
Depuis l’avènement du coronavirus en Algérie, le pouvoir semble reprendre la main. La suspension des marches hebdomadaires permet au régime de souffler, dans le premier temps, et de montrer ses muscles ensuite. Cette stratégie répressive donne certes une langueur d’avance au régime en emprisonnant les animateurs du hirak, mais cela ne garantit pas la fin de la contestation. Car, d’une certaine façon, c’est le régime qui alimente la colère populaire. Et si le peuple algérien s’était tu dans le passé, c’est parce qu’il n’y avait pas un mouvement de solidarité nationale, comme celui qu’on a connu depuis février 2019.
En tout cas, à partir du moment où les pouvoirs ne sont pas séparés –la constitution Tebboune lui accorde des pouvoirs illimités, mais il n’est responsable ni devant le parlement, ni devant la justice et encore moins devant le peuple –, il ne reste que la rue pour jouer les équilibres de pouvoir. Car, dans un pays où le député, le juge, le policier, le gendarme, des syndicats, des partis obéissent au même pouvoir, il ne peut y avoir ni de contrôle ni d’équilibre de pouvoirs. Le pire encore, c’est que les rôles de ces éléments peuvent s’inter changer sans que l’on sente la moindre différence.
D’ailleurs, depuis le recouvrement de l’indépendance, à chaque fois que le pays a acquis des droits, le mérite est revenu à la rue. En effet, bien qu’une certaine opposition ait joué son rôle convenablement, les avancées ne pouvaient pas se réaliser dans le cadre institutionnel. C’est le cas notamment en 1988, où la rue a arraché le droit au multipartisme. Cela dit, pour le concéder, le pouvoir militaire a fauché plus de 500 vies. Et sans ces manifestations, on serait encore sous le règne du parti unique si on s’en tenait à la volonté du régime.
Hélas, le pouvoir ne cède que quand il est en position de faiblesse. Dans sa logique, le pays lui revenant de droit –sans qu’il ne l’explique à personne –, il n’a pas à céder quoi que ce soit. C’est dans cette logique que le haut commandement militaire de l’époque s’est précipité à fermer la parenthèse démocratique en 1992. Pour renforcer le verrouillage politique, le haut commandement militaire, selon les déclarations de Khaled Nezzar, a confié le pouvoir à Abdelaziz Bouteflika, et ce, après une gestion purement sécuritaire de la crise politique des années 1990.
De toute évidence, l’arrivée de Bouteflika au pouvoir a bouleversé tous les calendriers. Désormais, l’Algérie est gérée comme une entreprise familiale. Tous les pouvoirs sont concentrés entre ses mains, surtout après l’élimination de Mohamed Lamari et son remplacement par le fidèle des fidèles, Gaid Salah. En dehors de ces deux personnes, les autres ne sont que des marionnettes. Rappelons-nous des remerciements de Tebboune à son chef après son limogeage en 2017. En tout cas, avant février 2019, tous les indices étaient réunis pour que Bouteflika meure sur le trône.
Malgré la mise en danger du pays, aucun ténor du régime n’a élevé la voix. C’est uniquement lorsqu’ils avaient eu toutes les assurances qu’ils ont commencé à dénoncer la gestion chaotique de Bouteflika. Heureusement, le pays pouvait compter sur ses dignes fils. Ainsi, après la rencontre du 9 février 2019 à la coupole, où toutes les composantes du pouvoir étaient prêtes à reconduire Bouteflika pour un cinquième mandat de la honte, les Algériens sont sortis dans la rue pour jouer le rôle de l’unique contre-pouvoir. Encore une fois, c’est la rue qui a sauvé le pays de l’effondrement programmé.
Hélas, si le régime cède sur la non-reconduction de Bouteflika, il ne se remet pas en question. En choisissant un ancien fidèle de Bouteflika –à ce moment-là, Tebboune n’avait pas d’autres choix que de courber l’échine –, le régime ne fait que perpétuer le même système. Tirant les conclusions de cette récente période de turbulence, le régime croit trouver la parade en calmant le peuple avec la même constitution que celle de 2016. Ce qu’il oublie, c’est qu’en concentrant les mêmes pouvoirs, il ne reste que la rue pour représenter le contre-pouvoir. Du coup, volontairement ou non, c’est le régime qui maintient l’esprit du hirak.
*Ce texte est dédié à la mémoire de Matoub Lounès, le fervent défenseur de l’Algérie libre et démocratique.