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19 septembre 2015 6 19 /09 /septembre /2015 19:12
Création du GPRA : les contributions de Hocine AIT AHMED et d’Abdelhamid MEHRI, le 19 septembre 2008

Un anniversaire, c'est aussi un moment de retrouvailles. Non seulement retrouvailles entre compagnons de lutte, camarades et amis, mais également un moment où...se rappelant un évènement et le célébrant, on remet sur la table les rêves, les valeurs, les principes qui ont conduit à sa fondation. Les rêves, les valeurs et les principes qui ont conduit à la proclamation du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, GPRA.

Nous avons non seulement le devoir, de les rappeler – afin que nul n'oublie, mais nous avons aussi le devoir de les confronter aux réalités d'aujourd'hui, de voir ce que ces rêves, ces valeurs et ces principes sont devenus... afin que là aussi, nul n'oublie !

Ce que je vais vous dire aujourd'hui, j'ai déjà eu à l'écrire – en son temps – à mes camarades du CCE (Comité central élargi), la direction révolutionnaire de l'époque, dans un rapport que j'ai ultérieurement publié dans Guerre et Après Guerre :
« La constitution du GPRA a été – dans le cadre de la révolution – la réalisation du rêve de plusieurs générations d'Algériens : le rétablissement de la Dawla, de l'Etat. »

L'Algérie a été voulue par les Algériens comme un Etat représentant, incarnant, défendant les intérêts d'un peuple. Ceci est important à rappeler aujourd'hui.
Face aux oligarchies de toutes obédiences, face aux clans et autres regroupements infra-politiques ou para-politiques qui squattent l'espace public en privatisant l'Etat, spoliant le peuple, défigurant la société et la déstructurant.

Quelle question se pose aujourd'hui ? Est-ce que l'Etat voulu par des générations d'Algériens, par ce peuple qui a tant payé pour atteindre cet objectif est aujourd'hui bien incarné par le régime en place ?

Pour pouvoir répondre à cette question, il faut peut-être en poser une autre : Est-ce que les nouvelles générations, les Algériennes et les Algériens qui sont nés dans cet Etat, l'Algérie ; l'Etat algérien, dont ont rêvé les générations précédentes ; cet Etat qui a été gagné de haute lutte grâce à la révolution, est-ce que les jeunes d'aujourd'hui considèrent cet Etat comme le leur ? Ou bien le régime en place l'a-t-il à ce point éloigné de ses missions originelles, c’est-à-dire incarner, représenter et défendre les intérêts du peuple dans la diversité de ses composantes qu'il en a résulté un recul désastreux auprès de notre population et notamment des jeunes dont la colère contre le régime, se transforme en rejet de l'Etat ?

Quand on entend des responsables faire officiellement des procès en patriotisme à notre jeunesse, nous avons le devoir de leur rappeler, d'une part, quels étaient les principes fondateurs de l'Etat algérien et d'autre part, combien ils les ont bafoué !!

Et combien ils continuent quotidiennement de les bafouer !!

2e rappel toujours tiré du rapport au CCE : «La constitution d'un gouvernement est avant tout un acte politique devant par conséquent répondre à des impératifs d'ordre politique. Elle ne peut être conçue à partir de simples évocations historiques ou juridiques »

Parmi les raisons multiples qui ont conduit à la proclamation du GPRA il est nécessaire de rappeler la protection et le respect des droits de l'Homme. Dans notre souci politique, le GPRA avait l'ambition de faire appliquer les conventions de Genève, pour protéger notre population et nos combattants, pour interdire les bombardements de villages, pour interdire la prise d'otages et les représailles collectives, pour le respect du soldat... pour sauver nos jeunes de la guillotine, nos cadres de l'assassinat...

Qu'en est-il aujourd'hui de ces droits de l'Homme ? De ce souci de protéger notre population, nos jeunes, nos cadres et nos...soldats empêtrés dans la sale guerre ? Qu'en est-il aujourd'hui du droit à l'autodétermination du peuple algérien, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ?

On ne peut – par ailleurs – absolument pas évoquer la création du GPRA sans rappeler le Congrès de la Soummam, Congrès sans lequel la dynamique de l'unification des forces nationales n'aurait pas eu progressivement et rapidement la visibilité nécessaire à sa crédibilité ! Le GPRA s'est aussi inscrit dans ce souci de visibilité.

