Le principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur
Là encore on a trouvé à redire. Pourtant ce principe est encore valable pour une foule de raisons dans la moindre est qu'une révolution comme la nôtre ne peut être dirigée que par des hommes qui la vivent et indiscutablement on ne peut vivre la Révolution algérienne qu'à l'intérieur des frontières de l'Algérie.

d. La structure de l'ALN
La structure conçue le 20 Août a permis à l'ALN de devenir une véritable armée avec sa personnalité propre. Les grades, les insignes, la composition des unités, etc. furent uniformisés.

e. Les Assemblées du peuple
Innovation heureuse qui répond à un sentiment profond chez notre peuple : l'amour de la démocratie. Les Assemblées du peuple permettent à nos populations de faire leur apprentissage dans l'art de se gouverner elles-mêmes et au FLN de consolider et d'élargir ses assises populaires.

C. La crise Mahsas
Mis au courant de la réunion dès le mois de février 1956, les frères de l'extérieur n'ont pu venir assister au Congrès pour des raisons indépendantes de notre volonté. Il en a été d'ailleurs de même des frères des Aurès-Nemmenchas. Néanmoins, les congressistes décidèrent de retarder la publication des décisions en attendant de recueillir les voux et suggestions des frères absents. Les décisions du Congrès furent d'une part remises aux frères Zirout et Amirouche chargés de les communiquer respectivement aux Nemmenchas et aux Aurès et d'autre part, envoyées au Caire par un agent de liaison spécial. Ce dernier rencontra Ben Bella à Tripoli et les lui a remises en mains propre en lui demandant de les communiquer aux trères de l'extérieur. Malheureusement, il se produisit l'épisode de l'avion que tout le monde connaît et qui se termina par l'arrestation des cinq et la saisie de tous les documents en leur possession. Ainsi, les décisions du Congrès qui étaient encore secrètes tombèrent entre les mains de l'ennemi.

Devant cette nouvelle situation, le CCE ne pouvait plus retarder la publication des décisions du Congrès parce que :

a. Les Français pouvaient d'un moment à l'autre les rendre publiques ce qui n'aurait pas manqué de provoquer des réactions très vives et justifiées de la part des militants.

b. L'ennemi criait à qui voulait l'entendre que le FLN était décapité et le moral du peuple et de nos troupes commençait à être atteint. C'est alors que le CCE prit sur lui la responsabilité de faire paraître les décisions du Congrès du 20 Août dans le n° spécial du Moujahid daté du1er Novembre 1956.

La publication des décisions provoqua un échange de lettres entre le CCE et les frères de la Santé. Ces derniers reprochaient au Congrès son manque de représentativité, sa conception du FLN qui a été le principal critère dans le choix des hommes composant les organismes dirigeants de la Révolution, le principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, le principe de la primauté du politique sur le militaire et enfin que la République algérienne devait à leur sens revêtir un caractère nettement islamique.

Nous avons exposé plus haut les arguments qui militent en faveur de la conception du FLN des congressistes et du choix des hommes devant siéger aux organismes dirigeants de la Révolution. Nous avons aussi développé les arguments qui militent en faveur des principes : primauté du politique sur le militaire et primauté de l'intérieur sur l'extérieur.

Il nous reste à examiner la non-représentativité du Congrès, le caractère islamique de la République Algérienne.

Toute l'Algérie était présente au Congrès exception faite des responsables de l'ex-zone Aurès-Nemmenchas qui ne sont pas arrivés à temps à cause des ratissages et des luttes intestines qui ravageaient cette partie du territoire algérien. Quant à Souk Ahras, pour tous les congressistes elle faisait partie de l'ex- zone Nord constantinois qui avait envoyé au Congrès ses cinq principaux responsables.

L'Oranie était représentée par son principal responsable. Quant à l'extérieur nous avons dit qu'ils étaient avisés plusieurs mois à l'avance.

Pour ce qui est du caractère islamique de la future Republique algérienne, le CCE considère que c'est-là un argument démagogique auquel ne croient même pas ses auteurs. Les frères de la Santé n'ont pas été les seuls à contester les décisions du congrès. Il y aurait aussi Mahsas qui avait été désigné par Ben Bella comme responsable de la base de Tunis.

Le congrès avait désigné Mezhoudi et Benaouda pour se rendre à Tunis afin de clarifier la situation et activer l'envoi des armes. Dès leur arrivée, ils se heurtèrent à Mahsas qui était déjà maître de la situation. Ce dernier non seulement conteste les décisions du congrès mais entreprend un travail de sape et dresse les éléments des zones frontalières (Souk Ahras, Aurès-Nemmanchas) contre le Congrès et le CCE. Le résultat est que les armes sont bloquées. Il s'ensuit une lutte anarchique entre algériens. Ces agissements atteignent dangereusement le prestige du FLN auprès des autorités tunisiennes qui tiennent compte de la situation à leurs frontières.

La réaction de la délégation à l'extérieur tant au Caire qu'à Tunis, une lettre officielle du CCE au gouvernement tunisien et enfin l'arrivée de Ouamrane devaient isoler Mahsas qui parvint cependant à fuir. La situation est aujourd'hui complètement rétablie et un tribunal militaire vient de clore la crise Mahsas en prononçant 13 condamnations à mort dont deux par contumace (Mahsas et Ben Boulaïd Omar).

D. La sortie du CCE
L'idée remonte à plusieurs mois. Elle émane du chef de la wilaya d'Oran qui était à la frontière algéro-marocaine et de ce fait à même de sentir le malaise qui existait entre les éléments de l'intérieur et de l'extérieur. D'autres raisons devaient précipiter la sortie du CCE, les principales en sont :

a. La situation confuse en Tunisie et aux zones frontalières (Souk-Ahras, Aurès-Nemmamchas).

b. La crise d'autorité qui sévissait au sein de la délégation extérieure dont le chef était contesté par les quatre de la Santé.

c. L'entrée des armes en Algérie.

d. L'indispensabilité de réunir le CNRA pour faire le point.

e. Et enfin l'atmosphère quasi-irrespirable à Alger après la féroce répression qui a suivi la grève de huit jours.

II. Le point de la situation
A. Nos forc
es
1. A l'intérieur
a. Le F
LN
Exception faite de quelques douars qui se sont ralliés à l'armée française et qui habitent autour des camps militaires (leur chiffre est d'environ 4 à 5 par wilaya) et d'une partie de la population de certains villages et villes qui échappent à notre contrôle, tout le peuple algérien est embrigadé dans le FLN. Tous les algériens sont membres du FLN . L'immense majorité par conviction, une infime minorité par crainte. Il nous est impossible de donner le chiffre exact des militants du FLN.

Tous les algériens participent à la lutte. Les uns éduquent, les autres organisent, d'autres font de la propagande, ramassent des fonds, du ravitaillement, des médicaments, etc. D'autres encore prennent la garde, servent de guides dans leur douar, hébergent, renseignent et font à l'occasion le coup de feu. Ces millions d'êtres humains sont encadrés par quelques centaines de commissaires politiques (ex-militants des anciens partis politiques, jeunes lycéens et universitaires qui ont déserté les cours). Les commissaires politiques sont aidés dans leur tâche par tous les membres de l'ALN, officiers, sous-officiers et hommes de troupe qui, à l'occasion, tiennent des réunions aux militants, ramassent les cotisations, tranchent les litiges qui surgissent entre les habitants des douars et des villages. Depuis le Congrès du 20 Août la tâche des commissaires politiques est facilitée par l'élection des membres de l'Assemblée du peuple qui gèrent véritablement les affaires de leurs douars (police, état-civil, ravitaillement, garde, etc.) Les commissaires politiques, pour faire régner l'ordre, disposent de gendarmes ; de groupe de moussebline et éventuellement de groupes de l'ALN. Indiscutablement les résultats sont plus qu'encourageants.

L'administration française n'a jamais pu faire régner l'ordre qui existe aujourd'hui dans nos cam-pagnes. Dans les villes mêmes, les délits de droit commun ont diminué dans une proportion énorme.

b. Le peuple
Le peuple c'est, nous l'avons dit plus haut, le FLN Depuis bientôt trois années, il supporte tout le poids de la guerre. Une répression féroce s'abat sur lui. Les pertes sont lourdes. Elles sont de l'ordre de 250 à 300 000 individus (hommes, femmes, vieillards et enfants). A cela il faut ajouter quelques dizaines de milliers dans les prisons et les camps. Il est rare de trouver une famille algérienne qui ne soit pas touchée dans sa chair ou dans ses biens. Des familles entières ont disparu, massacrées par l'armée française, d'autres complètement ruinées ont quitté leur douar d'origine pour aller chercher refuge dans une autre région. La misère est le lot d'une fraction importante de la population. Les habitants de nombreuses régions dites (pourries) ou déclarées zones interdites suivent dans leur repli les groupes de l'ALN lors des opérations de ratissages. Ces populations sont considérées par les Français hors-la-loi et sont souvent mitraillées par l'aviation. Malgré une répression féroce et une misère effroyable, le moral demeure très bon. Tous les rapports des chefs de wilayas corroborent ce que les membres du CCE ont pu constater eux-mêmes lors de leur passage au maquis. A quoi cela est-il du ? A plusieurs raisons : il y a d'abord le caractère algérien qui ne se plie jamais à la force brutale. Il y a ensuite cette conviction profonde chez tous, que notre victoire est certaine. C'est un sentiment qui ne se raisonne pas chez nos masses.

