L’arrestation du chef de la zone IV (Algérois), Rabah Bitat, ainsi que l’ensemble du réseau FLN
de la capitale, plongent les militants dans un désarroi indescriptible. Toutefois, la proximité de la capitale avec la zone III (Kabylie) facilite la tâche à Krim Belkacem afin de la prendre en
charge. D’ailleurs, après le traquenard tendu à Bitat, il nomme aussitôt son adjoint en zone III, Amar Ouamrane, à la tête de la zone IV. Cela dit, cette décision unilatérale, à cette heure
cruciale de la lutte, ne vise nullement une quelconque hégémonie. En effet, la disparition précoce au maquis de Didouche, le 18 janvier
1955, l’arrestation de Ben Boulaid en février 1955 suivie de celle de Bitat, le 16 mars 1955, fait que, sur les neuf chefs historiques, seuls Krim et
Ben Mhidi sont à l’intérieur du pays. Or, l’éloignement du chef de l’Oranie ne permet pas la moindre concertation. Tout compte fait, Krim est donc le seul responsable pouvant procéder à des
nominations de ce genre. Cependant, plus que la réorganisation militaire de la zone IV, l’arrivée d’Abane, dans la même période, va incontestablement
donner un second souffle au front.
Toutefois, bien que les « allumeurs de la mèche » n’aient pas eu assez de temps pour organiser le parti, né le 23 octobre 1954, Abane décide de faire du FLN un grand rassemblement des Algériens soutenant sans vergogne leur armée de libération nationale (ALN). Pour qu’il n’y ait pas de malentendu sur la nature de la lutte, il invite, dans son premier tract de juin 1955, les Algériens à se solidariser avec le FLN et son bras armé, l’ALN : « Le FLN est l’œil et l’oreille de l’armée de libération nationale. Les militants du Front doivent faire l’impossible pour faciliter la tâche de l’armée sur tous les plans. Le renseignement doit être le premier travail de chaque élément du Front. Nos groupes armés ne peuvent agir avec succès que s’ils ont des renseignements précis. Le travail de recherche du renseignement doit aller de pair avec le travail de propagande journalier ». Quoi qu’il en soit, la prise en main du FLN, par Abane, vise à priori à impliquer les Algériens dans leur propre révolution. Selon lui, cette entreprise ne pourrait être menée que si les Algériens adhéraient en masse au mouvement. En effet, pour Abane, cette période où il y avait une multitude de partis est révolue. D’ailleurs, cette situation a conduit à des luttes fratricides acharnées, notamment lors de la scission du PPA-MTLD fin 1953-début 1954. Du coup, cette voie a conduit indubitablement à l’impasse.
Par ailleurs, pour Abane, le FLN ne doit, en aucun cas, surtout en période de guerre, suivre cette voie. Dans le même tract, il lève l’imbroglio en rassurant les Algériens : « Le FLN n’est pas la reconstitution du MTLD. Le FLN est le rassemblement de toutes les énergies saines du peuple algérien. Le MTLD pensait que la libération de l’Algérie serait l’œuvre du parti. C’est faux. Le FLN, lui, affirme que la libération de l’Algérie sera l’œuvre de tous les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelle que soit son importance. C'est pourquoi le FLN tiendra toujours compte, dans sa lutte, de toutes les forces anticoloniales même si celles-ci échappent encore à son contrôle ». Bien que certains dirigeants de la délégation extérieure, notamment Ben Bella, n’aient pas la même conception du combat à mener –s’agit-il d’un combat d’un groupe ou celui de tout un peuple –, Abane déploie des efforts colossaux en vue de rapprocher les Algériens du Front. Cette démarche va être la pomme de discorde entre Abane et Ben Bella. Pour ce dernier, seuls les initiateurs de l’action armée peuvent parler au nom du FLN et de l’ALN.
D’une façon générale, en 1955, l’heure est au rassemblement. Pour Abane, tous les Algériens doivent contribuer à l’édifice. Pour peu que le militant se reconnaisse dans le rassemblement se profilant, il peut prétendre, par la même occasion, aux hautes responsabilités. Qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur, si le militant est engagé dans le front, il pourra parler en son nom. Il termine son premier tract en émettant, quand même, une condition à vouloir jouer ce rôle. « Que ceux qui veulent aussi avoir cet honneur, retroussent les manches et mettent les mains à la pâte. C’est à cette condition et à cette condition seulement que l’armée pourra peut-être les écouter », conclut-il son premier message aux Algériens. C’est ainsi qu’Abane arrivera à organiser l’union de toutes les forces politiques nationales sous le patronage du FLN, une année plus tard.
Par Ait Benali Boubekeur