Les luttes internes au sommet de l’État donnent naissance, au forceps, à la démocratie. Après l’effet de surprise, la rue s’empare du mouvement. Bien que les événements du 5 octobre 1988 soient fomentés de l’intérieur, les jeunes ont donné une autre dimension à cette révolte. En revanche, dans le bras de fer opposant les clans du pouvoir, celui de Chadli sort vainqueur. Car, au départ, certains caciques ne voulaient pas que Chadli soit adoubé candidat à la présidentielle lors du congrès du FLN de la fin de l’année 1988. Sur ces querelles, Madjid Benchikh, dans « L’organisation du système politique »,apporte des précisions sur les machinations au sommet de l’État : « Plus tard, le général Nezzar qui a dirigé l’état de siège et la répression après ces manifestations, indique que des « éléments du pouvoir, ont participé à l’organisation d’un mouvement de marches et de grèves dans le but d’influer sur les décisions du congrès du FLN ». « Le but initial des courants opposés au projet présidentiel était simplement de créer une effervescence sociale. Ils ont été cependant dépassés par l’ampleur de l’action et l’armée a eu affaire à une insurrection visant la déstabilisation de l’État». Cependant, du témoignage du général Nezzar, on peut aisément comprendre que ces événements ne furent ni spontanés ni émanant, dans leur phase initiale, de la rue. Il s’agissait simplement d’un combat de coqs au sein du régime.
Tout compte fait, dans l’esprit des dirigeants, la finalité ne vise nullement à débrider les contraintes pesant sur les Algériens. En tout cas, contrairement à ce que pensent actuellement Ouyahia et ses amis du pouvoir, la révolte du 5 octobre ne peut pas être comparée à celles des révoltes de 2011, chez nos voisins. D’après les signataires d’un texte datant du 25 octobre 2011, quatre intellectuels algériens, Ahmed Dahmani, Aïssa Kadri, Madjid Benchikh, et Mohammed Harbi, affirment : « En Algérie en octobre 1988, aucune coordination de jeunes manifestants n’est née sur le terrain comme en Tunisie ou en Égypte, en Libye ou ailleurs. Aucune force n’a d’ailleurs jamais revendiqué une quelconque participation. Les manifestations de 1988 ne peuvent donc pas, de ce point de vue, être assimilées aux mouvements tunisien, égyptien ou libyen. Quelles que soient leurs insuffisances en matière notamment d’organisation et de programmation politique, les opposants tunisiens, égyptiens et libyens, se sont très vite organisés pour continuer leurs manifestations et les transformer en insurrection contre le pouvoir politique. Ils ont rapidement demandé la chute du chef de l’État et la fin du système politique. »
Il va de soi qu’en octobre 1988, la révolte n’a pas provoqué la chute du régime. On a assisté juste au remodelage du champ politique. Le 10 octobre 1988, Chadli apparait à la télé. Il prononce un discours comportant quelques promesses d’ouverture. Parmi les réformes promises, il y a la possibilité de créer « des associations à caractère politique ». Cela dit, bien que la compétition électorale soit ouverte aux formations politiques, le commandement militaire garde un œil attentif sur l’évolution de la vie politique. En 1991, le commandement militaire donne son feu vert pour l’organisation des élections législatives. Quelques jours plus tôt, les sondeurs ont promis aux vrais décideurs que le FIS n’allait pas dépasser la barre des 30% de sièges à la nouvelle Assemblée. Mais le raz-de-marée du 26 décembre 1991 lève le voile sur les intentions des soi-disant sauveurs de la démocratie.
En effet, dès l’annonce des résultats électoraux, les militaires investissent l’arène politique. Ils écartent Chadli du pouvoir, le 11 janvier 1992, pour avoir refusé d’annuler les élections. Ainsi, le choix des Algériens ne représente absolument rien pour Nezzar et ses collègues. Pour Madjid Benchikh : « L’armée décide alors d’annuler les élections et créé un Haut Comité d’État (HCE), auquel elle octroie toutes les prérogatives du chef de l’État, en affirmant, contre l’évidence des textes, que tout cela est conforme à la constitution. » Du coup, la parenthèse démocratique, on pourrait l’affirmer, est refermée en 1992. Enfin du compte, cette ouverture ne fut qu’un test. Les vrais décideurs ont compris que les Algériens voulaient un changement profond entre gouvernants et gouvernés. Les enjeux, les intérêts, le prestige ont dû peser dans la balance lorsque les décideurs furent sur le point de partir.
Cependant, contrairement à ce qui s’affirme ci et là, les Algériens n’ont pas imposé leurs revendications en 1988, comme le font actuellement nos voisins. Du coup, le commandement militaire ne s’est pas estimé menacé en 1992. Puisque les Algériens sont incapables d’imposer leur choix, dans ce cas, les vrais décideurs leur en imposent jusqu’à ce qu’il y ait un déclic. Et cette situation continue de plus belle sous la présidence de Bouteflika. Pour l’ancien chef du gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, enfant du système, explique l’organisation du pouvoir en Algérie a toujours exclu le petit peuple. Sans une initiative venant de la rue, le régime est incapable de se métamorphoser. Qu’on en juge ses propos : « En Algérie, il existe un pouvoir apparent et un pouvoir occulte …Toutes nos institutions sont fictives. Il n’y a que l’institution militaire qui existe réellement….Lorsqu’on parle de l’institution militaire, c’est une poignée de personnes qui, au nom de l’armée, tient toute l’Algérie et pas seulement l’institution qu’elle représente…. Mais tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait avec la complicité de la classe politique dans le cadre « d’un contrat » : à nous le pouvoir et à vous la responsabilité… Officiellement, l’armée s’est retirée de la politique depuis 1989, mais qui a désigné Chadli et Ghozali comme chefs du gouvernement ? Qui a désigné Bélaid Abdesselam( chef de gouvernement et ministre de l’ Économie du 19 juillet 1992 au 25 octobre 1993) Qui a fait venir Boudiaf, Zeroual et le président de la République actuel ? » (El Khabar- Hebdo. No 177 du 20-26 juillet 2002), source citée par Madjid Benchikh.
Dans ces conditions, il est difficile de croire aux réformes. À vrai dire, les réels détenteurs du pouvoir ne communiquent pas. Leur but est d’imposer le statu quo. Avec l’argent collant à flot, les soutiens, au sein de la société, ne manquent pas. Mais ceux qui souffrent se comptent aussi par millions. Si un changement doit intervenir, c’est de ces derniers qu’il devra venir.
Par Ait Benali Boubekeur