Il y a certaines dates historiques (le 1er novembre 1954, le 20 aout 1956, etc.) que le FFS commémore en grande pompe. Cette
volonté s’explique notamment par la nécessité impérieuse à renouer avec les promesses définies lors de ces grands événements historiques. Cela dit, bien que l’intention ne soit pas de se les
approprier tout seul, le FFS œuvre en quelque sorte à ce que les Algériens ne les omettent pas, mais aussi pour qu’ils se disent que, dans les grands moments de l’histoire de l’Algérie, il y
avait des hommes qui voulaient bâtir une véritable nation. Malheureusement, le sort a voulu autre chose. Et le moins que l’on puisse dire c’est que d’autres hommes aux ambitions purement
personnelles ont dévié le cours du fleuve. Pour Hocine Ait Ahmed, il est temps, après cinq décennies de pouvoir sans partage, de changer la façon de gérer le pays. « Si un État juste et
égalitaire exprimait l’utopie d’hier, le réalisme devrait aujourd’hui dicter à nos potentats de respecter un minimum de bonne gouvernance », écrit-il dans un message du 20 aout 2003.
D’une façon générale, pour le dernier chef historique en vie, la conséquence de cette gestion se manifeste par une dichotomie entre les rentiers et le reste des Algériens. En outre, entre l’état d’esprit de jadis, caractérisé par l’union des Algériens en vue de réaliser ensemble un objectif commun, et celui d’aujourd’hui, où les jeunes ne rêvent que de quitter leur pays afin de trouver un avenir meilleur, la différence est sans appel. Cela dit, bien que cette jeunesse soit attachée à son pays, la misère, due à la mainmise des dirigeants sur les richesses nationales, est à l’origine de ce phénomène. Résultat des courses : en dépit des recettes faramineuses suite à la hausse des prix du pétrole, les Algériens ne constatent l’opulence que chez les dirigeants et surtout sans qu’ils aient pour autant la moindre chance de savourer le fruit de leur pays.
Toutefois, analysant l’origine de cet état des faits, Ait Ahmed estime que la remise sans cesse des principes élaborés pendant les heures les plus pernicieuses de notre pays est le point de départ de la crise actuelle. « Dès lors, on ne s’étonnera pas de l’hostilité rancunière affichée hier et aujourd’hui aux décisions éthiques, politiques et organiques adoptées par le congrès de 1956. Cette hostilité ne porte donc ni sur la forme, ni sur les incompatibilités de personnes ; elles portent sur le fond, sur la garantie aux Algériens des droits fondamentaux et des libertés démocratiques indispensables à la concrétisation de cette République démocratique et sociale », note Ait Ahmed dans un message à l’occasion de la célébration du 47eme anniversaire du congrès de la Soummam.
En tout état de cause, bien que les dirigeants se soient ingéniés à façonner une façade démocratique au régime, force est de reconnaitre que l’empiètement des principes de la révolution algérienne a conduit à un verrouillage hermétique de la vie politique. Sinon comment expliquer que dans les grands événements, après l’indépendance, le peuple algérien n’a pas été associé ni au débat ni au choix de ses représentants. En tout cas, quatre événements peuvent corroborer sans ambages cette thèse. À l’été 1962, le pouvoir est pris par la force par une coalition composée de quelques responsables historiques, à l’instar de Ben Bella et Khider, avec une armée stationnée aux frontières tunisienne et marocaine. Trois ans plus tard, celle-ci s’emparera à elle seule du pouvoir, et ce, sans qu’elle se soucie des desiderata du peuple algérien. En 1979, la succession à Boumediene est décidée par une poignée de hauts gradés en portant à la tête de l’État algérien un homme sans compétence ni stature politique. En 1992, lors du vote des Algériens sanctionnant sans équivoque la gestion calamiteuse du régime, un coup d’État est perpétré pour assurer la continuité du pouvoir installé depuis l’indépendance.