Bien sûr, cette date du 19 septembre avec la célébration du GPRA amène à l'esprit toutes les luttes, les souffrances et les sacrifices consentis par le peuple algérien, par les femmes et les hommes qui le composent. Par respect pour la mémoire de ceux qui ne sont plus, par devoir envers les nouvelles générations et celles qui sont appelées à venir, il est peut-être vital, essentiel de rappeler le pourquoi et le comment du combat pour l'indépendance algérienne.

Car il reste encore beaucoup de chemin à faire...

Pour que l'Etat soit de nouveau l'incarnation des rêves d'un peuple et le garant de la défense de ses intérêts... Pour qu'il ne soit plus ce cauchemar qui fait fuir par milliers nos jeunes. Et les moins jeunes... Il est utile, voire vital de préciser certaines choses. Chaque lutte renvoie au contexte historique et à l'environnement international qui sont les siens. Il s'agit d'être clair sur les combats à mener aujourd'hui.

L'Etat d'aujourd'hui n'est pas à confondre avec l'Etat colonial. Mais il s'agit également d'avoir la lucidité de voir que l'Etat algérien d'aujourd'hui confisqué par une caste prédatrice ne répond plus aux aspirations du peuple et de la société. Aux attentes de tous les Algériens et de toutes les Algériennes dans la diversité de leurs aspirations à la liberté et à la dignité.

Faire œuvre utile en politique aujourd'hui c'est aussi expliquer en quoi l'Histoire, la nôtre, s'est appuyée sur l'esprit millénaire de résistance qui caractérise cette terre.
Cette Histoire, pour se faire, s'est également appuyée sur les instruments de la modernité universelle.

L'Etat moderne est un Etat au service d'un peuple dont il garantit la liberté, le développement et la sécurité et en retour, le peuple est le garant de la pérennité de cet Etat, quand ce dernier repose sur la liberté de la société et des individus qui la composent.

Au moment de célébrer les espoirs soulevés par les victoires du passé, au moment d'évoquer, comme ce soir, les victoires sur le colonialisme, il ne faut surtout pas, en ces temps si durs pour notre peuple, il ne faut surtout pas oublier qu'avant de triompher du colonialisme, nous avions d'abord triomphé des limites qu'il était parvenu à imposer à
notre audace autant qu'à notre action.

La création du GPRA a été la concrétisation la plus politique et la plus manifeste de cette double victoire sur le colonialisme et sur nos propres limites. Le coup de force contre le GPRA a de ce fait consacré une terrible régression: il demeure non seulement le témoignage d'une illégitimité originelle. Mais il a aussi installé - pour ne pas dire réinstallé - la force brute comme seul mode de gestion de notre société.

Hocine AIT AHMED

Témoignage d’Abdelhamid Mehri, ancien ministre du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne

FERHAT ABBAS, Premier Président du GPRA

Ferhat Abbas représentait pour moi et pour des générations de militants PPA le porte-parole d’une école politique que nous avons combattu. Ferhat Abbas prônait, avant la deuxième guerre mondiale, l’assimilation comme moyen pour les algériens, soumis aux obligations de leur statut de français, d’en acquérir les droits.

A la fin de la guerre, les positions de Ferhat Abbas ont évolué vers des positions plus proches de la revendication de l’indépendance. Les dialogues menés avec lui par le Dr Lamine Debbaghine et le Dr Chawki Mostefai, dirigeants du PPA, y avaient grandement contribué. Et ce fut le Manifeste du peuple algérien, puis les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). Immense mouvement d’union populaire qui a marqué la lutte politique du peuple algérien contre le régime colonial.

La tragédie du 8 mai 1945 et la dissolution des AML ont provoqué la dislocation de cette union, emmené Ferhat Abbas à créer l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) et s’inscrire dans la vision du Général De Gaulle qui voulait transformer l’empire colonial français en union « librement consentie »: l’Union Française. Les députés UDMA proposaient, en conséquence, à l’Assemblée Nationale Française le projet d’une République Algérienne fédérée à cette Union.
Ce projet a été également combattu par notre génération et rejeté, en même temps, par le Gouvernement français.

