
Il y a un quart de siècle, les opposants algériens se sont réunis à Rome en vue de proposer une solution à la crise politique issue du dernier coup d’État militaire, perpétré un certain 11 janvier 1992. Est-ce que le régime a tiré les enseignements de cette crise ? Bien que le contexte soit différent, force est de reconnaître que la crise subsiste encore. Celle-ci se résume par l’absence de la légitimité de responsables en place.
Bien entendu, avant de tenter une comparaison entre la crise de 1992 et celle de 2019, il y a une question qui s’impose : quelle est la part du coup d’État de janvier 1992 dans la détérioration de la crise politique actuelle ? De nature liberticide, le coup d’État –quel que soit son auteur –ne peut que dégrader la situation. Espérant que cette leçon a servi aux démocrates à temps partiel.
En tout état de cause, sans l’entêtement du pouvoir en 1995, l’Algérie n’aurait pas connu ni le règne destructeur de Bouteflika ni ses conséquences désastreuses. De la même manière, le hirak ne verrait peut-être pas le jour si la plateforme de Sant Egidio était mise en œuvre. En effet, sous la houlette de la génération d’or de la révolution algérienne, à leur tête feu Hocine Aït Ahmed, les participants à la rencontre de Rome ont adopté, à l’unanimité, le principe de non-violence pour accéder au pouvoir ou pour s’y maintenir.
Bien que le détenteur du pouvoir soit tenté de rester le plus longtemps aux responsabilités –aucune dictature n’a démenti cette tentation à la longévité –, les opposants algériens ont consacré le principe de l’alternance au pouvoir. Ce que le mouvement populaire suggère dans l’application des articles 7 et 8, en 1995, ils l’ont formulé comme suit : « les institutions librement élues ne peuvent être remises en cause que par la volonté populaire. »
De la même façon, le problème de la corruption ne se serait pas aggravé s’il y avait eu l’application de la séparation des pouvoirs telle que préconisée par ladite plateforme. En tout cas, quand un exécutif s’empare des pouvoirs législatif et judiciaire, toutes les dérives peuvent survenir. Sous le règne de Bouteflika, non seulement le pouvoir exécutif a fait une OPA sur tous les autres pouvoirs, mais il s’est attaqué méthodiquement à détruire tous les tissus de la société, à savoir les associations, les syndicats, etc.
Et quand le 22 février 2019, le peuple algérien s’est soulevé contre l’humiliation, la hogra et la privatisation de l’Algérie, le clan vainqueur –au mois de mars, une lutte sans pitié a opposé le DRS à l’EMG –ne trouve aucun interlocuteur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la majorité du peuple algérien, regroupée autour du hirak, a raison de ne pas dialoguer avec ceux qui ont mis le pays à genoux.
Pire encore, en phagocytant toutes les organisations sociétales, depuis le 22 février, c’est l’état-major de l’armée qui incarne le pouvoir apparent. Or, un militaire –quel que soit son grade –n’est qu’un fonctionnaire de la République. Dans les pays qui se respectent, il n’a aucun rôle politique à jouer. Son rôle se limite à la mission que lui a été préalablement fixé par les représentants du peuple. Pour la sensibilité de sa mission, la République le rémunère à la hauteur de ses sacrifices. C’était le vœu des rédacteurs de la plateforme de Sant Egidio. Et si cette dernière avait été adoptée, la feuille de route de l’état-major, après l’application de l’article 102, n’aurait eu aucune raison d’exister. Hélas, à chaque fois, les bonnes propositions sont rejetées, dans le fond et dans la forme, par le régime.