
Le décès en décembre 2015 de la figure de proue du mouvement national, Hocine Aït Ahmed, ne se résume pas à la disparition de l’homme. C’est indubitablement un pan de l’histoire qui s’en est allé. En 70 ans de combat, son engagement était toujours en faveur d’une Algérie libérée, pendant la période coloniale, et d’une Algérie démocratique après le recouvrement de l’indépendance.
Pour parler de ce monument de l’histoire –un combat que l’on ne peut pas résumer en quelques lignes –, il faudrait remonter aux années 1940, plus précisément à son arrivée à Alger vers la fin de l’année 1942. Ainsi, au moment où le débat se focalisait sur la situation de la France occupée ou dans le cas échéant le soutien à l’Allemagne nazie –cette dernière opinion était minoritaire au sein du parti indépendantiste –, une partie de la jeunesse voulait lutter pour le compte de son pays, l’Algérie. C’est à cette date que se situe le premier engament politique de Hocine Aït Ahmed à l’âge de 16 ans.
Malgré son jeune âge, le rôle de Hocine Aït Ahmed ne cessait de prendre de l’ampleur. Après les événements sanglants du 8 mai 1945, il est rentré en rébellion contre le système colonial. Responsable local du PPA (parti du peuple algérien), il était l’un des éléments actifs qui ont prévu de passer à l’action directe le 23 mai 1945. Cette insurrection a été stoppée, faut-il le rappeler, à la dernière minute par la direction nationale du PPA.
Cependant, bien que les autorités coloniales aient repris le contrôle des colonies, il n’en demeure pas moins que les nationalistes déterminés ne voulaient pas abdiquer. C’est cette conviction qui a permis à Hocine Aït Ahmed de graver les échelons au sein du parti. Ainsi, en février 1947, il a été désigné membre du comité central du MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratique), et également adjoint de Mohamed Belouazdad à la tête de l’OS (organisation spéciale). Sept mois plus tard, il a succédé à son chef, souffrant de la maladie de tuberculeuse.
Prenant son rôle à cœur, Hocine Aït Ahmed a préparé un programme révolutionnaire au comité central élargi, tenu à Zeddine en décembre 1948. Pour l’éminent historien Mohamed Harbi, « ce document est l’analyse la plus cohérente et la plus radicale produite alors par un dirigeant algérien. » En tout cas, en dépit des réticences de Messali Hadj –son chantage à la révolution était purement tactique –, les jeunes révolutionnaires ont pris date à partir de cette rencontre de Zeddine.
Hélas, cet élan a été contrarié –voire stoppé – par la crise dite berbériste. Ignorant les préparatifs de l’action directe, quelques militants de la fédération de France du MTLD ont fait adopter une motion contestant l’orientation du parti. Cela étant dit, leur définition de l’Algérie était plus correcte que celle que voulait imposer Messali Hadj. En effet, une Algérie algérienne englobait toutes les sensibilités contrairement à une certaine conception exclusiviste.
Pour Hocine Aït Ahmed, ce qui était préjudiciable dans cette affaire, c’est la mise en sourdine du projet révolutionnaire. De toute évidence, cette crise était une aubaine pour Messali Hadj en vue de régler ses comptes avec le courant activiste et quelques adversaires internes. Sinon comment expliquer l’exclusion de Lamine Debaghine, un arabophone, dans le même sillage ?
Néanmoins, malgré l’éviction de Hocine Aït Ahmed à tête de l’OS en été 1949, il n’était pas possible d’enlever l’idée révolutionnaire à un militant aussi engagé. Après une courte période de vide, Hocine Aït Ahmed a rejoint la délégation extérieure du PPA-MTLD au Caire en mai 1952. Quelques mois plus tard, il a eu son premier baptême de feu diplomatique. En janvier 1953, il a représenté le parti indépendantiste à la conférence des partis socialistes asiatiques en Birmanie. La même année en Algérie, c’est le parti indépendantiste qui vivait sa crise la plus profonde. Après s’être appuyé sur les modérés pour exclure les activistes en 1949, vers la fin 1953, Messali Hadj réclamait les pleins pouvoirs pour se débarrasser de ses alliés d’hier, Hocine Lahouel, Ben Youcef Ben Khedda, etc.
Pour se démarquer de cette querelle inutile, un groupe d’activistes a remis le projet révolutionnaire sur la table. Le 1er novembre 1954, neuf chefs historiques ont déclenché la révolution. Celle-ci devait permettre la restauration de la République algérienne démocratique et sociale, et ce, dans le respect des principes de l’Islam. Avec de maigres moyens, chaque militant, en arme ou pas, se démenait pour apporter sa pierre à l’édifice.
Bien que les militants du terrain aient la charge la plus lourde, le travail diplomatique n’était pas négligeable. En tout cas, la mission de faire connaître la cause algérienne avait une grande priorité. Six mois après le déclenchement de la lutte, Hocine Aït Ahmed a dirigé la délégation algérienne à la conférence des non alignés à Bandoeng. Dans la foulée, il a ouvert le bureau du FLN à New York, tout près du siège de l’ONU.
Hélas, le 22 octobre 1956, il a été arrêté en compagnie des membres de la délégation extérieure du FLN. Même emprisonné jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, cela ne l’a pas empêché de suivre le déroulement des événements et de préconiser ses solutions de sortie de crise. Ainsi, au conflit né après les décisions de la Soummam, Hocine Aït Ahmed a proposé dès avril 1957 la formation d’un gouvernement provisoire, censé rassembler toutes les énergies. Pour ceux qui lisent entre les lignes, cela aurait permis d’éviter des déchirements superflus et des disparitions regrettables.
Enfin, avec des hauts et des bas, cette génération a réussi à mener le bateau révolutionnaire à bon port. Après 1962, c’est un autre combat qui a commencé. Avec la même détermination, Hocine Aït Ahmed a déployé la même énergie pour l’instauration d’une démocratie effective en Algérie.
Aït Benali Boubekeur