Cesser la guerre des mémoires et réécrire une autre histoire, sur les bases d’un partenariat équitable, entre l’Algérie et la
France, tel est l’enjeu de la visite que va entamer le 18 et le 19 décembre le président Français, François Hollande, en Algérie. Après un passé commun douloureux, l’Algérie et la France veulent
enterrer la hache de la guerre des mémoires. L’une et l’autre refusent cependant de rater les rendez- vous de l’histoire. Cela dépend de la survie des deux pays. Mais au passage quelques
souvenirs d’hier et d’aujourd’hui.
Plus de deux millions d’algériens vivent aujourd’hui en France. Leurs ancêtres mobilisés d’office durant la première et la seconde guerre mondiale, ont construit la quasi-totalité des autoroutes
et des logements en France. Comme ils ont reconstruit l’industrie française tombée en ruine après la guerre de 1939-1945. Cette reconstruction a été réalisée dans des circonstances douloureuses
pour la majorité écrasante des immigrés algériens.
Selon les chiffres de l'Insee, la deuxième génération est plus importante en nombre que la première. La population algérienne établie en France a augmenté de 30 % entre 2008 et 2010. Que
garde-t-elle de ce passé douloureux ? Quels sont les rêves et les espérances de cette deuxième génération et quels souvenirs a-t-elle gardé du passé ?
A quel lieu se vouer quand on est nés et on a grandi dans un pays qui n'est pas celui de ses parents, ni celui de ses ancêtres et pour lequel justement les ancêtres et les parents ont été
contraints de consentir des sacrifices incommensurables ? Les fêtes de fin d’années ont été une occasion pour interroger les deux générations, venues passer leurs vacances en Kabylie.
Confrontation de deux identités et de deux cultures qui s’alimentent, qui s’entretiennent et que l’histoire a durablement imbriquées. Dans les fiefs messaliste en Kabylie, la densité des immigrés
est plus importante que dans le reste du Djurdjura. Et comme le soulignait si bien Mouloud Feraoun, « un kabyle revient toujours à sa terre natale ». Ait Bouadou, la commune la plus peuplée de la
Daïra des Ouadhias, reçoit chaque fin d’année ses immigrés. Les anciens et la nouvelle génération qui a rompu définitivement avec le mode « la bas chez nous », racontent leur vie de tous les
jours et parlent des liens et des nœuds qu'ils nouent et dénouent au fil du temps, entre ici et là-bas, pour tisser la trame de leur devenir de citoyens de deux rives et construire leur monde.
"Fil de soi", tissage de vie, métissage de cultures, c'est au sein de ces entrelacs d'existence que nous avons été conviés au sein de la famille K Akli. Fazia, la mère se souvient du premier jour
ou elle avait à la demande de son beau père débarqué à Montpellier, en 1962. Elle parle fièrement les deux langues, kabyle et français. Elle n’a rien oublié de ses traditions religieuses de femme
kabyle. « En 1963, on a habité dans un bidonville ou tout le monde était entassé à l’entrée de la ville. Mais grâce a des économies, nous avons réussi à construire une maison à Toulouse, dans la
région de Montauban », dit-elle. Et d’ajouter : « Nous sommes venus offrir des présents au mausolée des Ait Oulhadj et remercier Dieu pour ces retrouvailles ». Les enfants Laura, Sabrina et
Mohamed, parlent un Kabyle cassé. Sabrina, auxiliaire de la police, parle en regardant chaque fois en direction de son père comme pour souligner l’organisation sociale de la famille
traditionnelle algérienne. Elle cherche l’approbation dans le regard de la famille.
Akli qui a rejoint la France au début des années 50, a plus de 70 ans aujourd’hui. Tout en se rappelant de son enfance lorsqu’il était berger, il évoque au passage la visite de François Hollande
en Algérie : « Les temps sont difficiles pour tout le monde. Cela ne sert a rien de remuer le couteau dans la plaie. Il faut soigner les blessures du passé et regarder désormais vers l’avenir. »
C’est ce que soutien sa fille aînée Laura, juriste à la préfecture de Toulouse. « Depuis quelques années l’Algérie va mieux. Mais pour construire de meilleures relations et avoir un respect
mutuel, nous devons regarder vers l’avenir. Autant la France a besoin de l’Algérie pour faire face à la récession, autant l’Algérie ne doit pas rater les rendez vous de l’histoire a cause du
passé. » Par Saïd Radjef