
Avant même l’avènement de l’état-major général, en janvier 1960, la situation politique était déjà catastrophique. Ce groupe d’officiers, installé aux frontières, que présidait Houari Boumediene, n’a fait que précipiter la révolution, dans le premier temps, et le pays, ensuite, dans un précipice. Et pourtant, en 1954, il n’y avait rien qui présageait une telle issue.
Bien que le FLN historique soit issu de la scission du parti indépendantiste, en l’occurrence le PPA-MTLD, il n’en reste pas moins que les fondamentaux du parti ont été préservés. D’ailleurs, dès le début, le slogan principal du front était : « la révolution par le peuple et pour le peuple. » Ce qui voulait dire que les institutions, même pendant la guerre, ne pouvaient être que démocratiques. Sinon, il était difficile d’associer le peuple à un tel projet.
Ainsi, malgré un début difficile, à partir de 1956, et notamment après le congrès de la Soummam, il était question de consulter le peuple dans tous les cas où la situation le permettait. C’est le cas lors de la constitution des Assemblées du peuple, composées de 5 membres. Lors des débats entre les congressistes à la Soummam, Ben Mhidi a défendu ce principe avec abnégation. Il voulait « des candidatures libres avec multiplicité de listes, sans limitations d’aucune sorte. Pour lui, un responsable loyalement élu serait forcément plus engagé qu’un responsable nommé ; une élection vraie serait une marque de confiance dans le peuple », écrit Gilbert Meynier dans « histoire intérieure du FLN 1954-1962 ».
Hélas, la militarisation de la révolution a détruit peu à peu ce noble projet. L’arrestation de Larbi Ben Mhidi en février 1957 et son lâche assassinat en mars de la même année a considérablement affaibli le comité exécutif de la révolution. De même, en perdant son allié de taille, Abane Ramdane ne pouvait rien faire face à l’alliance des colonels. Sa résistance a fini par l’emporter. Il a été assassiné à Tétouane, par ses propres frères d’armes, en décembre 1957.
Cette gestion de la révolution par la violence a ouvert la voie à d’autres opportunistes. Installés aux frontières, ces officiers, sans passé militant, n’attendaient que le moment opportun pour s’emparer des rênes du pouvoir. Ainsi, à partir de 1961, l’état-major général échappait au contrôle du gouvernement provisoire. Géré par les anciens militants du PPA-MTLD, de l’UDMA et des Oulémas, le GPRA a tu ces différends en pensant qu’à l’indépendance, la parole serait revenue au peuple.
Malheureusement, l’histoire ne leur a pas donné raison. Car, pour l’état-major général, le pouvoir n’était pas une question de légitimité, mais il se mesurait au seul rapport de force. Comme le dit si bien Gilbert Meynier, « rien d’étonnant, finalement, à ce que ce fût l’état-major général qui se fût opposé au pouvoir civil du GPRA en 1961-1962 et en eût finalement triomphé par la force et dans le sang à l’été 1962. »
Du coup, ce pouvoir, qui s’est installé sans la volonté du peuple –on est même tenté de dire contre sa volonté – n’a jamais voulu aller vers un État, propriété de tous les Algériens. Enfin, entre une résistance mitigée et parfois un silence incompréhensible, le peuple algérien est toujours en quête d’un État à construire. Pour ce faire, il y a une condition : rompre avec le régime instauré en 1962.