Quoi qu’il en soit, des hommes à la probité incontestable, à l’instar de Hocine Ait Ahmed, ont toujours lutté pour que ce régime rende le pouvoir confisqué au peuple. Car bien que les Algériens aient combattu principalement pour la fin de la sujétion coloniale, les combattants ont aspiré réellement à la véritable liberté une fois l’indépendance recouvrée. Hélas, en dépit d’un lourd tribut payé par le peuple algérien, les promesses de la révolution ne se sont pas concrétisées sur le terrain. Adoptant un discours trompeur sur les faits historiques en vue d’une finalité politique, les différents dirigeants qui se sont succédé en Algérie ont travesti la réalité pour s’octroyer les meilleurs rôles. Du coup, pour éveiller les consciences, Ait Ahmed suggère la décolonisation de l’histoire. « Décoloniser l’histoire, c’est libérer des manipulations continuelles des groupes militaro-policiers, c’est restituer à la nation sa mémoire, sa fierté et sa dignité. C’est donner aux Algériennes et aux Algériens confiance en eux-mêmes pour reprendre en main pacifiquement leur destin. Ce retour à la légitimité populaire et à la volonté de construction d’un État et des institutions démocratiques à tous les niveaux fut le fondement même de la plate-forme de la Soummam », argue-t-il.
D’ailleurs, depuis la création du FFS, Ait Ahmed ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur les abus de tout genre. Toutefois, pour le régime, en travestissant sciemment la réalité, le FFS doit être neutralisé. On présente alors son président comme étant un radical intransigeant. Or, l’opposition du FFS est constructive. Sur le plan historique, il demande une lecture objective de l’histoire et, sur le plan politique, la restitution du pouvoir au peuple. Immanquablement, on peut dire que le FFS n’est jamais dans la dénonciation stérile. Et bien que la condamnation de la politique du régime soit sans réserve, le FFS n’hésite pas à participer aux rendez-vous importants pouvant mettre en valeur le rôle du peuple. Considérant que le pouvoir doit émaner du peuple, le FFS a participé aux rendez-vous électoraux où le choix des Algériens pouvait être entendu et les a boycottés dans le cas contraire. À ce titre, entre les législatives de 2007 et 2012, la différence est criante. Bien que la situation politique soit déplorable, pourrie notamment par les luttes au sommet de l’État, lors des législatives de 2012, les formations politiques n’ont eu que les voix qui leur sont destinées. Toutefois, pour les partis du pouvoir, il est indéniable que le vote est motivé par l’appartenance à une clientèle gavée par la rente pétrolière. Sinon comment expliquer que le parti majoritaire n’a obtenu que 6,8% des inscrits, représentant certainement une clientèle fidèle.
En tout état de cause, bien que le contexte politique régional soit favorable, suite aux révolutions produites chez nos voisins, le FFS n’a pas fait de sa participation un enjeu électoral. « Nous n’avons pas participé aux législatives du 10 mai 2012 pour placer 27 députés du FFS à l’APN, mais pour permettre de stabiliser le pays dans une conjoncture politique délicate et pour donner une chance à un changement pacifique et à une transition démocratique dans notre pays et pour remobiliser le parti et la population », déclare Ali Laskri, premier secrétaire national du FFS, à Ifri lors de la célébration du 56eme anniversaire du congrès de la Soummam.
Pour conclure, il va de soi que le parcours du FFS ne peut susciter qu’aversion et hostilité de la part du pouvoir. Attaché aux principes soummamiens, notamment la primauté du politique sur le militaire, le pouvoir lui livre un combat sans merci en vue de la neutraliser. « Depuis des années, notamment à la suite du contrat national signé à Rome, le FFS a été soumis à toutes sortes de manipulations et de complots destinés à le réduire pour le moins à un simple appareil contrôlable et récupérable à merci. Mais, grâce à la solidité de sa base militante et à son crédit auprès de la population a pu survivre et préserver son autonomie, sa vision et ses principes. Est-il nécessaire de rappeler que la plupart des autres partis signataires à Rome n’ont pas résisté à ces coups d’État scientifique », conclut Ait Ahmed son message du 20 aout 2004. Enfin, la remise du mouvement dans la société à laquelle a appelé le FFS, à condition que les Algériens considèrent que leur engagement est tributaire de l’avenir du pays, aboutira à mettre le pouvoir sous la pression afin qu’il lâche les rênes du pouvoir, et ce, en recourant bien entendu à des moyens pacifiques de lutte. Et cela ne sera qu’un devoir vis-à-vis de ceux qui ont combattu pour redonner au peuple algérien la liberté dont il a été privé depuis la conquête du pays.
Par Ait Benali Boubekeur