Aujourd’hui, avec le recul, je demeure convaincu que le combat contre la politique prônée par Ferhat Abbas, pour la solution du problème algérien, devait être mené. Et il est heureux qu’il l’ait été.
Le Premier Novembre a éloigné ce passé avec ses clivages politiques. Mais c’est l’homme de ce passé qui est accueilli, au sein du FLN, par les hommes qui l’avaient combattu. Tous les dirigeants de première ligne de la révolution étaient, en effet, issus du PPA, son principal adversaire politique. L’événement n’était pas anodin et les contacts au début étaient un peu laborieux et prudents. Les retenues et les réserves étaient, peut-être, de la même nature des deux cotés. L’adhésion de Ferhat Abbas au FLN ne pouvait effacer d’un trait les traces d’un passé chargé de divergences politiques et idéologiques, mais aussi de préjugés et de séquelles de polémiques pas toujours heureuses.

Mais l’adhésion de Ferhat Abbas était sincère, honnête et réfléchie. Il a su s’adapter à un milieu politique très différent de son itinéraire et de son expérience politique. Il a fait des efforts méritoires pour s’intégrer à ce nouvel environnement, l’accompagner, le comprendre. Il a même aidé à maintenir et à consolider sa propre cohésion. Son apport au combat de la libération était considérable et son rôle au sein des organismes dirigeants de la Révolution (CCE et GPRA) très important.

Les contacts avec Ferhat Abbas ont commencé après l’installation de Abbane Ramdhane à Alger.

Ce dernier me disait, en mai 1955, que ses contacts avec le leader de l’UDMA étaient encourageants et qu’il a été agréablement surpris par les dispositions de l’homme. Ces contacts entrepris par Abbane auprès des acteurs politiques, on l’a appris par la suite, préparaient le terrain à la tenue du Congrès de la Soummam qui a scellé l’union de toutes les familles du nationalisme algérien. Lors de ces assises, Ferhat Abbas et d’autres personnalités politiques d’horizons fort éloignés du PPA, ont fait leur entrée au Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA). Les décisions politiques et organisationnelles de la Soummam ont eu de grandes répercussions à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Mais cette ouverture politique provoqua des remous dans les sphères dirigeantes de la Révolution, notamment chez certains « historiques ».

Ces remous se transformèrent en crise aiguë, après la sortie du CCE et lors la première session du CNRA, réunie au Caire en août 1957.

Dans une première phase de cette crise, la contestation remettait en cause, simplement, tous les organismes dirigeants mis en place par le Congrès de la Soummam et son orientation générale. Mais un compromis, sauvant l’essentiel des décisions du Congrès, a pu être dégagé au prix d’efforts considérables de dialogue et de contact. Ferhat Abbas a pris une part importante à cet effort de conciliation.

Au point que les contestataires, qu’on appelait les militaires, ont surpris lorsque il s’est agit de la formation du Comité de Coordination et d’exécution (CCE). Car, au moment ou ces contestataires reprochaient à Dahleb et à Benkhedda leur tiédeur à l’égard du projet insurrectionnel et insistaient pour leur élimination du CCE, ils tenaient à ce que Ferhat Abbas y figure malgré les réserves de certains, dont je faisais partie, mais pour des raisons différentes.

Cela explique, en grande partie, que lors de la formation du GPRA, le nom de Ferhat Abbas était celui qui réalisait le consensus le plus large pour le présider.

Le CCE, puis le GPRA, présidé par Ferhat Abbas, connurent des phases difficiles et des crises internes. L'attitude de Ferhat Abbas, en ces moments là, a été toujours marquée par une volonté tenace de les résoudre, ou les atténuer, par le dialogue et la concertation.

Arrive la grande crise de l'été 1962. N'étant pas convaincu des motifs invoqués par les deux camps, j’ai vainement essayé de persuader Ferhat Abbas de rester en dehors de la mêlée pour continuer de jouer le même rôle. Je n'ai pas réussi à le convaincre. Il a choisis de prendre position avec le Bureau politique.

Il me confia ultérieurement, et il l'a répété à d'autres amis, qu'il a profondément regretté cette prise de position.

******

Il m’est arrivé, quelques fois, d’accompagner le Président Ferhat Abbas lors de rencontres de chefs d'État. La trame de fond de toutes ces rencontres était évidemment la question algérienne. Mais certains gestes et paroles de l'Homme, sont restés en mémoire.