Le peuple croit à l'indépendance comme il croit au paradis. Vouloir l'en dissuader est peine perdue. Certes il connaît parfois des moments d'abattement mais très vite il se ressaisit et reprend confiance à la vue d'une section de nos moujahidines qui vient de désarmer une unité française dans une embuscade ou un accrochage. De plus le fait de se trouver en pleine mêlée au milieu de tous ces jeunes moudjahidines venus des villes et des campagnes l'encourage et puis il ne faut pas craindre de le dire, il n'a pas le choix. Les Français n'ont plus confiance en lui, il ne lui reste plus qu'à lutter et à mourir au milieu des siens. Pour clore ce chapitre, nous dirons que le peuple est tout pour nous. De lui dépend la victoire ou la défaite. Le CNRA est invité à se pencher sur ses besoins qui sont de deux ordres : les armes et l'argent. Les armes lui permettront de se défendre et l'argent de se nourrir. Nous devons de l'extérieur envoyer des secours en nature et en espèces. Si nous arrivons à faire face à ces deux besoins notre victoire est certaine et à brève échéance.

c. L'A.L.N.
L'ALN est l'ensemble des moujahidines, fidaïnes et des moussebelines lorsque ces derniers sont armés. Les unités qui la composent sont, le groupe, la section, la compagnie et le bataillon. L'ALN ne ressemble en rien à une armée de métier. L'ALN est d'abord et surtout une armée populaire qui vit et combat au sein du peuple. Exception faite de certaines régions montagneuses de Souk Ahras, des Aurès Nemmamchas et du Sud-Oran les groupes de l'ALN sont constamment dans les douars au sein de nos paysans. L'emploi du temps d'un groupe armé peut être schématisé de la façon suivante: le groupe arrive dans une mechta le plus souvent de nuit et s'installe dans une ou deux pièces qui sont mises à sa disposition. Le chef de groupe établit un tour de garde et désigne le premier guetteur qui viendra réveiller son camarade une ou deux heures après. Lorsqu'aucun travail n'est prévu pour la journée du lendemain, les hommes dorment jusqu'au lever du jour. Puis ils passent la journée à laver leur linge et à nettoyer leurs armes. Si l'ennemi est signalé par les guetteurs qui montent une garde vigilante sur les crêtes, le groupe se met vite en tenue de combat. Dans le cas où il existe dans les environs une zone de repli (forêt, ou terrain accidenté) les moujahidines quittent la mechta et se camouflent. Dans le cas ou le terrain est plat, alors ils choisissent l'emplacement et se mettent en position de combat et attendent l'ennemi. Le combat est engagé et dure très souvent jusqu'à la tombée de la nuit. L'obscurité permet généralement aux nôtres de franchir les lignes ennemies et de sortir du cercle.

La guerre pour nos moujahidines ne consiste pas seulement à se défendre, très souvent ils prennent l'initiative et attaquent, c'est le cas par exemple de l'embuscade ou de l'attaque des postes ennemis. L'embuscade est l'opération la plus payante. Les nôtres choisissent le lieu de l'embuscade et attendent passionnément le passage de l'ennemi pour l'attaquer par surprise. L'effet de surprise est terrible et très souvent les nôtres arrivent à massacrer et à désarmer des unités françaises supérieures en nombre et en matériel. L'attaque des postes ennemis peut être un simple harcèlement ou une prise d'assaut lorsque des complicités existent à l'intérieur du camp ennemi. Les unités de l'ALN comprennent une proportion importante de fellahs. Seuls les cadres sont généralement citadins ce qui donne à l'ALN un caractère profondément populaire trait que nous ne devons jamais perdre de vue si nous voulons nous éviter des déboires dans l'avenir. Le moral de l'ALN malgré la vie dure qu'elle mène est excellent. Aucun moudjahid ne parle de négociations, le thème des conversations est toujours le même : l'indépendance et surtout le grand défilé de la libération à Alger.

Le CNRA ne doit pas se fier à cet optimisme. Certes l'enthousiasme est un atout puissant entre nos mains, cependant nous devons tout faire pour fournir à ces hommes qui ont tout sacrifié les moyens de se défendre et de vaincre.

L'effectif de l'ALN est de l'ordre de 50 000 moudjahidines et fidaïne qui se répartissent ainsi :

Base de Souk-Ahras : 4 000 ; wilaya n°l : 10 000 ; wilaya n°2 : 6 000 ;

wilaya n°3 : 12 000 ;

wilaya n°4 : 4 000 ;

wilaya n°5 :6 000 ;

wilaya n°6 : 2 000.

L'effectif des mousseblines est aussi d'environ de 40 à 50 000.

En gros nous pouvons dire que nous avons 100 000 hommes qui combattent. Ces hommes ne sont malheureuse- ment pas tous armés.

Environ 35 à 40 000 hommes sont armés d'armes de guerre, le reste de fusils de chasse et de révolvers ou sans armes du tout.

Le problème des armes sur lequel nous reviendrons plus loin reste posé.

d. Les finances
Jusqu'au Congrès du 20 Août, le FLN a pu non seulement subvenir aux besoins de la révolution à l'intérieur du pays mais à économiser environ 1 milliard. Depuis le Congrès du 20 Août, la répression allant en s'accentuant, les res- sources du FLN ont terriblement diminué. Les chefs de wilaya ont été obligés de prélever des sommes importantes sur leurs réserves. Aujourd'hui, seules trois wilayas ont encore un peu d'argent : la wilaya n°3 possède 300 millions (alors qu'elle en avait 500 le 20 Août 56), la wilaya n°2 possède 100 millions (alors qu'elle en avait 200 le 20 Août 56) et la wilaya n°S possède 600 millions. Les autres wilayas n'ont pas de sous. Le CCE est obligé de prélever des sommes importantes en Kabylie et en Oranie pour aider Souk Ahras et les Aurès-Nemmamchas. Le CCE attire l'attention du CNRA sur ce problème qui conditionne tous les autres. Les sources à l'intérieur sont taries. C'est à l'extérieur et à l'extérieur seulement que nous devons chercher de l'argent pour faire face aux énormes dépenses que nécessitent l'achat de grosses quantité d'armes, l'entretien d'une multitude de militants qui travaillent à l'extérieur et aussi et surtout aux besoins vitaux des populations à l'intérieur du pays qui se débattent dans une misère effroyable.

Tous les chefs de wilaya lancent un cri d'alarme. Si nous voulons maintenir et augmenter le niveau de lutte du peuple, nous ne devons pas le laisser mourir de faim.

Chacun de nous devra faire son examen de conscience. Des sommes énormes sont dilapidées par nous à l'extérieur. L'esprit d'économie n'existe chez aucun d'entre nous. Nous vivons dans des palaces et au moindre de nos déplacements, nous louons un taxi, des voyages inutiles et onéreux sont effectués par les nôtres. Tous les jours des millions sont ainsi gaspillés alors que le peuple dans certaines régions comme à Ténès par exemple mange de l'herbe. Nous reviendrons sur cette question dans les perspectives d'avenir.

e. Les syndicats
Nous avons pris l'initiative en mars 1956 de créer une centrale syndicale nationale : l'UGTA. L'enthousiasme rencontré au départ fut immense. En quelques mois l'UGTA comptait pour la seule agglomération algéroise plus de 100 000 adhérents. Malheureusement l'UGTA comme toutes les organisations nationales fut prise pour cible par l'ennemi. Des arrestations massives furent opérées. Des milliers de syndicalistes sont aujould'hui dans les camps de concentration. A neuf reprises le secrétariat national de l'UGTA a été renouvelé en moins d'un an. Aujourd'hui tous les dirigeants de l'UGTA sont arrêtés et les locaux occupés par la police et l'armée française. Seuls ont échappé trois secrétaires nationaux qui se trouvent aujourd'hui à l'extérieur sont en rapport avec la CISL et les syndicats qui composent cette centrale internationale. En outre, ils participent à l'élaboration du projet d'unification des 3 centrales nord-africaines (UGTT-UGTA-UMT). La délégation de l'UGTA à l'extérieur devra se fixer pour tâche la formation des cadres grâce aux stages gratuits organisés par le CISL, de ramasser des fonds auprès de leurs camarades ouvriers en Tunisie et au Maroc, en Europe occidentale et en Amérique afin de subvenir aux besoins des familles de syndicalistes algériens emprisonnés et enfin à faire de la propagande pour l'UGTA et la Révolution algérienne dans les congrès, les conférences syndicaux internationaux. A côté de l'UGTA, nous avons aussi créé l'UGCA qui se trouve dans une situation identique à celle de la centrale ouvrière.

