Afif dit :
@ Ait Benali Boubekeur :
Il faut lire l’Accord du 2 août 1962 conclu entre le Bureau Politique du FLN dit Groupe de Tlemcen et le Groupe de Tizi-Ouzou pour comprendre la crise de manière objective : cet accord a consacré la majorité du BP sur le terrain à l’intéreur du territoire national, sans qu’il y ait le moindre incident militaire entre les deux groupes.
Il ne s’agit pas d’une majorité statutaire des deux tiers impossible à réunir dans n’importe quelle démocratie, mais d’une majorité quande même puisque le BP était soutenu par trois wilayas (la W1, la W6 et la W5), plus la moitié de la W2 et la moitié de la ZAA).
La W4 étant restée neutre, il ne restait au groupe adverse que la W3, la moitié de la W2 et la Fédération de France qui était elle-même scindée en deux.
Par conséquent, quand vous dites « En effet, la véritable mère dut laisser le pouvoir de peur de voir son bébé (l’Algérie) succomber à la violence », c’est faux. C’est le rapport de forces sur le terrain politique et militaire qui en a décidé et non le bon vouloir supposé de certains, qui étaient aussi irresponsables que ceux de l’autre groupe, par rapport à la gravité de l’heure où le destin de tout un peuple était en jeu.
Par ailleurs, je vous invite à ne plus colporter des contre-vérités qui ont été distillées dans le feu de l’action par des adversaires déçus : ainsi, vous dites « Ben Bella, médiatiquement monté par les Français ». Alors comment expliquer que Ben Bella a été élu par ses pairs du CNRA Vice-Président dans les trois GPRA. Si les médias citent plus souvent les Chefs d’état, c’est à cause de leur fonction. C’est le même cas pour Ben Bella pendant la Révolution, car il était considéré par tous les observateurs politiques comme le Chef de la révolution : son poste inférieur de Vice Président était dû à sa situation de prisonnier. Quand je parle d’observateurs politiques, je peux vous en citer un de très crédible puisqu’il était l’adversaire du FLN : il s’agit de Messali Hadj qui, dans un document officiel, instruisait ses négociateurs d’exiger la signature de Ben Bella sur un accord FLN/MNA.
Pour conclure, et comme je l’ai déjà dit précédemment, aucun des protagonistes de l’été 62 ne s’est comporté en vraie mère de l’Algérie, je dis bien aucun, y compris Ferhat Abbas et Ben Khedda qui auraient joué un rôle de conciliateur au lieu de prendre des décisions hasardeuses pour l’un et prendre parti pour un clan pour l’autre.
Boubekeur dit :
A Si Afif!
Vous avez raison de citer l’accord du 2 aout 1962. Le groupe de Tizi Ouzou fut représenté par Boudiaf et Krim. En face d’eux, il
y avait Khider et Bitat. Maintenant, je vais vous dire pourquoi je n’ai pas parlé de cet accord dans mon texte. Sa durée de vie fut limitée à un mois. Boudiaf, qui a accepté d’intégrer le BP,
démissionna aussitôt. Le BP devait par ailleurs préparer les élections à la Constituante. Or, son consultation aucune, le BP décida de les reporter. Cet accord, du coup, n’a pas de sens. C’était
une manœuvre de plus de la Coalition. D’après vous, comment devait être gérée la période de transition ? J’espère, in fine, que ma réponse vous convaincra. J’ai oublié, tout à l’heure,
d’insister sur un point. Vous dites qu’aucun groupe, EMG ou GPRA, ne pouvait avoir la majorité des deux tiers. Hélas, ce sont des lois de la Révolution. Celui qui ne les respecte pas, il est
contraint de procéder autrement, notamment par la force. En tout cas, dans cette situation, le GPRA ne cherchait pas à les transcender. Il voulait, au contraire, remettre le pouvoir au peuple en
organisant des élections à la Constituante. Je comprends, cinquante après, que quelqu’un dise qu’une majorité simple suffit à gouverner. Je vous rappelle, qu’au moment de la crise, que la loi en
vigueur était celle des deux tiers. De quelle coté était la légalité? Je le dis sans hésiter une seconde: elle était du coté du GPRA. Maintenant, libre à vous de penser ce que vous voulez.
Amicalement, Boubekeur
Afif dit :
@ Si Boubekeur :
Ce qui m’importe dans notre histoire, c’est précisément la légende de Salomon que vous avez citée dans votre article.
Ce qui devrait nous importer, c’est de savoir, de tous les dirigeants du FLN du début de l’indépendance, qui s’est comporté comme la vraie mère de l’Algérie. C’est cette question qui est fondamentale.
