L’occupation de la France en juin 1940 donne l’occasion aux adversaires de la République de
prendre leur revanche. L’acharnement d’un homme, en l’occurrence Pierre Laval, par ces coups successifs d’estocade, parvient à provoquer la mort de la IIIème République française. En effet, son éviction du pouvoir en janvier 1936 lui a laissé un gout amer. Ce communiste
passant à la droite dure ne jure que par une éventuelle revanche. Cependant, à la faveur des événements de juin 1940, où l’armée allemande, en rouleau compresseur, a écrasé l’armée française,
Pierre Laval se trouve derechef propulsé sur la scène politique. Malgré l’occupation étrangère, ce partisan de la droite conservatrice ne pense qu’à précipiter la mise à mort d’une République
déjà grabataire.
Dans une analyse richement instructive, Michèle Cointet, professeure à l’université de Tours, décortique le rôle décisif de Pierre Laval dans la désignation du maréchal Pétain à la tête de l’État français. Il note à ce propos : « Déjà, à Bordeaux, au début du mois de juin 1940, il a aidé le maréchal à vaincre toute opposition à la signature de l’armistice. » En guise de récompense, le maréchal le désigne vice-président du Conseil. Un poste qu’il sous-estime bien sûr. Pierre Laval convoite le prestigieux ministère des Affaires étrangères. Or le passé de Laval ne plaide pas pour une telle désignation. En effet, dans le but de ne pas froisser les relations avec les Anglais, le général Weygand s’oppose à cette nomination.
Cela dit, bien qu’il n’obtienne pas le poste escompté, Pierre Laval ne baisse pas les bras non plus. Pour y parvenir à ses fins, il s’appuie sur un homme de confiance du maréchal Pétain, le juriste Raphael Alibert. Ce juriste, qui est apprécié pour ses compétences en la matière, participe à l’élaboration des textes juridiques faisant du maréchal le seul homme fort de la nation. Cette machination désintègre l’État et donne un coup de massue à la République. « Alors que Pétain aurait pu rester Président du Conseil, Laval et Alibert élaborent un scénario à la fin du mois de juin : les parlementaires donneront à Pétain la mission de refaire la constitution, en vertu de quoi Alibert publiera des actes constitutionnels qui donnent tous au chef et suppriment la République », écrit l’historienne dans une contribution à Marianne intitulée « Les grandes manœuvres de M. Laval ».
Cependant, au départ, les intrigues ont du mal à réussir. Tous les députés et les sénateurs ne sont pas d’accord pour que la République meure. Pour convaincre les récalcitrants, Pierre Laval déploie des efforts incommensurables. En mêlant la persuasion à la menace, il trouve une idée ingénieuse : séparer les députés des sénateurs. Ainsi, à leur arrivée le 3 juillet, il s’arrange pour que les députés soient installés au Casino des Fleurs et les sénateurs à la salle des Sociétés médicales. En plus de cela, il les prive d’accéder facilement aux nouvelles. Il veut rester le seul maitre de l’information. Il donne prioritairement les informations alarmantes. Ainsi, en jouant sur la fibre patriotique, il n’hésite pas à haranguer les parlementaires sur le bombardement anglais de la base navale de Mers-el-Kébir, prés d’Oran. Bien que les Anglais l’aient fait pour que les nazis ne s’emparent pas de la flotte maritime, les parlementaires ne peuvent pas le savoir. Suite à cet incident, certains veulent accorder rapidement les pleins pouvoirs à Pétain.
Sur un autre plan, l’architecte du nouveau régime ne lésine pas sur les promesses. Selon Michèle Cointet, il développe un discours rassurant auprès des parlementaires : « l’indemnité parlementaire sera maintenue et la questure leur versera immédiatement une aide exceptionnelle et deux mois d’avance », promet-il. Du coup, les ralliements s’enchainent. Le plus spectaculaire est celui du ministre de l’Économie du gouvernement du Front populaire, le socialiste Charles Spinasse. Selon l’historienne : « Devant ces camarades, Spinasse justifie sa conversion. Il se frappe la poitrine, confessant qu’il a trop cru à la réalisation d’un idéal inaccessible. Il remercie Dieu d’avoir donné Pétain à la France ».
Par ailleurs, avant que le vote ait lieu, Pierre Laval est déstabilisé par l’arrivée surprise du député Pierre Étienne Flandin, un partisan du régime républicain. Bien qu’il ne conteste pas le principe de l’accession du maréchal Pétain aux responsabilités suprêmes, le député Flandin souhaite que Pétain soit désigné Président de la République, et ce, après avoir demandé au Président Lebrun de démissionner. Or, ce dernier refuse catégoriquement de céder sa place. Par conséquent, le député se range aux côtés de Laval. Quant aux parlementaires les plus téméraires, Pierre Laval recourt à la menace. Selon Michèle Cointet : « Laval répète qu’avec la peur on peut tout faire, car les hommes sont lâches. À Jules Moch, l’ancien ministre du Front populaire, Marquet, maire néo socialiste de Bordeaux et ministre de l’Intérieur complice de Laval, conseille d’être absent le jour du vote. Sinon, il pourrait « [lui] en cuire ».
Toutefois, aux multiples menaces, Pierre Laval répand l’information selon laquelle le général Weygand [celui qui l’a empêché de devenir ministre des Affaires étrangères] prépare un coup d’État. Pour lui, ce putsch va plonger la France dans un désordre inouï. Partant, en jouant sur la peur, il presse les parlementaires à vote pour que l’ordre revienne rapidement. À défaut de quoi, menace-t-il, ce sont les Allemands qui l’imposeront. Ainsi, le 10 juillet, les travaux de l’Assemblée nationale s’ouvrent sous la houlette de Pierre Laval. Selon l’historienne : « Laval monopolise la scène, brandit une lettre dans laquelle Pétain lui exprime sa confiance. Après le discours de Flandin –le seul autorisé –, il enlace l’orateur qui vient de prononcer un vibrant adieu à la République ». Après cela, les parlementaires passent au vote. 569 voix sur 649 accordent les pleins pouvoirs à Pétain. Le lendemain, le complice de Laval, Alibert, publie deux actes constitutionnels dans le journal officiel. L’un concerne la suppression de la présidence de la République. Le second est inhérent à la dissolution des deux chambres, le parlement et le sénat. Ce régime qui n’a pas de nom va durer cinq ans. En somme, grâce au mouvement de la résistance et en s’appuyant sur les colonies, le général de Gaulle libérera la France des nazis et de leurs collaborateurs.
Par Ait Benali Boubekeur