2. A l'extérieur.
a. Notre délégati
on
Notre délégation à l'extérieur représente indiscutablement une force par le nombre et par la qualité. C'est pour cela qu'elle n'a plus aucune excuse pour ne pas rendre. La crise d'autorité qui était un grand handicap a disparu. Le chef de la délé- gation aidé du responsable à la logistique devra procéder à une réorganisation de tout l'extérieur. Il serait souhaitable qu'il se choisisse un adjoint énergique chargé tout spécialement de veiller à l'application stricte d'une discipline de travail et un contrôle de toutes les dépenses du personnel de la délégation.

b. L'organisation du Maroc
L'organisation du Maroc est bien assise. L'effectif des militants est d'environ 6 000. Aucun Algérien habitant le Maroc n'échappe à notre contrôle. Tous contribuent, chacun dans la mesure de ses moyens, à l'effort de guerre. Les rentrées financières mensuelles sont de l'ordre de 20 à 25 millions. Cette puissante organisation nous permet de faire pression dans une certaine mesure sur les autorités marocaines et l'lstiqlal qui ne sont pas aussi bien disposés que les autorités tunisiennes et le destour à nous aider. L'ex-zone espagnole nous est très utile. Elle sert de refuge à nos éléments et là se trouvent les organismes vitaux de la Wilaya n°5. Avec un peu de bonne volonté les autorités marocaines pourraient nous faciliter l'installation de camps d'entraînement, d'écoles de cadres de tous genres, de centres de transmissions, etc. Il est à souhaiter qu'une imposante délégation aille rendre visite au sultan et au gouvernement marocain pour lui demander de nous aider plus efficacement.

c. L'organisation de Tunisie
Elle commence seulement à démarrer. Les crises successives ont mis par terre toute l'organisation qui, il est vrai, n'a jamais été bien solide. Les autorités tunisiennes à l'inverse des autorités marocaines sont beaucoup plus compréhensives à notre égard. Mais les possibilités sont ici limitées. Nous n'avons ni l'équivalent de l'ex-zone espagnole, ni la masse des jeunes algériens instruits qui habitent le Maroc ? Cependant, là encore, la formation de camps d'entraînement est possible à proximité des frontières. Si nous rencontrons au Maroc de très grandes diffcultés dans l'acheminement des armes, en Tunisie nous n'avons eu jusqu'ici aucune difficulté majeure. L'effectif des Algériens qui habitent la Tunisie et qui activent au sein du FLN est minime. Les éléments dynamiques vivent tous au maquis. Les rentrées financières sont très faibles ; 1 à 2 millions par mois. Il est vrai que les frais de la base de Tunis sont très élevés à cause de l'aide qu'elle apporte à la base de Souk Ahras et à la Wilaya n° 1 (traitement et soins aux malades et blessés, ravitaillement et habillement, etc.).

20 décembre 2013 5 20 /12 /décembre /2013 21:29
Le rôle d’Abane Ramdane pendant la guerre d’Algérie (2).

Deuxième partie : le rassembleur.

Au début de l’année 1955, le chantier qui attend Abane Ramdane est colossal. Pour se rendre compte de l’ampleur de la tâche, il suffit de revoir les positions des partis politiques algériens au lendemain du déclenchement de la lutte armée. Ainsi, pour le parti de Ferhat Abbas, l’action armée constitue à la fois « désespoir, désordre et aventure ». De leur côté, les centralistes, bien qu’ils soient issus du même parti que les activistes, ne sont pas loin de penser la même chose que Ferhat Abbas. Quant à l’association des Oulémas, celle-ci qualifie uniment les actions du 1er novembre 1954 d’actes terroristes. Et comme le malheur ne vient pas seul, le nouveau mouvement, le FLN en l’occurrence, enregistre en peu de temps des pertes colossales. Pour rappel, le chef du Constantinois (Didouche) a été assassiné en janvier 1955, le chef des Aurès-Nemenchas (Ben Boulaid) a été arrêté en février 1955, le chef de l’Algérois (Bitat) a été arrêté en mars 1955, le coordinateur national (Boudiaf) avait quitté l’Algérie à la veille du déclenchement de la lutte [il ne reviendra qu’en juin 1962]. Les deux chefs de zones qui sont en liberté, quatre mois après les événements de novembre 1954, sont Krim Belkacem et Larbi Ben Mhidi.

Du coup, au moment où Abane Ramdane intègre le mouvement révolutionnaire, celui-ci est quasiment évanescent. Sur le terrain, seules les Aurès et la Kabylie bougent encore. Aidées par leur relief, elles maintiennent autant que faire se peut le mouvement en vie. Cependant, malgré ces difficultés, le train de la révolution n’a pas intérêt ni à s’arrêter ni à faire marche arrière. Pour y parvenir, c’est la mission que s’assigne Abane Ramdane. Bien qu’il ne soit pas l’initiateur de la lutte armée [pour faire plaisir à ceux qui aiment signaler ce détail], il est évident que les objectifs du mouvement ne pourraient être réalisés que si les Algériens participaient à la lutte. Or, qui dit action populaire, dit aussi l’ouverture du mouvement à toutes les compétences. Depuis la prise de ses fonctions [à ceux qui disent « qui a donné le mandat à Abane pour parler au nom du FLN ? », ont peut dire la même chose à propos de ses contradicteurs], le plus politisé des militants nationalistes inaugure son entrée sur la scène politique par un appel émouvant au peuple algérien, le 1er avril 1955. Pour lui, si le peuple algérien veut vivre sans carcans, il faudra qu’il rejoigne, sans tarder, le FLN. Une nouvelle formation, selon lui, qui n’a rien à voir avec les anciens partis politiques.

Cependant, il ne suffit pas de décréter le rassemblement pour qu'il se fasse naturellement. Bien que tout le monde le veuille, force est d'admettre que cela ne se fait pas en claquant des doigts. Dans le contexte algérien de l'époque, pour ramener les autres partis vers le front, il faudrait surtout tenir un discours unificateur. Au discours empreint d'exclusivisme de la part de Ben Bella, Abane tient un autre langage. « Le FLN n'appartient à personne, mais au peuple algérien qui se bat. L'équipe qui a déclenché la révolution n'a acquis sur celle-ci aucun droit de propriété. Si la révolution n'est pas l’œuvre de tous, elle avortera inévitablement », rassure-t-il Ferhat Abbas lors de leur premier entretien du 26 mai 1955.

Cela dit, le rassemblement auquel appelle Abane doit satisfaire une condition sine qua non : les militants doivent adhèrer individuellement au FLN, et ce, après la dissolution de leur parti. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que, dans le contexte de l'Algérie des années 1950, il n'y avait pas beaucoup d'hommes capables d'accomplir une telle mission. Car, ce dernier doit être à la fois un homme visionnaire et surtout un homme intransigeant sur certains principes. « Ramdane était un véritable animal politique et un organisateur expérimenté. Il n'avait pas besoin de son intuition de mathématicien pour, en premier lieu, identifier le sens du problème prioritaire et urgent : absence de vision et de stratégie politique, et, en deuxième lieu, pour mettre en place les structures cohérentes destinées à soutenir la dynamique populaire », répond Hocine Ait Ahmed à un journaliste qui l'interviewait sur le rôle d'Abane Ramdane.

D'une façon générale, bien que les formations politiques soient sommées de choisir le camp [où elles s'engagent avec le FLN où elles satisfont les desiderata des autorités coloniales en constituant la troisième force], certaines d'entre elles ont mis beaucoup de temps à réagir. Les centralistes sont les premiers à s'engager. Bien qu’il y ait des sceptiques, à l'instar de Kiouane, la ligne défendue par Ben Khedda, ami de langue date d'Abane, l'emporte facilement à l'automne 1955. De la même façon, les partisans de Ferhat Abbas suivent l'exemple dès janvier 1956. Enfin, bien que la position des Oulémas soit la plus langue à se dessiner, d’après Mohamed Harbi, ils rejoignent, à l'instar des autres courants déjà cités, le mouvement libérateur.

Quoi qu'il en soit, comme pour l’idée du rassemblement, il ne suffit pas non plus d'arracher l'acquiescement de ces organisations à rejoindre le mouvement pour que l’union soit effective. L'étape suivante, inhérente à la réorganisation de la révolution, est tout autant cruciale. Dans cette mission, Abane Ramdane s'entoure d'une équipe ne lésinant pas sur les efforts. Mais le renfort de taille est indubitablement celui de Larbi Ben Mhidi. Après un séjour au Caire, où il a eu une altercation avec Ben Bella à propos de l'approvisionnement des maquis en armement, Larbi Ben Mhidi a compris que la lutte ne pouvait pas être dirigée de l'extérieur. Joignant ses efforts à ceux d'Abane, les deux grands militants préparent un congrès national scellant l'union de toutes les forces politiques algériennes, à l'exception du MNA de Messali Hadj et du parti communiste algérien (PCA).