J’évoquerais trois moments significatifs à certains égards:

1. Rencontre avec le Président Jamal Abdennasser.

Si mes souvenirs sont exacts, c’était la première rencontre entre les deux hommes. Et il n’a pas était facile de l’organiser. Car l’image de Ferhat Abbas dans les fiches des services de renseignements égyptiens était, peut être, à l’origine de certaines réserves. Mais finalement la rencontre s’est déroulée dans une atmosphère sereine, emprunte de respect et de franchise, même si elle manquait de chaleur. En quittant les lieux où nous avons été reçus, Ferhat Abbas résumait ses impressions dans cette phrase: « C’est un grand homme, dommage qu'il traîne une bureaucratie millénaire!! »

2. Rencontre avec le Président Habib Bourguiba à un moment de brouille avec Jamal Abdenasser.

Entre les deux hommes, tout le monde le savait, le courant ne passait pas. Leurs désaccords tournaient parfois à la crise ouverte. Au début de la conversation, Bourguiba commençait à évoquer cette brouille. Alors que personne ne s'y attendait, Ferhat Abbas l'interrompit brusquement: "Mon cher ami cesse de te chamailler avec Abdennasser... (Les deux hommes se tutoyaient)...nous sommes en train de faire face à une guerre atroce et sachez bien que nous avons besoin de vous tous!". Je m’attendis à une réplique coléreuse habituelle de la part de Habib Bourguiba. Ce fut un silence pesant qui me paraissait long. Puis Bourguiba esquissait un large sourire et change de sujet. Le message du président Abbas était bien reçu. Les conversations revinrent vers l'objet initial de notre rencontre.

3. Rencontre avec sa Majesté Mohamed V (août 1958 moins de deux mois avant la formation du GPRA).

Dépêchés en mission urgente auprès de Sa Mohamed V, Ferhat Abbas et moi nous fument reçus au Palais Royal dés notre arrivée à Rabat. Une grande tension régnait alors aux frontières algéro-marocaines dans la région de Béchar. Des heurts graves et regrettables avaient eu lieu entre des éléments des deux pays. La circulation dans la région était sévérement réglementée et un blocus établi autour de certains points de présence de l'ALN. Sa Majesté Mohamed V nous a reçus, comme il a toujours fait avec les responsables du FLN, avec simplicité et gentillesse. Informé de l'objet de notre mission, il entra directement dans le vif du sujet. « Vous savez que moi et le Maroc tout entier sommes aux côtés de la révolution algérienne. Je peux vous assurer que cela ne changera pas. Mais, en tant que chef d'État, j'ai des obligations envers mon Pays et son unité territoriale. Il y a un problème de frontières entre nos deux pays et j'aimerais que l’on en discute dès maintenant. Je désigne le Prince Moulay El Hassen pour présider la délégation marocaine"

L'audience était brève mais édifiante. Ce que l'on croyait être des incidents locaux limités, était en fait lié un problème sérieux posé officiellement, et solennellement.

Ferhat Abbas était d'autant plus désolé qu'il devait quitter le Maroc pour un rendez-vous important. Il me demanda donc de rester à Rabat, de former une délégation sur place et de mener les négociations avec les responsables marocains. Ce que je me suis efforcé de faire.

En guise de consignes, Ferhat Abbas me dit ceci: « Ecoute mon cher Mehri, formellement, nos frères marocains ont peut-être raison d'évoquer la question des frontières. Cependant, ils choisissent très mal la façon et le moment de le faire. Nous ne pouvons pas les suivre sur cette voie. Tâche de les persuader que l'intérêt des deux pays commande le renvoi du règlement de cette question après l'indépendance de l'Algérie ».

Après l'indépendance je rendais, souvent, visite au Président du GPRA. L'une des dernières visites que je lui ai rendues chez lui, se situait juste après la défaite des armées arabes en Juin 1967. Après un bref échange amical, je le provoquais un peu : « Alors, Monsieur le Président, nous avons reçu encore une tannée!? » Ferhat Abbas, calme, me fixa un moment, puis, sans aucun signe de plaisanterie dans sa voix, me répondit:

- Mais, mon cher Mehri, nous allons vaincre
- !?!!! Comment cela Monsieur le Président ?
- Oui, nous vaincrons à force d'être vaincus!

