30 juin 2014 1 30 /06 /juin /2014 09:03
16 ans après, les Algériens attendent toujours la vérité sur l’assassinat de Matoub.

Dans l’histoire des assassinats politiques, il y a des affaires que l’on ne peut pas classer par le fait d’une procédure bâclée. L’assassinat de Matoub Lounes ne déroge pas à cette règle. En effet, à chaque fois que le régime et ses complices dans la région croient enterrer l’affaire, les fans du chanteur et tous ceux qui sont épris de justice ne veulent pas que ce lâche assassinat soit clos de cette manière. Pour ces derniers, oublier ce crime est une attitude pusillanime. En revanche, le fait d’entretenir cette mémoire, pour eux, est tout bonnement une manière de résister. Et pour cause ! Il n’est pas normal, selon eux, qu’à chaque fois que des tensions subsistent au sommet de l’Etat, les planificateurs de la mort sévissent sans crainte.

Hélas, il y a de cela 16 ans, ce marchandage a couté la vie au chanteur populaire, Matoub Lounes. Or, malgré la précipitation de certains politiques de la région à imputer l’assassinat de Matoub au GIA (groupes islamiques armés), les manifestants – qui ont investi la rue dans les heures qui ont suivi le crime – n’ont pas gobé ce mensonge éhonté. En fait, dès l’annonce de la mort du chanteur, les manifestants ont tout de suite compris la manœuvre. Pour rappel, à l’époque, les tensions entre le chef de l’Etat, Liamine Zeroual, et le clan des « janvieristes » (allusion à ceux qui ont fait le coup d’Etat en janvier 1992) ont atteint leur paroxysme. D’ailleurs, le général Zeroual renoncera à son mandat trois mois après l’assassinat de Matoub. Si le lien entre les deux événements ne peut pas être appuyé par des éléments palpables, il est difficile, tout de même, de ne pas faire le rapprochement.

En effet, en 1998, l’agitation est à son comble au sommet de l’Etat. D’après une enquête de Libération, dirigée par Florence Aubenas et José Garçon, un clan du pouvoir aurait utilisé ses relais dans la région de Kabylie pour déstabiliser le clan présidentiel. « Si la direction de l’armée n’apprécie pas la loi d’arabisation, elle ne peut s’y opposer ouvertement et il serait plus habile que la mobilisation parte de la population elle-même. La Kabylie, en pleine effervescence à cause de cette loi, parait le terrain le plus favorable. S’en prendre à l’un des symboles de la culture berbère serait une provocation susceptible d’allumer la mèche. Durant cette réunion, un dirigeant du RCD aurait affirmé qu’il se charge d’enflammer la Kabylie », notent les deux journalistes de Libération.

Malheureusement, à chaque fois que l’on veut mobiliser la région, certains politiciens pensent plutôt à piéger ses habitants. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est la version que les milieux populaires retiennent à l’affaire Matoub. D’après eux, les instigateurs de ce crime veulent vraisemblablement inciter le général Zeroual à accepter leur feuille de route. En tout cas, la suite des événements révèle l’existence d’un plan préalablement établi. « Quelques heures après cet assassinat, Nourredine Ait Hamouda intervient dans les médias internationaux (comme France –Infos) pour affirmer que les assassins sont les islamistes du GIA, idée fixe également développée par Khalida Messaoudi, députée du RCD au parlement algérien. C’est ainsi une véritable « pression » médiatique qui s’exerce pour faire admettre la thèse du GIA dans l’assassinat de Lounès », publie Massin Ferkal sur le site « Tamazgha ».

Quoi qu’il en soit, bien que l’enquête soit d’emblée orientée vers les groupes islamistes, la quête de la vérité ne s’arrête pas non plus. Malgré les blocages tous azimuts, les habitants de la région de Kabylie commémorent l’anniversaire de l’assassinat de leur chanteur préféré en réclamant toujours la vérité. « Cessons de trouver de faux assassins. Nous n’accepterons pas un simulacre de procès destiné à tromper l’opinion et à clore le dossier. Nous exigeons une véritable enquête », confie la sœur du chanteur, Malika Matoub, aux deux journalistes de Libération en 2000.

Depuis ce temps-là, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La justice algérienne a trouvé deux coupables. Pour classer l’affaire, elle a bidouillé un procès auquel personne n’accorde de crédit. Et pour cause ! Les aveux arrachés sous la torture ne sont pas recevables. Pour autant, il ne s’agit pas ici de disculper les deux mis en cause, Malik Medjnoun et Abdelhakim Chenoui, pour avoir pris les armes. Mais, dans l’affaire Matoub, les revendications sont de nature à consacrer les principes de justice. Quand un crime est commis, la moindre des choses est d’œuvrer pour que les zones d’ombre soient élucidées.

Dans ce cas, c’est toute la procédure qui doit être reprise à zéro. Pour montrer sa bonne foi, la justice doit recevoir tous les éléments qui sont susceptibles de rétablir la vérité. De la même manière, toutes les personnes qui peuvent apporter leur témoignage doivent être entendues. Enfin, en procédant de la sorte, la justice algérienne gagnerait davantage en crédibilité. Dans le cas contraire, la justice va continuer à être perçue comme un instrument entre les mains des comploteurs.

Ait Benali Boubekeur

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