Ainsi, le 20 août 1956, la révolution algérienne, après moult tergiversation, est enfin remise sur les rails. Elle est désormais dotée des organismes dignes des révolutions universelles. L'un est consultatif, le CNRA (conseil national de la révolution algérienne), et l'autre exécutif, le CCE (comité de coordination et d’exécution). Pour couronner le tout, les congressistes adoptent deux principes pouvant parer toute velléité tyrannique. Il s'agit de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. En réponse à ses détracteurs, Abane considère que le premier principe « est un principe universel valable dans tous les pays et dans toutes les révolutions, car il affirme le caractère essentiellement politique de notre lutte à savoir : l'indépendance nationale. »

Néanmoins, bien que ce projet soit conforme à la proclamation du 1er novembre 1954, chefs historiques, à l’instar d’Ahmed Ben Bella, contestent les résolutions du congrès. « J’étais le seul à la prison de la santé à reconnaitre les décisions de la Soummam. Pour toutes les raisons indiquées, et surtout en raison du consensus national qui y fut esquissé et qui pouvait servir de support international à la constitution d’un gouvernement provisoire… », témoigne Hocine Ait Ahmed. D’ailleurs, son vœu sera exaucé le 19 septembre 1958 lorsque le GPRA prendra la place du CCE. Mais, entre temps, beaucoup de malheurs se sont abattus sur la révolution algérienne.

Pour conclure, il va de soi que le rassemblement national, réalisé sous la houlette du duo Abane-Ben Mhidi, peut être considéré comme le moment le plus décisif de l’histoire nationale. Malgré la défaite de leur ligne politique, sous les coups d’estocade d’un Ben Bella obsédé par le pouvoir, leur œuvre restera indélébile. Quant aux vainqueurs, bien qu’ils se soient revenu sur les principes inhérents à la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, ils n’ont pas eu le courage de supprimer les organismes dirigeants, tels que le CCE et le CNRA. Cela prouve que le projet politique, défendu par le duo Abane-Ben Mhidi, tient la route. Hélas, encore une fois, le dernier mot est revenu à ceux qui vont plonger l’Algérie dans le malheur à l’indépendance. Enfin, pour terminer ce modeste travail, voila ce que déclare Hocine Ait Ahmed sur les conséquences de la défaite de la ligne politique portée par le duo Abane-Ben Mhidi : « Quant aux prolongements sur la situation actuelle, que dire sinon que l’Algérie n’en serait pas là, exsangue et dévastée, si Abane n’avait pas été assassiné par les siens et si Ben Mhidi n’avait pas été exécuté par les autres. En d’autres termes, si le principe du primat du politique sur le militaire avait été respecté.»

Ait Benali Boubekeur

8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 16:05
Le rôle d’Abane Ramdane pendant la guerre d’Algérie (1).

Première partie : son engagement.

L’histoire d’Abane Ramdane, malgré les 56 ans qui nous séparent de son ignoble assassinat, continue de fasciner. Il est évident que le fils d’Azouza a marqué l’histoire de l’Algérie de façon positive, et ce, quoi qu’en en disent les adversaires de sa ligne politique. Bien qu’ils n’appartiennent pas tous au même bord, ces gens-là défendent tous le pouvoir d’un seul homme. Dans ce cas, c’est normal qu’ils vouent une haine viscérale envers Abane Ramdane. Car, de son vivant, le Jean Moulin algérien s’est opposé de toutes ses forces à ce système. Du coup, il n’est pas étonnant à ce que ces adversaires le dévalorisent sans vergogne. En tout cas, entre ceux d’hier qui l’ont tué pour qu’ils puissent instaurer le pouvoir personnel et ceux d’aujourd’hui qui ne respectent pas sa mémoire, la différence est minime.

Toutefois, pour mieux connaitre l’engagement de cet homme exceptionnel, un retour sur son rôle, pendant la révolutionnaire algérienne, est requis. En effet, après cinq pénibles années, passées dans les geôles françaises, Abane Ramdane est libéré le 18 janvier 1955. Bien que les trouvailles avec sa famille, notamment sa mère qui attendait avec impatience ce moment, soient intenses, le devoir national, pour ce militant dévoué, est plus fort. Ainsi, quatre jours après sa libération, il reçoit une délégation locale du FLN. Parmi ses hôtes, il y avait le futur colonel de la wilaya IV et son fidèle ami, Slimane Dehilès. « Cette présence nous a été confirmée par l’intéressé lui-même, ce qui établit avec certitude le premier contact politique d’Abane Ramdane », écrit Khalfa Mammeri, dans « Abane Ramdane : finalement le père de la révolution ».

Par ailleurs, l’évocation de l’auteur mérite qu’on s’y attarde un petit peu. En effet, la question qui me taraude l’esprit est la suivante : comment se fait-il que l’enfant du système [directeur général au ministère de l’Intérieur, aux Affaires étrangères, quatre fois ambassadeur, etc.] puisse réaliser un tel travail sur Abane Ramdane, dont la philosophie est diamétralement opposée au régime qu’il a servi ? Il faut rappeler que ce travail a été réalisé au lendemain du simulacre d’ouverture démocratique. Est-ce que cette œuvre a été commandée à quelques mois du retour du chef historique, Hocine Ait Ahmed, en Algérie ? En tout état de cause, au grand dam des pyromanes pompiers, cette stratégie n’a pas eu les résultats escomptés. Et pour cause ! Hocine Ait Ahmed, dont la hauteur d’esprit n’est plus à démontrer, ne rentre pas dans ce jeu machiavélique de rivalité. En gros, au lieu de susciter le choix entre les deux figures de proue, les Algériens reconnaissent aux deux hommes les mêmes qualités, dont la plus importante étant leur respect au peuple algérien. Pour clore cette parenthèse, il n’est pas étonnant à ce qu’on retrouve l’auteur de la biographie d’Abane député du RCD entre 1997 et 2002.

Quoi qu’il en soit, puisque le sujet concerne l’histoire, je vais utiliser ce support en faisant abstraction de toute arrière-pensée. Ainsi, en ce début de l’année 1955, l’urgence, pour les chefs de l’insurrection, est de maintenir la pression. Du coup, les chefs du FLN ont besoin de renfort. En tout cas, ce n’est pas avec les quelques activistes du PPA-MTLD qu’ils vont se débarrasser du système colonial. C’est dans ce contexte que Krim Belkacem charge son adjoint, Amar Ouamrane, de convaincre Abane « d’entrer dans la révolution et d’accepter de hautes responsabilités dans l’Algérois (zone4) », reprend Khalfa Mammeri un article d’Yves Courrière, paru dans « Historia Magazine ». En fait, bien que Rabah Bitat s’acquitte convenablement de sa mission, un tel renfort ne peut pas être de refus. C’est ainsi qu’au début du mois de mars, Abane Ramdane reçoit une lettre d’un haut responsable de la zone 4. Celui-ci ne pourrait être, d’après Khalfa Mammeri, que Rabah Bitat.

De toute façon, la pression française est telle qu’il n’y a pas de temps à perdre. En plus, le chantier qui attend Abane Ramdane est colossal. « En mars 1955, au moment où Abane Ramdane arrive à Alger et y aborde la révolution, celle-ci n’a commencé que depuis quatre mois. C’est bien peu, mais cela suffit, à un œil exercé et à un esprit lucide pour s’en faire une idée précise, à seule fin d’évaluer le chemin parcouru », écrit encore son biographe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a du pain sur la planche. Car, à l’indigence des moyens, les autorités coloniales déciment peu à peu l’organisation. Après l’assassinat de Didouche Mourad en janvier 1955, l’arrestation de Mostefa Ben Boulaid en février 1955, le chef de l’Algérois, Rabah Bitat, est arrêté à la mi-mars 1955. Sur les six membres fondateurs du FLN, seuls Krim Belkacem et Larbi Ben Mhidi sont désormais en liberté. Mohammed Boudiaf, le coordinateur national, a quitté l’Algérie à la veille du déclenchement de la lutte armée.

Voilà grosso modo la situation de la révolution au moment où Abane Ramdane prend ses responsabilités. En plus de la faiblesse des moyens, les militants nationalistes continuent à se déchirer sur la question de leadership. En effet, les luttes intestines héritées du PPA-MTLD n’ont pas cessé. En revanche, contrairement aux acteurs qui ont vécu la scission du parti, Abane Ramdane se place au dessus de la mêlée. Pour lui, ce qui importe, c’est de créer les conditions favorables pour que le FLN soit adopté par tous les Algériens. Peu importe la formation politique antérieure de chacun, ce qui intéresse Abane Ramdane, c’est plutôt l’avenir. Reprenant le témoignage d’Abderrahmane Kiouane, chef de file des centralistes au moment de la crise du PPA-MTLD, sur Abane Ramdane, Khalfa Mammer écrit : « [Abane] ne faisait aucun reproche à personne et ne cherchait pas à situer les torts [dans la scission du PPA-MTLD]. Il n’y avait pas de méfiance en lui. Ce qui lui importait, c’était l’avenir. »

En somme, il va de soi que s’il fallait se battre contre la France, de surcroit une puissance mondiale, il faudrait, selon Abane Ramdane, mettre de côté les querelles du passé. Cette stratégie, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, va s’avérer payante. En entamant des contacts, dès le printemps 1955, avec toutes les formations politiques, Abane Ramdane, rejoint dans peu de temps par Larbi Ben Mhidi, réussit ce que tous les chefs du mouvement national n’ont pas pu faire jusque-là : le rassemblement de toutes les forces vives algériennes dans un même mouvement. D’ailleurs, n’est-ce pas le but que s’est assigné le FLN en novembre 1954 de rassembler et d’organiser « toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial ». Enfin, pour l’histoire de notre pays, ce moment est quasiment unique. Ainsi, qu’on le veuille ou non, et en dépit des campagnes médiatiques orchestrées contre Abane Ramdane, son nom est indissociable de cette œuvre.

