Toute la difficulté pour les auteurs d’un coup d’État est de le faire passer pour une action légitime. Bien que le régime mis en place par Ben Bella –soutenu par ses tombeurs jusqu’à ce qu’il fasse un pas envers le FFS de Hocine Aït Ahmed –soit antidémocratique, son renversement obéit à la même logique autoritaire, voire, dans une certaine mesure, plus rétrograde.
Pour paraître légaliste, l’équipe putschiste tente, dans la foulée des événements du 19 juin 1965, de justifier le coup d’État. Pour ce faire, Boumediene et ses acolytes font « porter de façon systématique le chapeau à un seul homme, en l’occurrence A. Ben Bella, de tout ce qui n’allait pas dans l’Algérie indépendante », écrit Abdelkader Yafsah, dans « la question de pouvoir en Algérie ».
Composé de 25 membres, dont 18 militaires de carrière, le conseil de la révolution tente vaille que vaille de démontrer que Ben Bella a écrasé l’armée. Cette thèse ne tient évidemment pas la route. Car, si tel avait été le cas, « ils n’auraient pas congédié aussi facilement qu’ils l’ont fait de la présidence de la République et de tous les postes qu’il cumulait », note le politologue.
Dans ce cas, est-ce que le 19 juin 1965 sert à corriger la dérive révolutionnaire, comme le prétendent les putschistes ? Pour que cette allégation soit effective, il faudrait qu’il y ait une rupture avec la gestion des affaires entre 1962 et 1965. Selon Abdelkader Yafsah, « les explications que fourniront les auteurs du coup d’État, pour justifier leur entreprise et légitimer leur pouvoir, apparaîtront comme autant « d’alibis », d’autant plus que, dans leur exercice du pouvoir, ils tomberont et suivront les mêmes travers politiques que ceux qu’ils dénonçaient chez Ben Bella et qui avaient motivé leur intervention armée pour y mettre fin. »
En tout cas, il existe au moins un volet où le régime de Boumediene surclasse son prédécesseur. C’est indubitablement celui des assassinats politiques. Deux chefs historiques, Mohamed Khider et Krim Belkacem, payent le prix de leur opposition au régime de Boumediene. Quant à Hocine Aït Ahmed, il n’échappe au traquenard que grâce à sa méfiance au régime.
Sur le plan interne, malgré les annonces des putschistes de vouloir rectifier la trajectoire de la révolution, depuis juin 1965, les institutions sont privatisées plus que jamais. Bien qu’elle ne soit pas démocratique, car élaborée en dehors de la volonté populaire, la constitution de 1963 et ensuite la charte d’Alger d’avril 1964 permettaient au moins de définir le rôle de chaque organisme, dont celui de l’armée.
Or, depuis juin 1965, toutes les institutions du pays sont suspendues. Il faudra attendre 11 ans pour qu’une constitution voie le jour. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-ci est pire que celle de 1963 en ce sens qu’elle aggrave le pouvoir personnel.
Pour conclure, il va de soi que le 19 juin n’a fait qu’exacerber l’accaparement du pouvoir. Au mauvais démarrage en 1962, où le prédécesseur de Boumediene s’est démené à détruire toutes les forces saines du pays, le coup d’État de juin 1965 plonge davantage le pays dans l’abime. En effet, pour le spécialiste de la question du pouvoir en Algérie, Boumediene précipite le pays dans une crise multidimensionnelle. « Treize ans après le coup d’État de juin 1965, les mêmes problèmes demeurent. Ils se nomment toujours bureaucratie, féodalisme, analphabétisme, indifférence et non-engagement politique », écrit-il.
Pire encore, 52 ans après le coup d’État, le régime, qui règne sans discontinu, ne semble vouloir faire ni son mea-culpa ni tirer les leçons de ces échecs. En tout cas, si les Algériens ne se réapproprient pas les institutions, le règne injuste pourra encore durer 100 ans, pour paraphraser une des porte-voix du régime.
Aït Benali Boubekeur