Quand on se comporte comme une vraie mère de l’Algérie, on ne fait pas passer les statuts avant l’Algérie. Si les statuts exigent les deux tiers, « une vraie mère de l’Algérie » aurait dû intervenir au niveau du CNRA et dire que cette majorité est impossible à obtenir et qu’il faut réviser illico presto les statuts pour adopter la majorité absolue. Vous convenez qu’il vaut mieux changer de statuts que de précipiter le pays dans la tourmente.
Ce dont nous pouvons être certains c’est qu’aucun des dirigeants n’avait l’air de se comporter comme « la vraie mère de l’Algérie » et que chacun d’eux était prêt à casser la baraque plutôt que de céder à l’adversaire. Et c’est pour cette raison que j’ai cité l’Accord du 2 août qui n’est intéressant que parce qu’il a consacré une majorité et une minorité et que cette minorité a dû accepter l’autorité du BP, ce qui est sage de sa part. Je t’informe que Krim Belkacem, questionné à ce sujet, a répondu : « donnons sa chance à Ben Bella ».
En ce qui concerne la suite des évènements après le 2 août, c’est de la même veine que le Congrès de Tripoli de mai 62 et ce qui a suivi jusqu’à l’Accord du 2 août : c’est une suite d’actes irresponsables qui ont traîné tous les dirigeants de la révolution dans la farine, si je peux m’exprimer ainsi : aucun d’eux n’en est sorti indemne.
Boubekeur dit :
A Si Afif!
Pour que les choses soient claires: dans l’histoire de Soloman, je compare la maternité à la légitimité du GPRA ou de l’EMG.
J’ai cru que vous aviez compris cela. Car, je ne me permettrai pas de dire que tel ou tel dirigeant n’avait pas de sentiment pour son pays. Cependant, vous convenez que l’accord de 2 aout ne fut
pas signé pas le GPRA. Krim Belkacem, prestigieux fut-il, ne pouvait pas représenter à lui tout seul ou avec Boudiaf le gouvernement provisoire. D’ailleurs, je n’ai pas estimé utile de parler de
cet accord pour ne pas parler des groupes de Tlemcen et de Tizi Ouzou. Concernant le changement des statuts de la révolution, je ne trouve rien à dire. Est ce que les dirigeants devaient changer
les statuts pour élire une direction à une majorité simple? Franchement, je ne suis pas bien placé pour le dire. Peut être que vous, vous pourriez nous le dire? En tout cas, les soutiens de la
coalition Ben Bella-Boumediene remettaient et remettent en cause le fonctionnement des lois de la révolution. Permettez-moi d’ailleurs de vous poser la question suivante: Si Ben Bella n’avait pas
été d’accord avec les statuts, pourquoi n’aurait-il pas démissionné du GPRA? Je vous rappelle qu’il fut resté vice-président jusqu’à l’ultime round.
Afif dit :
@ Si Boubekeur :
Le GPRA que vous portez aux nues était une coquille vie au cours de la crise de 1962 : tous ses ministres et vice-présidents (Ben Bella et Boudiaf) l’ont quitté pour former d’autres structures conformes à leurs objectifs.
La réalité du pouvoir à la fin de l’indépendance n’était ni entre les mains du GPRA qui était divisé, ni entre les mains de l’Etat-major.
Le pouvoir était entre les mains des six dirigeants historiques : Ben Bella, Boudiaf, Krim Belkacem, Khider, Aït Ahmed, Rabah Bitat. Si ces six dirigeants qui étaient tous membres du GPRA s’étaient entendus sur un minimum d’objectifs pour assurer la transition et remettre le pouvoir au peuple, personne n’aurait pu les affronter. A ce moment-là, les militaires, aussi bien ceux de l’Armée des frontières que ceux des wilayas de l’intérieur, faisaient profil bas et cherchaient tous à se mettre sous la protection de l’un des six dirigeants historiques pour pouvoir atteindre leurs propres objectifs. Donc, on peut affirmer qu’au début de l’indépendance, le régime n’était pas militaire et que le peuple exerçait son pouvoir à travers les six dirigeants historiques.
La signification de la légende de Salomon est claire et sans ambigüité : une vraie mère préfère sacrifier sa vie à celle de son enfant.
Prenons le cas qui nous concerne : lors du CNRA de Tripoli de mai 1962, la commission des candidatures avait proposé plusieurs formules dans la composition du Bureau Politique, avec un effectif de 7 membres ou de 9 membres. Dans toutes les formules proposées figuraient les 5 prisonniers d’Aulnoy. Elles ont toutes atteint la majorité absolue sans pouvoir atteindre la majorité des deux tiers. Mais, lorsque le nom de Krim Belkacem est ajouté dans ces formules, elles atteignaient les deux tiers, ainsi que lorsqu’elles comprenaient en plus de Krim et des 5, les noms de Boussouf et Bentobbal. Or, les 3 B étaient la bête noire de Ben Bella et de Boiumediene qui le soutenait. Ils refusaient systématiquement que les 3B fassent partie de la composition du BP.