Par Ait Benali Boubekeur

29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 18:47
Retour sur le phénomène de la torture pendant la guerre d'Algérie.

Dans toutes les guerres, les méthodes sont quasiment les mêmes. Le plus fort essaie, autant que faire se peut, de détruire les forces adverses par tous les moyens. Bien que la version officielle puisse mettre en exergue le volet humanitaire de son armée, les guerres s'y ressemblent. À ce titre, la guerre d'Algérie n'échappe à cette règle. Cela dit, est-ce que tous les Français étaient les adversaires du peuple algérien ? De même que les grands dénonciateurs du système colonial furent des Français, des voix françaises –et non des moindres –se sont opposées, dès le début du conflit, à la répression aveugle. « Dès janvier 1955, l'Express et France-Observateur ont publié les textes de François Mauriac et de Claude Bourdet, qui dénoncent les tortures infligées aux militants du MTLD arrêtés après sa dissolution », écrit Sylvie Thénault, dans « histoire de la guerre d'indépendance algérienne ».

Cependant, si l'opinion n'est au courant de l'utilisation de la torture que vers 1955, celle-ci demeure, tout au long de la période coloniale, l'une des pierres angulaires sur laquelle repose le système. À vrai dire, sa relation avec le colonisé est celle liant le pendu à la corde. Elle ne le lâche que lorsque la victime rend l’âme. Pour Jean-Luc Einaudi, auteur du livre « 17 octobre 1961 : la bataille de Paris », « la torture existait préalablement à la guerre d'Algérie, elle était pratiquée par la police, par la gendarmerie, dans les années précédant 1954. » Ce qui amplifie sa pratique, c'est incontestablement la remise en cause du système colonial par les initiateurs de l'action armée. Que vaut alors l'argument des paras justifiant l'usage de la torture en vue d'anticiper les actions du FLN ? Faut-il rappeler que la violence du FLN était une réaction à la domination inhumaine des colons. Pour les concepteurs de la lutte armée, la fin de ce système ne peut se concrétiser que lorsqu'ils utilisent une violence supérieure, selon la conception fanonienne.

En outre, bien que les partisans de la lutte armée aient pour objectif la mise à mort du système colonial, leur action n'est pas utilisée uniquement contre les Français. « Le FLN a été la réponse à la rigidité du système colonial qui ne réagissait et ne comprenait que le langage de la violence. Soutenu par la majorité de la population, le FLN était arrivé à écarter les courants rivaux, notamment le MNA, en recourant souvent à une violence qui était en effet disproportionné », souligne l'éminent sociologue, Lahouari ADDI. Du côté français, la pratique de la torture s'est dirigée aussi contre des Français. À la seule différence, c'est que celle-ci s'est développée à cause de la faiblesse des institutions de la IVeme République. Et quand les politiques s'en mêlent, ils ne font qu’enfoncer davantage la République déjà grabataire. En réaction aux exactions commises par les militaires en Algérie, une « commission de sauvegarde des droits et libertés individuels » est mise en place par le président du Conseil fraîchement élu, Guy Mollet. Or, pour satisfaire les ultras, les membres de la commission limitent les compétences de leur commission. « Il est seulement prévu qu'elle sera consultée chaque fois qu'un fait pouvant constituer un abus parviendra […] aux autorités », argue Sylvie Thénault.

Par ailleurs, depuis le vote des pleins pouvoirs à l'armée, le 14 mars 1956, le gouvernement Mollet abdique uniment devant l'autorité militaire. À partir de là, la répression n'épargne personne. « Arrêté à son domicile et emprisonné, il [Robert Barat] est libéré au bout de quelques jours devant l'ampleur des protestations. En avril 1956, Claude Bourdet subit le même sort, pour une série d'articles relatifs à l'Algérie dans France-Observateur... En mai, la journaliste de l'hebdomadaire Demain, Claude Gérard, auteure de « comment j'ai vu le maquis », est écrouée à la petite Roquette. André Mandouze, directeur de consciences maghrébines, où il reproduit des textes du FLN, est inculpé d'atteinte à la sûreté de l’État et emprisonné à la Santé en novembre », relate Sylvie Thénault.

Néanmoins, malgré la politique répressive du gouvernement Mollet, les dénonciations de la torture ne cessent pas pour autant. En 1957, ce sont les affaires Alleg et Audin qui éclatent. Membres du PCA (parti communiste algérien), les deux militants sont arrêtés en juin 1957 par les paras de la Xème division. Cette fois-ci, des preuves irréfutables sont apportées sur la pratique de la torture contre des Français par des militaires. Pour Sylvie Thénault, « l'année 1957 a été celle d'une prise de conscience collective en métropole. La peur de passer pour un traître, qui muselait les esprits, cesse sous l'avalanche des preuves de la pratique de la torture, des exécutions sommaires et des disparitions. » Finalement, ne pouvant reprendre le contrôle sur son armée, les différents présidents de Conseil, jusqu'à la chute de la IVeme République en mai 1958, assistent impuissants à la divulgation des affaires.

Pour conclure, il va de soi que la torture est le fils naturel de toutes les guerres. En plus, dans un système colonial, l'état de guerre est permanent. Ainsi que le prouve le cas algérien, le système colonial a été l'exact contraire de l'exercice des libertés. Dans ce sens, les Algériens qui ont pris les armes ne peuvent pas être considérés comme des « terroristes », mais des hommes en quête de leur liberté. Hélas, cette liberté chèrement payée sera confisquée par d'autres Algériens après l'indépendance. Et ces derniers ne diffèrent guère des concepteurs du système colonial. D'ailleurs, lors des débats sur la torture au début des années 2000, les dirigeants algériens ont observé un silence radio. Et pour cause ! Peut-on donner des leçons à ceux qui ont torturé quand on reproduit les mêmes méthodes contre son peuple ?

Ait Benali Boubekeur

10 novembre 2013 7 10 /11 /novembre /2013 09:16
Les réformes pendant la guerre d’Algérie: un coup d'épée dans l'eau.

Depuis le déclenchement de la lutte armée en novembre 1954, Paris est en état d'alerte. Bien qu'il soit une exagération de parler d'une dynamique émanant des profondeurs de la société [les organisateurs de la lutte armée comptent dans le premier temps sur des éléments sûrs], la multiplication des attentats dans des espaces géographiques différents incite les autorités coloniales à réagir de manière à priver le FLN de tout soutien populaire. « Dans l'espoir d'éviter la rupture recherchée par le FLN, tous les gouvernements confrontés à la guerre réfléchissent à des réformes applicables en Algérie », écrit Sylvie Thénault, dans « histoire de la guerre d'indépendance algérienne. » En tout état de cause, ce ne sont pas les annonces qui manquent. Avant la guerre d'Algérie, sur la pression des organisations de gauche, des simulacres de réformes ont été proposés. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au mieux les politiques français songeaient à atténuer la misère des « indigènes », une vision incarnée par les communistes français, et au pire à renforcer la présence coloniale en Afrique du Nord, une vision défendue par la droite.

Quoi qu'il en soit, après l'insurrection de novembre 1954, l'urgence est de créer au plus vite une diversion. Comme le dit si bien Sylvie Thénault, on pense tout de suite à sortir du placard le statut de l'Algérie. Pour rappel, bien que ce statut ait été voté par le parlement français en 1947, son application a été reportée sine die. Toutefois, devant la situation dramatique que vit l'Algérie, Pierre Mendès France, président du Conseil, annonce en janvier 1955 un plan ambitieux pour l'Algérie. « Grands travaux hydrauliques, réduction des écarts de salaire avec la métropole, accès des Algériens à de hauts postes de la fonction publique... En application du statut de 1947, il prévoit d'accorder le droit de vote aux Algériennes », écrit l’historienne. Dans la foulée, le délégué général, Jacques Soustelle, qui vient juste de succéder à Roger Léonard, suggère l'application de la loi de 1905, inhérente à la non-ingérence du politique dans le domaine religieux. Avec un demi-siècle de retard, cette loi aurait pu permettre au culte musulman de s'émanciper plus tôt de la tutelle coloniale. Cela dit, décidées à Paris, ces réformes peuvent-elles être appliquées dans une Algérie déchirée ?


