Ce texte est extrait d'une interview de Hocine Ait Ahmed (ici la partie consacrée à l'assassinat de Matoub Lounès).
Le Nouvel Observateur : Quelle est selon vous la signification pour la Kabylie de la l'assassinat de Matoub Lounès ?
Hocine Ait Ahmed : je suis révulsé par ce meurtre abominable. On a supprimé un homme emblématique, un homme de conviction. on a endeuillé une famille et toute une région. Le meilleur hommage à lui rendre doit être pacifique et non violent, un hommage digne parce que Matoub Lounès était un homme de dignité. Bien sûr, cet assassinat ne pouvait que déboucher sur une réaction populaire très forte, parce qu'il représentait quelque chose d'extrêmement puissant. Il y avait un rapport magico-mystique entre lui et la population. Et pas seulement avec les kabyles. Une sorte d'attachement à l'artiste qui sait trouver les mots pour exprimer les idées, les sentiments d'une population, de toute une jeunesse. Son désespoir, ses frustration, son courage.
Matoub Lounès, lui non plus, n'avait jamais peur, ni des islamistes ni du pouvoir. En l'exécutant, on a voulu atteindre en plein cœur la région et ceux qui l'habitent. Je comprends très bien la réaction de la jeunesse : dégradation sociale, violence, exclusion politique et culturelle… la Kabylie est un véritable baril de poudre, et à l'évidence, le pouvoir n'a rien compris aux émeutes d'octobre 1988. Quant à l'identité de ses assassins, vous savez la difficulté, en Algérie, d'identifier les véritables auteurs de la violence.
Dimanche, par exemple, à Tazmalt, c'est le maire, chef de la milice, qui a tiré et tué un manifestant. Cette prolifération des seigneurs de la guerre s'ajoute aux activités des groupes paramilitaires et crée une situation inextricable. voilà pourquoi nous avons demandé une commission d'enquête pour mettre fin à l'impunité qui encourage les règlements de comptes.