Rahima Allah Ferhat Abbas.

Abdelhamid MEHRI

Cinquantième anniversaire de la création du GPRA

Par Boubekeur Ait Benali, Algeria-Watch, 18 septembre 2008

Il y a un demi-siècle, jour pour jour, l’Algérie a formé son premier gouvernement. Bien qu’il soit provisoire, il n’en demeure pas moins que dans l’esprit des Algériens, à ce moment-là, cet événement représentait indubitablement l’acte fondateur de l’Etat algérien.

Toutefois, la création du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) n’est pas survenue ex nihilo. Il y avait, au début de la guerre, le Conseil de la révolution composé des neuf chefs historiques. Le texte qu’ils ont diffusé le 1 novembre 1954 annonçait la création du FLN, un appel au peuple algérien pour se mobiliser et une plateforme de revendications destinée aux autorités coloniales. Pendant prés de deux ans la révolution algérienne a été régie par ce texte fondateur du FLN. A partir du congrès de la Soummam, les congressistes ont créé un comité de coordination et d’exécution (CCE), restreint entre août 56-août 57 et élargi jusqu’en septembre 1958. Toutefois, si le GPRA a pris la suite à partir du vendredi 19 septembre 1958 à 13 heures, l’idée de constituer un gouvernement remonte au mois de septembre 1957. Comment l’idée a-t-elle germé et qu’ils étaient les moments forts ayant conduit à son aboutissement ?

En effet, la réflexion, en constituant des commissions de travail, a commencé dés le mois de septembre 1957. Selon Mohamed Harbi, quatre rapports ont été rédigés pour analyser la situation politique et militaire de la révolution et réfléchir sur la stratégie à adopter pour la réussite de la révolution. Le premier rapport émanait du colonel Ouamrane. Rédigé avec Mabrouk Belhocine, son conseiller, ce rapport contenait à la fois une analyse sans fard ni acrimonie de la situation militaire et également une série de propositions. Dans l’analyse, ils ont écrit : « Si notre insurrection a d’abord surpris la France, si notre dynamisme des premiers temps a ébranlé le dispositif politique et militaire adverse, le colonialisme a fini par se ressaisir dés qu’il nous a vus marquer le pas. » Quant aux propositions, ils les ont résumées comme suit :

1) La création d’un gouvernement,

2) Le rejet de toute exclusive contre les pays de l’est,

3) Etendre l’action armée à la France.

Les autres rapports complétaient d’une façon ou d’une autre le rapport d’Ouamrane. Ainsi, pour Ferhat Abbas, la condition de la réussite de la diplomatie algérienne devait passer inéluctablement par la consolidation des assises de la révolution, préalable à toute démarche diplomatique. Autrement dit, il fallait, selon F.Abbas, une cohésion de tous les organismes de la révolution pour constituer un bloc soudé et capable de mener à bien sa mission. Car cela ne servait à rien, pensait-il, d’accomplir des tournées dans les chancelleries si cette condition n’était pas remplie. Quant à Krim Belkacem et Lakhdar Ben Tobbal, les militaires du CCE, l’analyse était plus militaire que politique.

Néanmoins, un autre élément inattendu a été introduit dans l’équation à résoudre : le retour du général de Gaulle sur la scène politique. Bien qu’il soit porté à la tète de l’Etat français par un coup de force militaire, plusieurs observateurs, et non des moindres, voyaient en lui quelqu’un qui allait trouver une solution négociée au problème algérien et ce, à court terme. L’histoire a montré que le général n’était pas disposé, dans les deux premières années de son retour aux responsabilités, ni à trouver une solution politique, ni à lésiner sur les moyens militaires en vue d’étouffer la révolution algérienne. Il faut tout de même rappeler que les pertes en vies humaines étaient plus importantes de 1958 à 1960, suite aux opérations Challe, que les autres années réunies.

