En tout cas, c’est grâce à la persévérance des diplomates algériens que la donne du conflit va être changée. Cela dit, bien que le GPRA s’appuie sur l’adhésion du peuple à son projet visant à mettre un terme à une guerre rude, le gouvernement provisoire sous-estime l’opposition interne. De toute façon, cachant son jeu, Houari Boumediene montre son désaccord tout en restant dans la légalité. Saad Dahlab, ministre des Affaires étrangères et principal négociateur, est interloqué par cette attitude. « La révolution n’est le monopole de personne. Dites-nous que nous avons oublié quelque chose, que nous avons été roulés, mais ne mettez pas en cause notre conscience, notre patriotisme », déclare-t-il à l’attention de ceux qui essayent d’en tirer profit de cette événement.
Cependant, au dernier jour de la réunion du CNRA, Boumediene abat ses cartes. « Trois motifs l’amènent à émettre un vote négatif. D'abord, il faut assainir la situation interne avant d’entrer en pourparlers avec la France. Ensuite, pendant les derniers six mois, l’État-major a été tenu dans l’ignorance de ces pourparlers et il ne veut pas que l’autodétermination de son peuple soit faite par les Français », note Rédha Malek dans « l’Algérie à Evian ». Cette mise en garde, bien qu’elle ne soit pas péremptoire, annonce tout de même les futurs orages. En tout cas, bien que le CNRA adopte par le vote des 4/5 de ses membres la poursuite de la négociation, et ce, conformément aux statuts de la révolution, cela n’a vraisemblablement pas l’air de convaincre le chef de l’EMG. Quant au second reproche, Ben Youcef Ben Khedda, président du GPRA à ce moment-là, le récuse sans ambages. « Pour les Rousses, on a sollicité Boumediene, mais il a refusé catégoriquement d’envoyer un représentant », confiera-t-il à Rédha Malek après l’indépendance.
D’une façon générale, malgré la subsistance d’une minorité de blocage, le CNRA renouvèle, dans des proportions quasi totales, sa confiance au GPRA. « La résolution est votée par 45 voix contre 4 sur un total de 49 votants. Elle dépasse donc le quorum des quatre cinquièmes des suffrages –soit 40 voix –requis pour la proclamation du cessez-le-feu », écrit le porte-parole de la délégation algérienne à Evian.
Tout compte fait, après ce vote, les membres du GPRA vont se montrer combatifs et dignes de la confiance placée en eux. Bien qu’ils aient accompli un formidable travail aux Rousses, à l’ouverture de la conférence d’Evian le 12 mars 1962, la délégation algérienne, conduite par Krim Belkacem, déploie encore toute son énergie en vue d’arracher davantage de concessions à la France. Au bout des discussions marathoniennes, les deux parties s’entendent sur l’essentiel. « L’État algérien exercera sa souveraineté pleine et entière à l’intérieur et à l’extérieur. Cette souveraineté s’exercera dans tous les domaines, notamment la Défense nationale et les Affaires étrangères. L’État algérien se donnera librement ses propres institutions et choisira le régime politique et social qu’il jugera le plus conforme à ses intérêts. Sur le plan international, il définira et appliquera en toute souveraineté la politique de son choix », peut-on lire dans le chapitre2 des accords, intitulé « de l’indépendance et de la coopération ».
En guise de conclusion, il va de soi que la révolution algérienne, bien qu’elle ait atteint son principal objectif, demeure incomplète. Et pour cause ! Les partisans du coup de force de l’été 1962 confisquent la révolution en éliminant, dans le premier temps, le GPRA et en privant, ensuite, le peuple de sa victoire. Dirigée d’une main de fer, l’Algérie est dirigée selon les desiderata de l’homme fort du moment. Du coup, pour la simple raison que Boumediene et ses amis ont voté contre les accords de cessez-le-feu, lors de la réunion du CNRA de février 1962, cet événement n’a plus le droit de cité pendant plusieurs décennies. « La célébration du 19 mars remonte seulement à la présidence de Liamine Zeroual », confie Rédha Malek à « Jeune Afrique » en mars 2012. D’ailleurs, même le cinquantenaire du cessez-le-feu est fêté timidement par les dirigeants actuels. Est-ce parce que Bouteflika fut un proche de Boumediene et aussi membre de l’EMG ? Pour Daho Djerbal, professeur d’Histoire à l’université d’Alger, on ne célèbre pas cet événement, car il rappelle des déchirements et des luttes fratricides.