
La célébration du 8 mai 1945 est certes un devoir national. C’est l’occasion de rappeler les horreurs que le peuple algérien a vécus. Peu importe les divergences idéologiques, les Algériens doivent s’incliner collectivement à la mémoire de ses meilleurs enfants fauchés par le système colonial. Pour que ce rendez-vous ne donne lieu à aucune polémique, il faudrait qu’il soit donc apolitique.
Contrairement à ce que prétend être Abdelmadjid Tebboune, à savoir le gardien du temple de la mémoire, le peuple algérien n’a jamais cessé de vouer un respect incommensurable à ses ainés. Donc, cette mémoire est un enjeu collectif. En tout cas, les Algériens ont prouvé, durant des décennies, leur reconnaissance sans vergogne à ceux qui ont œuvré, sur le terrain de la lutte, pour leur libération.
Inversement, depuis l’indépendance, l’exploitation de ce sujet par le régime a paralysé le pays. En effet, jusqu’à l’élection de Bouteflika, la légitimité historique a pris le dessus sur tous les types de légitimité. Dans la réalité, on pourrait parler plutôt d’une légitimité usurpée. Car, l’ossature du régime a été façonnée par l’armée des frontières, laquelle –ou du moins ses chefs –n’a pas participé directement à la guerre de libération.
Hélas, c’est au nom de cette « légitimité historique »que le pouvoir usurpateur a puni sévèrement les cinq chefs historiques, survivants de la guerre de libération. Ainsi, deux chefs historiques sur cinq sont assassinés par les services secrets en 1967 et en 1970. Deux autres sont forcés à l’exil (1964-1992 pour Mohamed Boudiaf et 1966-1989 pour Hocine Aït Ahmed). Enfin, après avoir servi de caution au système de Boumediene, Ben Bella a passé 15 ans dans les geôles du régime (1965-1980). Bitat a échappé à la maltraitance, car il a choisi de s’effacer en faveur des maîtres de l’Algérie.
Pour toutes ces raisons, depuis le 22 février 2019, le peuple algérien sait que ce régime n’est pas son allié. En gaspillant plus de 1000 milliards de dollars –certains caciques ont détourné des sommes pouvant assurer la vie d’une dizaine de générations de leurs proches –, le hirak prône alors une rupture radicale avec ce régime irresponsable.
Enfin, bien que nous soyons tous attachés à ces pages de notre histoire, la construction de l’État de droit est prioritaire. Dans un pays où plus de 70% de la population a moins de 30 ans, les questions mémorielles relèvent d’un passé un peu lointain.
Pour la connaissance de ce sujet, des historiens ont accompli un travail formidable. Hélas, aucun de ces historiens n’a réussi à mener son travail objectivement dans son propre pays. L’exemple de l’éminent historien, Mohamed Harbi, est là pour rappeler cette réalité. Du coup, sur quelle base le chef de l’État compte-t-il lancer ces recherches ? L’histoire a prouvé qu’à chaque fois que le politique se mêle de ce sujet, le chercheur perd son autonomie. En tout cas, si c’est pour aboutir à justifier tous les problèmes de l’Algérie indépendante par la présence coloniale, ce ne sera ni utile ni objectif.