
« Le système du parti unique se trouve être en vérité une forme nouvelle de reproduction, sous des aspects singuliers, mais différents, des systèmes féodaux où l’individu est sujet et non pas citoyen », extrait du livre de Mohamed Brahimi, intitulé « le pouvoir en Algérie et ses formes d’expression institutionnelle ».
Quand la crise politique a éclaté en février 2019, beaucoup de concitoyens ont pensé que la gestion de Bouteflika était un simple accident de parcours. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le mal est plutôt lié au système de gouvernance, imposé au peuple algérien depuis 1962. En effet, à peine le pays s’est débarrassé du joug colonial, une frange radicale de l’ALN –l’armée des frontières que dirigeait Houari Bouemediene n’était pas représentative du peuple algérien –s’est emparée des rênes du pouvoir.
En fixant les règles de l’exercice du pouvoir à la mode stalinienne, le peuple algérien s’est retrouvé exclu de la gestion de ses affaires. Bien que les constitutions et les chartes entérinées par les régimes successifs aient inscrit tous les droits sur le papier, dans la réalité, les affaires du pays sont gérées de façon unilatérale. Tous les choix cruciaux se décidaient en haut lieu. À chaque période, il y a eu soit un homme soit un clan qui incarnait ce pouvoir totalitaire.
Toutefois, plus que tous les autres, celui qui incarnait le pouvoir absolu fut Houari Boumediene. Après le coup d’État du 19 juin 1965, il a mis en sourdine toutes les institutions du pays. Le parlement et la constitution sont uniment gelés. En s’appuyant sur la simple ordonnance du 10 juillet 1965, il s’est arrogé tous les pouvoirs. Est-ce qu’un système démocratique pouvait conduire à une telle situation ? C’est là que l’on voit les ravages des systèmes où un homme, un clan, un régime pensent qu’ils sont capables de se substituer à tout un peuple.
Cependant, malgré sa longévité, le système du parti unique s’est cassé la figure après un règne sans partage de près de trois décennies. Entre une corruption abusive et une injustice sociale criante, le peuple algérien a manifesté son ras-le-bol. Les symboles du régime ont été alors décriés avec une rare violence. Cela étant dit, on était loin du slogan « Yetnahaw ga3 ». Mais, la revendication du changement radical de gouvernance a été clairement exprimée.
Hélas, bien que des réformes aient été mises en œuvre, le régime ne s’est pas départi de la logique du parti unique. Pour reprendre définitivement la main, il y a eu le sacrifice de plus de 200000 morts et de plus de 20000 disparus. Au terme d’une guerre qui ne disait pas son nom, le régime a imposé un pluralisme maison. Trois courants ont animé cette fausse pluralité : le FLN, le RND et le MSP. Ils sont rejoints ensuite par des partis sans aucun ancrage ; à l’instar du MPA.
Ce schéma a été appliqué, sans discontinu, pendant les deux décennies de règne de Bouteflika. Comme à l’époque du parti unique, tous les efforts du régime consistaient à museler la société. Profitant de cette aubaine, les dirigeants ne se gênaient nullement de se servir dans la caisse. Pire qu’à l’époque du parti unique, la corruption et l’injustice ont atteint des niveaux intolérables. Mais, plus grave que tout ça, le régime a tenté d’humilier le peuple algérien de la plus vile des manières en voulant maintenir en place un homme cliniquement mort.
Et comme dit le proverbe « à quelque chose malheur est bon », cette ultime humiliation a mobilisé le peuple algérien. Tout de suite, le peuple algérien a compris qu’il fallait reprendre les rênes du pouvoir. Trahi par les pseudos réformes de la fin des années 1980 –les réformateurs ont été empêchés de mener à bien leur mission –, la révolution du sourire exige le départ du régime comme condition sine qua non pour bâtir une République égalitaire. En dépit des ruses, des manipulations et de la répression tous azimuts, le mouvement populaire n’abdique pas. Car, il sait pertinemment que si le mouvement échoue, le régime inventera une autre forme de domination. Et là ce sera parti pour au moins deux décennies de règne sans partage.