De façon générale, sous la quatrième République, le lobby colonial parvient –et c'est un secret de polichinelle –facilement à faire tomber les équipes gouvernementales cherchant à faire évoluer le statut des Algériens. D’ailleurs, de Mendès France à Félix Gaillard, aucune réforme n’a été appliquée, et ce, bien que leurs projets aient été adoptés au parlement. Après le déclenchement de la guerre, le premier gouvernement qui a fait les frais est celui de Pierre Mendès France. Voulant supprimer les communes mixtes [ce sont des communes dirigées par un administrateur], le gouvernement, dirigé par Pierre Mendès France, tombe le 6 février 1955. Accumulant victoire sur victoire, le lobby colonial anticipe parfois les débats. C'est le cas du projet porté par le président du Conseil, Maurice Bourgès-Maunoury. Ce dernier prévoit en effet d'octroyer une autonomie interne à l'Algérie. « Suscitant une levée de boucliers parmi les maires et les sénateurs d'Algérie, qui y voient la possibilité d'une sécession future du pays, ce projet est rejeté dès son examen en commission, à l'Assemblée nationale. Le président du Conseil remet sa démission le 30 septembre 1957, alors que le texte n'a même pas atteint le stade d'une discussion par les députés », souligne Sylvie Thénault. Quant au dernier président du Conseil, Félix Gaillard, son projet, une version remaniée de celui de son prédécesseur afin qu'il plaise aux Français d'Algérie, ne sera jamais promulgué. Et pour cause ! Sa chute provoque la disparition définitive de la quatrième République en mai 1958.

Par ailleurs, du côté algérien, ces réformes sont considérées anachroniques. Bien que les modérés continuent de revendiquer l'application du statut de l'Algérie [c'est le cas de Ben Youcef Ben Khedda à sa sortie de prison au printemps 1955 ou de Ferhat Abbas jusqu'à son ralliement au FLN en avril 1956], les initiateurs de la lutte armée n'ont jamais pris au sérieux les engagements des autorités coloniales. Peu à peu, le FLN gagne en audience. Sommés de choisir leur camp, les modérés le rejoignent. À préciser toutefois que ces adhésions ne sont pas le fruit d'une discussion, mais une réponse aux avertissements des dirigeants du FLN. Cela dit, ces derniers ne recourent pas systématiquement à la politique de coercition. Après la libération d'Abane Ramdane, rejoint quelques mois plus tard à Alger par Larbi Ben Mhidi, l'action politique reprend peu à peu ses droits. Bien que l'histoire officielle occulte leur œuvre, leur travail a été décisif. « La motion des 61, pilotée en sous-main par Abane Ramdane, en est la meilleure expression : à l'initiative de Mohammed Salah Benjelloul, député de Constantine, d'Ahmed Boumendjel et d'Ahmed Francis, dirigeants de l'UDMA, soixante et un élus du second collège signent une déclaration condamnant « formellement la répression aveugle » dont ils demandent la cessation immédiate », note-t-elle.

De toute évidence, bien que la démarcation des modérés paraisse anodine pour certains dirigeants extérieurs notamment, il n'en reste pas moins que leur rapprochement avec le FLN prive les autorités coloniales d'un appui jusque-là indéfectible. Vers la fin 1955, le FLN est considéré comme le représentant du peuple algérien. Conjuguant l'action politique et l'action militaire, la révolution algérienne, sous la houlette d'Abane et de Ben Mhidi, fait un bond qualitatif. Hélas, cette entreprise n'a pas que des adversaires extérieurs. À partir du Caire, Ben Bella, loin du feu de l’action, est le premier à remettre en cause cette politique. Pour lui, la révolution de tout un peuple ne doit pas échapper au groupe des neuf qui a initié l'action armée. Mais, si la révolution excluait les Algériens, pourrait-elle aboutir ? La réponse est évidemment non. Incontestablement, l'action d'Abane Ramdane et de Larbi Ben Mhidi a sauvé la révolution d'un échec programmé. En tout cas, c'est grâce à la direction intérieure du FLN, et surtout à l'autorité de l'ALN, que les élus algériens remettent leur mandat en décembre 1955. En 1956, le FLN réalise le rassemblement de toutes les forces nationales. Malgré la lutte fratricide FLN-MNA (mouvement national algérien, fondé par Messali Hadj en décembre 1954), la représentativité du FLN est reconnue par ses adversaires, comme en témoigne les contacts secrets, entrepris par le gouvernement français, en mars 1956 avec la délégation extérieure du FLN.

Pour conclure, il va de soi que le système colonial ne peut être porteur d'un projet de réformes. Et s'il devait y en avoir, celles-ci devraient conduire à la pérennisation du système colonial. Du coup, en 1955, le projet de réforme ne vise qu'à discréditer l'action des révolutionnaires algériens. En effet, en voulant anticiper les réprimandes internationales, Pierre-Mendès France allie à la fois la politique répressive et la politique de réforme. Si la première profite exclusivement aux Français d'Algérie, la seconde n'est acceptée ni par les uns ni par les autres. Par conséquent, la seule réforme équitable est la négociation menant vers l'indépendance de l'Algérie. Mais, est-ce que l’indépendance signifie pour autant le recouvrement de toutes les libertés ?

Ait Benali Boubekeur

1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 07:56
« A vous qui êtes appelés à nous juger (les premiers d’une façon générale, les seconds tout particulièrement) … » Proclamation FLN diffusée le 1er novembre 1954.

Cet appel destiné au peuple algérien et aux militants de la cause nationale est celui qui restera indubitablement, dans l’histoire algérienne comme l’acte le plus fédérateur de toutes les forces vives de la nation. Il a été diffusé et lu au même moment dans toutes les contrées du pays. Jusqu’à nos jours, son contenu est évoqué, dans moult occasions, pour retrouver la cohésion nationale de jadis. Et pourtant, il ne date pas d’hier. En effet, cinquante quatre ans nous séparent déjà de sa rédaction. La raison de ce succès est très simple : le texte garantit tout. Deux points retiennent particulièrement l’attention : « La restauration de l’Etat algérien souverain démocratique et social dans le cadre des principes islamiques et le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race et de confession. »

Dés leur avènement, ces principes ont connu une adhésion populaire quasi-totale. C’est aussi la première fois qu’un mouvement insurrectionnel était organisé à l’échelle nationale pour défendre l’intégrité de la nation. Son but était de doter la nation de structures modernes. Son moyen, les défendre aux prix d’innombrables sacrifices. Mais pour que cela se fasse, il fallait une participation de tous les hommes épris de justice et de liberté. Bien qu’il ait existé des Algériens profrançais, leur nombre était infime par rapport aux citoyens enclins à la création de l’Etat algérien. Au faîte de leur collaboration, ces derniers n’ont pas atteint le 16 sur 1000 de la population, chiffre de l’historien Guy Pervillé, quoi que ses chiffres restent amplement discutables.

Mais comment comptaient-ils procéder ces jeunes dirigeants ? Et avant, ces actions n’étaient-elles pas une réaction à une injustice endémique que subissait le peuple algérien depuis la conquête de 1830 ?

1. Un passé chargé d’injustices.

Il faut dire d’emblée que la conquête de l’Algérie a été accomplie par la seule force des armes. Les soldats chargés de pacifier la nouvelle terre conquise n’étaient ni des hommes de lettres ni des hommes de sciences. Du coup, le citoyen Algérien n’avait vu chez les Français que leur supériorité militaire. Cependant, à peine la pacification commencée, les Algériens ont été chassés de leurs terres. La rapidité avec laquelle a été claironnée l’Algérie « terre française » pouvait amplement renseigner sur la volonté des colons de s’accaparer des richesses nationales. En effet, en un laps de temps record, le système colonial a pu s’emparer de plus de deux millions d’hectares des meilleures terres. Bien que le nombre de colons ait été très inférieur à celui des Algériens, il n’en demeure pas moins qu’en termes de richesse, ceux-là possédaient douze fois plus de terre en moyenne que ceux-ci. Ainsi, le colon avait en moyenne 120 hectares alors que l’Algérien n’en avait que 10 hectares. D’ailleurs, à un moment donné, même les partisans de la colonisation, tel que Jules ferry, ont estimé que l’entreprise de dépossession des Algériens était abusive. Dans sa déclaration au sénat en 1891, Jules Ferry a dit ceci : « Après la chute de l’Empire, depuis 1871 jusqu’en 1883, c’est assurément dans le sens de la colonisation française qu’on a administré et gouverné l’Algérie. C’était essentiellement la colonisation par la dépossession de l’Arabe. » Par ailleurs, pour dissimuler cette avidité impérialiste du système colonial, ses dirigeants ont trouvé un subterfuge : civiliser les autochtones. A cette époque, en matière d’instruction, l’Algérie n’était pas la lie du monde. Bien qu’il n’y ait aucune échelle qui permette de mesurer l’ignorance d’un peuple par rapport à un autre, l’historien Jean François Guilhaume a démontré que 54% des Algériens en 1830 savaient lire et écrire. Ce pourcentage n’existait pas en France à la même époque, bien que le pays soit connu par son éclat des sciences en Europe, a-t-il écrit. Cette culture était par ailleurs l’apanage d’une classe aristocratique. Il va de soi que la majeure partie de la population française n’était pas imprégnée de cette magnifique culture. Or c’est cette masse qui a composé la quasi-totalité de la population coloniale. Depuis son arrivée en Algérie, elle a acquis une position d’influence très prépondérante. A tel point que le pouvoir parisien ne pouvait engager une quelconque réforme sans qu’elle soit sabotée par ce lobby colonial installé à Alger et à Oran. Plusieurs exemples peuvent étayer cette thèse, et ce dans différents domaines.

