
Malgré les quelques signes d’apaisement, la feuille de route du nouveau chef de l’État est loin de rompre avec les pratiques archaïques du régime. Alors que l’élaboration de la constitution est une affaire politique –c’est un contrat social que les citoyens établissent en vue de gérer les affaires du pays –, le régime voit, quant à lui, un moyen de régenter, voire tenir en laisse, la société. Pour étayer cette thèse, il suffit d’examiner les pouvoirs exorbitants que possède le chef de l’État dans la constitution en vigueur.
Ainsi, bien qu’il arrive au régime de lâcher un peu de lest, globalement, la domination sur les institutions et les richesses du pays se sont faites sans aucun partage. Jusqu’au jour où le peuple algérien, un certain 22 février 2019, décide simplement d’exister. Cette volonté bouscule des intérêts. Du coup, comment pourra-t-il exister si le même système –de 1962 à nos jours, le pouvoir a gouverné sans le peuple –se maintient sous sa forme actuelle ? C’est ce que rejette le hirak populaire depuis son avènement.
Habitué à la finasserie et au grenouillage politique, le régime a joué plusieurs cartes pour ne pas restituer le pouvoir au peuple. Après l’élimination du candidat du consensus au sein du régime –jusqu’à fin mars, tous les soutiens à Bouteflika ont été favorables au 5eme mandat –, beaucoup de citoyens ont cru à un changement effectif. Hélas, entre la libération politique de l’Algérie et le maintien d’un système qui a échoué sur tous les plans, le haut commandement militaire a choisi la continuité. De l’application de l’article 102 à l’élection du 12 décembre 2019, aucune concession n’a été faite au mouvement populaire.
Dans ces conditions, est-ce que le vainqueur du scrutin du 12 décembre est redevable envers le peuple ? Il ne peut pas être responsable devant le peuple –à comprendre la majorité qui souhaite la rupture avec l’ancien régime –qui ne l’a pas élu. C’est la raison pour laquelle l’élaboration de la nouvelle constitution est confiée à des experts triés sur le volet. Pire encore, comme en 2014, sous Bouteflika donc, c’est le même expert, Ahmed Laraba, qui est désigné pour proposer le « projet de la loi constitutionnelle. » Bien qu’il puisse y avoir des concessions tactiques, la survie du régime, dans sa forme sauvage, sera consacrée dans la nouvelle constitution.
Cependant, au-delà du texte qui sera proposé à l’adoption, cette nouvelle constitution –dans la procédure – ne différera pas des précédentes constitutions. Cela rappelle malheureusement un triste souvenir lors de l’adoption de la première constitution du pays en septembre 1963. En effet, malgré la préparation du texte fondamental par l’Assemblée nationale constituante, le pouvoir exécutif, incarné à ce moment-là par le duo Ben Bella-Boumediene, a chargé un groupe d’experts en vue de rédiger la première constitution du pays. Depuis ce coup de force, ni les révisions constitutionnelles ni les nouvelles constitutions (charte 1976, constitution 1989, constitution 1996) ne rompent avec cette procédure. C’est comme si le peuple n’était pas concerné par les affaires du pays.
Enfin, en dépit de l’espoir suscité par le hirak et la détermination de la grande majorité du peuple algérien de rompre avec les pratiques viciées du régime, le nouveau locataire d’El Mouradia n’éprouve aucune gêne. Comme ses prédécesseurs, il va élaborer une constitution propre à ses ambitions. Comme ses prédécesseurs, il l’appellera la constitution du peuple algérien, et ce, malgré l’absence de sa caution. Pour faire passer son projet, il s’appuiera sur une minorité bruyante, vorace et profiteuse. Mais, cela ne doit pas empêcher le peuple algérien de poursuivre son combat pacifique jusqu’à ce qu’il se donne sa première constitution, élaborée par ses propres représentants.