12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 19:54
Présentation succincte du groupe des neuf chefs historiques.

La particularité de la révolution algérienne, c’est que dès sa genèse elle s’appuie sur un groupe restreint. Contrairement aux révolutions classiques où la direction du mouvement prend la suite des manifestations en vue de les canaliser, celle du 1er novembre 1954 emprunte le chemin inverse. En effet, c’est ce groupe qui ouvre la voie aux différents groupes sociaux.

Cela dit, bien que les neuf chefs historiques soient tous issus du parti indépendantiste, le PPA-MTLD, dont la lutte armée fut une option privilégiée, il n’en demeure pas moins que leur tâche n’est pas une sinécure. En fait, la crise du parti qui a conduit aux désaccords profonds entre Messali et son comité central a failli remettre en cause le projet indépendantiste.

D’ailleurs, en 1953, personne ne pouvait tabler sur le lancement d’un tel mouvement. Et qui plus est, la neutralisation des anciens de l’OS (organisation spéciale) était voulue par les deux groupes rivaux du parti.

Toutefois, même s’ils parviennent à se mettre d’accord sur le déclenchement de la guerre d’Algérie, chacun d’eux a sa propre personnalité, son statut social et ses capacités intellectuelles. Commençant sa description par le plus emblématique d’entre eux, Gilbert Meynier écrit : « à tout seigneur, tout honneur : Hocine Ait Ahmed… »

Pour lui, Hocine Ait Ahmed est le plus intellectuel des neuf. Les deux chefs historiques qui peuvent avoir un niveau proche de lui sont Mohammed Boudiaf et Larbi Ben Mhidi. « Du point de vue culturel, Boudiaf et Ait Ahmed sont à plusieurs coudées au dessus des autres… Lui et Ben Mhidi sont des passionnés de l’histoire des nations (l’Irlande, la Révolution française) et cinéphiles enthousiastes », écrit-il.

À l’opposé, à en croire Gilbert Meynier, on trouve Ahmed Ben Bella. « Pour ce dernier, rester un notable de bourg représente un statut insuffisant. Ce qui l’intéresse, c’est le pouvoir, non les préceptes moraux, l’éducation politique ou la recomposition sociale », note l’historien.

Quant à Ben Boulaid, il se distingue par son sens de l’organisation. Bien qu’il ne soit pas, selon Gilbert Meynier, du même niveau que Boudiaf, Mustapha Ben Boulaid apporte une aide tant matérielle qu’intellectuelle à l’organisation du 1er novembre 1954.

Dans un autre registre, Didouche Mourad et Rabah Bitat ont un point en commun : ils sont des militants révélés par le parti. En d’autres termes, ils doivent tout au parti. Mais la comparaison s’arrête là. Ainsi, bien qu’ils soient de la même génération, Didouche Mourad est le plus engagé des deux. En effet, malgré son jeune âge, Didouche Mourad assume un rôle prépondérant après la scission du parti indépendantiste, le PPA-MTLD.

Le plus vieux des neuf, en l’occurrence Mohammed Khider, est quasiment le seul à avoir milité au sein de l’ENA (étoile nord-africaine), en 1934. Après avoir exercé comme cheminot, sa formation en langue arabe –avec Ait Ahmed, ils sont les deux chefs historiques à avoir une maitrise parfaite de la langue arabe –va s’avérer essentielle lors de son séjour au Caire en sa qualité de chef de la délégation extérieure du PPA-MTLD et ensuite de membre de la délégation extérieure du FLN.

Enfin, le cas de Krim Belkacem est un peu particulier. Des neuf chefs historiques, il est le seul à avoir pris le maquis, sept ans plus tôt, contre le régime colonial. Mais, paradoxal que cela puisse paraître, sa famille est celle qui « doit tout à l’administration française », écrit Gilbert Meynier. Ainsi, plus que les autres, il doit montrer davantage de détermination. Ce qui fera de lui à la fin de la guerre l’un des hommes clés de la révolution algérienne.

Dans cette longue liste, il y a un homme d’une grande valeur qu’il faut associer au groupe. Il s’agit évidemment de Ramdane Abane. En effet, s’il n’était pas en prison depuis 1951, dans le cadre des arrestations découlant du démantèlement de l’OS en 1950, il serait sans doute un membre à part entière du comité restreint. D’ailleurs, dès sa libération en janvier 1955, les dirigeants de la révolution prennent aussitôt attache avec lui pour qu’il les rejoigne.