N’aurait-il pas été plus sage pour Ben Bella d’accepter au sein du BP au moins Krim Belkacem en tant qu’initiateur de Novembre au même titre que les 5 autres. D’ailleurs, lui-même a été victime d’une purge de même ordre lors du Congrès de la Soummam et s’en est plaint dans une lettre qu’il a adressée à Abbane Ramdane en faisant valoir qu’un contrat moral liait les 9 dirigeants historiques. Pourquoi n’a-t-il pas appliqué ce Contrat moral lorsqu’il s’est agi de Krim Belkacem ? Ben Bella a-t-il agi en vraie mère de l’Algérie en excluant Krim de la Direction de la Révolution (BP) au risque de plonger le pays dans le désastre ?
Quelle a été la position des autres dirigeants et qu’ont-ils fait pour faire entendre raison aux uns et aux autres ? Qui s’est comporté en vraie mère de l’Algérie ? C’est la question que je pose et que je repose ? Ben Boulaïd aurait-il eu le même comportement s’il était resté vivant ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Boubekeur dit :
A Si Afif !
D’emblée, je trouve que cet échange est très intéressant. Toutefois, il le serait davantage, si on s’appuyait, chacun de son
coté, sur des sources, à moins que, vous, vous soyez un acteur de ces événements. Cependant, en lisant vos commentaires, je peux dire que nous empruntons deux démarches différentes. Pour ma part,
je cite des références bien précises. Quant à vous, vous agissez plutôt selon un raisonnement propre à vous. Cependant, pour revenir à votre dernier commentaire, je m’inscris en total désaccord
avec votre démarche. Je vous cite : « Le GPRA que vous portez aux nues était une coquille vie au cours de la crise de 1962 ». Est-ce que vous essayez de nous dire qu’un gouvernement ayant négocié
la paix avec la grande puissance militaire, en l’occurrence la France, ne représentait, quarante-cinq jours après la conclusion des accords de paix, que quelques individus éparses. Je vous
rappelle que lors du vote du 28 février 1962, ce même gouvernement avait réuni plus de quatre cinquième de suffrages des membres du CNRA. Il y eut quatre votes négatifs, tous des futurs alliés de
Ben Bella. J’ai bien entendu cité les noms dans mon texte. Du coup, en ce qui me concerne, je ne peux pas, même une seconde, partager cette allégation selon laquelle le GPRA était, selon vous,
une coquille vide. En revanche, ce gouvernement a été achevé par ses adversaires. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n’ont pas passé l’intérêt de l’Algérie devant leur
carrières.
Quant au cinq auxquels vous faites sans cesse allusion, des témoignages ont relaté qu’Ait Ahmed et Boudiaf ne voulaient pas
faire partie du BP proposé par Ben Bella. Par ailleurs, à moins que vous teniez les avis de la commission de sondage pour ce qu’ils ne furent pas, les cinq n’étaient pas d’accord dès le départ.
En effet, ils ne partagèrent pas les grenouillages de Ben Bella. L’éminent historien, Mohamed Harbi, à propos du refus de Hocine Ait Ahmed et de Mohamed Boudiaf de faire partie de la liste
proposée par la coalition Ben Bella-Boumediene, écrit : « Nous n’étions pas d’accord entre nous en prison, nous ne le sommes pas plus entre nous aujourd’hui. Alors pourquoi proposer une liste
dont les membres ne s’entendent pas au départ ? Tout cela mène droit à une dictature militaire, souligne plus tard Ait Ahmed » (FLN, mirage et réalité, page 342). Il se dégage, à partir de cette
déclaration, que les cinq ne pouvaient pas être un recours. Par conséquent, à moins de confier la direction du pays au commandement militaire, à sa tête Boumediene, la seule instance qui puisse
assurer la transition était incontestablement le GPRA. D’ailleurs, le fait de penser qu’un gouvernement, ayant signé des accords de paix, ne pouvait pas gérer cette période de transition fut et
est un non-sens. Enfin, que représente un contrat moral, passé entre 6 ou 9 hommes, face un gouvernement mondialement connu et reconnu ? Car, pour la majorité des Algériens, l’acte du 19 mars
représente le véritable acte fondateur de l’Etat algérien. Pour clore ce sujet, je vais citer un passage d’un journal New Yorkais parlant des agissement de Ben Bella : « Ben Bella détruit une
bonne partie du crédit que les Algériens se sont assurés à l’étranger par leur bravoure au feu, leur succès dans la négociation et leur sang-froid face à une provocation outrancière », cité par
Ali Haroun, dans « L’été de la discorde, page 159 ».