
La suppression du second tour des élections législatives, prévu le 16 janvier 1992, a plongé le pays dans une crise abyssale. Si les jusqu'au-boutistes des deux bords favorisaient l’affrontement, les organisations politiques nationales ne devaient pas s’aligner sur les positions de l’une ou de l’autre partie.
Mais, pour pouvoir décider en toute autonomie, les partis ne devaient pas être redevables envers les officines. Bien que les critiques envers le FFS aient été les plus acerbes, force est de reconnaître qu’en janvier 1992 le parti dirigé par feu Hocine Aït Ahmed était le seul parti sans tutelle. Fidèle à ses convictions, le fondateur du FFS était l’un des rares hommes politiques à préconiser la poursuite du processus électoral.
Toutefois, la reprise en main du processus par le haut commandement militaire –les militaires en général ne sont pas politisés, contrairement à leur hiérarchie –a conduit le pays à la tragédie. Bien évidemment, cette présentation n’excuse pas le recours à la violence par les intégristes du FIS. Car, même au moment de l’apaisement, la frange radicale du FIS ne jurait que par la violence.
Devant cette situation, que devait faire une organisation politique normale ? Quand un conflit éclate, les hommes responsables pensent avant tout à éteindre le feu. Hélas, en Algérie, des partis se réclamant de la démocratie apportaient un soutien indéfectible au haut commandement militaire, dont le but sous-jacent était de refermer la parenthèse démocratique.
Ainsi, malgré les réserves du FFS lors de la grande mobilisation du 2 janvier 1992, la guerre devenait inéluctable. Hélas, dans toutes les sales guerres, ce sont les populations qui payent les pots cassés. Ce conflit a donc pris en tenaille la population désarmée, et ce, bien qu’elle ait été pour rien dans les choix des belligérants.
En tout état de cause, il a fallu attendre trois longues années pour que les principales organisations nationales se réunissent à Rome en vue de proposer une solution de sortie de crise. A l’initiative de Hocine Aït Ahmed, celle-ci s’est réunie du 8 au 13 janvier 1995. En plus, cette rencontre a été le fruit d’une discussion amicale entre deux grands dirigeants. « J’ai rencontré d’abord Mehri [secrétaire général du FLN]. J’étais stupéfié du fait qu’il accepte un dialogue à l’étranger», a raconté Hocine Aït Ahmed cet épisode. Toutefois, si avec le chef réformateur du FLN il n’y avait pas eu beaucoup de mal à trouver un terrain d’entente, il n’en était de même avec le responsable du FIS en exil, Anouar Haddam. Mais, cette intransigeance n’a pas résisté aux arguments persuasifs de Hocine Aït Ahmed.
Pour revenir à l’esprit de la rencontre de Sant ‘Egidio, il n’y avait aucune condition à la participation. Car, son seul but, c’était de parvenir à proposer une plateforme capable de sortir le pays de la crise. Bien que les trois fronts présents à Rome aient représenté 99% des suffrages en décembre 1991, le souci des participants consistait à protéger les institutions républicaines. « Les institutions librement élues ne peuvent être remises en cause que par la volonté populaire », ont suggéré les participants dans le point 6 de la plateforme de Sant ‘Egidio.
Dans le même esprit, les participants ont souhaité que le rôle de l’armée soit limité « à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde et de l’indivisibilité du territoire national. » Malheureusement, jusqu’à nos jours, le haut commandement militaire continue d’être un acteur politique de premier plan. Les différents cadrages et mises en garde de Gaïd Salah sont, si besoin est, une forme de l’ingérence de l’armée dans les affaires politiques.
Enfin, malgré les meilleures volontés de l’opposition réunie à Rome, le régime et ses alliés éradicateurs ne voulaient pas entendre de solution politique à la crise. Pour eux, celle-ci ne pouvait connaître son épilogue qu’en anéantissant l’adversaire. Mais, ce qu’ils ignoraient, c’est que les principales victimes étaient des citoyens désarmés.
La création de la milice en 1995 représentait une adhésion d’une partie des citoyens à la solution armée et non une implication des citoyens pour sauver la République. Et pour cause ! La plupart de ces militants étaient des partisans acharnés du coup d’État en janvier 1992. D’où le rejet de la plateforme dans le fond et dans la forme. Pire encore, ce rejet de toute solution politique perdure jusqu’à nos jours. En dépit des dangers qui menacent le pays, la politique du pays se résume à sa dimension sécuritaire. Or, le pays a besoin d’un consensus politique permettant de définir l’organisation du pouvoir. C’est l’esprit de la plateforme de Sant ‘Egidio.
Aït Benali Boubekeur