18 novembre 2011 5 18 /11 /novembre /2011 14:55

images-copie-5.jpgLa promesse de novembre 1954 est indubitablement de rompre  avec toute forme de sujétion. En défiant l’une des grandes puissances mondiales, les maquisards avaient pour seule force leur conviction, celle de libérer le pays. Une fois l’indépendance acquise, ils souhaiteraient participer activement à la vie politique de leur pays. Pour y parvenir, et c’est le moins que l’on puisse dire,  le tribut payé est énorme.  Naturellement, les gens qui aiment la liberté s’exposent davantage  au danger. Incontestablement, les pertes furent considérables dans cette catégorie d’Algériens. À l’approche de l’indépendance, des nouveaux acteurs font leur apparition. Très vite, ils parviennent à s’emparer des rênes de la révolution. En effet, une fois le cessez-le-feu proclamé, le chef de l’État-major général, Hourai Boumediene, cherche à évincer les responsables du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). N’ayant aucune légitimité révolutionnaire, il la compense en mettant  en avant la personne de Ben Bella. Ainsi, les dés étant pipés d’emblée, les institutions se retrouvent d’emblée piétinées.  Et les premières élections à la Constituante nationale subissent le même sort. Après plusieurs reports, le bureau politique (BP), dominé par les hommes de la coalition Ben Bella-Boumediene, propose une liste de candidats devant être, dans tous les cas, acquise à leur clan.

Néanmoins, malgré la défaite du GPRA, Ben Youssef Ben Khedda, son  président se réjouit enfin du dénouement de la crise. Bien que l’armée des frontières ait pris la capitale par la force, les adversaires du BP ont décidé de donner la chance à la paix en se retirant de la scène politique. L’essentiel pour eux est de voir des Algériens à la tête des institutions et non des étrangers soutenus par une force de feu incommensurable. Ainsi, les wilayas III et IV et une partie de la wilaya II acceptent, elles aussi, le nouveau pouvoir. Bien qu’ils aient perdu un millier de morts, suite aux affrontements avec l’armée des frontières, les wilayas intérieures admettent de se mettre sous l’autorité du BP. Ceci provoque un enthousiasme général. Montrant un soulagement profond, Ben Khedda déclare à juste titre : « Ce qui était pour nous un rêve… est aujourd’hui devenu réalité ».  Cependant, maintenant que les adversaires du BP acceptent son autorité, celui-ci est seul responsable de la dérive du pouvoir. Le 13 septembre 1962, le BP publie une liste de 196 noms. Dans certains cas, le BP a arbitrairement éliminé certains noms, comme ils ont inscrits d’autres sans que les intéressés le sachent.  Selon Mohand Aziri : « D’autres furent par contre inclus « d’office », dont Mohamed Boudiaf, l’un des adversaires acharnés du clan Ben Bella avec Krim Belkacem, son allié. Boudiaf, député « malgré lui » de Sétif, menaçait, selon Ali Haroun, de jeter le tablier. Je démissionnerai, disait-il, si malgré mon refus d’être candidat, on continue à me considérer élu ». Cela dit, bien que les wilayas déjà citées aient fait allégeance, le BP continue à se méfier d’elles. Citant Benjamin Stora, Mohand Aziri écrit : « la première liste  dégageait une majorité à l’assemblée qui était loin d’être favorable au BP, mais pas pour longtemps… Le BP refusera de maintenir sa caution pour certains candidats ; d’où la méticuleuse purge qu’il effectuera par la suite ». Ainsi, avant même la tenue de la première élection, le BP a refusé de partager le pouvoir. En effet, le BP ne voulait ni d’un gouvernement d’union nationale ni d’une assemblée plurielle. Le spécialiste de la question du pouvoir en Algérie, Abdelkader Yafsah, relate avec quel esprit Ben Bella a écarté ses adversaires : « Ben Bella éliminera beaucoup d’hommes qui avaient critiqué son action ou ne s’étaient pas rangés sans équivoque de son côté ».

