Le 22 octobre 1956, l’avion transportant la délégation extérieure du FLN, composée de Hocine Ait Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella et Mustapha Lacheref, est détourné par l’armée française sur Alger. Censé atterrir à Tunis, où la délégation extérieure devait participer à la conférence maghrébine, le rapt aérien a tué dans l’œuf le projet des trois pays de constituer un front commun.
Dans la réalité, malgré toute la volonté de ces trois pays, le renforcement du pouvoir de l’armée française renvoie toute solution politique de la crise algérienne aux calendes grecques. Ainsi, bien que le président du Conseil, Guy Mollet, ait encouragé des contacts avec les responsables du FLN, il n’en reste pas moins que, sous la IVème République, le pouvoir militaire a pris le pas sur le pouvoir politique. Depuis le vote des pleins pouvoirs à l’armée, le 12 mars 1956, le pouvoir civil devient l’ombre de lui-même.
Ainsi, lorsque la cellule marocaine du SDECE (service secret français) communique le plan de vol de la délégation extérieure du FLN aux responsables militaires d’Alger, la décision de détourner l’avion ne met pas beaucoup de temps à se dessiner. Profitant de l’absence du président du Conseil à Paris, les militaires se contentent de faire part de leur plan au secrétaire d’État à la Défense, Max Lejeune.
Néanmoins, contrairement aux allégations de Ben Bella sur la trahison du roi Mohammed V, compte tenu de la présence de l’armée française dans les trois pays –bien que le Maroc et la Tunisie soient indépendants depuis quelques mois –, les faits et gestes des révolutionnaires algériens sont scrutés à la loupe. Et si le roi Mohammed V ne voulait pas aider l’Algérie à recouvrer son indépendance, il ne tolérerait pas l’installation de l’ALN sur son territoire pendant tout le conflit. Et si Ben Bella s’est imposé en 1962, c’est parce que les troupes stationnées au Maroc, à leur tête Houari Boumediene, ont décidé d’imposer leur vision au pays.
De toute évidence, même si l’armée française a cru asséner un coup dur à la révolution, force est de reconnaître que cette capture a été bénéfique dans une certaine mesure. Car, à la même époque, le conflit entre l’Intérieur et l’Extérieur –le seul membre de la délégation extérieure à se démarquer de cette lutte fratricide stérile, c’est Hocine Ait Ahmed –atteint son paroxysme. D’ailleurs, s’il y avait eu le moindre accord, signé au nom de la révolution sans l’aval de l’Intérieur, les dirigeants issus de le Soummam l’auraient dénoncé.
Toutefois, si cet acte de piraterie aérienne donne, pour quelque temps, un avantage au CCE (comité de coordination et d’exécution), le travail de sape de Ben Bella d’un côté et la répression française de l’autre côté, obligeant les membres du CCE à quitter le territoire national, finissent par affaiblir les organismes dirigeants de la révolution. Cette faiblesse sera exacerbée par les seigneurs de la guerre à tel point qu’à l’indépendance, le pouvoir reviendra à celui qui aura construit une grande colonne de soldats.
En dépit de la solution préconisée par Hocine Ait Ahmed de former un gouvernement unitaire en avril 1957, chaque groupe campe sur ses positions. Bien que des militaires se soient éloignés d’Abane Ramdane en août 1957, lorsque Ben Bella retrouvera sa force en 1962, en s’alliant avec Boumediene, il punira tous les chefs qui ont travaillé avec le Jean Moulin algérien. À tel point que même le prestigieux « lion des djebels », Krim Belkacem, sera interdit de figurer sur la liste des membres du bureau politique comme voulu par Ben Bella. Et si ce dernier avait accepté, à Tripoli, la présence de Krim au BP, il n’y aurait probablement pas eu la crise de l’été 1962.
Pour conclure, il va de soi que cet acte de la piraterie aérien relève surtout de la faiblesse de la IVème République (1946-1958). En effet, dès le début de l’année 1956, les militaires français deviennent les véritables décideurs. Ce sont ces mêmes militaires qui décideront, deux ans plus tard, d’achever cette République pour en faire une autre plus dure. Il faudra alors tout le génie du général de Gaulle pour que le pouvoir revienne aux civils. Du côté algérien, les bisbilles entre l’Intérieur et l’Extérieur, notamment après la tenue du congrès de la Soummam, provoquent la reprise en main du pouvoir par les militaires. Une situation hélas qui pénalisera l’Algérie pendant plusieurs décennies.
Par Aït Benali Boubekeur