C’est donc ce groupe hétéroclite qui décide, le 1er novembre 1954, d’écrire la nouvelle page de notre pays. Sur le plan organisationnel, ce groupe part avec un handicap de taille : le principal parti indépendantiste est paralysé par une crise abyssale. Mais, grâce au talent d’Abane, celle-ci est exploitée par les dirigeants pour qu’elle devienne un point fort. Ainsi, dès le premier tract du FLN, rédigé par Abane Ramdane le 1er avril 1955, la révolution est présentée comme le dépassement des partis. Ce travail de rassemblement national se concrétisera à la Soummam en aout 1956.

Cependant, la durée du conflit va s’avérer néfaste à la jeune révolution. L’émergence de nouvelles têtes vide le mouvement de son esprit initial. La liberté ne sera pas pour tous, mais pour ceux qui parviennent à s’emparer du pouvoir. Ainsi, après avoir passé la guerre à l’extérieur, ces nouveaux chefs imposent un modèle contraire à l’esprit du 1er novembre 1954.

Après l’indépendance, et surtout après le coup d’État du 19 juin 1965, tous les chefs historiques, à l’exception de Rabah Bitat qui se contente de jouer un rôle sous l’ombre de Houari Boumediene, sont soient emprisonnés, soient forcés à l’exil ou carrément exécutés (Khider en 1967 et Krim Belkacem en 1970).

Pour conclure, il va de soi que les neuf chefs historiques marquent de leur empreinte l’histoire de l’Algérie. En effet, après la fin d’un cycle politique, incarné par Messali, ils ont su trouver les ressources nécessaires en vue d’en commencer un autre, et ce, alors que tous les indices ne leur étaient pas favorables.

Enfin, malgré leur élimination par les nouveaux dirigeants, après l’indépendance du pays, ils demeurent –sans que l’on n’établisse aucune hiérarchie entre eux –le symbole de la nation. Les Algériens le reconnaissent bien, en témoigne la ferveur populaire accompagnant à sa dernière demeure le dernier chef historique, Hocine Ait Ahmed.

