26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 13:40

Par Said Radjef. Le 26 novembre 2016

Ce matin j'ai rencontré ma mère alors qu'elle se rendait aux Ouadhias…Pendant un instant j'ai cru qu'elle allait passer et m'ignorer. Ma mère n'aime pas ma femme qui m'a donné trois filles, qui est incapable de me donner un garçon, et elle n'aime pas non plus Ali Zamoum qui m'a marié… Ma mère avait beaucoup de projets pour moi… Mais elle s'est arrêtée pour me dire quelques mots: "Fils, on ne peut plus sortir à Mechtras à présent, il n'y a que des voyous et des délinquants; autrefois il n'y avait pas tout cela", me dit elle avec amertume et tristesse. Et d'ajouter: "Et tes filles, comment vont-elles?". Bien mère lui ai-je répondu avec fierté. J'étais vraiment content de savoir qu'elle pense à mes filles…Et comme ça d'un seul coup, je me suis rappelé de la maison, du temps ou grand-mère dirigeait d'une main de fer "l'intérieur et l'extérieur"…Rien ne lui échappait, malgré sa cécité. Avec son chien berger Twist, elle faisait régner la terreur aux Ait Kaci et au-delà. Les seuls qui pouvaient lui tenir tête et la contredire, Cheikh Akli, le directeur de l'école, qu'elle n'a jamais aimé en raison de sa conversion au christianisme, les deux grands marabouts du village Toumi Si Mohand Ouali et Si El Hadj cherif, le compagnon intime de grand père. A la maison, il n'y avait ni télévision, ni radio, ni réfrigérateur…Il n'y avait que les vaches, la trique, l'autorité et la discipline de grand-mère …Et comme ça un jour, elle apprit par la bouche de l'une ses brus cafardeuse et jalouse que nana Taous cachait un transistor dans sa chambre et qu'elle écoutait discrètement la nuit tombée les chansons d'amour d'Ait Menguellet…Même la Gestapo et le KGB n'auraient pas été capables de la fouille qu'avait menée grand-mère. Elle trouva le transistor; elle le confisqua et répudia sur le champ nana Taous chez ses parents, à Assi Youcef. Nana Taous était belle, d'une beauté angélique, et avait une allure qui resplendissait d'élégance et de charme. L'incident fut couvert de la plus grande discrétion…Personne ne devait savoir qu'une famille des Ait Kaci avait une radio chez elle, à la maison; il fallait éviter à tout prix l'humiliation des voisins…
Tout le temps que leur mère était répudiée et que leur père se trouvait à des milliers de kilomètres au nord de la France, mes cousins n'ont pas versé une seule larme ou prononcé une seule fois le nom de leur mère. 
A son retour de Lille, six mois après, durant un été particulièrement caniculaire, vava Arezki, l'époux de nana Taous, dut sollicité la bénédiction des deux grands marabouts pour franchir le seuil de la maison et faire face au regard terrifiant de grand-mère… 
Quelques années après, alors jeune lycéen à Polyvalent (lycée Amirouche), la folie du transistor tomba soudainement et de nouveaux gadgets firent brusquement leur apparition, révolutionnant tout sur leur passage, nos traditions, notre culture, notre identité… 
Aujourd'hui, dans chaque foyer Kabyle, il y a trois ordinateurs, deux télévisions, un portable pour chaque membre de la famille qui nous empêche de connaitre nos enfants…

commentaires

M
Souvenir implacable d'une détresse sociale au bord du gouffre, c'est à dire du néant. Jadis , comme le dit si bien notre ami Said, les mères, les grand-mères étaient le pilier de la chaque foyer Kabyle, elles décidèrent de tout en surveillant tout. Les enfants, leurs épouses, les petits enfants étaient tous là à entourer leur mère et grand-mère avec autant de précaution qu'un bijou en or. La grand-mère était le guide, la mère était cette courroie de transmission entre les jeunes et les moins jeunes. Oui, c'était jadis, mais en ces dernier temps, nous trouverons des postes radios, des ordinateurs, des tv numériques, des modems pour l'internet et enfin chaque membre de la famille possède son portable, tout ce beau-monde est branché sur le virtuel en délaissant le réel, c'est à dire les mères et les grand-mères.<br /> Le début d'une dislocation de la société kabyle.
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A
Bonsoir Mr Mellah. Moi aussi, j'ai apprécié le témoignage de notre ami Said Radjef. Quand on a échangé quelques mots sur facebook, je lui ai dit que son texte pointait du doigt ce qui a conduit notre société à la perte de ses repères. Votre commentaire résume également cette dislocation.

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  • : L’école algérienne ne s’est pas attelée, en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, à la transmission du savoir. L’idéologisation de l’école l’a emporté sur les impératifs de la formation. Or, les concepteurs de ces programmes préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles occidentales. Du coup, la connaissance de l'histoire ne passe pas par l'école.
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