1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 08:35
Et si Messali Hadj manquait juste de courage révolutionnaire.

Avant de porter un jugement sur Messali Hadj, il conviendrait, au préalable, de rappeler la genèse de la crise du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD (parti du peuple algérien-mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Bien que le père fondateur du mouvement national ne veuille pas engager le parti dans l’action armée –Mohammed Harbi explique que Messali Hadj agitait la menace de la lutte armée en vue d’inciter les autorités coloniales à négocier avec lui –, il n’est pas pour autant l’ennemi de son pays. D’ailleurs, n’est-ce pas lui qui a porté pendant trois décennies (1926-1954) le combat indépendantiste.

Cependant, étant davantage en prison ou en résidence surveillée qu’en liberté [il a passé plus de temps sous les verrous qu’en liberté pendant trente ans de militantisme], le contrôle du parti lui échappe au début des années 1950. En fait, dès 1951, l’aile modérée du parti, représentée par Hocine Lahouel et Ben Youcef Benkhedda, envisage des alliances politiques avec des partis modérés, notamment celui de Ferhat Abbas. Bien qu’il ne renonce pas à la voie légale, Messali Hadj rejette, sans fard ni acrimonie, ce rapprochement signifiant, pour lui, la fin du combat indépendantiste. En d’autres termes, on ne s’allie pas, selon lui, avec des partis qui s’accommodent de la présence coloniale.

Toutefois, après l’incarcération de Messali Hadj au printemps 1952, le parti est derechef entre les mains des modérés. Ayant les coudées franches, ils abandonnent aussitôt la ligne révolutionnaire. Au congrès d’avril 1953, ils adoptent des décisions que le parti a rejetées en 1951, notamment les points inhérents à la politique électorale –d’où la mise au placard de l’OS (organisation spéciale) – et la politique des alliances en Algérie. En tout cas, en l’absence de Messali Hadj et de l’éloignement des radicaux –au congrès d’avril 1953, les membres de l’OS sont interdits de congrès –, le comité central opère un virage à 180°, en participant notamment à la gestion de la mairie d’Alger aux côtés de Jacques Chevalier.

C’est dans ce climat délétère qu’éclate alors la crise du parti. Pour redresser la situation, Messali Hadj demande les pleins pouvoirs. Prenant l’opinion à témoin, il s’adresse aux militants de base dans son message du 10 décembre 1953. Bien que le comité central ne veuille pas, dans le premier temps, satisfaire la demande du président du parti, sous la pression de la base, le duo Lahouel-Ben Khedda se plie, mais appelle en même temps les organisations de base à la neutralité. « L’appel de Messali contre la direction est suivi massivement en Oranie, en Kabylie, dans l’Est algérien et une partie de l’Algérois… Le 28 mars, le comité central se réunit pour constater son échec et remet ses pouvoirs à Messali pour organiser un congrès. Celui-ci désigne à son tour une délégation provisoire (DP) pour diriger le parti », écrit Mohammed Harbi, dans « FLN, mirage et réalité ».

Or, la crise étant plus profonde, cette défaite du comité central ne signifie pas pour autant la victoire de Messali Hadj. Et pour cause ! Certains membres de l’OS, à leur tête Mohammed Boudiaf et Didouche Mourad, s’en mêlent. À vrai dire, Mohammed Boudiaf ne souhaite pas que Messali Hadj ait la main sur le parti. « Deux anciens dirigeants de l’OS, Boudiaf et Didouche, traumatisés par le soulèvement de la base en France en janvier 1954, répondent à l’appel du comité central... », argue l’éminent historien. Le 23 mars 1954, ils créent le comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Ce dernier regroupe en son sein deux activistes (Ben Boulaid et Boudiaf) et deux centralistes (Dekhli et Bouchebouba). Bien que ce comité se dise neutre, dans la réalité, il est sous l’influence du comité central, comme en témoignent les articles du bulletin « le Patriote », l’organe du CRUA. D’après Mohammed Harbi, ses éditoriaux sont rédigés par Hocine Lahouel.

Dans ce cas, peut-on réellement parler de l’impartialité du CRUA ? Les articles de leur bulletin donnent le ton. Systématiquement, ils font le procès de Messali Hadj et épargnent le comité central. C’est pour cette raison que l’une des régions les plus importantes du parti, en l’occurrence la Kabylie, refuse de suivre le CRUA. Pour eux, ce dernier est trop proche du comité central. Par conséquent, entre le comité central et Messali Hadj, les dirigeants kabyles du PPA-MTLD penchent pour celui-ci. Voila ce qu’écrit Mohammed Boudiaf à propos du ralliement de la Kabylie à la thèse messaliste : « Au moment de nos démêlés avec les Messalistes, ces derniers ne se gênaient pas pour nous menacer de faire appel aux maquisards kabyles pour nous liquider. C’est également à cette époque que Benaouda, qui était en Kabylie, fut envoyé par Krim et Ouamrane dans le Nord-Constantinois pour rallier Zighout et d’autres éléments en vue de descendre en force à Constantine et de contraindre les éléments neutralistes à s’aligner sur les positions des Messalistes, quitte à utiliser les moyens extrêmes. »

Quoi qu’il en soit, bien que les éléments activistes du CRUA prennent, dès la fin juin 1954, leur distance avec deux autres membres centralistes, la relation ne se normalise pas avec les chefs kabyles. Du coup, à la réunion du groupe des 22, tenue le 25 juin 1954, à Alger, ces derniers ne sont uniment pas conviés. « C'est pourquoi il nous était impossible de les inviter à la réunion des « 22 », car à ce moment ils étaient encore loin de partager nos idées », écrit encore Mohammed Boudiaf, dans « la préparation du 1er novembre 1954 ». Trois semaines plus tard, une délégation, conduite par Ali Zamoum, se rend en Belgique pour assister au congrès messaliste.

Finalement, le rapprochement entre le comité révolutionnaire, issu de la réunion des « 22 », et les chefs kabyles intervient deux mois avant la date fatidique. Ensemble, ils élaborent un questionnaire à soumettre aux deux tendances. « Krim et Ouamrane furent chargés de le présenter aux Messalistes. Une autre délégation comprenant à dessein Krim devait faire le même travail avec les centralistes. Comme il fallait s’y attendre, les Messalistes repoussèrent cette initiative avec dédain… Ces démarches éclairèrent Krim et Ouamrane qui comprirent que le moment était venu pour eux de s’engager résolument avec nous. Ce qui fut fait lors d’une réunion tenue rue du Chêne, vers la fin août, où ils nous présentèrent les cadres de la Kabylie. Krim fut alors admis dans notre comité dont il devint le sixième membre avec Ouamrane comme adjoint », relate Mohammed Boudiaf. Cela dit, au moment du déclenchement de la guerre, la plupart des militants croient combattre sous la direction de leur chef naturel, Messali Hadj.

Pour conclure, il va de soi que l’échec du parti n’incombe pas à Messali Hadj. Mais, en refusant de suivre le groupe activiste, doit-on le considérer pour autant comme un traitre ? Aucun historien sérieux n’a émis jusque-là ce genre d’hypothèse. En revanche, ces partisans auraient dû participer, à partir de 1956, au rassemblement des forces nationales au même titre que les Oulémas et les partisans de Ferhat Abbas. Enfin, pour terminer sur la polémique récente, une question s’impose : peut-on vanter dans tous les discours le rôle capital de Kabylie pendant la révolution et considérer leur mentor de traitre ?

Ait Benali Boubekeur

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