Dans le domaine de l’éducation, car là était le but assigné à la mission de civilisation, les résultats sont très médiocres. Qui peut imaginer qu’un pays puisse avoir 94% d’illettrés chez la population masculine et 98% chez la population féminine dans la langue du colonisateur après plus de cent ans d’occupation. Ce doute, en tout cas, ne subsiste pas dans l’étude de Michel Winock qui a écrit : « Sur 1 250 000 enfants de six à quatorze ans, moins de 100 000 sont scolarisés», dans les années cinquante. Sur le plan politique, toute réforme susceptible de sortir l’Algérien dans le noir absolu où il vivait était automatiquement sabordée. Bien qu’il y ait ça et là des simulacres de réformes soutenues notamment par l’extrême gauche française, la majorité de la classe politique était insensible au sort des « indigènes ». A un député de l’extrême gauche qui a proposé la naturalisation systématique de tous les Algériens avec le maintien du statut personnel, la presse coloniale a rétorqué : « Nous autres Algériens, nous ne pouvons pas admettre que les indigènes soient des Français comme nous. » La répétition de ces blocages a amené le pouvoir colonial a trouvé une parade pour ne pas affronter le lobby colonial et faire semblant de vouloir émanciper l’Algérien. En effet, le président du conseil, Clemenceau, a trouvé un dispositif de loi résumé en cinq points. Ainsi, pour qu’un Algérien devienne Français, il fallait : « être âgé de moins de 25 ans, être monogame ou célibataire, avoir servi dans les armées de terre ou de mer et produire un certificat de bonne conduite, être propriétaire d’un bien rural ou d’un immeuble urbain et enfin être titulaire d’une décoration française ou d’une distinction honorifique accordé par le gouvernement français ». En dépit de ces exigences, l’avis favorable est soumis à l’appréciation de l’administrateur. En effet, les Algériens vivant dans les communes mixtes [commune où il n’y avait pas de vote car les colons étaient minoritaires], c’est-à-dire la quasi-totalité des communes, devaient plaire à l’administrateur. Cette situation intenable a été atteinte au moment où la colonisation était au sommet de sa puissance. Les indications qu’avaient les nationalistes n’auguraient pas d’un avenir radieux pour le pays. Il ne restait par conséquent d’autres choix aux nationalistes que de détruire le système colonial, source de tous les problèmes. Du coup, il fallait constituer une organisation capable de frapper les points névralgiques de la colonisation, qu’ils soient économiques ou militaires.

2. Attaquer les intérêts de la colonisation.

Face à cette Noria coloniale, le premier noyau de la révolution contenait à peine 800 hommes et 400 armes. Bien que le FLN naissant ait au moins une réserve de 1200 hommes prêts à en découdre avec le système abhorré, sans la mobilisation générale, le triomphe était impossible. Le texte de la proclamation du FLN était sur ces points précis. Il s’agissait de détruire le système honni, par tous les moyens, sans jamais s’attaquer aux civils. Tout en préconisant le respect des principes révolutionnaire, le front a insisté également sur la continuation de la lutte jusqu’ à ce que la libération du pays soit effective. En effet, ce 27 octobre 1954, dans un village accroché aux contreforts du Djurdjura, en l’occurrence Ighil Imoula, le texte imprimé à la ronéo, qui tournait à plein régime chez l’épicier Idir Rabah, a annoncé les objectifs de la révolution. Objectifs à atteindre avec la voie armée mais aussi en avançant une proposition de négociation sur la base de l’indépendance nationale. La deuxième voie a été balayée d’un revers de la main par les politiques français ; il ne restait alors que la première option, la lutte armée. Ce 1er novembre 1954, à la première heure, plusieurs actions ont été déclenchées concomitamment à travers tout le territoire national. Contrairement à ce qui a été colporté par la presse coloniale, le FLN n’a jamais désigné pour cible les civils de quelque confession qu’ils soient.

Voici quelques exemples dans chaque zone cette nuit de la toussaint.

Les Aurès de Ben Boulaid ont vu les groupes se former dés 19 heures. Pour le chef des Aurès, il y avait quatre points à attaquer : Batna, Arris, Tkout et Kroubs. L’heure H a été fixée à 3 heures du matin. La consigne de Ben Boulaid était de ne pas toucher aux civils. Cette injonction a été ordonnée à tous les chefs de zones. Le groupe de Hadj Lakhdar, le plus important, a été désigné pour attaquer la capitale des Aurès, Batna. En effet, dans ce centre urbain il y avait la sous préfecture, un commissariat central, des bâtiments officiels, une brigade de gendarmerie et deux casernes. La stratégie de Ben Boulaid a été résumée par Yves Courrière en écrivant : « Le bordj militaire sera le principal objectif mais il serait bon d’attaquer également la sous-préfecture. Car, s’attaquer aux militaires sera impressionnant, s’attaquer à l’autorité civile prouvera à la population que le FLN est puissant et ne recule devant rien. »Le deuxième groupe était celui de Chihani Bachir. La presse coloniale a exploité un incident où deux instituteurs ont été atteints accidentellement, à Arris. Le groupe a en effet dressé une embuscade dés 3 heures du matin aux gorges de Tighanimine, entre Biskra et Arris. A 7 heures du matin, un car conduit par Djamel Hachemi, un ami de Ben Boulaid, a été arrêté par les hommes de Chihani. A l’intérieur du car il y avait le caïd Hadj Sadok et le couple Monnerot. Il a été demandé ensuite aux trois personnes de descendre du car. Selon le texte du FLN les deux instituteurs n’étaient en aucun cas concernés par le conflit. Du coup le mieux aurait été de ne pas les faire descendre du car. Lorsque Chihani a demandé au caïd s’il avait reçu la proclamation, celui-ci a répondu avec mépris. En sachant que les rôles allaient être inversés, c’est-à-dire le caïd n’était plus le maitre du moment, celui-ci a provoqué le drame. Faisons appel au récit de Courrière : « Tout alors vas très vite. En une fraction de seconde. Hadj sadok... qui commence à avoir peur pour sa peau, a avancé la main vers le magnifique baudrier rouge. A l’intérieur il y cache un 6,35 automatique. Très vite la main plonge, ressort armée. Chihani lève alors la tête, voit le geste du caïd qui l’ajuste… Sbaihi n’a pas perdu un mouvement. Une rafale est partie… Le début de la rafale l’a atteint en plein ventre. Guy Monnerot a pris la suite dans la poitrine. Sa femme est atteinte à la hanche gauche. »

Dans l’Algérois il y avait plusieurs actions enclenchées simultanément. Bien que la crise du parti nationaliste ait été encore vive, notamment à Blida où Hocine Lahouel a tenu sa dernière conférence, l’entente entre Bitat et Ouamrane a permis de combler les défections dans la région. A Boufarik le plan de Souidani Boudjema était d’attaquer la caserne et de récupérer le maximum d’armes. Aidés par le caporal chef Ben Tobbal , à ne pas confondre avec l’un des adjoints de Didouche en zone 2, Ouamrane et Souidani ont récupéré quatre mitraillettes et six fusils. A Alger, cinq objectifs ont été attaqués à une heure du matin. L’usine à gaz a été en effet attaquée par le groupe conduit par Kaci Abderrahmane. Se trouvant au cœur de la cité européenne, l’immeuble de la radio coloniale a été attaqué par le groupe de Merzougui. Cette radio avait fait beaucoup de mal avec la propagande menée contre les Algériens, réduits à néant. Le troisième groupe a fixé comme objectif la destruction des pétroles Mory. Cette réserve se trouvait sur le quai du port. Le central téléphonique a été attaqué sans que le groupe ne parvienne à l’exploser. Quant au dernier objectif, le dépôt de liège de Borgeaud à Hussein dey, l’état de santé de l’exécuteur l’a tout bonnement empêché de remplir sa mission.

A Oran, Ben M’hidi et son adjoint Ramdane Abdelmalek ont dressé une embuscade dés 23h30 sur la route de Dahra. Comme dans le reste du pays, le manque d’armement faisait cruellement défaut à Oran. C’est pour cela que l’un des objectifs de Ramdane abdelmalek était d’attaquer la brigade de gendarmerie de Cassaigne. Les autres objectifs étaient inhérents au sabotage de l’économie coloniale à travers les actions contre le transformateur d’Ouillis à l’est de Mostaghanem, ainsi que l’incendie des récoltes réalisées dans la région. L’heure H a été fixée à minuit pétante. Le lendemain, bien que les actions entreprises aient été exécutées, la révolution algérienne a tout de même perdu un de ces prestigieux chefs, Ramdane Abdelmalek.