Aït Benali Boubekeur

commentaires

M
Certes c'est une particularité d'avoir un groupe de militants, sans leader confirmé, pour lancer la révolution de Novembre 54, toutefois cette situation débouche sur des malentendus et des dissensions entre ces mêmes éléments. Preuve, que l'été 1954, ces dissensions ont failli capoter le programme du déclenchement de la révolution: Crise ouverte au sein du MTLD entre messalistes et centralistes désespère les militants. Pour sortir de l’impasse, Mohamed Boudiaf regroupe dans le CRUA les anciens cadres de l’Organisation spéciale (OS) puis il s’efforce de réunifier les deux tendances. En vain, car pendant l’été 1954, la scission du MTLD devient effective. En 1954, le congrès extraordinaire du MTLD tenu dans des conditions démocratiques jamais contesté, les 14-15 juillet à Hornu, a rejeté les thèses réformistes des Centralistes, refondu le MTLD sur des positions révolutionnaires et ouvert la perspective du déclenchement de l’insurrection en décembre 1954.<br /> Cette particularité d'avoir des "leaders" fut ressortie en 1962, après l'indépendance où chacun se dit "je suis le maître à bord", ce qui déboucha sur l'arrivée des hommes de Oujda qui contestèrent la légalité du GPRA, ce qui déboucha vers un premier coup d'Etat, pour enfin arriver à un autre coup d'Etat celui de 1965. Et ce n'est pas terminé puisque à la mort de BOUMEDIENNE , ce fut l'intervention des militaires - particularité oblige- qui désignèrent CHADLI à la tête du pays: cette légitimité historique qui n'en finit pas. Habilement exploitée en 1992 qui mena à la tête du pays un HCE présidé d'abord par Feu Md BOUDIAF et puis par Ali KAFI. Cette particularité se manifeste aussi en 1998, afin de faire appel à un ... frelon issu de nul part. <br /> Nous continuons , en 2016 , à subir cette particularité de la révolution Algérienne au point de nous détourner des véritables actes et enjeux démocratiques.
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M
Effectivement , cette présentation reste succincte eu égard aux honneurs de ces grands hommes de la guerre de libération. Néanmoins, il y'a lieu d'insister sur le caractère fort remarquable de la Kabylie qui avait pris de l'avance dans la lutte contre le colonialisme. Malgré leur participation à la guerre de l'indépendance , l'apport des uns par rapport des autres est différent. <br /> Dans VEILLÉE D'ARMES EN KABYLIE, Benjamin Stora- écrivit- La parole indépendantiste a été portée très tôt, dans la France de l'entre-deux-guerres, par les immigrés algériens - dont la plupart sont kabyles. Les Kabyles étant les plus nombreux en situation d'exilés, il n'est donc pas étonnant de les trouver en position de force dans la première organisation indépendantiste, l'Etoile nord-africaine (ENA). Fondée à Paris en 1926 avec le soutien actif du Parti communiste français (PCF), l'association affirme que "son but fondamental est la lutte pour l'indépendance totale de chacun des trois pays : Tunisie, Algérie et Maroc, et l'unité de l'Afrique du Nord".Le paradoxe veut qu'elle (ENA) soit dirigée par un homme de Tlemcen, ville située dans l'ouest du pays, loin de la Kabylie : Messali Hadj, né en 1898 dans une famille d'artisans et de cultivateurs.<br /> En France, de nombreux dirigeants originaires de Kabylie sont éliminés de la direction du mouvement, mais il n'en est pas de même en Algérie. De prestigieux chefs du mouvement nationaliste algérien sont originaires de Kabylie, comme Hocine Aït Ahmed, le responsable de l'Organisation spéciale, la branche armée du MTLD en 1948, Amirouche, redoutable chef de guerre pendant la guerre d'Algérie, ou Abane Ramdane, âme du premier congrès du FLN en 1956.<br /> En 1954, le dirigeant le plus connu, le plus prestigieux, est Krim Belkacem. Né le 14 décembre 1922 au douar Aït Yahia Moussa, près de Draa El-Mizan, il est le fils d'un garde champêtre. Il fréquente l'école Sarrouy à Alger et y obtient son certificat d'études. Le 1er juillet 1943, il entre dans l'armée en devançant l'appel de sa classe. Nommé caporal-chef au 1er régiment de tirailleurs algériens, il est démobilisé le 4 octobre 1945 et revient vivre a Draa El-Mizan, où il occupe le poste de secrétaire auxiliaire de la commune. Ce jeune homme de 23 ans se découvre lui-même, en même temps qu'il appréhende la misère sociale. Plongé dans une réalité où les douleurs sont muettes, il adhère au PPA.<br /> <br /> Au début de l'année 1946, il implante des cellules clandestines dans douze douars autour de Draa El-Mizan qui comptent plusieurs centaines de militants et sympathisants. En mars 1947, accusé d'avoir tué un garde forestier, il est pourchassé et décide de passer dans la clandestinité. Il déterre une mitraillette (une Sten anglaise, qui deviendra vite célèbre en Kabylie) et prend le maquis, suivi par quelques fidèles.<br /> <br /> Un des premiers maquis d'Algérie vient de naître, créé par un jeune homme de bonne famille, à peine âgé de 25 ans. La légende de Krim Belkacem, maquisard insaisissable, futur "chef historique" du FLN, futur négociateur de l'indépendance de l'Algérie, commence.<br /> Le 9 juin 1954, Krim rencontre, à Alger, Ben Boulaïd, puis Boudiaf et Didouche, qui parviennent à le convaincre de la nécessité d'une troisième force. Il rompt avec Messali Hadj en août 1954. Devenu le sixième membre de la direction intérieure du FLN, il est l'un des "six chefs historiques" qui décident le déclenchement de l'insurrection contre la France coloniale.Dans une ultime réunion à Alger, le 24 octobre 1954, avec les cinq autres responsables de l'insurrection, Mohamed Boudiaf, Mostefa Ben Boulaïd, Rabah Bitat et Larbi Ben M'hidi, Krim insiste pour que l'ordre de n'attaquer aucun civil européen sur tout le territoire soit respecté. Il y tient d'autant plus qu'il sait, après son attentat contre le garde forestier, combien une erreur de ce genre peut être catastrophique sur le plan de la propagande politique. Il recommande le "spectaculaire": attaquer des gendarmeries, des casernes, couper des routes, incendier et détruire des objectifs économiques.<br /> Dès l'indépendance de l'Algérie, en juillet 1962, il désapprouve la politique de Ben Bella et se retrouve écarté de la vie politique. Après le coup d'Etat du 19 juin 1965, il repasse dans l'opposition. Accusé d'avoir organisé un attentat contre le colonel Boumediène, il est condamné à mort par contumace. Krim Belkacem est découvert assassiné, en octobre 1970, dans une chambre d'hôtel à Francfort.<br /> C'est juste un complément à la présentation succincte, avec un détail majeur sur un grand artisan de la révolution.
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