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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 17:43

 L'Algérie vient de franchir un pas supplémentaire vers la démocratie. Elle a accueilli vendredi matin 15 décembre, M. Hocine Ait Ahmed, l'un des chefs historiques de la Révolution algérienne, de retour après vingt-trois ans d'exil. Les Algériens sont venus nombreux, du fin fond de la Kabylie, sa région natale, mais aussi du reste du pays, lui souhaiter la bienvenue.

Des banderoles affirmaient la présence de délégations d'Annaba, à l'extrême est du pays, et de Maghnia, sur les frontières marocaines. Les abords de l'aéroport étaient impraticables. Les bretelles d'accès aux autoroutes avoisinantes étaient engorgées et l'aérogare prise d'assaut.

Dans une incroyable bousculade, M Ait Ahmed, le fondateur du Front des Forces Socialistes (FFS), un parti maintenant reconnu et officiellement agréé‚ par le pouvoir, a réservé son émotion à la presse algérienne. "Mon sentiment est un sentiment de joie et de bonheur. J'ai quitté mon pays après m'être enfui de prison au printemps 1966. C'était un réel déchirement. Mais celui que je ressens aujourd'hui est plus grand encore parce que je me demande, à l'âge de soixante-trois ans, qu'est-ce que je peux faire?", a confié l'ancien responsable de l'organisation secrète en 1947, l'OS, chargée d'entraîner les cadres de la révolution algérienne et de se procurer des armes. M. Ait Ahmed a répondu à la question qu'il posait: "Essayer d'apporter une contribution de sagesse, une certaine expérience, mais d'abord, et avant tout, renforcer la paix civile en posant les problèmes d'une manière claire et nette."

Pressé par les responsables locaux du FFS, celui qui fut arrêté, dans l'avion intercepté en plein ciel par l'armée française, le 22 octobre 1958, en compagnie de Ben Bella, Boudiaf, Khider et Lacheraf, gagnait une tribune improvisée et s'adressait, en arabe, à plus de quinze mille personnes. Une large banderole souhaitait "bienvenue au combattant de la liberté et de la démocratie". Un burnous blanc posé sur les épaules, M. Ait Ahmed remerciait avec émotion la foule en délire. Des grappes de jeunes tendaient le cou pour apercevoir celui qui vivait déjà en exil avant leur naissance. "Je ne m'attendais pas à cet accueil", nous confiait-il, estimant que cette manifestation de chaleur s'adressait surtout à la fidélité que j'ai toujours eu pour la démocratie et les droits de l'homme".

Les femmes sont nombreuses

Rendez-vous était ensuite pris pour 15 heures, salle Harcha. Ce temple omnisports algérois est comble. Au moins quinze mille personnes sont serrées sur les gradins et le plancher. Au dessus de la tribune, une banderole en trois langues (arabe, berbère et français) proclame : "FFS : fidélité, fraternité, solidarité." De l'autre côté de la salle sur une large bande de tissu blanc, tracés maladroitement à la peinture verte, ces quelques mots :" A tout seigneur, tout honneur".

De temps à autre, une esquisse d'Internationale en arabe déchire l'air...

De la foule survoltée jaillit soudain un cri, rebondissant comme un écho :"Imazighen, imazighen" (l'homme libre en berbère). Debout, frappant dans leurs mains, des milliers d'algériens acclament M.Ait Ahmed, ils sont pour la plupart d'extraction modeste. Leur mise les trahit. Mais ils sont aussi des militants. Des militants d'un parti populaire. Les femmes sont nombreuses. Et ce n'est pas coutume en Algérie.

Balayant lentement l'assistance de ses yeux embués par l'émotion, M.Ait-Ahmed trouve d'emblée le ton juste et les mots simples. En arabe d'abord, en amazighe ensuite, en français enfin, ce parfait polyglotte, dans un discours programme ponctué de "youyous", reconnaît que "les crises ont commencé dès 1962. Je ne nie pas avoir une part de responsabilité. Je dis que je suis prêt à participer à tous les débats car nous n'avons pas le droit de mentir à nos jeunes".

 L'islam doit apporter un plus a la démocratie  

"Nous avons salué de tout cœur les réformes gouvernementales et je tiens à saluer les efforts déployés pour l'élaboration de nouveaux textes constitutionnels", dit-il encore, soutenu par une assistance inconditionnelle, avant d'ajouter : " Je suis pour tout ce qui tend vers la démocratie, mais la démocratie, c'est votre affaire à vous!".

 Tous les problèmes de l'heure sont abordés. L'islam? " C'est la religion de tous les musulmans. Nous devons veiller à ce que la politique n'exploite pas la religion. Nous demandons à l'islam d'apporter un plus à la démocratie, pas un moins." L'école et les langues? " je refuse que la langue soit assimilée à l'obscurantisme. J'ai toujours engagé mes amis politiques à apprendre l'arabe. J'engage mes compatriotes arabophones à apprendre l'amazighe (le berbère)."

 Quant au français, "c'est une langue que nous connaissons. C'est un acquis que nous devons défendre".

 "Je prends votre accueil comme un engagement de votre part à ne pas rester les bras croisés, à vous battre et à ne plus exercer la violence les uns envers les autres", a-t-il conclu dans un tonnerre d'applaudissements. La radio et la télévision algériennes ont accordé une place importante au retour de "l'enfant prodige", même si la une des journaux a été ravie par le congrès du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), qui s'est en effet ouvert à l'heure où M.Ait Ahmed remettait pied sur le sol algérien.

Frédéric FRITSCHER
Le Monde, 17/18 décembre 1989

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