
Malgré les 64 ans qui nous séparent du congrès de la Soummam, les détracteurs ne cessent de proliférer. Si, en 1962, l’équipe victorieuse de la crise de l’été de la même année était impliquée directement dans la crise –Ben Bella était l’adversaire le plus acharné du congrès de la Soummam –, après l’indépendance, ce sont le régime et toute sa clientèle qui rejettent les résolutions de la Soummam. C’est le cas notamment après la révolution du sourire. Ainsi, quand la rue algérienne voulait réhabiliter le congrès de la Soummam, les soutiens du régime ont inventé le slogan la badissia-novembria. Ce qui est historiquement un non-sens.
Toutefois, pour mieux comprendre l’esprit du congrès de la Soummam, il faudrait rappeler le contexte. Bien que la déclaration du 1er novembre 1954 soit d’une importance capitale, il n’en reste pas moins que les rédacteurs se sont contentés des principes généraux. C’est le cas quand il propose la négociation. Sur quels critères fallait-il désigner les négociateurs ? Qui allait les valider ? C’est la raison pour laquelle les initiateurs de l’action armée ont programmé une réunion d’évaluation –et éventuellement d’élaborer d’autres documents – courant janvier 1955.
Or, la situation du front ne permettait pas d’organiser une telle rencontre nationale. D’où son renvoi sine die. En tout cas, après l’effet de surprise, les autorités coloniales ont déployé leur arsenal militaire coupant les liaisons entre les wilayas historiques. Dans une rencontre avec les militants de la fédération du FLN au Maroc, en février 1960, Lakhdar Ben Tobbal a avoué qu’avant le congrès de la Soummam, « chaque wilaya vivait renfermée sur elle-même et volait de ses propres ailes. » Quant à l’organisation nationale, elle était à peu près la suivante : en mars 1955, 3 chefs historiques intérieurs sur 5 ont été neutralisés. Au début de l’année 1956, le 4eme a quitté le territoire en vue d’acheter les armes. À partir du 22 octobre 1956, seuls 2 chefs historiques sur 9 étaient en libertés. Enfin, après mars 1957, il ne restait que Krim Belkacem sur le terrain.
Face à cette hémorragie, la révolution devait-elle démissionner ? Dans la déclaration du 1er novembre 1954, les rédacteurs faisaient du FLN un front de tous les Algériens et non la propriété d’un groupe détenant une quelconque autorité morale. « Le Front de libération nationale est le ton front, sa victoire est la tienne », lit-on dans la fameuse proclamation. Dans ce cas, qui est-ce qui pourrait empêcher d’autres Algériens de prendre en charge la révolution même si ils ne faisaient pas partie du groupe des neuf. Mais, dans le cas où ils ne voulaient que d’autres Algériens qu’eux organisent la révolution, pourquoi les détracteurs de l’époque n’ont rien fait pour tenir la réunion programmée en janvier 1955 ? Plus grave encore, pourquoi ne voulaient-ils pas revenir à l’intérieur pour organiser sur place la révolution ? À moins que ces difficultés ne soient pas leurs préoccupations.
Enfin, que les détracteurs le veuillent ou non, le congrès de la Soummam a donné le sens à la révolution algérienne. En définissant le cadre de la négociation, le congrès de la Soummam a évité une implosion certaine. Ainsi, malgré l’acharnement des membres de l’état-major général à saborder la négociation –certains voulaient une victoire militaire, mais ils n’ont jamais mis les pieds en Algérie de 1954 à 1962 –, le conseil national de la révolution algérienne, issu du congrès de la Soummam, a mis fin au conflit en adoptant les accords d’Evian à plus de 4/5eme des membres. À vrai dire, moins trois voix des membres de l’état-major général.
Sur le plan politique, l’esprit de la Soummam a permis de réaliser le projet que toute nation en conflit voudrait faire : le rassemblement de toutes les forces vives de la nation. Cela dit, s’il fallait rajouter une ligne à cette plateforme, ce serait la suivante : à l’indépendance, tous les mouvements reprendraient leur autonomie. Car, cette faille a laissé la porte ouverte aux malintentionnés de faire du mouvement de libération un moyen d’instaurer leur abjecte dictature. Sinon, pour le reste, l’histoire retient que le congrès de la Soummam n’est pas en contradiction avec la proclamation du 1er novembre 1954. Cela se passe uniquement dans la tête des détracteurs du congrès de la Soummam.