
Le maintien du sénat dans sa configuration actuelle est une grave atteinte au concept même de la démocratie algérienne. Alors qu’on nous ressasse chaque jour que Tebboune est prêt à tourner la page du règne Bouteflika –c’est sous Zeroual tout de même que le sénat a été créé –, la nomination de 14 sénateurs du tiers présidentiel s’inscrit dans la continuité. En tout cas, chaque jour, il y a un indice supplémentaire qui montre que ce nouveau régime n’a ni l’intention ni la volonté de rompre avec le passé vicié du régime.
De toute évidence, le problème n’est pas l’existence de cette chambre basse. Comme le rappelle si bien Lahouari Addi, dans certains pays, le sénat crée un équilibre entre les régions. « La France rurale est mieux représentée au sénat que la France urbaine », écrit-il. Que dire de l’Amérique où un État quatre-vingts fois supérieur au plus petit des États envoie le même nombre de sénateurs à la chambre basse. Ces Républiques sont donc bâties sur ces équilibres afin que le pouvoir tienne compte de toutes les spécificités sur le terrain.
Qu’en est-il en Algérie ? Jusqu’à 1996, l’Algérie a fonctionné sans sénat. Bien que le pouvoir exécutif se soit emparé de tous les pouvoirs, les maitres du moment –à l’exception de Boumediene qui a suspendu toutes les institutions de 1965 à 1976 –ont régulièrement renouvelé l’Assemblée nationale. Cela suffisait à leur bonheur. Dans le fond, ce qui a motivé la création du sénat était sans doute la crise du début des années 1990. Sans juger le caractère dangereux ou pas de l’accession des islamistes au pouvoir, force est de reconnaître qu’à deux reprises, en juin 1990 et en décembre 1991, le régime a été rejeté dans les urnes par les Algériens.
Au lieu de tirer les enseignements de ces échecs, le régime a inventé et invente encore des mécanismes pour contourner la volonté populaire. Donc, cette victoire incontestée du FIS aux élections législatives de décembre 1991 a poussé le haut commandement militaire, soutenu par ses relais civils, à suspendre le processus démocratique. Ainsi, des personnes qui n’ont jamais œuvré pour le respect du suffrage des Algériens ont interdit l’alternance par les urnes, et ce, dans le but, selon eux, de sauver la démocratie. Hélas, la grande erreur d’une partie du parti vainqueur a été de croire légitime de défendre leur victoire par les armes. Sinon, pour l’histoire, ce n’est pas la victoire islamiste qui gênait le pouvoir. En juin 1991, l’alliance Hamrouche-Ait Ahmed, qui devait assurer la victoire républicaine aux élections législativement initialement prévues fin juin 1991, a été rejetée par le régime.
Donc, le souci essentiel du régime était d’empêcher le processus qu’il ne contrôlerait pas. Mais, est-ce qu’il peut gouverner comme l’a fait Boumediene entre 1965 et 1976 ? Pour la reprise du processus politique contrôlé, le régime a créé le sénat en 1996. « Pour limiter leur influence [islamistes] au cas où ils gagneraient la majorité à l’Assemblée nationale, Zeroual avait prévu la création d’un sénat dont 2/3 des membres seraient élus par les APC et les APW et 1/3 serait désigné par le président. Il serait alors facile de former une majorité de blocages au sénat qui s’opposerait éventuellement à des lois provenant d’une Assemblée à majorité islamiste », écrit l’éminent politologue.
Enfin, si ce calcul pouvait être « valable » il y a vingt-quatre ans, est-ce que l’Algérie de 2020 aurait toujours besoin d’une Assemblée où certains de ses membres seraient nommés par le fait du prince ? La réponse est non. D’autant plus que depuis février 2019, la majorité du peuple algérien réclame une nouvelle Algérie où la gestion des affaires du pays par une issaba ne pensant qu’à sa gueule cesse sans délai. Parmi les symboles de ce « dégagisme », il y a ce maudit sénat où des sénateurs payaient des milliards pour bénéficier de ce poste propice aux affaires et non l’exercice du mandat législatif. Que fait Tebboune pour apaiser la situation ? Il garde ce symbole monstrueux. Son dernier acte est la nomination de 14 sénateurs. C’est donc cette nouvelle Algérie qu’il veut impulser. C’est-à-dire une nouvelle Algérie dans les discours et une vieille et hideuse Algérie dans les pratiques. Il appartient enfin aux Algériens de dire si cette Algérie de toues les injustices leur convient.