Cette façon revancharde de gérer le pays va vite montrer le glissement du nouveau pouvoir vers la dictature. Du coup, l’élimination de 56 membres de la révolution donnera une majorité incontestable à la coalition Ben Bella-Boumediene à la nouvelle assemblée. Selon Ali Haroun, à l’assemblée, l’opposition est réduite.  Lors du vote à la présidence de l’assemblée, la quasi-totalité des députés, soit 155, vote oui. « Le nombre de députés de l’opposition s’est réduit de 36 à 20, en l’espace de trois jours. Ben Bella, candidat unique, est élu, le 29 septembre, président du Conseil, chef du gouvernement, avec 159 voix pour, 19 abstentions et un contre », écrit encore Ali Haroun. Dans ces conditions, la nouvelle assemblée a du mal à effectuer son travail. Réduite à un rôle de spectatrice, comparativement au pouvoir de l’exécutif, l’assemblée voit son pouvoir s’émietter au fil des jours.

Toutefois, après une flopée de coups tordus, la constituante est doublée par une autre commission présidentielle en vue de proposer le texte fondateur au pays. Selon Abdelkader Yafsah : « Ben Bella, par une initiative personnelle, chargeait, dès le début de l’été 1963, une commission constituée d’hommes à lui, choisis en dehors de l’assemblée, pour préparer un projet de constitution ». Du coup, quoi qu’on puisse épiloguer sur la nature de cette démarche, il est évident que le chef de l’État a outrepassé ses prérogatives. Bien évidemment, cette initiative n’est pas du goût de tous les députés. Immédiatement, certains sortent de leurs gonds. Parmi les opposants à cette démarche,  le député Hocine Ait Ahmed ne cache pas son désappointement. Pour ce dernier, la constitution ne peut être élaborée que par les membres de l’assemblée constituante. En tout cas, l’homme ne veut pas se compromettre et  démissionne aussitôt de son poste. Quarante ans après les faits, il déclare au journal El Watan : « L’assemblée constituante, élue au suffrage universel, est la seule à détenir, au double plan national et international, la légitimité pour construire les fondations constitutionnelles et institutionnelles de l’État ».

Par ailleurs, assuré par ses courtisans de voter en faveur de son texte, Ben Bella soumet le projet au vote le 28 aout 1963. Ce dernier est approuvé par 139 voix. Démissionnant avant le vote de ce texte, le président de l’assemblée, Ferhat Abbas, estime que le pays emprunte une voie dangereuse. Dans sa lettre de démission, il développe ses griefs contre le pouvoir exécutif. Il les accuse notamment d’avoir humilié l’assemblée. Il avertit enfin que la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme est un choix scabreux. Après ce coup de force constitutionnel, la contestation gagne la rue. Ainsi, une année après l’indépendance, le pouvoir en place annihile les chances de la démocratisation  des institutions. Par conséquent, l’opposition en dehors de l’hémicycle fait perdre à l’assemblée son rôle de contre-pouvoir. Et les députés fidèles au duo Ben Bella-Boumediene  ne paraissent plus crédibles aux yeux de l’opinion. Ce qui incite Ben Bella à geler, dès le 3 octobre 1963, les activités de l’assemblée constituante.  Le nouveau pouvoir empêche, lui-même,  le bon fonctionnement des institutions.

Pour conclure, il va de soi que le coup de force de l’automne 1963  accouche d’une dictature. En évinçant le GPRA en 1962, institution politique de la révolution, le duo Ben Bella-Boumediene avait asséné un coup de massue à la fonction politique. Ainsi, de bricolage en bricolage, le nouveau pouvoir arrive à neutraliser les institutions. D’esprit condescendant, ils estiment que la grandeur de la personne peut combler le vide institutionnel. Mais en réduisant la place des institutions dans le fonctionnement de la nation, le pouvoir est désormais à la merci de celui qui va réunir des soutiens solides. Le 19 juin 1965, le colonel Boumediene remet les pendules à l’heure. Puisque le pouvoir s’appuie désormais sur les personnes, il est estime qu’il est le mieux placé. Dans cet accaparement du pouvoir, il va aller au-delà de ce qu’a fait son prédécesseur. Désormais, la vie parlementaire est réduite à néant. Partant, pendant douze ans, la politique algérienne est du ressort d’un seul homme. Du coup, on peut dire qu’à partir de 1962,  les Algériens sont indépendants vis-à-vis de la puissance coloniale, mais sans être libres.   

Par Ait Benali Boubekeur          

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