Cependant, les dirigeants algériens, réunis en commission, ont rendu, le 6 septembre 1958, une réponse positive à la création d’un gouvernement provisoire. Pour ces derniers, cette naissance du gouvernement allait avoir au moins deux impacts. L’un sur le plan algérien : « A l’approche du référendum (sur la constitution de la cinquième république française), c’est un encouragement utile qui convaincra le peuple à faire échec à la politique d’intégration prônée par de Gaulle. », et l’autre sur le plan international : « nous nous trouverons dans une meilleure position qui acculerait peut-être l’ennemi à des actes d’humeur profitables internationalement à notre cause et le potentiel matériel et financier de la révolution se renforcerait. »

Par ailleurs, depuis l’avènement du GPRA, ses adversaires n’hésitaient pas à lui reprocher deux choses, présentées à l’époque comme opaques, et qui méritent ici d’être éclaircies. La première concerne l’abandon du préalable pour l’ouverture de toute négociation avec la France et la seconde a lien avec la non convocation du CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne) pour décider la fin de la mission du CCE et le début de celle du GPRA. Pour la deuxième nuance, il faut tout bonnement se référer à la résolution du CNRA du 27 août 1957 tenu au Caire, qui a délégué le pouvoir au comité de coordination et d’exécution, déjà élargi, de créer, si besoin se faisait sentir, un gouvernement révolutionnaire. D’ailleurs, Saad Dahlab, dans son livre la mission accomplie n’écrit-il pas : « Tout le CCE fut transformé en GPRA. Celui-ci était renforcé par deux éléments n’appartenant pas au CCE. Ben Khedda, qui revenait ainsi à la direction un an après son élimination du CCE et M’hamed Yazid qui était délégué du FLN à l’ONU. » Par contre, pour la première nuance l’explication se trouve dans la sémantique. En effet, en insistant sur le sens des mots, la frontière entre gouvernement et comité n’est pas du tout mince. Bien que le GPRA ne soit qu’un élargissement du CCE, le sens donné à chaque organisme peut prêter à une interprétation différente. L’explication d’André Mandouze, dans la révolution algérienne par les textes, est à ce titre significative : « il faut bien comprendre que, si un organisme révolutionnaire comme l’était le CCE pouvait, à bon droit, exiger une reconnaissance de l’indépendance algérienne avant d’entamer les négociations, il n’en est plus de même pour un gouvernement qui, par son existence même, consacre juridiquement celle de l’Etat qu’il représente. »

Cependant, après moult discussions entre membres du CCE, le 9 septembre 1958, le comité a décidé de créer le gouvernement provisoire, le GPRA. La veille de la proclamation officielle de la naissance du GPRA, soit le 18 septembre 1958, plusieurs délégations du FLN sont allées rencontrer les chefs de gouvernements de tous les pays arabes. Selon Yves Courrière : « A Tunis, c’est Krim Belkacem et Mahmoud Chérif qui rencontrèrent le président Bourguiba dans sa villa d’été. » En Egypte, la mission d’annoncer la création du GPRA a été confiée à Toufik El Madani. Le lendemain, vendredi 19 septembre 1958, le GPRA a pris officiellement ses fonctions. L’annonce de sa création a été faite simultanément à Tunis et au Caire. Quatre pays ont reconnu ipso facto le GPRA. Il s’agissait de la Tunisie, du Maroc, de la Syrie et du Liban. Vingt quatre heures plus tard, c’était autour de l’Egypte de reconnaître le GPRA. Dans la foulée, l’Irak a suivi l’exemple égyptien. Désormais, chaque reconnaissance qui s’ajoutait à la liste était une victoire pour la diplomatie algérienne. Le dernier pays à reconnaître le GPRA était la France. « Mais le jour où le gouvernement français, écrit A.Mandouze, acceptera la discussion avec le GPRA, il reconnaîtra, par là même, l’existence de l’Etat algérien ».

Pour conclure, il va de soi que la guerre d’Algérie ne pouvait pas se terminer sur une victoire militaire, que ce soit du côté français ou du côté algérien. Car le maquis algérien avait des réserves importantes pour remplacer les combattants tués au champ d’honneur. Aussi, avec un effectif atteignant un demi million de soldats, l’armée française ne pouvait pas être non plus anéantie. Il ne restait alors qu’un terrain où la victoire pouvait se décider : la diplomatie. Sur ce terrain, le GPRA avait une argumentation plus constructive en se battant pour la liberté et l’indépendance. Ainsi, l’Algérie avait réussi, en 1954, à poser le problème du statut de l’Algérie en portant les armes et à l’emporter, en 1962, grâce à la détermination de son peuple soutenant sans vergogne sa diplomatie incarnée par le GPRA.

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