En Kabylie, son chef Krim Belkacem a donné des ordres nets aux sept chefs de daïra. L’objectif numéro un était d’attaquer les casernes et les gendarmeries afin de récupérer, là où c’était possible, les armes et les munitions. L’objectif numéro deux était de détruire les récoltes de liège, effectuées quelques semaines plus tôt par les colons. L’heure H a été fixée pour minuit. De bon matin le sous préfet de Tizi-Ouzou a envoyé un télégramme à Alger. Commençait alors l’énumération des actes perpétrés la veille : « A Bordj Menaiel, camp du Maréchal, Azazga, Dra-El mizan, des dépots de liège et de tabac ont été incendiés. Des coups de feu ont été tirés contre les casernes et gendarmerie de Tighzirt, Azazga et bien d’autres centres. » Pour le sous-préfet les dégâts s’élevaient à plus de 200 millions.

Finalement, à la Constantine les hommes de Didouche n’ont pas raté le rendez-vous. Bien que les autorités coloniales aient cru, dans le premier temps, qu’il s’agissait de « fellagas tunisiens » qui rôdaient dans la région, la coordination des actions dans la zone 2 a montré que les actions étaient bien pour le compte de la révolution algérienne. « Sur la route de Philippeville, la gendarmerie de Condé-Smendou a été attaquée. Au Kroubs, à 10 km de Constantine, des sentinelles ont essuyé des coups de feu. », a écrit Courrière. Néanmoins, la réunion des centralistes tenue une semaine avant le déclenchement de la lutte armée a freiné quelque peu l’engouement des militants à se lancer dans le feu de l’action. Toutefois, cette réticence n’a pas duré longtemps. En effet, quelques semaines ont suffi à la jeune formation politique pour fédérer l’ensemble des composantes du mouvement national.

 

En somme, il apparait nettement que l’insurrection lancée en novembre 1954 n’était nullement une entreprise aventureuse. En effet, il n’y a pas pire pour un citoyen que d’être exclu de la vie politique de son pays. D’ailleurs, l’Algérien a été tout au long de l’histoire quelqu’un de contestataire, que ce soit sous le joug de l’étranger ou sous le régime autoritaire de son pays. Du coup, il est facile de mobiliser les hommes sur les sujets inhérents à son avenir, comme l’a explicité l’appel de l’ALN : « comme tu le constates, avec le colonialisme, la justice, la Démocratie, l’Egalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tromper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop. » Finalement la base a été prête et elle n’attendait que le signal de ses représentants au sein du plus important parti nationaliste, le MTLD.

Par Ait Benali Boubekeur, 1er novembre 2008, Le Quotidien d'Oran 

31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 18:52
La crise du PPA-MTLD a-t-elle aidé les activistes à mettre en œuvre leur plan ?

À quelques jours du déclenchement de l’action armée, l’Algérie vit dans un climat d’ébullition. Incontestablement, cette période représente l’une des phases les plus importantes de son histoire. Toutefois, si du côté des activistes algériens, après la fin de la mission du CRUA (comité révolutionnaire pour l’unité et l’action), les préparatifs vont bon train, les autorités coloniales ne savent pas sur quel pied danser. Et pour cause ! L’organigramme es nouveaux acteurs n’est pas encore déterminé. Quant au principal parti nationaliste, divisé en deux tendances, centraliste et messaliste, il se débat dans une crise de leadership abyssale. Par ailleurs, bien que le directeur de sûreté en Algérie, Jean VAUJOUR, ait de réels soupçons, il n’en est de même des autres responsables coloniaux. Lors de la visite de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur du gouvernement dirigé par Pierre Mendès France, le 18 octobre 1954, le président de l’Assemblée algérienne, Raymond Laquière, rassure le ministre quant à la sérénité régnant en Algérie. « Je peux vous dire, monsieur le ministre, que l’Algérie est calme et qu’elle le restera », dit-il.

Dans la réalité, cet avis ne reflète nullement la réalité. Pour le responsable de la sureté, Jean VAUJOUR, l’Algérie est assise sur un volcan. En effet, la répression sanglante de Sétif et de Guelma en mai 1945 a décidé, depuis presque dix ans, la frange dure du parti nationaliste à en découdre avec le système colonial. Mobilisant des moyens colossaux, les autorités coloniales réussissent hélas à étouffer, dans l’œuf, le mouvement insurrectionnel. En mars 1950, elles parviennent à démanteler l’OS (organisation spéciale), le bras armé du PPA-MTLD. Cela dit, bien que le danger soit écarté, il n’en reste pas moins que les autorités coloniales ne baissent plus leur garde. En début de l’année 1953, le directeur de la sureté en Algérie rédige, quelques mois après la prise de ses fonctions, un rapport à ses supérieurs où il mentionne l’éventuelle reconstitution de l’OS. Mais, que valent ces inquiétudes ?

En fait, en 1953, il est un secret de polichinelle que le principal parti indépendantiste, le PPA-MTLD, est secoué par une crise politique très grave. Au congrès d’avril 1953, les membres du comité central interdisent carrément aux membres de l’OS de prendre part au congrès. Seul Ramdane Ben Abdelmalek, l’adjoint de Larbi Ben Mhidi, est autorisé à suivre les travaux à titre d’observateur. De son côté, bien que Messali Hadj, le président du parti, fasse de l’action armée un chantage en vue de ramener les autorités coloniales à traiter avec lui –une version soutenue par deux grands historiens, Mohamed Harbi et Gilbert Meynier –, il ne tolère pas que le parti s’enlise dans la voie réformiste. Ainsi, marginalisés par les instances du parti, les activistes ne sont pas crédités d’une grande force. Et cela leur profite dans la mesure où ils peuvent préparer, sans éveiller beaucoup de soupçons, leur plan. Du coup, les informateurs de Jean VAUJOUR se perdent dans les supputations. « Schoen, qui avait pourtant de bons informateurs, a cru que le CRUA était une initiative de Lahouel [le chef de file des centralistes] », répond Jean VAUJOUR à une interview accordée à Patrick Rotman.

Quoi qu’il en soit, après l’éclatement de la crise du PPA-MTLD, vers la fin de l’année 1953, où Messali en appelle à l’arbitrage de la base dans le problème qui l’oppose au comité central, les services coloniaux sont sur le qui-vive. Là aussi, elles s’agitent sans pouvoir déterminer les vrais meneurs. Il faut attendre la fin du mois de septembre 1954 pour que le directeur de sûreté reconstitue les pièces du puzzle. « J’ai envoyé une lettre personnelle à Queuille (ancien président du Conseil), qui l’a fait remettre au président du Conseil. Je lui disais redouter non seulement des attentats dispersés, sporadiques, mais même « un véritable soulèvement dans les semaines ou les mois à venir ». J’écrivais que « les séparatistes » -comme on disait alors –passeraient à l’action d’ici à un mois. C’était le 25 septembre », souligne Jean VAUJOUR.

De toute évidence, à cette date, le plan est en effet arrêté. Et les préparatifs sont presque achevés. Car, après l’adhésion de la Kabylie au projet insurrectionnel vers la fin août 1954 [le groupe des cinq s’élargit à Krim Belkacem], les réseaux prennent forme. Cela dit, malgré le souci de cloisonnement des groupes, il existe toujours des faux militants qui jouent double jeu. « Un de mes commissaires manipulait un membre du groupe de la Casbah. Vers le 15 octobre, notre informateur, un ancien artificier de l’armée française, nous signale : « on me demande de fabriquer les bombes, que dois-je faire ? » La femme de mon commissaire était une pharmacienne ; je lui ai demandé de trouver un produit capable de faire beaucoup de bruit, mais pas de mal », relate le responsable de la sûreté en poste en Algérie en 1954. Mais, cela n’empêche pas le passage des révolutionnaires à l’action.

En guise de conclusion, il va de soi que la disparité des moyens est tellement criante pour que les allumeurs de la mèche misent sur la victoire militaire. En plus, pendant toute la durée du conflit, certains Algériens ont tout fait pour saborder le projet insurrectionnel. Et cela se manifeste de deux manières. Il y a ceux qui prennent carrément les armes contre leurs frères. Quant à ceux qui sont sous le drapeau français –pas tous, évidemment –, ces derniers rejoignent l’ALN avec des consignes précises. Certains historiens parlent alors de mission d’infiltration. Et comme dans tous les conflits de ce genre, ce sont ces gens-là qui se retrouvent au sommet. À ce titre, avec autant d’adversaires, la révolution algérienne n’a triomphé que parce qu’elle défendu un combat juste. Mais, si le peuple algérien s’est débarrassé de la tutelle coloniale, a-t-il retrouvé sa liberté ? Ce débat se pose sérieusement.

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