On tourne, en effet, en rond. Personnellement, je ne fais que défendre les idées contenues dans mon texte. Bien qu’il me soit reproché de
n’utiliser que deux références, Ali Haroun et Gilbert Meynier (Je sais que cet historien compte beaucoup dans vos recherches), en ce qui me concerne, je crois à leurs travaux. Toutefois, dans
votre dernier commentaire, vous essayez de nous convaincre que la coalition Ben Bella-Boumediene avait accompli sa mission en donnant une direction qui manquait à l’Algérie. Et pourtant, dans un
de vos textes, vous traitez ce dernier d’être un agent de la France. Par ailleurs, est-ce que l’armée pouvait prendre le pouvoir en 1962 ? Telle est l’idée qui taraude votre esprit. Pour vous, le
régime algérien n’a commencé à déraper que plus tard. Précisément, avec l’arrestation de Ben Bella en 1965. Je ne partage pas ce point de vue. Bien avant 1965, le régime se structurait autour des
éléments de l’EMG. Je vous cite un sociologue que vous appréciez beaucoup, La houari Addi. Il écrit : « C’est ainsi que le gouvernement s’est structuré en trois niveaux : le politique,
l’idéologique et le technico-économique. Les ministères dits de souveraineté forment le niveau politique et sont pris en charge par les membres de l’état-major ; il s’agit des ministères de la
Défense, des Affaires étrangères, de l’intérieur et des Finances… » (L’Algérie et la démocratie, page 45).
Cependant, dans votre réponse à Said Radjef, vous dites que : « Au début de l’indépendance, les militaires ne pouvaient pas
prendre seuls le pouvoir ». En partie, j’y adhère à cette analyse. Dans le fond, je ne partage pas votre argumentaire. Car, si Ben Bella ne s’était pas engagé avec l’EMG, Boumediene aurait opté
pour une autre voie. Donc, avec ou sans Ben Bella, la question de pouvoir avait été tranchée bien avant l’indépendance. En effet, la noria étant lancée, le pouvoir ne pouvait qu’être militaire en
1962.
Quant aux groupes de Tlemcen et de Tizi Ouzou, vous ne dites aucun mot sur les circonstances de leur avènement. Pour vous, la
crise a commencé lorsque le groupe de Tizi Ouzou s’est opposé à celui de Tlemcen. Et la seule faute de Ben Bella fut la non-admission de Krim Belkacem au BP. Or, on sait qu’à Tripoli, Ben Bella
avait cédé un moment à la suggestion de la commission de médiation d’intégrer Krim au BP. Mais, suite au refus de Boumediene, Ben Bella se ravisa. Cela prouve, si besoin est, que le contrat moral
est brandi quand les circonstances arrangeaient Ben Bella. Il le remiserait au placard s’il n’avait pas besoin d’y recourir à cette solidarité de groupe.
Quelle attitude des neuf face à Messali, père du nationalisme algérien ? Là aussi, je ne crois pas que les choses se soient
passées que vous le décriviez. Les Algériens ont adhéré à l’appel du FLN parce que le combat politique avait montré ses limites. Pour Lahouari Addi : « L’action entreprise le 1er novembre 1954
pour libérer l’Algérie a été l’œuvre de la tendance radicale du nationalisme politique, posant l’action violente comme seule issue possible pour défaire le système colonial » (Id, page 41). Je
vous pose, si vous le permettez bien, la question suivante : Est-ce que l’action des neuf, bien qu’ils aient été stoïques, suffisait, à elle seule, à se débarrasser du joug colonial ? La réponse
est certainement non. En effet, sans la large participation du peuple, leur action aurait été un coup d’épée dans l’eau. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi le pouvoir devait revenir à l’un
des neuf, à moins que le peuple algérien ait opté librement pour l’un d’eux après un vote libre. D’ailleurs, je n’ai jamais trouvé une déclaration des neuf disant au peuple algérien : « Cette
guerre est la nôtre. Laissez-nous résoudre le problème, seuls, avec la France. » L’Algérie, qu’on le veuille ou non, appartient à tous les Algériens. D’ailleurs, de quel droit, selon vous, ils
doivent assurer la direction nationale ? Pour Lahouari Addi : « En effet, les activistes du PPA-MTLD ne sont devenus incontournables dans le mouvement national ni par la profondeur de leurs
analyses idéologico-politique, ni par leur nombre. Ils étaient importants en raison de la justesse de leur position politique qui tenait en un mot : passer à l’action… » (Id, page 56). Ainsi,
Messali ne fut pas éliminé parce que le peuple devait choisir entre deux orientations idéologiques.
Par ailleurs, vous accusez, à tort, Abane d’avoir créé la zizanie entre les neuf. Cela m’étonne vraiment que la démarche d’Abane
ait pour but de diviser les neuf. Ben Mhidi, chef historique, travailla sans ambages avec Abane. Choqué par le comportement de Ben Bella au Caire, il rejoignit le pays où il mit toute son énergie
à orienter la révolution dans la bonne direction. Sa démarche, de concert avec Abane, fut de rassembler le peuple algérien. Ce qu’ils réussirent avec brio. Enfin, vous pensez que les cinq
devaient taire leurs divergences jusqu’à la tenue des élections à la Constituante, censée remettre le pouvoir au peuple. A mon avis, au lieu de reprocher aux autres (Boudiaf ‘Il a accepté de
faire partie du BP du 2 aout 1962’ et Ait Ahmed) leur non-participation au BP, il faudrait reprocher à ceux qui ont fait partie du BP de ne pas avoir restitué le pouvoir au peuple.